La foi chrétienne hier et aujourd’hui 3

FOI CHRÉTIENNE

hier et aujourd'hui

p. 10

----------

 

 

    Cette image présente encore une autre dimension, qui me paraît.

=================================

 

p11 LA FOI DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI

 

d'ailleurs plus importante. Car ce Jésuite n'est pas seul. En lui transparaît en quelque sorte le destin de Rodrigue; en lui est présent le destin de ce frère mécréant qui a tourné le dos à Dieu, parce qu'il s'est imaginé que son affaire n'est pas d'attendre, mais « de conquérir et de posséder...”.

 

   Nous ne suivrons pas Claudel dans les méandres de son poème et nous ne poursuivrons pas l'entrelacement des destinées apparemment opposées, dont le poète se sert comme fil conducteur, jusqu'au moment où la destinée du conquérant Rodrigue rejoint celle de son frère Jésuite:

 

 esclave, échoué sur un bateau, il peut s'estimer heureux quand une vieille nonne le prend avec elle comme une vile denrée, avec des chaudrons fêlés et de vieux chiffons qu'elle était venue glaner.

 

Revenons plutôt à notre propre situation pour dire si le croyant ne peut exercer sa foi que sur l'océan du néant, de la tentation et du doute; si cet océan de l'incertitude est le seul endroit où il puisse l'exercer, l'incroyant, à son tour, a lui aussi ses problèmes; ce serait une erreur de le considérer simplement comme un homme qui n'a pas la foi.

 

Comme nous avons trouvé le croyant accablé de problèmes, continuellement menacé de chute dans le vide, ainsi nous serons amenés à constater l'enchevêtrement des destinées humaines: dans le cas de l'incroyant il est loin de pouvoir mener une existence exempte de trouble.

 

En effet, malgré sa fière attitude de pur positiviste, débarrassé depuis longtemps de toute tentation de spéculation métaphysique, ne jurant que par les certitudes sensibles, il ne pourra jamais se débarrasser de la question lancinante qui est de savoir si en définitive le positivisme est la vérité.

 

Ce qui arrive au croyant, aux prises avec les flots du doute, arrive également à l'incroyant, qui éprouve le doute de son incroyance; il ne peut affirmer que cet univers visible, qu'il décrète être le Tout, constitue vraiment tout le réel.

 

Il ne sera jamais entièrement certain du caractère clos de ce monde visible qui embrasse, selon lui, la réalité totale; il restera toujours tenaillé par le problème de la foi qui est peut‑être quand même l'expression de la réalité.

 

Ainsi donc le croyant sera toujours menacé par l'incroyance et l'incroyant sera toujours menacé par la foi et la tentation au sujet de son monde sensible qu'il croit définitivement clos.

 

Il est impossible d'éluder le dilemme de la condition humaine. Celui qui veut échapper à l'incertitude de la

=================================

 

p12 « JE CROIS ‑ AMEN»

 

foi tombera dans l'incertitude de l'incroyance, car en dernière analyse il sera toujours incertain en face du problème de la foi. C'est dans le refus de la foi qu'apparaît l'impossibilité du refus de la foi.

 

Il sera peut‑être intéressant, à ce propos, d'écouter une histoire juive, notée par Martin Buber; elle permettra dc mettre en lumière ce dilemme de la condition humaine:

 

« Un rationaliste, homme très instruit, qui avait entendu parler du Berditschever, était venu le trouver pour discuter avec lui, dans l'intention de réfuter ses preuves en faveur de la foi.

 

En entrant dans la chambre du Zaddik, il le trouva, un livre à la main, allant et venant, abîmé dans une méditation profonde. D'abord le Zaddik ne fit aucunement attention à cet hôte; finalement il s'arrêta devant lui et le regardant furtivement, il lui dit: «Mais peut‑être cela est‑il vrai. »

 

Le savant essaya en vain de se ressaisir, ses genoux se mirent à trembler, tellement le Zaddik était effrayant à voir, tellement ses paroles étaient effrayantes à entendre.

 

Alors le rabbi Levi Lizehak se tourna vers lui et lui dit calmement: « Mon fils, les Grands de la Thora, avec qui tu as discuté, ont perdu leur temps, car tu es parti avec un sourire moqueur. Ils n'ont pas pu «étaler sur la table» la preuve péremptoire de Dieu et de son royaume. Moi non plus, je ne le pourrai pas.

 

Cependant, mon fils, réfléchis bien, peut‑être cela est-il vrai. » Le rationaliste essaya de répliquer de son mieux, mais l'écho répété de ce «peut‑être » finit par emporter sa résistance”.

 

Nous tenons là, me semble‑t‑il, ‑malgré l'étrangeté du cadre- une description très précise de la situation de l'homme en face du problème de Dieu. Personne n'est capable de fournir une preuve mathématique de Dieu et de son royaume; le croyant lui‑même en est incapable pour son propre usage.

 

Mais l'incroyant aura beau vouloir y trouver une justification, il n'échappera pas à cet inquiétant “peut‑être cela est‑il vrai! » Voilà l'inévitable pierre d'achoppement sur laquelle il butera fatalement et qui lui fera expérimenter l'impossibilité de refuser la foi dans le refus lui‑même.

 

Autrement dit, le croyant comme l'incroyant, chacun à sa manière, connaîtra le doute et la foi, s'ils ne cherchent pas à se faire illusion à eux‑mêmes et à se dissimuler la vérité de leur être.

 

Personne ne peut échapper entièrement à la foi; chez l'un la foi sera présente contre le doute, chez l'autre, grâce au doute et sous la forme du

=================================

 

p13 LA FOI DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI

 

doute.

 

C'est une loi fondamentale de la destinée humaine, qu'elle réalise son existence dans cette dialectique permanente entre le doute et la foi, entre la tentation et la certitude.

 

De cette façon, le doute, qui empêche l'un et l'autre de se claquemurer dans leur tour d'ivoire, pourrait devenir un lieu de communion.

 

Loin de se replier sur eux‑mêmes, ils y trouveront une occasion d'ouverture réciproque. Le croyant partagera ainsi la destinée de l'incroyant, et celui‑ci, grâce au doute, ressentira le défi lancé inexorablement par la foi.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon