Grégoire VII 44

Darras tome 22 p. 185

 

51. Ce programme, chef-d'œuvre d'infâme duplicité, resta le secret des schismatiques évêques et du roi parjure. On se mit aussitôt en devoir de l'exécuter, et l'armée se dirigea sur Canosse où Grégoire VII attendait les événements avec toute la prévoyance de son génie et toute la pieuse résignation d'un saint. « Il considérait, dit Berthold, comme un malheur pour l'Eglise l'arrivée du roi en Italie, parce qu'elle exaltait les espérances schismatiques des Lombards. Il se rendait parfaitement compte des troubles qu'elle provoquerait en Allemagne, où les peuples révoltés contre la tyrannie de Henri IV ne voulaient plus en subir le joug. Mais son espérance était au ciel; il s'abandonnait d'un cœur vraiment apostolique à la main toute-puissante de Dieu, priant nuit et jour avec effusion de larmes, sollicitant la lumière de l'Esprit-Saint afin de savoir ce qu'il devait, dans des circonstances si graves, faire directement par lui-même ou réserver à la décision d'un concile2. » Sur ces entrefaites, il vit arriver à Canosse un certain

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1.Berthold. Constant. Armai. Patr. Lat, tom. CXLVII, col. 378. Ni le docteur Voigt dans son ouvrage Grégoire VII et son siècle, ni Mgr Héfélé dans son Histoire des conciles n'ont dit un seul mot de ce conciliabule de Pavie, dont les résolutions jettent un jour si éclatant sur les manoeuvres et la duplicité du jeune roi.

2. Eaque intentions quanquam tnter Longobardos qualitercumgue dissimulata, (Berthold., loc. cit., col. 379.)

3, Id., col. 379.

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nombre d'évêques et de seigneurs allemands qui, en apprenant le voyage du roi en Italie, venaient eux-mêmes se faire relever de l'excommunication. C'étaient Liémar archevêque de Brème, Eppo de Zeitz, Burchard de Lausanne, Werner de Strasbourg, et parmi les laïques le fameux Ulrich de Cosheim et le comte Ebérard de Nellembourg. Trompant la vigilance des princes qui gardaient les défilés du Tyrol, ils avaient pu franchir les Alpes. Moins heureux, les évêques de Verdun et de Bamberg furent arrêtés en chemin, le premier par le comte Adelbert de Calw, le second par le duc Welf de Bavière qui les retinrent captifs. Ce n'était certes pas un sentiment de repentir sincère qui amenait tous ces pénitents à Canosse. Mais d'après les lois germaniques, ces leges palatines, ainsi que les nomme Lambert d'Hersfeld, il leur fallait avant un an et jour se faire relever du ban de l'anathème apostolique, sous peine d'être déchus à jamais du droit de recouvrer leurs dignités et leurs fiefs. «En entrant dans la forteresse, dit le chroniqueur, les hypocrites pèlerins se déchaussèrent et revêtirent un sac de laine; ils vinrent ainsi se prosterner aux pieds du pape, demandant pardon de leur faute et sollicitant l'absolution des censures qu'ils avaient encourues. « La miséricorde, leur dit Grégoire, n'est jamais refusée à ceux qui reconnaissent sincèrement et pleurent leurs péchés. « Mais une longue désobéissance est comme une rouille envieillie;  il faut la soumettre au feu d'une longue pénitence. Si donc vous êtes vraiment repentants, supportez courageusement le fer chaud de la correction canonique et laissez-le appliquer aux plaies de vos âmes. » Tous répondirent qu'ils étaient prêts à accomplir toute espèce de pénitence. Alors il sépara les évêques et les fit enfermer chacun dans une cellule à part, où ils vécurent en solitaires sans communiquer avec personne, et ne recevant que vers le soir une légère collation. Il fixa ensuite à chacun des laïques une pénitence appropriée à son âge ou à ses forces. Après quelques jours de cette épreuve, ils les manda tous en sa présence, leur rappela avec douceur la gravité de leurs fautes passées, les exhorta à n'y retomber jamais et enfin prononça sur eux la sentence d'absolution. Après quoi il leur fit défense expresse de communiquer avec le roi

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p187 CHAP.  II.   —  HENRI IV EN ITALIE.

 

Henri jusqu'à ce que ce prince eût donné satisfaction au siège apostolique, leur permettant toutefois si les circonstances l'exigaient de lui adresser la parole pour l'exhorter au repentir et l'arrêter sur les bords de l'abîme où il se précipitait1 ».

 

52. Au moment où le pape tenait ce langage, le gros de l'armée lombarde sous les ordres du roi excommunié était à Reggio, se promettant d'emporter bientôt la forteresse de Canosse et d'assouvir enfin ses vengeances sur un pontife ennemi de la simonie et des clérogames. Les cris de menaces et de blasphèmes des postes avancés retentissaient jusque dans la citadelle. « Mais, dit Berthold, telle n'était point l'intention de Henri. Suivant le plan de conduite arrêté à Pavie et soigneusement dissimulé aux chefs de l'armée, il fit solliciter de Grégoire VII l'autorisation de se rendre près de lui, promettant soumission entière, satisfaction sur tous les points, obéissance et fidélité absolues 2 ». Ces propositions furent portées dans le plus grand secret à la comtesse Mathilde avec prière de les communiquer au pape et de venir elle-même en conférer avec le roi. L'héroïne de Canosse n'hésita point à affronter le danger que pouvait offrir une pareille démarche. Confiante en la bénédiction apostolique, elle quitta sa forteresse inexpugnable et se rendit au lieu fixé pour l'entrevue. Là se trouvaient réunis Adélaïde de Suze et le jeune comte Amédée son fils qui avaient traversé les Alpes à la suite du roi, le margrave Albert Azzo, oncle de Mathilde, plusieurs autres princes italiens dont la fidélité au pape était notoire, et enfin le saint abbé de Cluny Hugues, « venu récemment en Italie, dit Berthold, pour s'excuser près du pape d'avoir entretenu quelques relations avec le roi excommunié.» En leur présence et sous leur garantie, Henri renouvela à la comtesse les promesses et les prières de son premier message. « Il redoubla de supplications, dit Lambert d'Hersfeld, et conjura tous les assistants de se joindre   à Mathilde pour  aller trouver le pape. «Qu'il dai-

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1. Lambert. Hersfeld., loc. cit., col. 1238.

2. Papam convenire, eique per omnia subdi, cedere,  obedire et consentire propo-suit. (Berthold. Constant., loc. cit., col. 379.)

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gne, disait-il, m'absoudre de la sentence d'excommunication; qu'il n'ajoute pas légèrement foi aux accusations des princes allemands, inspirées moins par le zèle de la justice que par le ressentiment et la haine 1 ». « La conférence dura longtemps, reprend Berthold, et fut fort approfondie. Malgré les protestations de sincérité du roi, il se glissait dans ses promesses je ne sais quels détours cauteleux, quelles circonlocutions tortueuses qui frappèrent tous les auditeurs, au point de les faire hésiter à accepter la mission dont il voulait les charger. Le pape depuis si longtemps habitué aux ruses et aux perfides intrigues de Henri ne manquerait pas de pénétrer celle-ci d'un seul coup d'œil ; leur conscience répugnait à jouer près de lui le rôle de dupes et encore plus celui de trompeurs. Ils refusèrent donc d'accepter la mission, mais Henri insista tellement qu'il leur arracha enfin leur consentement. Ils partirent tous pour Canosse et racontèrent au pape dans le plus grand détail ce qui venait de se passer, sans dissimuler aucune des impressions défavorables produites sur leur esprit par les réticences ou les exagérations calculées du roi 2 ».


§ XI. L'entrevue de Canosse.


 53. Comme ils parlaient encore, on vint annoncer que Henri en personne était à la porte de la forteresse et demandait à entrer. «A l'insu de ses nobles envoyés, reprend Berthold, il les avait suivis de fort près, résolu de brusquer son entrevue avec le pape, sans attendre ni réponse ni invitation du seigneur apostolique. Accompagné de quelques-uns des siens excommuniés comme lui, il heurtait précipitamment à la porte de la citadelle, suppliant qu'on

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1. Lambert. Hersfeld., loc. cit.

2. Tout ce récit de Berthold de Constance a été, nous ne savons pourquoi, négligé par les récents historiens de Grégoire VII, bien que sa publication dans les Monumenta Germaniae remonte déjà à près de trente ans.

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la lui ouvrit et qu'on l'introduisît près du pape1 ». On était alors au 21 janvier 10772 ; la conférence avec Mathilde avait pris la plus grande partie de la journée, en sorte que cette scène dut avoir lieu à l'entrée de la nuit. Grégoire VII ne voulant ni tromper ni être trompé, ajoute le chroniqueur, refusa de laisser ouvrir la porte. Voici, d'après Lambert d'Hersfeld, la réponse qu'il fit transmettre au suppliant : « La jurisprudence civile et canonique ne permet pas de juger la cause d'un accusé en l'absence de ses accusateurs. Si Henri a vraiment conscience de sa propre innocence, qu'il se présente sans aucune espèce de crainte à Augsbourg au jour fixé pour la diète. J'y serai moi-même : toutes les raisons de part et d'autres seront scrupuleusement débattues ; la sentence que je rendrai après mûr examen ne sera dictée ni par l'esprit de parti ni par aucun ressentiment des injures qui me sont personnelles, mais uniquement par la justice et conformément aux lois de l'Église. » A cette proposition Henri fit répondre en ces termes : «Je suis loin de vouloir me soustraire à un jugement régulier, en quelque lieu du monde où il puisse être présidé par un pontife ami de la justice, soutien et vengeur incorruptible de l'innocence. Mais nous touchons au jour anniversaire de l'excommunication prononcée contre moi ; cette date tient dans l'expectative et comme en suspens tous les princes du royaume, parce que d'après les lois palatines, juxta lèges palatinas, si à ce terme précis l'anathème n'est pas levé, j'aurai perdu toute espèce de droit à la couronne et ne pourrai même plus être admis à prouver juridiquement mon innocence. L'unique chose que je demande au pape, et je l'en supplie avec larmes, c'est après m'avoir imposé toutes les satisfactions qu'il jugera convenables de m'absoudre de l'anathème et de me rétablir dans la communion de

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1. Berthold. Constant. Annal., loc. cit., col. 380.

2. Cette date est positive. Elle est attestée par Domnizo, témoin oculaire, en termes tellement précis qu'on ne saurait s'expliquer autrement que par une complète ignorance des textes contemporains l'assurance avec laquelle le continuateur du Cours complet d'Histoire ecclésiastique, sans autre autorité que la sienne, substitue à la date véritable celle du 24 janvier. (Cf. Muratori, Annal. Haï. 1077 et Cours comf1, dttist. ecclés., tom. XIX, col. 1125.)

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l'Église. Pour tout le reste, je me présenterai au jour et au lieu qui me seront désignés; la faveur que je sollicite est absolument en dehors de ce point. Je comparaîtrai à la diète présidée par le pape, j'y répondrai à tous les griefs articulés par mes accusateurs, le pontife prononcera la sentence. Suivant qu'il me trouvera innocent ou coupable, je conserverai la couronne ou la perdrai sans grand regret, aequo animo.» A cette nouvelle protestation Grégoire VII opposa, dit le chroniqueur, une longue résistance. «Il craignait non sans raison la versatilité du jeune roi, la perversité de ses instincts augmentée encore par les adulations de conseillers indignes. Mais enfin cédant aux prières des assistants, et comme si leur importunité eût triomphé d'une résolution jusque-là inébranlable: « Si son repentir du passé, dit-il, est véritablement sincère, qu'il en donne la preuve, qu'il dépose la couronne et les autres insignes de la royauté, qu'il les remette à notre disposition et qu'en expiation de tous ses crimes il se déclare à l'avenir indigne du titre et des honneurs royaux. » Cette sentence parut trop dure aux assistants. Ils conjurèrent le pontife d'en mitiger la rigueur et de ne pas rompre entièrement par un jugement si sévère le roseau à demi brisé. Cédant encore une fois mais non sans peine à leurs supplications: « Qu'il entre donc, dit Grégoire VII, mais qu'il fasse une vraie pénitence de ses fautes et les expie en se soumettant aux décrets du siège apostolique1.».  Cette réponse   définitive fut transmise  au

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1.Lambert. Hersfeld., loc. cit., col. 1239. Le continuateur du Cours compl. d'Hist. ecclês. commet ici une erreur plus grave que son précédent lapsus chronologique. Il s'imagine que Grégoire VII, vaincu, dit-il, en ce jour néfaste » et « n'ayant pu obtenir du roi le dépôt des insignes de la royauté, » trahit indignement « les peuples de la Germanie ses co-intéressés, » bien qu'il n'eût pas «procuration pour accepter un concordat semblable. » (Tom. XIX, col. 1126-1127.) Toute cette déduction indignée tombe à faux. Le roi Henri IV suspendu de ses fonctions royales en Germanie les avait reprises avec les insignes de sa dignité en mettant le pied sur le sol lombard, où jamais aucune plainte ne s'était élevée juridiquement contre lui en dehors des nombreuses monitions pontificales. C'est ce que M. Villemain a très-bien compris lorsqu'il dit (Hist. de Grêg. VII, tom. II, p. 141) : « Henri se fondait sur ce que la question du trône, réservée par le pape, ne l'était que pour l'Allemagne et non pour l'Italie.» Telle était en effet la situation.  Henri, lorsqu'il frappait à la porte  de la pre-

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roi qui vit aussitôt la porte s'ouvrir devant lui et s'empressa d'en franchir le seuil. « Or, dit Lambert d'Horsfeld, la forteresse de Canosse avait une triple enceinte de murailles. Le roi fut introduit dans l'intérieur de la seconde et y reçut l'hospitalité, intra secundum murorum ambitum receptus1. » Non moins précis sur ce point, Berthold de Constance s'exprime en ces termes : « Henri avec les siens fut hébergé durant trois jours en dehors du castellum (troisième enceinte où se trouvait le pape), usque in diem tertium foris extra castellum cum suis hospitabatur 2». Les deux chroniqueurs s'accordent donc complètement sur le fait de l'introduction du roi non pas dans un glacis en plein air, mais dans un lieu abrité, receptus hospitabatur, sans doute quelqu'une des salles voûtées servant à loger le personnel de la garnison. Ils diffèrent toutefois sur un détail accessoire. Pendant que Berthold nous dit que Henri fut introduit «avec les siens » cum suis, Lambert d'Hersfeld affirme que « toute l'escorte royale fut laissée en dehors » foris derelicto omni comitatu suo. Cette contradiction plus apparente que réelle est facile à concilier. Il est certain, comme nous le verrons bientôt, que plusieurs personnages, évêques et laïques de la suite du roi, et ainsi que lui excommuniés, franchirent avec lui la première enceinte de la forteresse pour être hébergés dans la seconde. L'escorte laissée en dehors dut être uniquement celle des cavaliers qui avaient accompagné Henri jusqu'à la première porte . Telle est dans sa réalité historique la scène de l'entrée du roi parjure à Canosse. Tous les incidents de nuits passées sur la neige, à

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mière enceinte de Canosse, était revêtu des insignes royaux tels qu'on les portait alors, c'est-à-dire d'un manteau de pourpre, du cimier avec couronne royale, de l'épée à la garde armoriée. Comme roi de Lombardie, il avait un certain droit à porter ces emblèmes. C'est là tout le sens de la concession faite non pas en ce jour mais en cette nuit du 21 janvier par Grégoire VII. Le pape céda aux instances des nobles personnages qui demandaient à ce qu'on « n'achevât point de rompra le roseau à demi brisé.» Quant à ce qui concerne l'Allemagne et les conventions de Tribur, nous verrons bientôt que la grand pape ne concéda absolument rien.

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1. Lambert. Hersfeld., loc. cit., col. 1239.

2. Berthold. Constant, loc. cit., col. 380.

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ciel ouvert, les pieds nus, le corps à peine couvert d'une misérable chemise, en proie à toutes les intempéries d'une saison exceptionnellement rigoureuse, sont de pures fantasmagories 4.


    54. Ce qui est vrai, c'est que, suivant la judicieuse remarque du docteur Héfélé, la pénitence hypocrite à laquelle Henri allait se vouer pendant trois jours fut de sa part complètement volontaire. Grégoire  VII n'en   régla nullement la forme ni les rigueurs. Le jeune roi s'imposa de son plein gré toutes les humiliations qu'il voulut et il affecta de leur donner le caractère le plus attendrissant possible. Heureux s'il eût fait sincèrement, pour le salut de son âme et en vue de Dieu, ce qui n'était dans sa pensée qu'une comédie de circonstance! Il prit à tâche de copier la pénitence de Théodose, mais sans nul souci d'en imiter le repentir. Il joua son rôle tel qu'il l'avait d'avance réglé à Pavie. «Le matin du premier jour, dit Lambert d'Hersfeld, il déposa ses habits somptueux, ne conservant aucun des insignes royaux, aucun luxe ni pompe extérieure. Pieds nus et recouvert d'un sac de laine (costume des pénitents), il garda le jeûne jusqu'au soir, attendant la sentence du pontife romain. Un second jour puis un troisième s'écoulèrent de la sorte, et enfin le quatrième jour il fut admis en présence du pape 2. » Berthold de Constance plus rapproché du théâtre des événements les a mieux connus que le chroniqueur d'Hersfeld. Les trois jours écoulés dans la pénitence ne furent pas pour Henri IV des jours de solitude ni de silence absolu. Voici le récit de Berthold: « Le roi s'était revêtu d'habits de laine; malgré le froid, il avait retiré sa chaussure, et durant les trois jours où il fut hébergé avec les siens dans la seconde en-

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1. Nous devons dire à l'honneur de M. Villemain qu'il n'essaie même pas de réhabiliter cette fable. Le récit de l’entrevue de Canosse est une des parties les plus sérieusement étudiées de son travail ; les intentions de Grégoire VII y sont à l'ordinaire dénaturées et travesties, mais les faits sont représentés à peu près exactement. Au contraire le continuateur du Cours complet d'Histoire ecclésiastique s'est donné libre carrière ; sa narration en cet endroit n'est qu'un réquisitoire aussi violent que peu justifié contre les intrigues imaginaires de la comtesse Mathilde et la prétendue faiblesse de Grégoire VII.

2. Lambert. Hersfeld., loc. cit., col. 1240.

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ceinte de la forteresse, hors du castellum où se tenait le pape, il fut soumis à toutes les probations et exercices ordinaires aux pénitents. Autant que les hommes peuvent juger après un minutieux examen, on le trouva dans les meilleurs sentiments d'obéissance ; il attendait avec larmes la faveur d'être réconcilié avec le saint-siége et rétabli dans la communion chrétienne. Mais le seigneur apostolique, déjà tant de fois trompé par de vaines promesses, n'était pas disposé à croire légèrement celles que le roi lui faisait transmettre. Il s'établit donc à ce sujet des consultations sérieuses et de longs débats1. » Les intermédiaires qui servirent à l'échange des négociations furent les mêmes qui avaient pris part à la première conférence et au colloque engagé le soir à la porte de la citadelle. Grégoire VII avait à ses côtés deux évêques cardinaux Humbert de Préneste et Girald d'Ostie; deux cardinaux prêtres Pierre du titre de saint Chrysogone, Cuno du titre de saint Anastase ; deux cardinaux diacres Grégoire et Bernard, avec le sou-diacre de l'église romaine Humbert2. Domnizo, le chapelain de Canosse, témoin oculaire, décrit en ces termes l'affluence des grands personnages qui se pressaient alors dans la citadelle, et leurs efforts pour amener une solution pacifique. « Le pape, le roi, les princes d'Italie, des seigneurs germains venus d'au-delà des monts, des cardinaux romains, des évêques, des docteurs illustres

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1.Berthold. Constant., loc. cit., col. 380.

2. Ces membres du collège cardinalice avaient accompagné le pape dans son voyage et l'assistaient de leurs conseils à Canosse; ils souscrivirent le seul document officiel qui nous soit resté de cette entrevue fameuse. Le continuateur du Cours complet d'Histoire ecclésiastique, ignorant cette circonstance et attribuant à l'isolement de Grégoire VII la condescendance du grand pontife, s'écrie : «Grégoire vit bien qu'il fallait céder. Mathilde et Hugues entraînaient tous les suffrages sur la pente non mesurée de la miséricorde ; il dut plier. Si le Saint-Esprit donne sa lumière aux pontifes, il ne leur donne pas toujours la fermeté. Il entre dans l'ordre de la providence qu'ils soient entourés d'appuis capables de les soutenir à la hauteur de leur tâche. De là ce sacré collège, ce sénat auguste que Dieu donne à nos pontifes pour assurer leurs pas. Pie VII isolé de ce soutien fléchit sous les obsessions. Grégoire VII, seul à Canosse, circonvenu, cerné, dévie aussi de sa résolution : Vae soli. » (Tom. XIX, col. 1128.)

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p194 PONTIFICAT  DE  GRÉGOIKE  VII   (1073-1085).

 

par leur science et leur vertu, le vénérable abbé de Cluny Hugues, parrain du roi qu'il avait levé des fonts sacrés du baptême, tous ces seigneurs, hi seniores, traitaient des conditions de la paix; durant trois jours ils en conférèrent sans pouvoir aboutir, et le roi voulait se retirer. Il se rendit dans la chapelle de Saint-Nicolas 1 et supplia en pleurant le saint pasteur Hugues de lui servir de caution près du pape, ut pro pace sua fidejussor sibi fiat. « Cela n'est pas permis, répondit l'abbé. » En effet les règles bénédictines défendent expressément aux religieux de prêter serment et par conséquent d'intervenir comme caution dans les traités. « Cependant, reprend Domnizo, la comtesse Mathilde présente à cet entretien insista, et l'abbé répondit : «Personne, je crois, ne pourra mieux que vous-même servir de caution. » A ces mots, le roi mettant les deux genoux en terre devant Mathilde : « Si à cette heure suprême vous ne venez à mon secours, jamais plus je ne romprai les boucliers ennemis, car le pape a brisé mon bras. Puissante cousine, faites donc qu'il me bénisse. Allez l'en supplier. » Mathilde se levant de son siège donna sa parole au roi et remonta dans le château près du pontife. Henri se tint dans la chapelle Saint-Nicolas attendant le résultat de la négociation 2 »

 

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