Carloman et Pépin le Bref 8

Darras tome 17 p. 288

 

33. Cependant de nouveaux ambassadeurs avaient été envoyés à Astolphe pour essayer d'agir pacifiquement sur l'esprit de ce prince. Cette seconde démarche fut inspirée par le pape lui-même. Le Liber Pontifïcalis est formel à cet égard : Christianissimus Francorum rex, sanctissimi pontificis obtempérans monitis, direxit suos missos Aistulfo propter pacis fœdera3. Non seulement les envoyés du roi très-chrétien devaient exclusivement proposer des mesures conciliatrices, mais ils avaient ordre d'offrir au prince lombard de riches présents, s'il voulait revenir à l'exécution des traités, plura ei pollicitus est mimera, ut tanlummodo pacifiée propria restitueret propriis 4. De la part du pontife, une démarche de cette nature

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1 BolIanJ., Act. S. Germant., 28 maii. — 2.Félibieu, Hist. de Paris, loc. cit. — 3 L,b. Pontifie; Pair, lat., tùm. CXXVill, col. J09i. — 4. ld., ibid, col. 1095.

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était, si l'on peut ainsi parler, dans le rôle même du père commun des fidèles. Mais, de la part de Pépin le Bref, lequel n'était pas obligé à tant de ménagements, elle suppose, outre une visible déférence pour les conseils du pape, certaines difficultés intérieures dont Éginhard nous a livré le secret. Les résolutions adoptées à Quierzy-sur-Oise par la grande majorité des leudes et des seigneurs francs avaient soulevé des résistances partielles, il est vrai, mais énergiques. « Quelques-uns des plus nobles et des plus grands de la nation, dit Éginhard, se montrèrent tellement opposés à la volonté du roi, qu'ils déclarèrent leur intention formelle de le quitter et de re­tourner dans leurs domaines, si l'on donnait suite à l'entreprise 1.» Une pareille hostilité, bien que circonscrite dans un petit nombre d'opposants, exigeait des précautions. Il fallait mettre dans tout leur jour la perfidie et l'arrogance d'Astolphe. Celui-ci, d'ailleurs, se sentait vraisemblablement plus à l'aise par l'opposition des sei­gneurs francs ; aussi renvoya-t-il les nouveaux ambassadeurs avec mépris. Cette fois, Pépin le Bref convoqua le ban de guerre, generalem decrevit motionem 2, selon l'expression du Liber Pontificalis. Mais avant de franchir les Alpes à la tête de son armée, le roi se prêta encore aux désirs du pape, et essaya une dernière tentative d'accommodement. Pour la troisième fois donc des ambassadeurs allèrent trouver Astolphe à Pavie, lui portant les prières d'Etienne III et les adjurations de Pépin le Bref. Aux premières, le roi lom­bard répondit par des injures ; aux secondes, par des menaces contre « le très-excellent Pépin et tous les Francs 3. » Le Liber Pontificalis, qui nous donne ce dernier détail, est explicite­ment confirmé par les Annales veteres Francorum dont les paroles sont ainsi conçues: « Au dernier moment, les ambassadeurs de Pépin allèrent représenter à Astolphe que, choisi par la Provi­dence divine pour être le défenseur de la sainte église romaine, le roi des Francs le suppliait de ne pas prolonger la persécution

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1 Eginhard, Vit. Carol. Magn., cap. VI; Pair, lat., tom. XCVII, col. 30.

2. lib. Pontifie, col. 109G.

3. Minas et iwlignationes pontifia et cxcellcniissimo Pippino vel cunclis Francis direxil. [Lib. Pontifie,, loc. cit.)

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contre le pape et de faire justice en restituant les domaines usurpés. Astolphe, enflé d'orgueil, éclata en injures contre le pontife, di­sant qu'il ne lui accorderait d'autre justice qu'un sauf-conduit pour retourner à son siège épiscopal. Les envoyés francs insis­tèrent : Le roi Pépin, dirent-ils, entrera en Lombardie avec son armée ; il n'en sortira qu'après avoir fait rendre justice au bien­ heureux Pierre. — Et quelle justice ai-je à rendre? demanda
Astolphe. — Vous avez, répondirent les ambassadeurs, à restituer la Pentapole, Narni, Ceccano, et à réparer tous les dommages infligés au peuple romain. Si vous consentez à donner cette satis­faction au bienheureux Pierre, Pépin nous a chargé de vous pro­mettre en son nom douze mille solidi d'or. — Astolphe resta insensible à toutes ces propositions et renvoya les députés avec des
paroles hostiles1. » Après une pareille insulte à la nation franque et à son roi, l'armée se mit en marche, sous la conduite de Pépin en personne : le pontife Etienne
III l'accompagnait.

   34. Le pape et le roi avaient attendu à Vienne le retour des derniers ambassadeurs. La reine Berthe, ses deux fils et le prince-moine Carloman s'étaient rendus avec eux dans cette ville. Les modernes historiens ont pris plaisir à charger la mémoire de Pépin le Bref d'un crime odieux. Ils supposent que l'ancien duc d'Austrasie, dégoûté de la vie religieuse, aurait manifesté l'intention de rentrer dans le siècle et de revendiquer ses états. Pour se débarrasser d'un pareil compétiteur, Pépin le Bref l'aurait empoi­sonné. Cette calomnie s'échafaude sur le prétendu silence que les chroniques contemporaines auraient gardé «sur l'époque et le genre de mort de Carloman et de ses fils. » D'où l'on conclut « que la mémoire de Pépin ne fut jamais plus gravement accusée que par ce silence2. » Or, il est absolument faux que les chroniques

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2. Veter. Annaî. Francor.; Patr. M., tom. XCVUI, col. 1416.

2. Voici les paroles de M. le comte de Ségur (Hist. des Carlovingiens, pag. 21) : « Etienne et Pépin résolurent la perte de Carloman. Ce moine-prince, retournant en Italie, fut arrêté et enfermé à Vienne ; il y disparut ainsi que ses enfants. Tous les historiens se taisent sur l'époque et le genre de leur mort, et la mémoire de Pépin ne fut jamais peut-être plus gravement accusée que par ce silence. » Un autre académicien, Gaillard, dans son His-

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contemporaines aient gardé le silence qu'on leur attribue ; mais il est parfaitement vrai que nos modernes écrivains ne prennent guère la peine d'étudier les sources. Éginhard, dans sa chronique, s'ex­prime ainsi : « Le moine Carloman, frère du roi, demeura avec la reine Berthe dans la cité de Vienne. Avant que Pépin le Bref ne revînt d'Italie, Garloman fut pris de la fièvre et mourut. Par ordre du roi, son corps fut porté au Mont-Cassin, où ce prince avait pris l'habit monastique 1. » Voilà qui ne ressemble guère à une incar­cération, ni à la tragédie domestique rêvée par les modernes histo­riens. Les Annales veteres Francorum ne se taisent pas plus qu'Éginhard sur l'époque et le genre de mort de Carloman. « Cette même année, y est-il dit, le prince Carloman de bonne mémoire émigra vers le Seigneur 2. » Les Chroniques de Lorsch ne sont pas moins explicites : « Le moine Carloman, disent-elles, demeura avec la reine Berthe à Vienne, où il était tombé malade. Il languit plusieurs jours et mourut en paix 3. » Le renseignement fourni par la chronique de Lorsch nous explique le motif du séjour de Carloman à Vienne. Le prince-moine avait jusque-là accompagné le pape et le roi, dans l'intention de passer avec eux en Italie et de retourner au Mont-Cassin ; la maladie dont il fut atteint l'empêcha de continuer

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toire de Charlemagne, tom. I, pag. 206, avait dit: « Pépin le Bref prit om­brage de l'ascendant que son frère Carloman parut avoir dans ces circonstances, et il s'en vengea d'une manière indigne. De concert avec le pape et afin, disait-il, que ce sujet si zélé ne fût plus sujet que de son frère, il le fit enfermer dans un monastère à Vienne. Ce fut aussi alors qu'il fit raser et disparaître les enfants de Carloman. » M. Henri Martin, plus laco­niquement, se contente d'écrire : « Karloman fut arrêté et enfermé dans un monastère à Vienne, où il mourut l'année suivante, et ses fils furent tondus et engagés dans les ordres. » (Hist. de France, tom. II, pag. 218.)

1 Karlomannus autem monachus, {rater régis, qui cum Berthrada regina in Viennent cimtale remansit, priusquam rex de ltalia reverteretur febre correytus, diem obiit, cujus corpus jussu régis ad monasterium sancti Benedicti, in quo mo-nachicum hnbilum susceperat, relaturn est. (Eginhard, Annal., ad ann. 755 ; Pair. M., tom. CIV, col. 377.)

2. Eodem anno bonœ memorice Carlomamus monachus migravit ad Dominum. (Vêler. Annal. Francor. ; Pair, lat., tom. XCV1U, col. 141G.)

3. Carlomannus monachus Vicnna civitate remansil, una cum Bertrandane regina, infirmus, languebat dies multos, et obiit in pace. (Annal. Luurissenses, ad anu. 755; Pair, lut., tom. CIV, col. 378.)

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sa route. Du reste, il aurait suffi aux écrivains modernes, pour s'é­difier sur ce point, d'ouvrir les « Grandes chroniques de Saint-Denys, » dont le témoignage est exactement conforme à ceux d'Éginhard, des Annales veteres et des chroniques de Lorsch 1. Enfin, Mabillon, dans son grand ouvrage des Acta sanctorum de l'ordre bénédictin, cite la chronique du Mont-Cassin, écrite par Léon d'Ostie, dont voici les paroles : « Le corps de Carloman fut mis par le roi son frère dans un cercueil d'or, et reporté avec d'autres présents au mo­nastère de Saint-Benoit en Italie 2. » La mémoire de Carloman est restée en bénédiction dans l'Église; son nom est inscrit à la date du 17 août parmi les saints de la futaille bénédictine. En 1628, ses ossements furent retrouvés dans une urne d'onyx, sous le maître-autel de l'église du Mont-Cassin, et exposés solennellement à la vénération des fidèles 3. Carloman n'eut qu'un seul fils, Drogo, qui suivit l'exemple paternel, renonça aux dignités de la terre, prit l'habit monastique et mourut saintement, sans que jamais Pépin le Bref ait eu la velléité d'attenter aux jours de ce jeune prince.

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1 « Charlemaines, le frère au roy, qui moine estoit, estoit venu en France pour empescher la besoigne l'apostole, si comme il est dit dessus, et demoura en la cité de Vienne avec sa serourge la royne Berthe. Là le prist une fièvre et fut mort avant que le roy feust retourné de Lombardie. Et le roy fist le corps de luy atourner et porter à Mont-Cassin où il avoit receu l'abit et fait profession. » (Les grandes chroniques de France, édit. Paulin Paris, tom. Il, pag  45.)

2. Ejus corpus in locello aureo, ab eodem germano, cum aliis muneribus, ad dictum monasterium in Casino remissum fuisse. (Mabill., Act. SS. Bénédictin., sœcul. m, tom. 11, pag. 129.—Cf. Léo Ost., Chronic. Casinense; Pair, lat., tom. CLXXI11, col. 500.)

3. L'épitaphe suivante fut composée à cette occasion : Corpus sancti Carolo-manni régis, et monachi Casinensis, quem cluriorem reddidit cella quam regia, cucullus quam purpura, pedum quam sceptrum, obedientia quam imperium, e monasterio Viennensi, ubi cum apud Pippinum fratrem, Francorum regem, ad Itulia pacem procurandam iegatione fungeretur, vitn functus est, hue transmis-sum, et ad sanctissimi pa> entis Benedicti positum, Simplicius Caffarellus, kujus sacri cœnobii abbas CXXVIII, ut quod honoris insigne repulil vivens reciperet mortuus, solemni pompa elevatum, in ornaliorem toculum reposuit, Kalendis Odobris, anno MDCXXVIII, pontificutus S. D. N. Urbani octavi anno VI, Phi-lippo IV llispaniarum rege cathclko régnante. (Mabill., loc. cit.; Cf. Bolland., 17 august.)

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p293 CHAP.  III.  — ITC DONATION  DE  PÉPIN  AU  SAINT-SIÈGE.      

 

   35. C'est ainsi Qu'en dépit des récriminations du rationalisme moderne la famille carlovingienne servait Dieu et l’Eglise par la prière non moins que par l'épée. Le Liber Pontificalis nous a déjà fait connaître le rapide et brillant succès de la première expé­dition du roi des Francs en Italie. Commencée aux premiers jours du mois d'août 753, la campagne se termina au mois de sep­tembre suivant, sous les murs de Pavie, par la soumission complète d'Astolphe. Nos chroniques nationales confirment et complètent le récit un peu trop laconique de la notice pontificale. « A l'approche de l'armée franque, dit le continuateur de Frédegaire, Astolphe convoqua toutes les troupes lombardes et vint se poster dans les défilés du val de Suze, ad clusas quœ cognominatur valle Seuzana. Il s'y entoura de retranchements et de défenses qui semblaient imprenables. Il se préparait ainsi à soutenir par les armes l'in­justice et les violences qu'il avait exercées contre la république 1, et contre le siège apostolique de Rome. Ces dispositions hostiles forcèrent le roi Pépin à s'arrêter avec le gros de ses forces à Maurienna (Saint-Jean-de-Maurienne). Un petit nombre de guer­riers francs s'engagèrent dans les défilés, à travers les rochers et les gorges de la montagne. Ils accomplirent heureusement l'ascen-sion, et parvinrent jusqu'au val de Suze. En voyant cette poignée d'hommes, Astolphe ne douta pas de la victoire ; il fit prendre les armes à tous ses lombards et vint fièrement engager la bataille. Les Francs ne pouvaient compter ni sur leurs forces ni sur aucune chance humaine de secours; seulement ils invoquèrent Dieu et ap­pelèrent le bienheureux apôtre Pierre à leur aide. Le combat s'en­gagea des deux côtés avec bravoure ; bientôt Astolphe, voyant plier les siens, tourna le dos : ce fut alors une déroute véritable. Toute l'armée lombarde, ducs, comtes, chefs et seigneurs, périt

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1 Contra rempublicam et sedem Romanam apostolicam. Ce terme de république employé, dans le même sens que lui donnaient les empereurs de Byzance, pour désigner les provinces de Ravenne, prouve que le continuateur de frédegaire était parfaitement au courant de la langue diplomatique de son époque. D'ailleurs, comme sa chronique s'arrête à l'année 768, dix ans seulemeut après l'épisode qu'il raconte, on ne saurait mettre en doute la con­temporanéité de son témoignage.

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cri ce lieu. Astolphe s'échappa avec peine, en gravissant un roc escarpé, et courut avec quelques surrivants s'enfermer dans Pavie. Après cette victoire, qui était l'œuvre de Dieu seul, patrata Deo Victoria, l'excellent roi Pépin, avec toute l'armée et la multitude des bataillons francs, traversa les Alpes. Le camp lombard, tout l'or et l'argent, tous les objets précieux renfermés sous les tentes, des richesses incalculables, tombèrent entre les mains des vain­queurs. On arriva de la sorte, ravageant le pays et livrant les cita­delles aux flammes, jusque sous les murs de Pavie, dont on com­mença le siège. Astolphe, ne voyant plus aucun moyen d'échap­per, fit demander la paix, par l'entremise du clergé et de quelques seigneurs francs 1. Il promettait au roi Pépin de réparer par une satisfaction complète toutes les injustices dont il s'était rendu cou­pable envers l'église romaine et le siège apostolique. Il donna des otages et s'engagea par serment à ne jamais rien entreprendre contre la puissance des Francs, à ne renouveler aucune tentative d'hostilité contre le saint-siège ni contre la république romaine. Le roi Pépin était miséricordieux et clément : il consentit à laisser à Astolphe le royaume et la vie. De son côté, Astolphe n'épargna pas les présents; il combla de richesses les optimates de l'armée franque. Les choses ainsi réglées, le roi Pépin fit escorter magni­fiquement le pape Etienne III jusqu'à Rome : lui-même, avec ses guerriers et les trésors conquis sur les Lombards, il rentra heureu­sement, avec l'aide de Dieu, dans ses états 2. » La victoire du val de Suze, cet exploit « dont la main de Dieu eut seule l'honneur, » est admirablement racontée par le continuateur de Frédegaire.

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1Le docteur Mock fait judicieusement observer, à propos de ce passage, que le continuateur de Frédégaire, sans parler explicitement de l'intervention du pape dont le Liber Pontificalis fait ici une mention expresse (Cf. n°ll de ce présent chapitre), ne l'exclut cependant point, mais au contraire la suppose, en attribuant les négociations de paix  l'entremise du clergé et des seigneurs
francs, per sacerdotes et optimates Francorum. Dès que le pape était en per­sonne dans le camp français, il ne pouvait y avoir aucune influence sacer­dotale dont il ne fût l'initiateur et le chef. (Cf. Donaiio a Carolo Magno sedi Apost. oblala, pag. 61.)

2Fredegar., Chronic. contin., IV pars ; Pair, lat., tom. LXXI, eol. 6S7.

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p295 CHAP.   III.   — Ire  DONATION   DE  PÉPIN   AU  SAINT-SIÈGE.       

 

   L'apôtre saint Pierre combattit manifestement, en ce jour, sur les rochers des Alpes, en faveur des Francs qui venaient le défendre, et qui invoquaient dans la mêlée son nom protecteur. Les Annales veteres se contentent d'enregistrer le succès définitif sans autre détail, mais elles sont plus explicites sur les conditions de la paix. « Le roi Astolphe, disent-elles, promit de restituer entièrement tout ce qu'il avait pris à saint Pierre. Il remit par gage, per vadium, et par la tradition de la main, per manus, aux négociateurs francs la Pentapole, Narni, Ceccano, et tout le reste de ce qu'il devait à saint Pierre. Il compta au roi Pépin une somme de trente mille solidi, s'engageant de plus à lui en payer cinq mille comme tribut annuel. Ces diverses clauses furent jurées sous la foi du serment par Astolphe, ainsi que par tous ses optimales et tous les nobles lom­bards. Afin d'en assurer l'exécution, Pépin reçut en qualité d'otages quarante des principaux seigneurs de Lombardie. Il donna alors au pape, tradens ei, Ravenne, la Pentapole, Narni, Ceccano avec toutes leurs dépendances, puis, ayant reçu la bénédiction du sei­gneur apostolique, qu'il renvoya en paix à Rome, il revint lui-même victorieux dans ses états 1. » Dans ces paroles du chroni­queur national nous avons l'instrument authentique d'investiture qui constitue les papes légalement souverains. Pépin le Bref, maître de la vie et du royaume d'Astolphe, laisse à ce prince l'une et l'autre, mais il en reçoit, par la double tradition du « gage et de la main, » Ravenne, la Pentapole, Narni, Ceccano avec toutes leurs dépen­dances. Dès lors ces quatre domaines passent, par voie de conquête, au roi des Francs ; ils lui appartiennent au double droit de la vic­toire et de la cession faite par le vaincu. Pépin le Bref en est légi­time possesseur : il peut les garder s'il lui plaît, ou les rétrocéder à qui lui conviendra. II prend ce dernier parti : fidèle à la pro­messe de donation rédigée dans l'assemblée de Quierzy-sur-Oise, il

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1. Veteres annal. Francov. ; Pair, lai., tom. XCVU1, col. 1416. Ilaistulphus ter~ rilus per mnnus Paniapolim, Narnias, Cecanum, et reliqua débita quœ sancto Petro debuerat, missis domini Pipini régis per vadium reddidit Pipinus vero accepta Ijcnedictione domni apostolici in puce eum abire perinisit.. tradens ei Ratennam, Pcntapolim, Narnias, Cecanum et quidquid in illis partibus contiiiebatur.

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p296  pontificat d'étienne m (732-737).

 

rétrocède au pape Etienne III les provinces qu'Astolphe vient de lui abandonner à lui-même. En vertu de cette investiture, le pape est substitué réellement « au droit de souveraineté » sur ces pro­vinces, tel que Pépin le Bref le tenait d'Astolphe, tel qu'Astolphe lui-même l'avait possédé par voie de conquête ou d'usurpation à main armée. Ce n'est donc pas seulement « le domaine utile, » comme le prétendent certains auteurs, qui résulte pour les papes de la donation de Pépin le Bref, mais très-réellement « un droit de souveraineté. » L'étendue du territoire donné, n'est pas non plus laissée dans le vague; elle est au contraire parfaitement déterminée par la désignation de Ravenne, la Pentapole, Narni et Ceccano. Enfin, ce n'est point seulement Anastase. ou le Liber l'ontificalis, qui enregistre le document authentique1, c'est l'écri­vain national des Francs, l'auteur des Annales veteres Francorum, dont la véracité ne saurait être l'objet d'aucune suspicion 2.

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1 Voir, au n° 15, note 1 de ce présent chapitre, ces diverses objections, formulées contre l'authenticité de la donation de Pépin le Bref au saint-siège. Il y est dit en dernier lieu : «Anastase, qui a parlé de ces donations, davait être assez mal informé ; Eginhard, qui devait l'être mieux, n'eu dit pas un mot. » Par Anastase, on désigne le Liber Pontificalis, dont Anastase est le premier éditeur mais nullement l'auteur. Or, les Annales veteres vien­nent de nous prouver l'exactitude des renseignements fournis par cette source. Quant au prétendu silence d'Éginhard, il est impossible de ne pas admirer une fois de plus la légèreté de nos écrivains français. Eginhard parle très-expressément de la donation de Pépin le Bref, à l'occasion de la seconde campagne de ce prince en Italie. Voici ses paroles : Heistulfus rex Langobar. dorum, quanquani anno superiorc absides dedissel, et de reddenda sanctœ Romance ecclesiœ justitia, tam se quam optimates suos jurejurando obslrinxisset, nihil de promisses opère complevit. Profiter hoc, Pippinus rex iterum cttm exercitu Italiam infravit, et Hehtulfum in Papia civitate se includentem obsedit, et obsidior.e ad impletionem promissorum suorum compulit. Redditamque sibi Ravennam et Penta-polim et omnem exarchatum ad Ravennam pertinentem ad sunclum Petrum tra-didit. (Eginhard., Annal., ann. 756; Pair, lat., tom. C1V, col. 377.) Voilà comment «Eginhard, qui devait être mieux informé qu'Anastase, n'a pas dit un mot » de la donation de Pépin le Bref!

2. La donation de Pépin le Bref a été si souvent contestée, au nom de ce qu'on est convenu d'appeler la science moderne, que nous croyons devoir insérer ici le jugement d'un des plus savants historiens de notre époque. « Pépin après avoir battu deux fois les Lombards au pied des Alpes, dit M. Fauriel. enferma deux fois Astolphe dans Pavie, l'y assiégea deux

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