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Darras tome 33 p. 546

 

   134. Cependant l'hérésiarque regardé comme le fondateur de la secte antitrinitaire, celui qui lui a donné son nom, c'est Lélio So­cin. Né a Sienne en 1525, de Mariano Socin, habile jurisconsulte, il comptait dans sa famille des ancêtres illustres et de nombreux savants. Destiné à la carrière du droit, il en chercha les fonde­ments dans les Livres saints dont il fit une étude approfondie. Il apprit même pour cela, le grec, l'arabe et l'hébreu. Les idées sédi­tieuses de Luther pénétraient alors secrètement en Italie, et se fai­saient chaque jour de nouveaux adeptes. En 1546, quarante per­sonnes des plus distinguées par leur rang, par leurs emplois et par leurs titres, établirent, dans les environs de Vicence, une société secrète, espèce d'Académie clandestine pour discuter entre elles les questions qui commençaient à agiter les esprits. Quoique très-jeune, Socin fut admis dans cette assemblée. Les nouveaux acadé­miciens soumirent l'Écriture aux règles qu'ils s'étaient faites, et repoussant tout ce qui choquait leur manière de voir, ils réduisi­rent leur symbole à un petit nombre d'articles. Le dogme de la Trinité, celui de la consubstantialité du Verbe, la divinité de Jé­sus-Christ, n'étant pas, suivant eux, fondés sur la révélation, leur parurent empruntés aux  opinions  des philosophes grecs. C'était

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ressusciter Arius et reprendre les théories de l'arianisme, si brave­ment réfutées par les Pères de l'Eglise, surtout par saint Athanase. Le secret de ces assemblées et le scandale de ces doctrines fut bientôt découvert. Quelques-uns de ceux qui les fréquentaient, furent arrêtés et punis de mort. Les autres, tels que Blandrata, Alciati, Gentilis, se dérobèrent, par la fuite, au dernier supplice. Socin erra pendant quatre ans en France, en Angleterre, dans les Pays-Bas, en Allemagne et finit par trouver un asile à Zurich. Dans ses voyages, il avait acquis, par son érudition et ses qualités person­nelles, l'estime d'un certain nombre de savants ; il continua d'en­tretenir avec eux une active correspondance. Comme les premiers réformés avaient en horreur les doctrines unitaires, Lélio eut l'ha­bileté de les dissimuler, de manière à passer pour l'un des leurs, à devenir l'ami de Mélanchton et de plusieurs autres chefs de sectes religieuses. Mais Calvin, qui avait pressenti les dissentiments que devait engendrer une pareille situation, lui écrivait en 1542 : « Ce que je vous ai déjà dit autrefois, je vous le répète maintenant très-sérieusement ; si vous ne corrigez ce produit d'investigations, crai­gnez d'avoir à lutter contre de très-graves obstacles. » Lélio se tint pour averti sur cette manière d'entendre le libre examen et dissi­mula pour ne pas encourir le supplice de Servet. Bullinger lui fit meilleur accueil, mais Jules de Milan écrivait à ce dernier le 4 no­vembre 1555 : «Tu me dis que Lélio, qui nous est suspect et qui est considéré ouvertement par beaucoup de vertueux frères comme un anabaptiste, t'a fait une bonne confession et a souscrit à la saine doctrine qu'a toujours enseignée l'Eglise catholique et tu m'engages à le considérer comme purgé de tout soupçon. Je t'em­brasse pour le zèle que tu montres à la maison de Dieu, car ton au­torité ecclésiastique est parmi nous d'un tel poids, que ce qui te sa­tisfait nous satisfait également: je ferai donc en sorte que nos égli­ses regardent Lélio comme leur frère, bien que la tache dont il est souillé à leurs yeux ne s'efface pas facilement. Néanmoins, je prie le Seigneur d'accorder à Lélio la grâce de bien croire ce qu'il t'a confessé. Je ne voulais pas t'en dire davantage ; mais, pour ta gou­verne, je dois te raconter que Lélio a été complice de Camille Re-

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nato, à ce point, qu'après avoir abandonné la vérité catholique, il n'a pas rougi de se faire passer pour anabaptiste à Chiavenna, à Genève et dans d'autres lieux : je crois que tu reconnais chez Ca­mille l'esprit d'astuce et de ruse, qui se manifeste chaque jour da­vantage; tu ne peux croire combien ce serpent est flexible et avec quels détours il nous échappera si l'on n'y met pas bon ordre. Mais à quoi bon parler de Camille, si tous les anabaptistes sont si perfides qu'ils n'aient aucun scrupule de souffler le chaud et le froid. » Lélio s'ouvrait à quelques personnes, surtout aux émigrés italiens et à ses parents de Sienne. Dégoûté de l'intolérance de Calvin, il écrivit contre lui un opuscule sur le droit qu'on avait et le profit qu'on pouvait tirer de la punition des hérétiques ; puis, en Pologne, il professa ouvertement les doctrines antitrinitaires, aux­quelles il convertit Lismanin, confesseur de la reine Bona Sforza. Sigismond Ier roi de Pologne, avait fait preuve de dévouement en­vers les papes, surtout en vue de former une croisade contre les Turcs ; Paul III envoya, à la cour de Sigismond, Ange de Médicis, le futur pape Pie IV, en qualité du commissaire de l'armée pontifi­cale, contre les Turcs et les Luthériens. Les Polonais, par recon­naissance envers ce grand roi, lui permirent de désigner, comme successeur, son fils Sigismond-Auguste. Ce dernier prince, pour ne pas s'aliéner les seigneurs polonais, adhéra aux nouvelles doctrines qui avaient été propagées dans plusieurs palatinats. On ne tarda pas à obtenir que dans les pacta conventa offerts au roi, fut insérée une clause qui assurait la tolérance aux Hussites, aux Luthériens, aux Sacramentaires, aux Calvinistes, aux Anabaptistes, aux Ariens, aux Sociniens, aux Unitaires, aux Antitrinitaires et aux Trithéis-tes. Socin avait été recommandé à Sigismond-Auguste par Mélanchton ; le roi admit Socin à la cour et lui donna des lettres de re­commandations pour le duc de Florence, afin que Lélio put se ren­dre en Italie et recueillir, sans être inquiété, la succession de son père, en 1539. A cette époque sa famille fut en dispersion; lui-même retourné en Suisse, mourut à Zurich en 1562. Doué d'une rare élo­quence, savant dans les langues et habile dans la critique, s'il eut vécu plus longtemps, il aurait,  dit Pluquet, rendu sans doute les

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plus grands services au nouvel arianisme. On lui attribue plusieurs ouvrages, entre autres les paraphrases des premiers versets de l'Evangile selon S. Jean. Cependant la Bibliothèque des frères polonais ne contient aucune de ses élucubrations. Haas prétend que Lélio Socin n'a écrit que pour cacher ses propres sentiments et que sa doctrine, résolument antitrinitaire, ne se trouve exposée que dans ses manuscrits.

 

135. Si Lélio avait été le fondateur, son neveu Faust fut le propagateur du socinianisme. Né à Sienne en 1539, il eut une éduca­tion négligée et ne se distingua point dans ses études. Les lettres qu'on recevait de son oncle entretenaient dans la famille, le goût des nouveautés religieuses et donnaient lieu à des discussions aux­quelles il prenait part. A l'époque où ses parents furent poursuivis par l'Inquisition, ne se sentant pas tout à fait innocent, il prit la fuite comme les autres et vint chercher un asile en France. A Lyon, il étudia la jurisprudence, ensuite les sciences : il paraît qu'il était bel écrivain, parleur facile, distingué dans ses manières. C'est là qu'il apprit la mort de son oncle ; il courut aussitôt en Pologne recueillir les manuscrits du défunt et fut accueilli comme un pro­phète, destiné à mettre la dernière main aux doctrines ariennes. Les motifs qui l'avaient forcé de quitter l'Italie ne subsistaient plus; il y rentra et fut accueilli par le duc de Toscane, qui le retint à sa cour par des emplois honorables. Dans la dissipation et les plaisirs, il oublia douze ans les discussions théologiques qui avaient pas­sionné sa jeunesse. Enfin il se reprocha une négligence coupable, et, malgré le grand duc, partit pour l'Allemagne dans l'intention de se livrer à ce qu'on appelait alors la recherche de la vérité, c'est-à-dire le moyen de la perdre. A Bâle, il étudia trois ans la théologie, cachant avec soin ses opinions : tous ces sectaires possèdent à un haut degré l'art de la dissimulation : ils veulent rompre avec les doctrines reçues, et pour faire montre de bravoure, ils commen­cent par rougir de leurs soi-disant convictions. Une dispute qu'il eut à Zurich au commencement de 1578, avec Pucci, l'obligea de quitter la Suisse. Georges Blandrata ou Biandrata l'appela en Tran­sylvanie pour l'opposer à Davidi, dont les principes séditieux et

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l'éloquence emportée excitaient sans cesse de nouveaux troubles. Socin passa, l'année suivante, en Pologne. Les Antitrinitaires y pos­sédaient beaucoup d'églises ; mais n'ayant pas de croyances com­munes, ils formaient un grand nombre de sectes différentes, sou­vent hostiles. Socin voulut d'abord se faire associer à une de ses sectes ; mais ayant éprouvé un refus, il ne chercha point à entrer dans une autre et se montra l'ami de toutes, en prenant leur défense contre les ennemis communs. Bientôt il acquit, par ce tolérantisme, une grande influence sur l'esprit de ces sectaires ; il en profita pour obtenir la permission de prêcher sa doctrine. En convenant que Luther et Calvin avaient rendu à la réforme de grands servi­ces, il prétendait que ni eux, ni ceux qui s'étaient bornés à leurs systèmes, n'avaient rien fait pour rebâtir le vrai temple et rendre à Dieu le vrai culte qui lui est dû. Le moyen d'y parvenir était, di­sait-il, de débarrasser la croyance de tous les dogmes que la raison ne peut concevoir, en d'autres termes, d'expulser les mystères. L'é­clat des prédications de Socin alarma les protestants. Les plus ha­biles d'entre eux annoncèrent qu'ils réfuteraient publiquement ses erreurs dans des thèses qui seraient soutenues au collège de Posna. Socin ne manqua pas de se rendre à cet appel et réduisit tous ses adversaires au silence, en se servant contre eux des raisonnements qu'ils employaient contre l'Église romaine. Honteux de cette dé­faite, les protestants eurent recours, contre Socin, à la calomnie. Socin avait réfuté Jacques Paléologue ; cet ouvrage dans lequel il défendait les droits des princes, fut présenté par ses ennemis comme un libelle séditieux et, pour se mettre à l'abri des poursuites, il fut contraint de se cacher dans les terres d'un seigneur polonais. Tan­dis qu'il errait en proscrit dans les forêts de la Pologne, Socin se maria ; mais, après quelques années d'une union heureuse, il per­dit son épouse. Jusqu'alors il avait touché régulièrement ses reve­nus en Italie ; après la mort du grand duc, ses biens furent confis­qués et il se trouva réduit à la misère. La persécution, du reste, n'avait point ralenti les progrès de son système religieux. Adopté successivement par un grand nombre de seigneurs polonais, il le fut enfin par les différentes sectes unitaires qui formèrent dès lors

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l'Église socinienne, si l'on peut appeler Église, une communauté qui se borne au pur déisme. Le triomphe que Socin venait d'obte­nir accrut la haine de ses ennemis. Dans le courant de 1598, ils ameutèrent contre lui le peuple de Varsovie. Socin fut arraché de son lit, traîné dans les rues, au milieu des vociférations et des me­naces de mort. De retour à son domicile, il trouva qu'on avait pillé ses meubles et sa bibliothèque. Dans la crainte de nouveaux sévices, il se retira dans un village de Luclavie où il mourut en 1604. Ses ouvrages contiennent la doctrine de l'Arianisme fondé, non pas sur des théories philosophiques, mais sur des négations, soi-disant autorisées par les Saintes Écritures. Ses coreligionnaires obtinrent d'abord la liberté de conscience ; ils fondèrent un collège, un synode, une imprimerie et continuèrent de prospérer jusqu'à la date de leur expulsion en 1658.


136. Il y avait alors scission chez les Unitaires eux-mêmes. Le procédé du libre examen les contraignant à se former chacun ses croyances, on ne comprend même pas qu'ils se soient arrêtés à l'i­dée contradictoire d'une communion d'orthodoxie. Parmi les scissionnaires figurait Georges Blandrata, issu d'une illustre famille de Saluées, docteur de l'Université de Montpellier, puis de celle de Pavie, qui écrivit, sur l'art des accouchements et sur les maladies de femme, les meilleurs traités qu'on eût composé jusqu'alors, et cela sans connaître ni le commentaire de Bérenger, ni les œuvres de Paré. Appelé à donner ses soins à Jean Zapoli, waivode de Transyl­vanie, il le mit à même d'épouser Isabelle, fille de Bona Sforza, reine de Pologne, à laquelle il rendit de très grands services ainsi qu'à l'enfant né de cette union peu avant la mort de son père. Il ne paraît pas juste de compter Blandrata au nombre des émigrés de Vicence, attendu qu'en 1552 nous le trouvons fort paisiblement établi à Mestre : de cette ville il s'enfuit, parait-il à Genève, où écoutant les leçons de Calvin, il fatiguait le maître par ses ques­tions incessantes : un jour, il paraissait satisfait de ses réponses, le lendemain il revenait à la charge. Aussi, Calvin indigné de sa con­duite, lui dit : « Ton visage me laisse entrevoir le monstre plein de finesse que tu tiens caché au fond du cœur », et plusieurs fois, il

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lui fit de durs reproches, pour qu'il se corrigeât de la perfidie, des fourberies et des intrigues tortueuses qui le fatiguaient. Blandrata soumettait aussi ses objections à Celso Martinengo, ministre de l'É­glise italienne, sans en tirer plus de satisfaction. Calvin lui avait promis d'oublier sa faute ; mais Biandrata, pendant qu'il assistait à une de ses leçons, vit entrer un sbire de la république : il lui vint à l'esprit qu'on voulait le faire arrêter ; il feignit un saignement de nez, s'enfuit à Zurich, puis devint chef d'une église établie par Ni­colas Oliesneski, seigneur de Pinsk. Lorsque plus tard Sigismond-Auguste ouvrit la Pologne aux hérétiques, Blandrata vint à Cracovie, assista à deux synodes, et collabora avec Stancari à la version polonaise de la Bible sous la protection de Nicolas Radziwil, grand chancelier de Lithuanie. Devenu doyen des églises qui dépendaient de Cracovie, il soutint de vives controverses, fut considéré par les Antitrinitaires comme un chef de file, et devint archiâtre et con­seiller intime du roi. Radziwil le députa au synode de Xians avec des lettres de recommandation et un présent de six cents écus, ainsi qu'au synode de Pinsk, où il exposa une confession de foi qui parut orthodoxe, parce qu'il y professait la croyance à Dieu un, aux trois hypostases distinctes, à la divinité éternelle, à la généra­tion du Christ et à la procession du Saint-Esprit. Cependant Calvin lui avait fait une mauvaise réputation, et il écrivit plusieurs lettres aux fidèles de Pologne pour les inviter à chasser Biandrata : « Il est nul, dit-il, chez les autres peuples ; vous, au contraire, vous l'admirez comme un ange descendu du ciel. Je ne porte pas envie à vos préférences. » Troublé par les persécutions acharnées de Cal­vin, Blandrata émigra en Transylvanie où l'invitait à se retirer le prince Jean Sigismond: devint médecin principal et conseiller in­time de Etienne et de Christophe Bathori. En 1566, il soutint en pré­sence de toute la cour une discussion publique, avec l'aide de Francois David ; mais ce dernier le dépassa bientôt dans ses conclusions, non seulement en niant que le Christ fût Dieu, mais en prétendant qu'on ne devait pas l'adorer. Déjà la Pologne était envahie par une in­finité de sectes ; pour remédier à ce mal, Blandrata fit venir Faust Socin. Celui-ci ne tarda pas à se  brouiller avec lui : il avoue que

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Blandrata avait rendu beaucoup de services à leur secte, mais que pour s'insinuer dans les bonnes grâces de Sigismond-Auguste, il avait ralenti le cours de ses faveurs aux Unitaires et même caressé les Jésuites. On voit qu'elle est déjà vieille la mode d'imputer l'ac­cusation de jésuitisme à quiconque s'écarte des opinions courantes, fut-ce un antitrinitaire. De fait, il semble que Blandrata n'était pas entièrement séparé du catholicisme, puisque la cour de Pologne l'employait à des nonciatures ; ses adversaires l'accusèrent d'ava­rice : ils prétendirent qu'il était mort d'indigestion ou étouffé par son neveu Bernardin, circonstance dans laquelle Socin voit « un juste châtiment de Dieu, qui use d'une grande sévérité contre ceux qui abandonnent sa cause pour des intérêts humains. »

 

   137. Outre les deux Socin, la secte unitaire a produit, dans la seule Pologne, une multitude d'écrivains. On conçoit qu'il n'a ja­mais pu s'établir beaucoup d'uniformité dans les sentiments d'une multitude de raisonneurs qui s'attribuaient tous le droit d'être les seuls arbitres de leur croyance et d'entendre la doctrine de Jésus-Christ, comme il leur plairait. S'ils ont publié des professions de foi et des catéchismes, jamais ils n'ont eu entre eux, d'autre union que celle de l'intérêt et de la politique. Cependant, si l'on consulte leur Catéchisme de Racow, voici à peu près ce qu'ils ont enseigné : 1° L'Écriture Sainte est la seule et unique règle de notre croyance ; pour en prendre le vrai sens, il faut consulter les lumières de la raison. Plusieurs disent que la véritable interprétation de l'Ecriture doit être tirée de l'Écriture même, mais c'est un verbiage absurde. Lorsqu'après avoir assemblé tous les passages de l'Écriture, qui concernent une même question, il reste un doute sur le sens à ad­mettre et que deux partis contestent sur ce même point, on de­mande à quelle lumière il faut avoir recours. Si l'on dit qu'il faut s'en tenir à l'esprit particulier, c'est la doctrine des Sociniens ; et si l'on prétend qu'il faut croire à la lumière intérieure du Saint-Es­prit, on ne voit pas qu'un Socinien puisse moins qu'un autre s'en prévaloir. Mosheim fait très bien sentir les conséquences funestes du principe des Sociniens sur la droite raison ; ils entendent, dit-il, la portion d'intelligence et de discernement que la nature a don-

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née à chaque particulier ; d'où il suit qu'une doctrine ne doit être reçue pour vraie et divine, qu'autant qu'elle est à la portée de cette mesure d'intelligence et toujours courte. Et comme le degré de cette intelligence n'est point le même dans tous les hommes, il doit y avoir à peu près autant de religions que de têtes : l'un adoptera, comme divine, une doctrine que l'autre regardera comme un jar­gon inintelligible.


2° En conséquence de ce principe rationaliste, les Sociniens ont rejeté de leurs professions de foi tous les mystères, tous les dogmes qui leur ont paru incompréhensibles, non seulement la Sainte Tri­nité, la divinité de Jésus-Christ, l'incarnation, les satisfactions de ce divin Sauveur, la communication du péché originel, les effets des sacrements, l'opération de la grâce, la justification, etc., mais tous les attributs de la divinité que notre faible raison ne peut concevoir, comme l'éternité, l'infinité, la toute-puissance, et tous ceux qu'il est difficile de concilier ensemble, comme l'immensité avec la spiritualité, la liberté avec l'immutabilité, la justice avec la miséricorde, etc. Pour justifier cette témérité, ils n'ont pas manqué de répéter, contre les mystères en général, les objections que les protestants ont faites contre celui de la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie et de la transubstantiation ; c'est un fait qu'il ne faut pas oublier.


3° Ils n'admettent point la création prise en rigueur, parce qu'ils ne conçoivent pas, disent-ils, que Dieu puisse donner l'existence à des substances par son seul vouloir ; et ils assurent gravement que ce dogme n'est pas clairement révélé dans l'Écriture Sainte. Ils re­fusent à Dieu la prescience des futurs contingents, et ils prétendent qu'elle ne peut pas se concilier avec la liberté de l'homme. Quel­ques-uns ont poussé l'impiété jusqu'à nier la Providence, et rejeter la notion de pur esprit. On ne sait pas trop quelle idée ils se sont formée de la nature divine ; si Dieu est corporel, il est nécessaire­ment borné.

4° Ils ne sont pas mieux d'accord sur la nature de Jésus-Christ ; quoi qu'ils consentent à l'appeler le Verbe divin, le Fils de Dieu, Dieu manifesté en chair, comme s'expriment les écrivains sacrés,

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ils ne prennent point ces titres dans le même sens que les autres chrétiens, et ils se réunissent tous à nier que le Verbe ou le Fils soit éternel, égal et consubstantiel au père. Les uns pensent que Dieu a formé l'âme de Jésus-Christ avant la création, qu'il lui a donné une sagesse et une puissance supérieures à celles de toutes les créatures, et qu'il s'est servi de lui pour former le monde. D'au­tres entendent par le monde, non l'univers matériel mais le monde spirituel, et comme ils disent le monde nouveau, c'est-à-dire la ré­paration du genre humain. Plusieurs disent que Jésus-Christ est appelé le Verbe, parce que Dieu a parlé aux hommes par la bouche de ce divin Maître ; Fils de Dieu, parce qu'il a été formé miracu­leusement dans le sein de Marie, par le Saint-Esprit, c'est-à-dire par l'opération de Dieu. Quelques-uns sont allés jusqu'à dire qu'il est né comme les autres hommes de Joseph et de Marie, mais que c'est un grand prophète ; d'autres ont enseigné qu'il ne faut ni adorer ni invoquer ce divin Sauveur, et on prétend que Socin lui-même ne blâmait pas ce sentiment. Comme ils n'admettent pas le péché orginel, ils pensent que la rédemption consiste en ce que Jésus Christ nous a donné des leçons et des exemples de sainteté, et en ce qu'il est mort pour confirmer sa doctrine : ainsi l'enten­daient les pélagiens.


5° Comme les protestants, ils n'admettent que deux sacrements, le baptême et la cène et ils ne leur attribuent point d'autre vertu que d'exciter la foi ; conséquemment ils ne baptisent les enfants que quand ils sont parvenus à l'âge de raison et qu'ils sont ins­truits des vérités chrétiennes ; souvent ils ont réitéré le baptême à ceux qui entraient dans leur société.


6" Les sociniens nient la possibilité d'une résurrection générale et l'éternité des peines de l'enfer; ils croient que les âmes des mé­chants seront anéanties, mais que celle des justes jouiront d'un bonheur éternel.


7° Socin prétend qu'il n'est pas permis de faire la guerre, de poursuivre en justice, la réparation d'un injure, de jurer devant les magistrats, d'exercer la fonction du juge, surtout dans les pro­cès criminels ; de tuer un assassin ou un voleur, même  en  se dé-

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fendant ; il a emprunté cette morale rigide des anabaptistes.

 

   8° Ces sectaires ont renouvelé toutes les accusations, les invec­tives, les calomnies que les prétendus réformateurs avaient forgées contre les pères de l'Église, contre les papes, les conciles, le clergé catholique, l'Église Romaine en général ; ils lui ont reproché l'ido­lâtrie, l'intolérance, la tyrannie en fait de religion, etc. Mais ils n'ont pas ménagé davantage les protestants, lorsque ceux-ci les ont censurés, excommuniés, persécutés, et les ont fait proscrire par la puissance séculière1.—Il nous paraît inutile de pousser plus loin le détail des erreurs sociniennes. Un auteur allemand les porte à deux cent vingt-neuf: c'est un gros chiffre. Comme il n'y a, parmi ces sectaires, d'autre règle de foi que la fantaisie, on ne trouverait peut-être pas aisément deux sociniens parfaitement d'accord dans leurs croyances. A force d'alléguer des règles de critique, des ob­servations de grammaire, des redressements de ponctuation, des variantes de texte, des fautes de copistes, des confrontations de passages, des subtilités de raisonnement, il font dire aux écrivains sacrés tout ce qui leur plaît; l'Écriture, pour laquelle ils affectent un respect profond, n'est, pour eux, qu'un répertoire à sophisme et une matière à négations impies. C'en est assez pour démontrer qu'au fond le Socinianisme n'est qu'un déisme poltron. En effet, il est des déistes qui rejettent absolument toute religion révélée ; il en est d'autres qui ne font pas difficulté de tirer leur chapeau à l'Évan­gile, mais ils y voient des objections et ne retiennent du Christia­nisme que ce qui va à leurs idées, à leurs goûts et surtout à leurs passions. C'est à cette dernière catégorie que se rattachent les Soci­niens.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon