Bysance 14 C

Darras tome 16 p. 625

 

   36.   « Cependant, dit l'hagiographe, on apprit à Damas que  Léon l'Isaurien venait de déclarer la guerre aux images. Lion  rugissant, il épouvantait l'Eglise par ses fureurs ; non-seulement il  brûlait les images, mais il jetait des milliers de chrétiens dans les flammes des bûchers. A cette nouvelle Jean sentit passer dans son âme, comme un souffle impétueux, le zèle du prophète Élie, l'héroïsme de son homonyme Jean-Baptiste. Armé de la parole sainte, glaive spirituel, il s'élança pour frapper la tête du monstre, la doctrine de l'empereur hérésiarque. Il adressa, sous forme de lettres aux chrétiens persécutés de Constantinople, trois discours où il relevait leur courage et vengeait la foi outragée 1. » Nous avons encore ces aôyoi ànoXo-rn-ixot 2, premiers écrits du grand visir de Damas. « J'aurais dû peut-être, connaissant mon indignité, dit-il, me condamner à un perpétuel silence ; mais quand l'Église de Jésus-Christ, ma mère, est sous mes yeux outragée, calomniée, persécutée, le cri d'un amour filial s'échappe malgré moi de mon cœur. La parole jaillit de mes lèvres pour sa défense, parce que je crains Dieu plus que l'empereur 3. » Il discutait ensuite la ques­tion dogmatique avec une profondeur, une clarté, une érudition saisissantes, prouvant par l'Ecriture sainte, la tradition des pères et les arguments d'une saine logique, la légitimité du culte des images. « Ce qu'est un livre à ceux qui savent lire, dit-il, une image l'est à ceux qui ne le savent point. Ce que la parole opère par l'ouïe, l'image le fait par la vue. Les saintes images sont un mémo­rial des œuvres divines 4. — D'ailleurs, ajoutait-il, la décision de ces sortes de matières n'appartient pas aux princes, mais aux conciles. Ce n'est point aux rois que Jésus-Christ a donné la puis­sance de lier et de délier ; c'est aux apôtres et à leurs successeurs, aux pasteurs et aux docteurs de l'Église. Qu'ils se souviennent, ces

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1. Pair, grœc, tom. XCIV, col. 452-453. — 2. Ibid., col. 1231-1420. 3 S. Joanu. Damasc, Oral, i de Imagin., cap. i; Pair, grœc, tom. cit., col. 1232. — 4. Pair, grœc, tom. cit., col. 1244.

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novateurs téméraires, des paroles de l'apôtre saint Paul : « Si un ange descendait du ciel pour vous prêcher un autre Évangile que celui que vous avez reçu…..» n'achevons pas ce texte pour leur laisser le temps de se repentir; mais si, ce qu'à Dieu ne plaise, ils persistent opiniâtrement dans l'erreur, alors nous ajouterons le reste : « Qu'il soit anathème1! » L'éloquent apologiste n'oubliait pas l'objection familière aux iconoclastes, lesquels prétendaient couvrir leur impiété sacrilège du grand nom de saint Épiphane. « Oui certes, dit-il, Épiphane fut un homme divin et vraiment admirable : vous soutenez qu'il partageait votre erreur et proscri­vait, comme vous, le culte des images. Je vous répondrai d'abord que l'épisode d'Anablatha, raconté dans une lettre de saint Épi­phane à l'évêque Jean de Jérusalem 2, pourrait être complètement apocryphe. Les falsifications de ce genre dans les œuvres des pères de l'Église sont tellement passées en habitude chez les grecs, que je ne m'étonnerais nullement de celle-ci. Mais en admettant l'au­thenticité du texte, que prouverait-il? Jadis le bienheureux Athanase défendit aux fidèles d'Alexandrie de conserver dans des châsses le corps des saints; il prescrivit d'inhumer ces osse­ments sacrés. Est-ce que le grand Athanase prétendait interdire le culte des reliques? Non, mais il voulait combattre chez les Égyptiens la coutume idolâtrique qui conservait dans des sympodia 3 les cadavres momifiés. En Palestine, au milieu d'une popula­tion juive, remplie de préjugés contre les chrétiens, Épiphane jugea qu'il était prudent de ne pas exposer d'images à l'extérieur d'un oratoire. Mais la preuve qu'il n'entendait point les proscrire d'une manière absolue, c'est que son église de Salamine, laquelle subsiste encore de nos jours, est enrichie de mosaïques, de peintures exécutées sous les yeux et par les ordres du grand docteur4. » Jean Damascène achevait sa démonstration par des extraits empruntés

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1 Orat. u de Imagin. ; Patr. grœc, tom. cit., col. 1287.

2.S. Epiphan , Epist. ad Joann. ep. Hicrosol.; Pair, grœc, tom. XLIII, col. 390. L'épisode d'Anablatha est en effet raconté à la fin de la lettre en ma­nière de post-seriptum; il pourrait parfaitement n'être qu'une addition frau­duleuse.

3 Chambres funéraires. — 4. Orat. I de Imag., col. 1258.

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p627 CHAP.   IX.   — LES  ICONOCLASTES  EN  ORIENT.   

 

aux œuvres authentiques des Pères et des historiens de l'Église. Nous avons eu précédemment l'occasion de reproduire le curieux document cité par lui au sujet de la statue du Sauveur, élevée à Panéas, la Césarée de Palestine, par l'hémorrhoïsse de l'Évangile 1.


32.Les lettres apologétiques du grand visir chrétien de Damas produisirent en Orient une sensation immense. La position offi­cielle de l'auteur ajoutait à leur mérite intrinsèque le prestige qui s'attache d'ordinaire aux productions des hommes d'État. « Jean Damascène avait recommandé à ses amis, continue l'hagio-graphe, de multiplier les exemplaires de ses lettres, afin de leur donner la plus grande publicité. On en fit des traductions latines, et l'Occident put à son tour admirer la foi vive et l'éloquence du nouveau père de l'église grecque 2. » Léon l'Isaurien, pour se venger du docteur catholique, eut recours à une fourberie infâme. A prix d'or, ses émissaires réussirent à intercepter une lettre écrite de la main de Damascène. Il ne manquait pas à Constantinople de plumes exercées, capables de contrefaire toutes les écritures pos­sibles. Léon choisit le plus habile parmi les faussaires attitrés, et le prit pour complice. Il s'agissait de rédiger, sous le nom et de l'écriture même du grand visir, un billet supposé dans lequel Jean Damas­cène, trahissant le calife son maître, proposerait à Léon l'Isau­rien de lui livrer la Syrie et de lui ouvrir les portes de Damas. La contrefaçon réussit à merveille ; les caractères et la signature ressemblaient à ceux de Jean au point de s'y méprendre. La pièce apocryphe était ainsi conçue : « A l'empereur de Constantinople, salut. Les liens d'une foi commune m'attachent du fond du cœur à votre celsitude impériale. Je m'empresse de vous infor­mer que la ville de Damas est en ce moment dépourvue de troupes : les Agaréniens ont dispersé leurs forces, la garnison restée ici est insignifiante. Au nom de Dieu, je vous en sup­plie, prenez pitié des malheureux chrétiens de Damas. Faites avancer sur la ville un corps d'armée qui s'en rendra maître sans

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1 Cf. tom. X de cette Histoire, pag. 154, note 1. — 2. Vit. S. Joann. Damasc, cap. xiv, sub fin.

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coup férir. De mon côté, je seconderai puissamment l'expédition, car dans cette contrée tout obéit à mes ordres. » Une fois en pos­session de ce billet, Léon l'Isaurien le joignit à un message officiel qu'il adressait au calife en ces termes : « Je n'ai rien de plus cher que la paix, rien de plus sacré que les relations amicales avec nos alliés. C'est par la fidélité à tous mes engagements que je crois mériter les faveurs du Dieu que j'adore. J'ai contracté une alliance avec votre sérénité, j'y demeurerai fidèle, malgré les clandestines communications que me fait passer chaque jour un traître et per­fide chrétien, qui vit à l'ombre de votre sceptre. Je prends au hasard une de ses lettres, et je vous transmets. Elle vous apprendra quel il est, et qui je suis1. » Un ambassadeur byzantin partit pour Damas, et remit le message impérial au prince des croyants. L'effet en fut prompt comme celui de la foudre. Le calife n'eut pas plutôt reconnu l'écriture du grand visir, que sans écouter les protestations d'innocence de Jean Damascène, il lui fit sur-le-champ couper la main droite, cette main qui avait tracé, croyait-il, les lignes parjures. Le lendemain la tête du visir devait tomber sous le glaive ; mais le calife voulait laisser à sa victime le temps de souffrir. Or, durant la nuit, Jean Damascène pros­terné devant une image de la sainte Vierge suppliait Marie de l'aider à prouver son innocence. Soudain la main coupée vint d'elle-même se rattacher au bras sanglant. Une ligne rouge mar­quait seule autour du poignet la trace circulaire du sabre. Eclatant alors en hymnes de reconnaissance, Jean célébra par de pieux cantiques la gloire de Marie. On accourut à ses accents joyeux ; bientôt toute la ville retentit du miracle. Le calife vint lui-même: « Quel médecin t'a guéri? » demanda-t-il au captif. « Aucun autre que la reine du ciel, » répondit Jean. — Le prince contemplait la cicatrice miraculeuse ; il regardait les flots de sang qui avaient coulé sous le sabre du bourreau. « Ce n'est pas toi, dit-il enfin, c'est l'empereur de Byzance qui est un traître. J'ai  eu tort de céder à un mouvement de fureur. Je

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1 Vit. S. Joar.n. Damasc, cap. xv et xvi.

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p629 CHAP.   IX. SAINT BONIFACE APÔTRE DE  LA  GERMANIE.

 

crois à ton innocence, reprends tes fonctions accoutumées J1. » Jean, se prosternant aux pieds du calife, le remercia de ses offres bienveillantes; il obtint non sans peine la liberté de renoncer à tous les honneurs du monde, pour aller près de son ancien maître Cosmas passer le reste de sa vie dans la retraite et l'étude (431).

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