Fin de Louis XIV 2

Darras tome 38 p. 363

 

30. Les bandes restées dans les Cévennes continuèrent leur rébel­lion. Mais toutes leurs combinaisons furent rompues comme par un pouvoir surnaturel ; Dieu avait irrévocablement condamné ceux qui se disaient ses enfants. Les chefs se retirèrent tous à Genève. Dans cette cité tirée au cordeau, leurs assemblées n'inspirèrent que la curiosité, leur éloquence inculte que le dédain, leurs visions qu'une pitié superbe, leur culte fut probablement un sujet de scandale. La métropole de Calvin eut peut être fait enfermer comme des insensés ou des perturbateurs, ces derniers soldats du calvinis­me. Sur la demande du résident français elle fut heureuse de les expulser. Genève qu'ils regardaient comme leur mère spirituelle, Genève qu'ils avaient élue pour patrie, refusa un asile et un morceau de pain à ses guerriers. L'envoyé catholique de Savoie en Suisse eut d'abord pitié d'eux ; puis Berne les réunit à Lauzanne ; enfin l'Angleterre et la Hollande se chargèrent de leur entretien, en attendant l'occasion de les fourrer dans quelque aven­ture. Bientôt, en effet, ces chefs Camisards, qui s'étaient soumis au grand roi, tentaient de pousser encore les populations à la révolte. Après avoir reçu de l'argent de l'Angleterre, Catinat, Flessier, Elie Marion rentrent en France. « Les émissaires d'Angleterre, de Hol­lande, raconte Fléchier, les scélérats chassés d'ici et revenus furti­vement, chefs autrefois des fanatiques, et quelques malheureux bourgeois de Nimes, de Montpellier, conduisaient cet ouvrage de ténèbres. » (1) Cependant la Suisse expulse les Camisards restés

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(1) Fléchier, Lettres c!ioisies,t. II, p. 21.

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dans son sein ; ils se retirèrent en Wurtemberg. Les principaux chefs, rentrés en France, voyant qu'ils ne peuvent plus émouvoir avec succès les populations, profitent d'une nouvelle amnistie et sont reconduits à Genève. En 1706, ils massacrent encore quelques prêtres : l'année suivante, Elie Marion, Durand Fage et Jean Cava­lier se rendirent à Londres. Leur présence excita d'abord une vive curiosité ; des personnes sérieuses voulurent même recueillir leurs révélations. L'extase, contagieuse de sa nature, se propagea parmi les Anglais. Elie Mage se voit bientôt entouré d'adeptes ; il imposait à chacun d'eux, par inspiration, un nom biblique et les incorporait dans une espèce de phalange mystique, divisée en douze tribus. Néanmoins après la curiosité vint la crainte ; on les obligea de quit­ter l'Angleterre.

 

Lorsque les principaux chefs Camisards eurent abandonné le sol français, l'esprit de sédition commença à s'apaiser dans les Cévennes. L'année 1708 s'écoula sans événements. On jouissait même dans le Languedoc d'un certain calme, quand, au commencement de 1709, Daniel Guy, Dupont et Mazel quittèrent Genève pour ren­trer en France. Les trois Camisards traversèrent le Rhône, nonobs­tant le poste de Sayons. Déjà ils se disposaient à livrer bataille, quand une bourrasque disperse les gardes ; la petite embarcation aborde paisiblement à la faveur de l'orage et de la nuit. Aussitôt ils commencèrent à agiter le Vivarais, en publiant un manifeste dans lequel il était dit que le clergé catholique avait violé l'édit de Nantes par des enchantements diaboliques. De plus, ils envoyè­rent dans les Cévennes, pour les soulever, deux prophètesses, Marie Desubas et Elisabeth Catalon ; elles allèrent de village en village, prêchant la nouvelle croisade évangélique ; et les Cami­sards intimèrent l'ordre à tous les curés des environs de la mon­tagne des Isserlets, près Vernoux, de sortir de leurs paroisses sous peine de mort. Mais l'imprudence des prophètesses dérangea les plans des Camisards. Dans le Vivarais, ils furent battus et dis­persés. Mazel entra dans les Cévennes pour opérer le soulèvement. Les prophètes comme toujours, marchaient avec lui, ils prêchaient le fusil en bandoulière et firent même le coup de  feu contre les

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troupes royales. Toutefois Mazel fut tué au Maz de Couteau avec Coste-Claris, autre chef qui, en 1703, avait traversé un bûcher impunément, fut pris et supplicié. Dès lors, les chefs les plus célè­bres étant morts ou absents, ces grands intermédiaires de l'inspi­ration ayant disparu, l'agitation des Cévennes cessa, vers 1711, on put considérer comme définitivement éteinte la révolte des Cami-sards. « De l'ensemble des événements, dit un savant qui les a étudié avec soin, il ressort ce fait constant, qu'à l'origine comme à la fin de l'insurrection ; les prophètes et les prophètesses existent, qu'on ne fait rien sans eux, et qu'ils sont partout et toujours, l'âme du soulèvement des populations. (1)

 

31. Le jugement à porter, sous Louis XIV, a subi diverses fortunes. De son vivant, c'était presque de l'adoration ; après sa mort se produisit une réaction sensible ; et si l'on voulait faire une col­lection de jugements sur Louis XIV, il y aurait de quoi dérouter l'esprit. Pour Augustin Thierry, Louis XIV est un grand niveleur ; pour Rohrbacher, c'est un précurseur de Robespierre, il a posé tous les principes de la révolution qui devait détruire la monarchie. De son vivant, pour tous il était le roi, c'est-à-dire un grand roi, et il l'a été par ses guerres, par ses travaux intérieurs, par la protection des lettres et des arts, par l'assemblage de grands hommes dont il sut deviner le mérite et utiliser les services. « Sa vie, dit Picot, ne fut pas exempte de taches. Rome déplora long­temps les faiblesses de ce prince et lui adressa souvent des repré­sentations paternelles. Ce dernier grief est celui sur lequel ont le moins insisté ses détracteurs. Mais la religion ne juge pas comme le monde ; elle réprouve de pareils écarts dans tous les hommes et particulièrement dans ceux qui doivent l'exemple aux autres. Ce qu'on peut dire de moins défavorable pour Louis XIV, c'est qu'au milieu de ses désordres il conserva toujours une certaine décence extérieure et ne s'avilit pas par des penchants abjects aux yeux du monde. Reconnaissons qu'au milieu de tous ses dérèglements, Louis honora et fit honorer toujours la religion. Il n'eut pas souffert sur ce point des discours trop libres, encore moins des écrits ; et il

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(1) Blanc, De l'inspiration des Camisards, p. 45.

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avait trop de vue et de pénétration que le mépris de la religion eut amené le mépris de son autorité. Aussi lui-même ne parlait-il jamais sur ce sujet qu'avec le ton de la soumission ; il dit, dans ses Mémoires « que la première partie de la politique est celle qui enseigne à bien servir Dieu, que c'est peut-être contre la prudence, aussi bien que contre la justice, de manquer de vénération pour lui, et que la dignité des rois se relève par tous les devoirs qu'ils rendent à Dieu (1) » — Son sentiment pour Rome fut tel, que lors­que l'orgueil royal, plus ou moins contenu, eut exigé l'envoi d'un légat pour offrir des réparations, il n'y eut pas de caresses de bien­veillance, que le roi satisfait n'aimât à prodiguer au neveu d'Alexandre VII : des recherches de bonne grâce, des délicatesses de tous genres, à toutes les heures, dans toutes les habitations, dans tous les banquets; des mots heureux de félicitations, des ren­contres naturelles et préparées, les plus simples recommandations accueillies. Ce n'était plus Louis, hors de lui-même, exigeant avec fracas, une réparation : c'était Louis offrant plutôt une réparation en personne, pour avoir éloigné de ses affaires, de son élément, de ses habitudes, un prince romain, devenu plus heureux, plus riche, plus fêté que s'il fut resté au Vatican. Cet hommage était adressé à Rome, au sanctuaire de la religion, à la dévotion envers le prince des apôtres, à l'admiration qu'excitaient dans le cœur du prince, les talents et les vertus des sept papes qu'il vit régner de son temps.

 

Voilà le beau coté de la médaille, voici le revers. Ce prince qui poussa la France, dans des voix si funestes, n'avait pas reçu une éducation qui développât tous ses talents et l'inclinât assez forte­ment sous le joug du devoir. A vingt ans, serait-ce l'effet de l'am­bition du ministre, le jeune roi ne savait parler que de ballets et de mascarades. Quoiqu'il n'ait jamais été d'une supériorité extraor­dinaire d'esprit, il avait cependant un sens droit, du courage, une grande vigueur de caractère, et une constance de volonté, qui, jointe à la constance de ses idées, le rendait capable d'une longue

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(1)     Mémoires de Louis XIV, i™ partie, p. 33, Paris 1806 ; Picot, Mémoires, 1.1, p. 109.

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application au travail. Ces qualités étaient relevées par une dignité de manières et, un à-propos de mots heureux qui suppléaient, dans le prince, aux défectuosités de l'éducation première. A ces qualités précieuses s'en joignaient deux autres, qui contribuèrent puissam­ment à la grandeur de Louis XIV: le discernement qu'il sut faire des hommes de mérite et le soin qu'il eut de les élever pour s'en servir. Nous insistons à dessein sur ces qualités parce que à notre humble avis, le premier devoir et la meilleure marque de grandeur pour tous ceux qui sont revêtus du pouvoir, c'est de se choisir et d'employer les collaborateurs les plus dignes. La plus grande plaie de la société, c'est peut être le favoritisme ; c'est en tous cas le mal qui lui fait le plus de tort et abaisse le plus tristement les détenteurs du pouvoir.

 

Nous pourrions multiplier les preuves de la sincérité de la foi de Louis XIV et donner des exemples d'un véritable zèle pour l'intérêt de la religion. La main de ce grand monarque a touché à toutes les bonnes œuvres. Malheureusement il n'avait été initié qu'à la politique moderne, laquelle se réduit à l'art de tromper, de voler et de dominer. Malheureusement aussi, la cour et l'entourage intime contribuait sans cesse à l'affermir dans cette pensée, que tout se concentrait en lui, que tout devait se rapporter à sa person­ne. Les hommes d'affaires, les hommes d'épée, de robe, de plume et aussi d'église, tous célébraient à l'envi le grand roi. On érigea même des autels au nouveau dieu ; pour résister à tant de séductions pour ne point céder à son propre prestige, il eut fallu des principes justes et une vertu plus solide. Au lieu de s'élever, avec une cons­tante grandeur, au-dessus de la grandeur même, il en vint à s'ido­lâtrer et souilla, par le scandale de ses mœurs, la gloire de ses premières années. Son mariage avec Marie-Thérèse ne l'arrêta point: l'espagnole ne sut ni captiver, ni dompter le français. Quatre ou cinq femmes se succédèrent dans la faveur du prince, les adul­tères du roi furent considérés comme à peu près licites; ses bâtards furent mariés à des princesses du sang ; un édit enregistré au Parlement les déclara même aptes à porter la couronne. Louis XIV il faut le dire à sa louange, se convertit à quarante ans et sut per-

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sévérer. La cour, faite à l'image du jeune roi, ne se convertit point; sous le voile de l'hypocrisie, elle devint un lieu de scandales, de prostitutions et d'empoisonnements. Il fallut instituer un cour des poisons et envoyer à l'échafaud, la Brinvilliers. La noblesse de province imita, en partie seulement, le roi et sa cour. On mêlait, à ces défaillances déplorables, la dévotion ; Tartuffe fut composé pour faire rire aux dépens des austères qui condamnaient le vice. Le peuple soldait ces débauches, en attendant que Dieu le déchaî­nât avec un balai vengeur. Louis XIV eut lui-même, un avant-gout de ces colères historiques. Pendant dix ans, ses armées furent battues par Marlborough et par le prince Eugène. En 1709, son peuple fut en proie à une cruelle famine. Sa famille fut décimée : le dauphin, l'élève de Bossuet, fut enlevé, par la petite vérole, à cinquante ans : son épouse le suivit de près au tombeau ; puis vin­rent la nouvelle dauphine et le dauphin lui-même, le duc de Bour­gogne, dont Fénelon avait fait un prince accompli. Louis XIV mourut en 1715.

 

    32. Comment faut-il juger le grand règne de Louis XIV ? La postérité ne ratifie ni les plaintes des mécontents, ni les panégyriques des flatteurs. En observant à distance les hommes et les choses, elle saisit les faits dans leur ensemble, depuis leur origine jusqu'à leurs conséquences extrêmes; elle dégage, des apparences de bien, le mal réel, pour faire à l'un et à l'autre, sa part légitime. A ce titre, elle peut être juste pour Louis XIV. Ce n'est pas sans raison qu'elle condamne son orgueil. «Par ses prétentions, son langage, ses allures de conquérant et de dominateur, dit Gaillardin, il a changé et compromis, pour toujours peut-être, la position de la France en Europe ; d'alliée des faibles, de gardienne de l'équili­bre européen, il en a fait l'épouvantail commun, contre lequel tous les autres peuples se tiennent en défiance et se mettent si facile­ment d'accord que depuis deux siècles, avec la réputation d'être toujours prête à tout envahir, elle a été bien plus souvent attaquée que provocatrice. Par son obstination à concentrer dans ses mains toute la puissance, toute l'importance politique, il n'a pas seule­ment abattu les derniers restes des indépendances féodales, mais

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il a réduit la noblesse à n'être plus qu'une troupe de courtisans, le cortège de sa gloire et de ses plaisirs, au lieu d'un corps d'élite, considéré pour ses mérites propres, exemple du peuple et soutien du trône; et en même temps, il n'a pas voulu comprendre qu'il avait besoin de s'appuyer sur l'accord et l'adhésion du peuple; que pour en être utilement servi, il devait le mettre de moitié dans ses entreprises, et lui faire reconnaître dans les affaires du roi les affaires de la nation. En ne parlant jamais qu'en son nom, en récla­mant comme son droit ce qu'une nation ne doit donner que pour son bien, il a désenchanté ses sujets de la monarchie comme d'un système d'exploitation de tous au profit d'un seul, et les a poussés à chercher, sur la voie aventureuse des révolutions, le gouverne­ment du peuple pour lui-même. Son luxe, cette autre forme de gloire, ce défi de magnificence jeté à ses prédécesseurs et à ses contemporains, n'a pas eu des résultats moins regrettables. Outre tant d'argent perdu dans ces jardins, sans cesse transformés, dans ces fêtes extravagantes de nouveautés et de surprises, il a « gan­grené toutes les mœurs de la nation » par le tour séducteur donné à la galanterie et à la volupté, et ruiné les fortunes particulières par un entrain d'animation qui, passant du roi aux princes, des princes aux grands seigneurs et aux gentilshommes, de ceux-ci aux financiers, a fini par envahir la bourgeoisie et tomber « de la plus haute condition à la lie du peuple », de la France à toute l'Europe à peu près comme on voit les modes s'écouler de la capitale à la province. Nous avons assez marqué pour n'avoir pas besoin d'y revenir, à quels excès l'infatuation de lui-même l'emporta dans l'amour illégitime, comment il se persuada que la majesté du roi transfigurait les vices de l'homme, et comment, en déclarant ses désordres, en donnant l'exemple de n'en plus rougir, il a libéré ses sujets et les autres rois de ce reste de honte qui tenait encore le libertinage à distance respectueuse de la famille. La même assu­rance lui fit croire qu'il était homme de guerre, et plus d'une fois (car il y a ici de justes réserves à observer) ses ordres téméraires imposés à ses généraux ont compromis la fortune des campagnes et entraîné des malheurs dont il doit porter la responsabilité. Dans

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l'Église il se trompa sur ce titre de protecteur des canons, attribué aux rois orthodoxes ; il prit, sans hésiter, la protection pour l'au­torité, pour le pouvoir de faire des règles, même au spirituel. Il entendit convertir les hérétiques à sa manière, et ne fit que les persécuter ; et il inquiéta les orthodoxes en usurpant un jour le droit d'ériger des opinions en dogmes, en soumettant à l'examen des juges laïques, ses délégués, les bulles sur la foi: confusion regrettable des deux puissances d'où sont sortis tant de conflits fâcheux entre l'Église et l'État, et qui a survécu, malgré le principe de la liberté de conscience aux autres abus de l'ancien régime.

 

Voilà la part du mal. La part du bien y fait-elle un contre-poids suffisant ? Il faut pourtant qu'il y ait au fond des actes, des œuvres de ce règne, un mérite solide, considérable, pour que personne, en France ou à l'étranger, amis ou ennemis, dans le temps même ou dans la postérité, ne se croie dispensé d'en parler comme d'une époque extraordinaire ; c'est ainsi que Saint-Simon lui-même, avec sa haine et son âpreté au dénigrement, ne se trouve jamais en face de Louis XIV, et ne peut ni le voir agir ni l'entendre parler, sans subir l'ascendant de ses nobles manières et de sa parole distinguée. Il avait d'abord, dans toute son énergie, le sentiment de l'honneur national et de la grandeur du pays : « Je suis encore plus français que roi », disait-il à Villars, pour le remercier du plaisir que lui avait fait la victoire de Friedlingen, « tout ce qui ternit la gloire de la nation m'est plus sensible que tout autre intérêt. » Il souf­frait de voir les Français mal conduits au combat, et on sait com­bien il était impatient de risquer même une défaite devant Lille pour n'avoir pas l'affront d'assister sans lutte à la prise de cette ville. Il voulait une France puissante, maîtresse de son territoire propre, garantie par ses vraies frontières contre ses ennemis, et capable de prépondérance en Europe. De là son amour de la guerre, plus d'une fois téméraire et malheureux, mais aussi ces acquisitions durables qui ont fait la force de ses successeurs. Cinq provinces ont été sous son règne ajoutées à la France de Henri IV : l'Alsace, l'Artois, le Roussillon, la Flandre, la Franche-Comté. S'il

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n'avait pas occupé le premier le Roussillon et l'Artois, il a eu le mérite d'en obtenir de l'ennemi l'abandon formel à la paix des Pyrénées, et de consacrer la possession de l'Artois par la formation et l'agrandissement successif de sa province de Flandre aux dépens des Pays-Bas espagnols.  Si la première occupation de l'Alsace remonte aussi à Richelieu et à la paix de Westphalie, il a eu l'art de rayer de cette paix les  conditions  qui rattachaient encore l'Alsace à l'Allemagne, de la réduire en province française et d'im­poser deux fois aux Allemands la reconnaissance de ce  nouvel état de choses, il a eu enfin l'honneur de la conserver par Turenne, par Créqui, par Villars, par le talent de sa diplomatie. Ah ! ce contraste avec nos récents malheurs nous commande la modération dans nos jugements, et nous défend de contester au passé ses mérites et sa gloire.

 

« La gloire du dedans résiste encore mieux aux attaques, ou plutôt c'est elle que la critique a le plus respectée. Saint-Simon, en­traîné un jour par la puissance de la vérité, a écrit dans la pre­mière époque du règne : Tout était florissant dans l'État, tout était riche ; Colbert avait mis les finances, la marine, le commerce, les manufactures, les lettres même au plus haut point ; et ce siècle, semblable à celui d'Auguste, produisait à l'envie des hommes il­lustres en tout genre, jusqu'à ceux qui ne sont bons que pour les plaisirs. » Ajoutons les institutions de Louvois que Saint-Simon omet par une absurde rancune, et les travaux de Vauban, et l'on aura le tableau dans son ensemble et dans son incontestable éclat. Mais ce qui en double la valeur, c'est que cet éclat n'est pas d'un jour, que l'ardeur pour la prospérité publique ne procède pas seu­lement de la bonne volonté ou des talents d'un ministre ; elle est la pensée propre et permanente du roi, elle tient bon contre les empêchements passagers, elle se ranime après Nimègue, après Ryswick, même après Utrecht, comme le témoignent ses dernières ordonnances de 1713 en faveur du commerce ou des académies, et jusqu'à cette pension donnée à la Mothe-Houdard qui s'excuse au moins par la bonne intention.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon