Darras tome 14 p. 544
48. Dans l'intervalle de la sixième à la septième conférence, un fait considérable se produisit. Le pape Vigilius, à la date du 25 mai, fit mander les patrices Bélisaire, Géthégus, Justin et Constantin. « Nous avons terminé, dit-il, notre rescrit pontifical au sujet des trois Chapitres. Le voici. Veuillez le porter au très-pieux empereur, qui nous l'a souvent demandé. » Les quatre hauts personnages déclinèrent cette mission. «Nous craindrions, en l'acceptant, répondirent-ils, d'outrepasser nos pouvoirs. Votre béatitude a près d'elle ses diacres; qu'elle charge l'un d'eux de ce message. » — Le pape choisit en effet le diacre Servus-Dei, qui se présenta à l'audience impériale, et offrit à Justinien le rescrit du pontife. Mais ce fut sans succès. Après s'être concerté avec les magistrats du prétoire, Justinien refusa d'accepter cette communication. « Dites au pape, répondit-il, que je l'ai invité à présider le concile ; c'était là uniquement ce que je demandais de lui. Il vient d'écrire séparément à propos des trois Chapitres. A quoi bon ? Si c'est pour les condamner, il l'a déjà fait précédemment; ses premiers écrits, que nous avons entre les mains, suffisent. Si c'est pour les innocenter, il se met en contradiction avec lui-même. » Le diacre Servus-Dei n'obtint pas d'autre réponse. En entendant un tel langage de la bouche de Justinien, on ne peut se défendre d'un sentiment de pitié pour la folie de cet empereur, et d'indignation pour l'abus qu'il faisait de son pouvoir. Le César byzantin se mettait résolument, en matière de
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1 Labbe, Concil., tom. IV, col. S17.
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foi et de discipline ecclésiastique, au-dessus du pape et des conciles. Son omnipotence théologique prétendait dicter au vicaire de Jésus-Christ le fond et la forme des définitions de foi. Singulier égarement des souverains, dont l'histoire de l'Église n'offre que trop d'exemples! Quoi qu'il en soit, nous avons encore le texte du Constitutum de Vigilius que Justinien ne voulut pas même lire, et dont il interdit rigoureusement la publication. Cet acte était précisément adressé à Justinien lui-même en ces termes : «A notre très-clément et très-glorieux fils Justinien Auguste, Vigilius évêque. — Nous avions souvent supplié votre piété, vénérable empereur, de permettre aux évêques d'Orient et d'Occident de se réunir en concile général dans un lieu accessible à tous, tel que la Sicile, ou tout autre point de la côte méridionale de l'Italie. Nous n'avons pu obtenir cette grâce. Votre mansuétude daigna du moins convenir qu'un certain nombre d'évêques latins, dont je vous remettrais les noms, seraient mandés pour assister au synode de Constantinople. Allant plus loin encore, d'après le conseil de nos vénérables frères les évêques, vous aviez consenti à ce que les deux langues, grecque et latine, eussent des représentants en nombre égal. Aucune de ces dispositions n'a été observée. Votre piété nous fit demander subitement notre réponse sur les trois Chapitres, vous exigiez en même temps que le concile s'ouvrît sous notre présidence, bien qu'il n'y eût ici aucun des évêques d'Occident qui avaient droit d'y être convoqués. En leur absence, il m'était impossible de présider l'assemblée, autrement j'aurais outragé la moitié de l'Église de Jésus-Christ. Cependant, pour témoigner à votre clémence mon désir de la satisfaire en tout ce qui peut être compatible avec mon devoir, j'ai immédiatement repris l'examen des trois Chapitres, vous demandant seulement un délai de vingt jours, nécessité par un état de maladie que tout le monde connaît : pro infirmitate corporis nostri quœ nulli habetur incognito. En même temps le diacre Pélage se rendit par mon ordre près de nos frères et coévêques réunis à Constantinople, et leur transmit un message conçu en ces termes :
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1 Vigil., Constitua; Pat. lat.,tom. LXIX, col. 71.
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p546 PONTIFICAT DE VIGILIOS (537-555).
Bien que l'ouverture du concile ait été prématurément décidée, vous devrez vous abstenir de toute définition avant le terme de vingt jours, délai que mon état maladif qui vous est connu, me rend nécessaire. Vous attendrez donc, selon les règles antiques de l'Église, la promulgation de notre sentence qui sera celle du siège apostolique auquel, par la grâce de Dieu, nous présidons. D'ici là, vous éviterez de rien définir qui puisse être l'occasion d'un nouveau scandale. » — Ces dernières paroles sont remarquables. Elles nous font comprendre la situation vraie du concile de Constantinople, qui délibérait avec l'agrément du pape, et qui se conforma strictement à la prescription pontificale, puisque, durant les vingt jours qui venaient de s'écouler, il n'avait rendu absolument aucune sentence doctrinale. On remarquera aussi, dans cette revue rétrospective d'événements tous plus tyranniques les uns que les autres, faite par un pape souffrant, persécuté, retenu loin de Rome dans un véritable exil et une captivité à peine déguisée, la mansuétude, la paternelle tendresse avec lesquelles il parle à son persécuteur. Au point de vue théologique, il n'est pas moins intéressant de constater, par le témoignage même de Vigilius, la situation qui était faite à ce pape. Elle ne se prêtait guère aux conditions de liberté, de plénitude de pouvoir, d'indépendante autorité, requises pour la promulgation d'un de ces jugements que l'école appelle ex cathedra. Depuis six ans, arraché d'Italie, gardé malgré lui à Constantinople où il avait déjà souffert tant d'odieuses persécutions, séparé des évêques occidentaux, sans communication avec le presbyterium romain son conseil ordinaire, victime des caprices d'un despote qui prétendait lui imposer des décisions toutes faites, qui les exigeait à jour fixe, sauf à ne pas les recevoir quand elles lui étaient présentées, Vigilius se trouvait sous la main d'un empereur. II n'était libre ni de son temps, ni de sa personne, ni de l'exercice de son pouvoir spirituel. A peine quelques évêques latins, cinq ou six au plus, avaient la permission de l'entretenir; il était malade, isolé, captif, et cependant on lui fixait un délai de vingt jours, ni plus ni moins, pour examiner, résoudre et définir une question qui exigeait le dépouillement préalable d'une énorme
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quantité de documents tous écrits en grec. Or, Vigilius, ainsi qu'il nous le dira bientôt lui-même, ignorait cette langue. Évidemment donc, toutes les conditions essentielles pour un jugement ex cathedra faisaient défaut, et cependant le Constitutum de Vigilius, ce Constitutum dont Justinien ne voulut ni prendre connaissance, ni même accepter un exemplaire, est un chef-d'œuvre d'exactitude théologique, de netteté, de précision, de sagesse; il ne renferme pas l'ombre d'une erreur doctrinale. Ainsi que les pères de Constantinople et s'appuyant sur les mêmes citations, le pape signalait et réprouvait comme hérétiques soixante-douze passages des œuvres de Théodore de Mopsueste. Quant à la question personnelle et à l'anathème contre la mémoire de cet évoque, Vigilius faisait remarquer que le pouvoir des clefs donné à saint Pierre et à l'Église par Jésus-Christ, ne saurait s'étendre sur les consciences humaines au delà du tombeau. «L'état où se trouve à sa mort un homme quelconque, disait-il, ne peut plus varier. Le jugement ultérieur appartient à Dieu. Toute la question se réduit donc à savoir si Théodore de Mopsueste, au moment de sa mort, était oui ou non, en fait ou en droit, séparé de la communion catholique. Or, les conciles d'Éphèse et de Chalcédoine, saint Cyrille, saint Proclus lui-même, tout en condamnant les erreurs de Théodore de Mopsueste, se sont abstenus d'anathématiser sa personne. Les évêques d'Occident craignent que cette condamnation personnelle ne soit mise en avant comme un moyen détourné d'affaiblir l'autorité des assemblées d'Éphèse et de Chalcédoine. Nous croyons donc que dans les conjonctures actuelles, il est plus prudent de ne point passer outre. » Vigilius témoignait ensuite son regret de l'acharnement posthume avec lequel on poursuivait la mémoire de Théodoret de Cyr, « cet illustre pénitent, disait-il, que le saint et vénérable concile de Chalcédoine, d'accord avec le très-bienheureux pontife Léon, avaient solennellement rétabli dans la communion catholique. Est-ce donc que les pères de Chalcédoine, est-ce donc que saint Cyrille légat du siège apostolique, est-ce donc que saint Léon ignoraient que l'évêque de Cyr avait eu le malheur de professer pendant quelque temps l'erreur nestorienne
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et de la soutenir par ses écrits? Non, sans doute, mais puisque Théodoret désavouait lui-même et son erreur et ses ouvrages hérétiques, le concile de Chalcédoine, le pape Léon, saint Cyrille ne parlèrent que des joies du retour et non des égarements passés. Avec eux, nous condamnons les erreurs nestoriennes contenues dans les ouvrages de Théodoret. Mais nous respectons la mémoire de ce grand homme 1. » Suivaient en effet douze propositions empruntées aux écrits de l'évêque de Cyr et solennellement anathé-matisées. « Quant à la lettre d'Ibas, ajoutait Vigilius, votre sollicitude impériale m'a également demandé ce que j'en pensais. Tout le monde a pu se convaincre, et votre piété mieux que personne, que j'ignore entièrement la langue grecque [grœcœ linguœ, sicut cunctis et maxime pielati vestrœ notum est, sumus ignari).J'aidonc fait rechercher par quelques-uns de mes interprètes les passages des actes du concile de Chalcédoine relatifs à Ibas. II est constant que l'auguste assemblée a solennellement admis cet évêque à la communion catholique. Quant à sa lettre elle-même, en tant qu'elle se conforme à la profession de foi qui rallia à saint Cyrille le pontife Jean d'Antioche, Paul d'Emèse et les autres évêques orientaux, il est certain et les pères de Chalcédoine eux-mêmes l'ont reconnu, qu'elle est orthodoxe. Mais la partie de cette lettre qui renferme contre saint Cyrille des injures dictées par une erreur ignorante, cette partie de la lettre que l'évêque Ibas rétracta lui-même depuis, les pères de Chalcédoine ne l'ont point admise comme orthodoxe. Tel est aussi notre sentiment. Il importe avant tout de respecter et de maintenir l'autorité du concile de Chalcédoine. Nos prédécesseurs l'ont fait; nous suivons leurs traces, vénérable empereur, et comme eux, en union avec les quatre synodes œcuméniques, nous ahathématisons Nostorius, Eutychès et tous leurs adhérents 2. »
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1 Vigil., Conslitut.; Pair, lat., toin. LXIX, col. 103.
2 Id., ibid., col. 112. On lisait naguère dans un livre fameux les paroles
suivantes : «Restait la lettre d'ibas. Au lieu de la condamner, Vigile,
par une erreur de fait, déclare que cette lettre a été approuvée par le concile
de Chalcédoine; et prenant par ce nouveau
jugement la responsabilité de cette
lettre, tolérant les expressions et les propositions qu'elle contient,
il ordonne
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45.Tel est ce fameux Constitutum de Vigilius. Nous défions le théologien le plus sévère d'y relever une seule inexactitude doctrinale. Mais plus il démontrait la constance et la fermeté du pape dans la foi, plus il mettait en relief la versatilité, les variations incessantes et capricieuses de Justinien. Ce prince donna bientôt une nouvelle preuve de sa fourberie et de sa mauvaise foi. Le lendemain du jour où il avait dédaigneusement refusé de prendre lecture du Constitutum, la septième conférence des évêques orientaux devait avoir lieu. Jusque-là, les pères s'étaient abstenus de porter aucune sentence ; ils attendaient la communication annoncée par le pape. Or, cette communication, Justinien, qui venait de la rejeter outrageusement, ne voulait pas qu'elle fût faite au concile. D'un autre côté, il fallait persuader aux évêques que le pape s'était prononcé ; autrement ils n'eussent pas consenti eux-mêmes à rendre leur jugement. Voici comment Justinien tourna la difficulté. A l'ouverture de la septième conférence (26 mai 553), après la lecture du procès-verbal, «le très-glorieux questeur du sacré palais, Constantinus, se présenta, avec un message du très-pieux Justinien. « Votre béatitude n'ignore pas, dit-il, le zèle de notre auguste et triomphant empereur pour l'extirpation de l'hé-
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et décrète que la prétendue décision des pères de Chalcédoine touchant ce document demeure en son entier, et reste aussi immuable que les autres définitions du même concile. » (Du Concile général, tom. 1, p. 258, Paris, Pion, 1869.) L'erreur de fait dont parle l'auteur n'existe pas plus que celle de droit, du côté de Vigilius. En droit, le pape distingue très-soigneusement ce qu'il y a de bon dans la lettre d'Ibas, et l'approuve; ce qu'il y a de mauvais, et le condamne. En fait, il rappelle que les pères de Chalcédoine ont, les premiers, fait cette distinction, et qu'il suit leur exemple : Propier prœdicatio-nem fidei, per quant venerandœ recordationis Cyrillus Alexanârinus episcopus, et reverendissimus Joannes Antiochenus autistes atque omnes Orientales episcopi per Paulum Emesinœ civitatis episcopum ad concordiam redierunt, quant Ibas quoque in eadem episiola laudans, libenter amplectitur}orthodoxa est Ibœ episcopi a Pa-tribus pronuntiata dktatio. llla vero quœ in ipsa lbœ sacerdotis epistola in injuriis beatœ recordationis Cyrilli per errorem inielligentiœ dicta sunt, Patres in sancta Chatcedonensi synodo epistolam pronuntiantes orthodoxam nutlatenus receperunt : quippe quœ etiam ipse venerabilis episcopus, intellectu capitulorum ejus (il s'agit ici des douze anathématismes de saint Cyrille) metius recepto, mutando refu-tavit. On ne saurait rien désirer de plus net que ce passage du Constitutum.
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résie, et pour la condamnation des trois Chapitres. Le très-religieux pape Vigilius partage en entier ces sentiments. Bien qu'il se soit refusé à venir présider votre assemblée, il n'a pas laissé de faire connaître sa décision; il anathématise formellement les trois Chapitres. Voici, en effet, des lettres écrites de sa main, qui le constatent. Le très-pieux empereur a voulu les porter immédiatement à la connaissance de votre saint synode, afin que rien ne puisse plus retarder une définition si longtemps et si impatiemment attendue 1. » — En même temps, Constantinus remettait aux notorii une liasse de documents dont le concile ordonna immédiatement la lecture. Ces pièces commençaient par la sentence d'excommunication contre les diacres Rusticus et Sebastianus, défenseurs des trois Chapitres ; venaient ensuite la lettre du pape à l'évêque de Tomi et celle à Aurelianus d'Arles. Jusque-là rien de nouveau. Depuis longtemps le concile connaissait ces divers rescrits. Mais l'archidiacre Diodore, continuant la lecture, termina par une déclaration du pape conçue en ces termes : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, moi, Vigilius, évêque de la sainte Église catholique de Rome, j'ai écrit de ma main et signé cet acte adressé à votre majesté impériale. La sainte Trinité invoquée, en vertu des droits accordés par Dieu lui-même au siège apostolique, j'anathématise la lettre d'Ibas, les doctrines impies de Théodoret, les écrits et la personne de Théodore de Mopsueste 2. » — Après cette lecture, il ne resta plus de doute dans l'esprit des pères. Ils crurent que c'était là le Constitutum promis par Vigilius. « Nous remercions Dieu, dirent-ils, de la protection qu'il étend sur son Église sainte et sur la foi catholique. Ces pièces révèlent toute l'impiété des trois Chapitres. Rien ne s'oppose plus à la promulgation de notre sentence. Elle sera publiée à la prochaine réunion 3. » Or, la pièce
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1 Labbe, Concii., tom. V, col. 549, 550. — s Bahiz., Concil. Nov. Collect., col. 1541. — 3 Labbe, Concil., tom. V, col. 56t. L'auteur que nous avons déjà cité écrit à propos du Constitutum de Vigilius : « Dans sa septième session, le concile fut informé de l'existence de ce dernier décret du pape et du refus de l'empereur de le recevoir. » La vérité est que le concile ne fut averti ni de l'existence du décret pontifical, ni du refus de l'empereur de le recevoir. Les actes sont formels sur ce point, et, en vérité, Justinien aurait
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présentée frauduleusement au concile comme la dernière décision du pape remontait au 15 août 550. Elle avait été confidentiellement remise par Vigilius a l'empereur, afin de bien prouver à ce dernier que la question de foi n'était pas douteuse, mais qu'il fallait préserver l'autorité du concile de Chalcédoine contre les manœuvres des eutychéens, et ne rien décider en l'absence des évêques d'Occident.
46. Justinien dut s'applaudir de son industrie. Le concile de Constantinople n'hésita plus à se prononcer, et cinq jours après (2 juin 553), dans une huitième et dernière conférence, il rendit son jugement définitif. Le diacre Callonyme lut la sentence qui avait été préparée dans l'intervalle. L'assemblée n'y prenait nullement le titre d'oecuménique : les considérants étaient exprimés avec une modestie fort remarquable. « La parabole évangélique, disent les pères, nous apprend que celui qui n'a reçu du Maître qu'un seul talent doit néanmoins le faire valoir dans la mesure de sa capacité, sous peine d'encourir la damnation. Des évêques, institués pour régir l'Église, ne sauraient donc apporter la moindre négligence à l'œuvre du Seigneur; ils doivent travailler au maintien de la foi ; ils ont l'obligation d'extirper tous les germes de zizanie. Or les nestoriens, continuant à étayer leurs erreurs des noms de Théodore de Mopsueste, Ibas et Théodoret, nous nous sommes réunis, par la volonté de Dieu et sur l'ordre du très-pieux empereur, dans cette ville de Constantinople, afin d'examiner les trois Chapitres. Le très-bienheureux pape Vigilius a été tenu au courant de toute la discussion, bien qu'il n'ait pas voulu de sa personne présider notre assemblée. Il a toujours, de vive voix et par écrit, condamné les trois Chapitres. En conséquence, unis dans la doctrine des quatre conciles œcuméniques de Nicée, de Constantinople, d'Éphèse et de Chalcédoine, nous avons adopté les canons suivants. I. Si quelqu'un ne confesse pas que la nature divine est une et consubstantielle en trois personnes; qu'il soit anathème. II. Si quelqu'un ne confesse
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été bien maladroit de dire aux évoques :« Le pape m'a envoyé le document qu'il avait promis et que vous attendiez depuis si longtemps; mais je n'ai pas voulu le recevoir, de peur d'être obligé de vous le communiquer. »
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pas dans le Verbe de Dieu deux naissances, l'une spirituelle avant tous les siècles au sein du Père, l'autre temporelle en ces derniers jours du monde quand il est descendu des cieux et s'est incarné dans le sein de la glorieuse Marie, mère de Dieu, toujours vierge; qu'il soit anatheme. III. Si quelqu'un dit qu'autre est Dieu le Verbe qui a opéré des miracles, autre le Christ qui a souffert; ou que, lors de la naissance du Christ, Dieu le Verbe était avec lui ou en lui, comme un être distinct dans un autre être; s'il ne confesse pas que Notre-Seigneur Jésus-Christ, Verbe incarné, Dieu fait homme, est une seule et même personne, et que d'un seul sont les miracles qu'il a opérés aussi bien que la passion qu'il a soufferte en sa chair; qu'il soit anathème. IV. Si quelqu'un dit, avec Théodore de Mopsueste, que l'union du Verbe avec l'homme s'est faite en vertu des mérites du Christ, par une grâce ou un amour particulier du Verbe pour le Christ : si quelqu'un dit, avec Nestorius, que c'est par une sorte d'homonymie respectueuse qu'on parle de l'unité de personne en Jésus-Christ; qu'il soit anathème. V. Si quelqu'un entend le mot de personne, appliqué à Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans le sens que cette unité de personne n'est point exclusive d'une dualité hypostatique, et que le concile de Chalcédoine l'entendait de la sorte; qu'il soit anatheme. VI. Si quelqu'un dit que la glorieuse Marie, toujours vierge, est improprement appelée mère de Dieu, et que ce titre ne lui convient que dans un sens relatif; qu'il soit anatheme. VII. Si quelqu'un entend que les deux natures divine et humaine, unies dans la personne de Jésus-Christ, le sont de telle sorte qu'elles demeurent confondues et sans distinction l'une avec l'autre ; qu'il soit anatheme. VIII. Si quelqu'un ne confesse pas que, de l'alliance des deux natures divine et humaine en Jésus-Christ, il est résulté une seule et unique personne : s'il admet une seule nature, ou substance, composée de la divinité et de l'humanité du Sauveur; qu'il soit anatheme. IX. Si quelqu'un dit qu'on adore le Christ en deux natures, ce qui introduirait deux adorations rendues séparément l'une au Verbe de Dieu et l'autre à l'homme divinisé; qu'il soit anatheme. X. Si quelqu'un ne confesse pas que Notre-Seigneur Jésus-Christ, crucifié dans sa chair, est le Dieu véritable, le Sei-
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p553 CHAP. VII. — II' CONCILE DE CONSTANTINOrLE, Ve OECUMÉNIQUE.
gneur de gloire et l'un de la Trinité; qu'il soit anathème. XI. Si quelqu'un refuse d'anathématiser Arius, Macedonius, Apollinaire, Nestorius, Eutychès, Origène, enfin tous les hérétiques déjà condamnés par la sainte Église catholique et apostolique ; qu'il soit anathème. XII. Si quelqu'un prend la défense de l'impie Théodore de Mopsueste et de ses écrits blasphématoires et sacrilèges; qu'il soit anathème. XIII. Si quelqu'un prend la défense des ouvrages impies composés par Théodoret contre la foi véritable, contre le saint et œcuménique concile d'Éphèse et contre le bienheureux Cyrille; qu'il soit anathème. XIV. Si quelqu'un prend la défense de la lettre dlbas à l'hérétique persan Maris, lettre dans laquelle on nie que Dieu le Verbe se soit incarné dans le sein de Marie, et où l'on soutient que la glorieuse Vierge donna seulement naissance à un homme auquel le Verbe s'unit plus tard ; qu'il soit anathème. » Ces quatorze canons furent souscrits par tous les pères au nombre de cent soixante-cinq 1.
51. Dans les exemplaires parvenus jusqu'à nous, les actes du concile de Constantinople se terminent à cette huitième conférence. Cependant, l'Histoire ecclésiastique d'Evagrius écrite vers 580, c'est-à-dire une trentaine d'années seulement après la tenue du concile, nous apprend que l'origénisme, condamné sommairement par le XIe canon, fut l'objet d'un examen plus approfondi dans une réunion subséquente. Voici les paroles d'Evagrius : « Après la promulgation des quatorze décrets de foi, les pères reçurent un libellus (mémoire) signé par les moines Eulogius, Conon, Cyriaque et Pancratius, lesquels dénonçaient les erreurs d'Origène et les excès de ses partisans. L'empereur joignit à cette protestation un exemplaire de l'édit qu'il avait rendu précédemment à ce sujet2, voulant que le concile prononçât en dernier ressort. Les pères prirent donc connaissance de tous ces documents, et purent bientôt se convaincre qu'Origène avait altéré la foi des apôtres pour mêler à ses dogmes l'ivraie des gentils et des manichéens. Ils firent entendre des acclamations d'horreur contre Origène et ses adhérents. Puis
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1 Labbe, Concil., tom. V, col. 561-586. — 2. Cf. n» 30 de ce Chapitre.
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ils envoyèrent à Justinien leur décision dans une lettre où ils disaient, entre autres choses: Nous abhorrons et réprouvons la doctrine impie d'Origène. Elle est étrangère et inconnue à l'Église de Jésus-Christ. Nous avons anathématisé son auteur, nous l'avons rejeté loin du bercail de Jésus-Christ comme un voleur et un larron. — A cette lettre, ils ajoutaient la censure synodale d'un certain nombre de propositions soutenues par les sectateurs d'Origène 1. » Tel est le témoignage d'Evagrius. Il convient de le rapprocher d'une découverte faite vers 1650 par deux savants, Lambecius et Baluze, lesquels rencontrèrent dans des manuscrits grecs, sous le nom de Décrets du concile de Constantinople, quinze canons contre l'origénisme. Ces canons reproduisent en substance les cinq anathématismes de Justinien, tels que nous les avons cités précédemment2.