Monothélisme 7

 

23. Le 19 mai 655 lendemain de la conférence de saint Maxime avec les envoyés du patriarche, un conseil se tint au palais impé­rial, « conseil, disent les actes, qui rappela celui de Pilate et des Juifs lors de la passion du Sauveur 2. » La peine de mort précé­demment portée contre les confesseurs y fut cependant commuée en celle de la déportation. Les clercs byzantins firent grand bruit de la mansuétude du patriarche, lequel avait arraché, non sans peine, disaient-ils, le consentement de l'empereur. Saint Maxime fut con­duit pieds nus, à travers les rochers, dans la forteresse de Byzias ; son disciple, séparé de lui, fut écroué à Perbère, et le prêtre Anastase à Sélimbrie. C'étaient les dernières places encore occu­pées par les Romains sur les frontières de Thrace. Aucun ordre ne fut donné ni pour l'habillement ni pour la subsistance des proscrits. Ils pouvaient mourir de froid et de faim, peu importait à la clémence impériale. La charité chrétienne prévint ce crime, et en prolongeant la souffrance des confesseurs, permit à la cruauté byzantine d'achever son œuvre et de consommer leur martyre.


    24. Un an plus tard, le 24 août 656, le castrum de Byzias recevait la visite de trois illustres personnages, Théodose évêque de Césarée en Bithynie, les patrices Paul et Théodose, désignés aussi dans les actes sous le nom de consuls, ce qui laisse supposer que le titre, sinon l'autorité des anciens consuls, était toujours en usage à Byzance. L'évêque était délégué par le patriarche de Constantinople, les deux consuls par l'empereur lui-même, pour essayer encore de séduire le saint abbé Maxime. Ils déployèrent dans cette mission toute l'hypocrisie, la souplesse, la ruse, les mensonges familiers aux grecs. Arrivés dans le cachot du confesseur, ils le firent asseoir au milieu d'eux. Les rôles avaient été partagés à

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1 S. Anastas., ad monach. Calaritan. ; Ibid., col. 134. — 2. S. Maxim., Vita ac certamen; Ibid., col. 95.

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l'avance. L'évêque seul devait diriger la controverse, et les deux patrices, juges et témoins du débat, n'intervenir que pour la con­clusion. « Seigneur abbé, dit l'évêque, comment vous trouvez-vous? — Je me trouve, répondit Maxime, dans l'état que la prédestination divine réservait de toute éternité à ma misérable existence. » Sur ce mot de prédestination, Théodose engagea amicalement une espèce de tournoi théologique où le saint abbé déploya les ressources de sa dialectique vive et serrée. L'évêque semblait l'écouter avec plaisir. « Par la vérité de Dieu lui-même, dit-il enfin, j'ai la plus grande joie à vous entendre ; c'est tout profit pour moi. Cependant nous avons, les seigneurs consuls et moi, un autre sujet à traiter avec vous. Le motif de notre voyage à travers les solitudes et les rochers du Caucase intéresse le monde entier ; l'allégresse sera universelle si notre mission près de vous peut réussir. — En quoi donc, reprit le confesseur, un misérable captif tel que je suis pourrait-il contribuer à la joie de l'univers? — Nous sommes délégués près de vous, répondit Théodose, par l'empereur lui-même et par le patriarche de Constantinople. Ils veulent savoir pourquoi vous rejetez leur communion. — Avez-vous, demanda le confesseur, une procuration écrite soit du patriarche soit du très-pieux empereur? — Seigneur abbé, répli­qua Théodose, vous ne devriez pas nous faire une pareille injure ni suspecter notre bonne foi. Quelque indigne que je puisse être d'un pareil honneur, je suis évêque. Les deux patrices qui m'ac­compagnent sont membres du sénat. Nous ne venons ici ni vous tenter ni vous surprendre ; à Dieu ne plaise ! — Quelles que soient vos intentions, reprit Maxime, je vous répondrai avec une entière franchise. » Reprenant alors l'histoire du monothélisme depuis Cyrus d'Alexandrie et le patriarche Sergius, il exposa les raisons théologiques qui avaient fait condamner cette erreur par l'église romaine. II insista en particulier sur l'impossibilité d'admettre le type comme règle de foi et de conduite. « Ce décret interdit l'usage des termes de une ou deux opérations en Jésus-Christ, dit-il. Cependant l'un de ces termes exprime la vérité, et il faut absolument s'en servir. Autrement vous seriez forcés

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de conclure à l'absurde et de reconnaître qu'il n'y a ni une ni deux ni aucune opération dans le Verbe incarné ; en d'autres termes, vous seriez contraints de nier la réalité de son existence. — Mais, objecta Théodose, on n'a pas prétendu toucher à la question dogmatique, laquelle reste entière. Le type est simplement une mesure admi­nistrative et non la définition d'un dogme. — En ce cas, reprit Maxime, si la question reste entière et qu'on soit libre après le type de professer sur les opérations en Jésus-Christ telle ou telle croyance,  pourquoi m'avoir jeté  dans  ces   contrées   barbares comme un athée et un scélérat? pourquoi la sentence qui me con­damne à l'exil dans cette forteresse de Byzias ? pourquoi mon dis­ciple est-il déporté à Perbère ; pourquoi le prêtre Anastase l'est-il à Sélimbrie ? » L'évêque de Césarée s'attendait-il à cet argument sans réplique; l'avait-il habilement provoqué pour assurer le suc­cès de sa comédie sacrilège, et se donner l'apparence d'avoir été convaincu par les raisons de son interlocuteur? il est impossible de le deviner. Après quelques instants de silence, il fixa les yeux sur Maxime, comme pour mieux attirer son attention sur ce qu'il allait dire; puis d'un ton grave et solennel il articula, en les accentuant une à une, les paroles suivantes : « Au nom de l'empereur notre maître, et sous la foi du serment, nous jurons que si vous com­muniquez avec nous le type sera révoqué. — Cela serait encore loin de suffire, dit Maxime. Que ferez-vous de l'ecthèse, confirmée en synode par les patriarches Sergius et Pyrrhus? — Vous savez bien, dit Théodose, que l'ecthèse a été rejetée et publiquement lacérée. — On l'a déchirée sur les murailles, répondit le saint, mais on l'a conservée dans les cœurs. Il n'est qu'un moyen de faire tomber le mur de séparation entre vous et nous, c'est de recevoir les pieuses définitions et les décrets du concile de Latran. Qu'on le fasse, et l'union est consommée. — Le concile de Latran n'a aucune autorité, interrompit l'évêque, puisqu'il s'est tenu sans l'autorisation impériale. — Eh quoi ! s'écria Maxime, est-ce donc la volonté de l'empereur qui règle les définitions de foi, et donne une valeur intrinsèque aux canons des conciles? Dans ce cas, il faut vous faire ariens, car les empereurs ont fait approuver l'aria-

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nisme en vingt synodes tenus sous leur pression immédiate, à Tyr, à Séleucie, à Sirmium, au latrocinium d'Éphèse. Mais non, évêque mon seigneur, vous savez vous-même et vous enseignez aux autres la loi canonique. Or, les canons prescrivent de célébrer chaque année deux synodes par province ecclésiastique pour le maintien de la foi et de la discipline ; jamais ils ne parlent ni d'un ordre à recevoir ni d'une autorisation à solliciter de l'empereur. » Théodose n'insista point ; « Vous dites vrai, je m'empresse de le reconnaître, ajouta-t-il. La rectitude dogmatique fait seule la va­leur des décisions synodales. » Ce mot était emprunté textuelle­ment aux conciles d'Antioche et de Chalcédoine. L'évêque, en le citant, faisait donc preuve d'une certaine érudition canonique. Il crut le moment favorable pour produire une série de textes em­pruntés, disait-il, aux pères les plus illustres, en faveur de la thèse monothèlite. «Le patriarche de Constantinople me les a remis lui-même avant mon départ. Ils sont du pape de Rome Jules, de Gré­goire le Thaumaturge, d'Athanase et de Jean Chrysostome. » La discussion de ces fameux textes mit au jour la déplorable habileté des Grecs en fait de falsifications littéraires. Le patriarche et son délégué avaient cru sans doute que, jeté aux confins de l'empire sur les frontières de la Thrace, enfermé dans le cachot d'une forteresse, n'ayant que fort peu de livres sous la main, le confesseur ne sau­rait rien répondre à un ensemble de témoignages dont il ne pourrait ni vérifier l'exactitude ni contrôler l'authenticité. Mais la mémoire du saint vieillard et son érudition valaient toutes les bibliothèques, et défiaient tous les faussaires de Byzance. Il prouva que les pré­tendues citations de saint Jules I, de Grégoire le Thaumaturge et d'Athanase, loin d'appartenir à ces grands hommes, étaient tirées des œuvres de l'hérétique Apollinaire. Deux témoignages prêtés à saint Jean Chrysostome furent restitués immédiatement par lui à Nestorius, avec indication précise du livre et de la page. L'évêque confondu sortit un instant de son rôle, et laissant déborder sa colère : «Effronté moine, s'écria-t-il, c'est Satan lui-même qui parle par ta bouche 1 ! »

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1 S. Maxim, Acia ; Pair, grœc, tom. XC, col. 138-147.

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   23. Ce coup de tonnerre, éclatant soudain au milieu d'une conférence jusque-là si paisible, n'était pas dans le programme. L'évêque se hâta d'en atténuer l'effet; il réussit même à le faire complè­tement oublier. Il se rejeta dans une longue controverse sur les deux opérations en Jésus-Christ, et à mesure que saint Maxime établissait dans toute sa netteté le dogme catholique, il affectait de paraître plus touché de ses raisons. II exposa successivement divers scrupules, et provoqua des explications dont il se mon­trait bientôt pleinement satisfait. « Nous aussi, soigneur, dit-il, nous confessons en Jésus-Christ deux opérations comme deux natures, l'une divine, l'autre humaine. L'âme humaine du Sauveur était douée de volonté propre ; la divinité avait la sienne. Toute­fois nous nous abstenons de dire deux opérations, deux volontés, dans la crainte d'indiquer un dualisme contradictoire, une lutte permanente en la personne du Verbe incarné. — Mais, répliqua Maxime, quand vous admettez en Jésus-Christ deux natures, est-ce que vous les supposez en lutte l'une contre l'autre? — Non sans doute, répondit l'évêque. —Pourquoi donc supposeriez-vous entre les deux volontés et opérations naturelles la lutte que vous ne reconnaissez nullement entre les deux natures?» L'évêque proposa une dernière difficulté. « Je ne saurais, dit-il, adopter un langage différent de celui des pères. Or, aucun n'a adopté ce terme de deux opérations, deux volontés en Jésus-Christ. » Saint Maxime prit alors les actes du concile de Latran qu'il avait emportés dans son exil, et montra les témoignages explicites des docteurs et des pères en faveur du dogme catholique. Le consul Théodose, intervenant pour la première fois, voulut lire lui-même à haute voix toute la série de ces témoignages. Quand la lecture fut terminée, l'évêque s'écria, comme si la vérité triomphait enfin de tous ses scrupules : « Dieu m'est témoin que j'eusse souscrit avec enthousiasme et depuis longtemps les actes de Latran, s'ils ne renfermaient des anathèmes nominatifs contre des personnes que je révère. Mais il faut en finir avec les considérations personnelles. Ce que les pères ont dit, je le dis avec eux. Qu'on apporte du parchemin; je vais souscrire ma profession de foi à deux natures, deux volontés, deux opérations

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en Jésus-Christ. Seulement communiquez avec nous, et l'union sera scellée. — Seigneur, répondit Maxime, je ne suis qu'un pauvre moine. Il ne m'appartient pas de recevoir la souscription d'un évêque en pareille matière. Si Dieu a incliné votre cœur au repen­tir, si vous consentez à recevoir l'enseignement des pères, c'est au pontife de Rome que, d'après les règles canoniques, l'empereur, le patriarche et le synode byzantin doivent adresser par écrit leur rétractation. Tant qu'on n'agira point ainsi, il m'est impos­sible d'entrer avec vous en communion, par la raison péremptoire que dans les saints mystères vous faites mémoire de personnages soumis à l'anathème. J'aurais dès lors tout lieu de craindre que l'excommunication qui les frappe ne m'atteignît personnellement comme complice. — Je respecte votre scrupule, dit l'évêque, et ne saurais aucunement blâmer ceux qui le partagent. Mais, au nom du Seigneur notre Dieu, donnez-nous votre avis sur la meilleure manière d'arriver à une pacification définitive. — Quel conseil puis-je vous donner? répondit Maxime. Il n'y a pas d'autre voie que celle que je viens d'indiquer. Obtenez de l'empereur et du patriarche qu'ils entrent tous deux dans l'esprit de mansuétude et d'humilité dont Jésus-Christ nous a donné l'exemple. Que l'em­pereur adresse un rescrit et le patriarche une lettre synodique au pontife romain, pour faire profession de la foi catholique, et la paix des églises sera assurée. — Oui, nous allons agir ainsi, affirma l'évêque. Promettez-moi que, si l'on fait choix de ma personne pour m'envoyer au pape, vous viendrez avec moi. — Seigneur, répon­dit Maxime, il vaudrait mieux vous faire accompagner par le prêtre Anastase, actuellement exilé, à Sélimbrie. Il est romain ; depuis vingt ans il a lutté et souffert pour la foi qu'on professe à Rome ; son courage et ses malheurs lui ont valu l'affection et l'estime de ses compatriotes. — L'évêque repoussa cette idée. En plusieurs circonstances, dit-il, j'ai eu des discussions avec le prêtre Anas­tase. Il me serait peu agréable de l'avoir pour compagnon de voyage. — Qu'à cela ne tienne, répondit Maxime. Exécutez fidèle­ment les conventions, et je vous suivrai partout où vous voudrez. — Tous alors se levèrent, pleurant de joie et se félicitant d'avoir

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posé les premières bases de la réconciliation. Puis s’agenouillant ils prièrent ensemble. Chacun d'eux fit serment de fidélité, tou­chant d'abord de la main et baisant ensuite les saints évangiles, la croix et une image de Notre-Dame Mère de Dieu. Au départ, l'évêque remit à saint Maxime un subside en argent, un manteau et une tunique. Le consul Théodose lui dit : Avec l'aide de Dieu, je rendrai un compte fidèle à l'empereur de toutes nos conven­tions, et j'espère les lui faire agréer. — Ils embrassèrent le con­fesseur et reprirent le chemin de Byzance1. »


   26. Le bienheureux prisonnier, rentré dans la solitude de son cachot, dut se demander plus d'une fois si tout cela était sincère. Dès le 8 septembre suivant, il revit l'un des trois délégués, le consul Paul, chargé par l'empereur « de ramener l'abbé Maxime avec tous les honneurs et les égards dus à sa glorieuse vieillesse, et de le conduire au vénérable monastère de saint Théodore à Rhegium, près de Constantinople. » C'étaient les expressions mêmes du rescrit dont le consul donna lecture au captif. Le voyage s'accomplit en quatre jours. Le 12 septembre 656, Maxime arriva au monastère de Saint-Théodore et y reçut le plus honorable accueil. Dès le lendemain l'évêque Théodose, les deux patrices Epiphane et Troïlus, suivis d'un nombreux et brillant cortège, vinrent conférer avec lui. Ils prirent place dans le catechumenium de l'église abbatiale, et faisant asseoir le confesseur au milieu d'eux, Troïlus lui dit : « Notre maître l'empereur nous a chargés de vous communiquer les résolutions inspirées par Dieu même à sa haute sagesse. Êtes-vous prêt à exécuter ses ordres ? — Faites-les moi d'abord con­naître, demanda Maxime. — Non, non, reprit Troïlus. Nous ne vous dirons rien avant que vous n'ayez vous-même répondu à cette question : Obéirez-vous oui ou non aux ordres de l'empereur? — Et comme le saint refusait, malgré l'insistance du patrice, à se prononcer sans connaissance de cause, les officiers civils et mili­taires de l'escorte s'associèrent par leurs murmures à l'impatience de Troïlus. Maxime alors s'écria : Puisque vous refusez à votre

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1 S. Maxim. Acta; Pair, grac, tom. XCVI, col. 147-159.

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serviteur de lui communiquer les ordres de l'empereur votre maître, en présence de Dieu qui m'entend, en présence des saints anges et devant vous tous qui en serez témoins, je jure d'obéir à l'empereur et d'exécuter fidèlement ses prescriptions en tout ce qui concerne les choses de l'ordre temporel. —A ces mots Troïlus se leva furieux, et sortit en criant : Je quitte la place ; il n'y a rien à faire avec cet homme ! — Un tumulte effroyable suivit cet inci­dent. Les interpellations se croisaient en tous sens dans l'assemblée. Enfin l'évêque Théodose réussit à se faire écouter. Communiquez d'abord à Maxime les ordres de l'empereur, dit-il, et recevez la réponse qu'il voudra y faire. Rompre la conférence, sans avoir échangé de part ni d'autre une seule parole, me semble peu séant et peu raisonnable. — Cet avis prévalut et le patrice Epiphane, s'adressant au confesseur, lui dit : Voici textuellement ce que l'empereur te fait mander par notre intermédiaire : Tout l'Occi­dent rebelle, et ceux des orientaux qui se sont laissés pervertir par cette révolte contagieuse, ont les yeux fixés sur toi. Ta résistance entretient seule les factieux dans leur obstination. Laisse-toi toucher enfin par la grâce divine. Si tu consens à reconnaître le type que nous avons promulgué, si tu veux communiquer avec nous, j'irai en personne te recevoir à Chalcis, nous échangerons le baiser de paix, je mettrai ma main dans la tienne, je t'introduirai en grande pompe dans la basilique des Saints-Apôtres et te ferai asseoir à côté de mon trône. Ensemble nous recevrons la communion, nous parti­ciperons au mystère du corps et du sang vivifiants du Christ. Nous te proclamerons notre père, et la joie sera immense non-seulement dans notre impériale et religieuse cité mais dans tout l'univers. Partout en effet on n'attend que ton exemple pour communiquer avec ce siège patriarcal. — Après cette déclaration officielle, l'homme de Dieu se tourna vers l'évêque Théodose, et les yeux bai­gnés de larmes lui dit : Est-ce là ce que vous aviez juré sur les saints évangiles, sur la croix de Jésus-Christ notre Sauveur, sur l'image de la très-sainte Vierge sa mère? — L'évêque baissa la tête et ré­pondit en soupirant : Que puis-je faire contre la volonté impériale qui en a décidé autrement? — Mais alors, reprit Maxime, comment

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vous, et les deux patrices, juriez-vous sous la garantie d'un serment sacré des conventions qu'il n'était pas en votre pouvoir d'accomplir? Toutes les vertus des cieux ne m'auraient pas contraint à trahir ainsi ma conscience et ma foi. — A ces mots, les assistants se ruèrent sur le saint vieillard, lui arrachant la barbe, déchirant son visage de leurs ongles, le couvrant de crachats, le frappant à coups de pieds et de poings. — L'évêque s'interposa : Ce procédé n'est pas cano­nique, disait-il à ces furieux. Vous avez entendu sa réponse ; il ne vous reste plus qu'à la transmettre au très-pieux empereur. — A grand'peine il réussit à faire cesser cette scène de barbarie. Mais les injures, les outrages, les blasphèmes contre l'homme de Dieu continuèrent longtemps encore. Enfin un calme relatif succéda à cette explosion de rage, où chacun des courtisans tenait à faire remarquer son zèle pour la théologie impériale. Le patrice Epiphane se distingua entre tous par sa violence. Dis-nous donc, infâme scélérat, chien dévorant, s'écria-t-il, dis-nous que tu nous regardes tous comme des hérétiques, nous, ainsi que les habitants de cette capitale et notre auguste empereur ! Nous sommes pourtant plus chrétiens et plus orthodoxes que toi. Nous crois-tu assez ignorants pour ne pas reconnaître que Jésus-Christ, comme Dieu, avait une opération et une volonté divine, et comme homme, une opération et une volonté humaine ? Est-ce que nous nions une chose aussi claire ? — Puisque telle est votre croyance, pourquoi, demanda le confesseur, voulez-vous m'obliger à souscrire le type qui la sup­prime? — En ce moment Troïlus venait de rentrer dans la salle. Il y a un an, dit-il, dans le palais du sénat, je t'ai formellement déclaré que le type ne supprimait rien, qu'il demandait seulement le silence. — Il est écrit dans l'Évangile, dit Maxime : « Quiconque aura confessé ma foi devant les hommes, je proclamerai son nom devant mon père qui est aux cieux 1. » Taire la parole c'est la supprimer. Le mystère divin de l'Incarnation qui a sauvé le monde doit être prêché à haute voix dans tout l'univers, nul ne peut fermer la bouche aux apôtres, aux prophètes, aux docteurs de la vérité. —

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1. Matth., x, 32.

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Le patrice Epiphane, interrompant le confesseur, lui cria : As-tu souscrit le libelle du Latran? — Oui, dit Maxime, je l'ai souscrit. — Ainsi, reprit le patrice, tu as osé lancer l'anathême contre des chrétiens qui professent la foi de l'Église catholique. En vérité, si l'on m'en croyait, tu serais attaché au pilori par la main du bour­reau, et l'on rassemblerait toute la populace de la ville pour te souffleter et te cracher au visage ! — La séance se termina ainsi. Allons rendre compte à l'empereur de notre mission, dirent les patrices. Ce moine est un suppôt de Satan 1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon