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69. Deux jours après le départ des légats, le comte Manégold de Véringen député du duc Rodolphe et des autres princes allemands arrivait à Canosse. « Issu de la famille ducale de Souabe, dit le chroniqueur, Manégold était arrière-petit-neveu de saint Udalric d'Augsbourg et frère du savant Hermann Contract. La vertu héréditaire dans sa noble race, la foi vive, la pureté des mœurs, la fidélité à Dieu et au devoir faisaient de ce vaillant chevalier l'objet de la vénération publique. Il aimait tendrement le bienheureux pape Grégoire et ne perdait jamais une occasion de le venir visiter. Durant un précédent voyage entrepris dans ce but, étant tombé malade à Rome, le mal fit des progrès si rapides que ses compagnons désespéraient de ses jours. L'un d'eux vint tout consterné apprendre cette nouvelle au seigneur pape, qui se rendit aussitôt près de Manégold. Le pontife bénit une coupe dans
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1 Greg. VII. Epist, xxxjii, extr. Reg., col. 680. Cette lettre est sans date; mais comme elle fut remise aux légats dont le départ de Canosse eut lieu, d'après Paul de Bernried, deux jours avant l'arrivée du comte Manégold de Véringen, lequel d'après le même auteur se trouva à la forteresse pour l'ouverture du carême qui tombait cette année aux calendes de mars (1er mars), nous pouvons fixer vers le 25 février 1077 l'époque où elle fut écrite.
2. Paul. Bernried., VU. S. Greg. VU, Pair. Lat, tom, CXLVIII, col. 81.
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laquelle se trouvait un peu de pain détrempé dans de l'eau rougie et la présenta au malade. A peine celui-ci y eut-il porté les lèvres qu'il se trouva subitement guéri, et se levant à l'heure même ne ressentit plus aucune atteinte de son infirmité. Ce prodige avait redoublé le dévouement du comte pour l'auguste vicaire de Jésus-Christ. A son retour en Allemagne, il fit promulguer dans tous ses domaines et mettre à exécution les décrets apostoliques contre les clérogames. Un de ces malheureux, touché de repentir et cédant aux exhortations du comte, renvoya la femme qu'il avait jusque-là, retenue sous son toit, fit pénitence et vécut dans le célibat. Ainsi répudiée, la concubine se vengea par un horrible forfait. Elle offrit un jour à la comtesse une corbeille de fruits d'apparence délicieuse. Ce présent fut agréé, mais les fruits étaient empoisonnés et la comtesse qui en mangea mourut quelques heures après. Devenu veuf, Manégold qui était encore à la fleur de l'âge ne consentit jamais à se remarier. « Au jour du jugement, disait-il, je n'oserais pas me présenter entre deux femmes au tribunal de Jésus-Christ. » Il se voua dès lors sous la direction du seigneur pape à la pratique des plus austères vertus, et obtint lui-même le don des miracles. On en cite plusieurs opérés par son intercession 1. »
70. Tel était le noble intermédiaire chargé par les princes allemands de se concerter avec Grégoire VII, d'inviter le roi Henri à la diète de Forcheim, et d'obtenir de lui la liberté soit pour le souverain pontife soit pour l'impératrice Agnès de se rendre en Allemagne. « Dans son entretien avec le pape, reprend le chroniqueur, Manégold lui apprit que les princes étaient en majeure partie déterminés à élire un nouveau roi. A cette nouvelle, le pontife manda immédiatement le cardinal Grégoire diacre de l'église romaine, et lui ordonna de se tenir prêt à partir pour la Germanie afin d'enjoindre aux légats et aux princes du royaume au nom de l'autorité apostolique de surseoir à toute élection et d'attendre que le pape en personne fût au milieu d'eux. Toutefois cette mission
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1 Paul. Bernried., col. 83.
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fut subordonnée à la réponse que le comte et le diacre cardinal recevraient du roi Henri près duquel ils devaient se rendre tous deux. Si le roi qui se trouvait alors à Pavie consentait à garantir au seigneur pape la liberté du passage en Allemagne pour y présider la diète, le cardinal devait poursuivre sa route et le comte Manégold revenir à Canosse avec le sauf-conduit royal. Au contraire si Henri refusait, le comte retournerait directement en Germanie et le diacre cardinal reviendrait à Canosse. « Nous ne voudrions point en ce cas, dit Grégoire VII, imposer aux princes allemands un délai inutile et les empêcher de pourvoir aux besoins pressants du royaume. » Puis il ajouta: « Quand j'ai exigé de Henri la promesse écrite de garantir ma sécurité pour un futur voyage en Allemagne 1, je prévoyais qu'à un moment donné cet acte pourrait servir comme d'un présage d'avenir. Si le roi tient sa promesse, il pourra encore être rétabli sur le trône de Germanie; sinon ce sera comme une sorte de jugement de Dieu marquant sa déchéance définitive. » Comme il prononçait ces paroles, continue le chroniqueur, les trois premiers doigts de sa main droite, ceux qui servent à la bénédiction pontificale, apparurent tout à coup ensanglantés. Croyant que cela pouvait provenir d'un saignement de nez, il essuya ces taches; mais ce fut en vain et elles demeurèrent assez longtemps visibles. Or il y avait là, outre le cardinal diacre et le comte Manégold, un vénérable prêtre nommé Erchimbert et plusieurs autres nobles personnages réunis à Canosse pour la cérémonie des cendres qui avait eu lieu ce jour-là même (1er mars 1077). Témoins du prodige, ils l'interprétèrent dans le sens des luttes sanglantes que l'obstination de Henri allait produire; et le pape lui-même ne put s'empêcher d'être de cet avis. Ce fut sous l'impression de ce fait extraordinaire que Manégold et le cardinal diacre Grégoire quittèrent Canosse le soir même, pour se rendre près du roi à Pavie 2. »
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1. Cf. n° 57 de ce présent chapitre.
2. Paul. Bernried, loc. cit., col. 81. L'hagiographe ne donne point le nom de la ville où se trouvait alors Henri ; il se borne à dire en général que le roi
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71. Ils ne se faisaient pas d'illusion sur l'accueil qui les attendait. « Le pape lui-même, dit Lambert d'Hersfeld, savait par le bruit public que le roi affichait maintenant une haine implacable contre lui, qu'il avait violé toutes les conditions du pacte juré lors de l'absolution solennelle et qu'il était résolu à s'affranchir les armes à la main du joug des lois ecclésiastiques. Le miséricordieux pontife n'hésitait cependant point à lui ouvrir cette dernière porte de salut. Les deux envoyés dirent à Henri que les princes du royaume teutonique devaient se réunir à Forcheim pour le III des ides de mars (13 mars 1077), afin de régler définitivement avec l'aide de Dieu la grande question, qui tenait en suspens toute la république chrétienne. On l'invitait donc à s'y rendre comme il l'avait promis, afin de répondre aux accusations dont il se disait d'ailleurs innocent et de fournir ses moyens de justification devant toute l'assemblée présidée par le pape, juge en dernier ressort. Devant Dieu et devant les hommes ce lui serait une action aussi utile que glorieuse s'il mettait fin aux scandales de l'Eglise, à la guerre civile qui ensanglantait les provinces, tout en se justifiant lui-même devant l'opinion des griefs qui à tort ou à raison lui étaient reprochés. L'urgence était d'autant plus grande que, passé ce terme où la cause devait être solennellement discutée, s'il n'avait point prouvé son innocence, il perdrait le droit de régner sans espoir de le recouvrer jamais. Cette communication des légats bouleversa le jeune roi. Malgré tous ses efforts pour dissimuler son émotion, elle se laissait lire sur son visage. Après s'être un peu remis de son trouble, il répondit que : « Venu pour la première fois en Italie, il se trouvait surchargé d'affaires importantes qu'il lui était impossible de laisser en suspens par un brusque
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était encore en Lombardie : Rex qui adhuc in Longobardia morabatur. Mais Arnulf dans les Gesta episcoporum Mediolanensium nous apprend que Henri avait fixé son séjour à Pavie : Degebat enim Papiae, congregans omnes quos habere poterat Langobardos, et ne quitta cette ville que pour se rendre à Vérone, Veronam proficiscitur, où d'après le récit de Berthold reproduit précédemment il arriva pour le dimanche des Rameaux. (Arnulf., Pair. Lat., tom. CXLVII, col. 332.)
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départ. En quittant la Lombardie il offenserait grièvement les Italiens qui avaient depuis si longtemps et si impatiemment attendu son arrivée parmi eux. D'ailleurs le terme fixé pour la diète de Foreheim était trop rapproché. Aucun cheval si rapide fût-il ne pourrait à un si bref délai lui faire franchir l'énorme distance qui le séparait de cette villa germanique, sans même tenir compte des obstacles de la saison rigoureuse et des montagnes à traverser 1.» Cette première réponse de Henri, bien qu'elle eût énormément coûté à son orgueil, était une assez misérable défaite. Le comte Manégold de Véringen devait trouver tout le temps nécessaire pour se rendre de Pavie à Forcheim dans le délai fixé et arriver - avant l'ouverture de la diète. Le cardinal diacre Grégoire était l'un des témoins de la pénitence de Canosse ; il avait vu Henri pieds nus dans la neige, couvert du sac de laine, implorer à genoux la faveur de l'absolution sans regretter pour les prétendues affaires à traiter en Italie le temps passé dans la forteresse. Il était l'un des signataires qui avaient apposé leur souscription à l'engagement pris par le roi de se présenter à la première réquisition devant la diète nationale, et de fournir au pape toute sécurité pour se rendre en Allemagne. Il avait donc autorité pour sommer Henri de tenir ses promesses, et il lui demanda en dernier lieu de délivrer le sauf-conduit réclamé par le souverain pontife. « Mais, dit Paul de Bernried, il n'obtint qu'un refus exprimé en termes pleins de mépris1. » La conférence finit là. Henri venait de prononcer lui-même sa sentence ; « désormais, suivant l'expression d'un chroniqueur, 3 il devait non plus régner mais combattre jusqu'à la mort pour la possession d'un trône qui dès ce moment lui fut toujours disputé. » Le cardinal diacre retourna à Canosse où le pape vit se resserrer davantage autour de lui le cercle de fer dont l'entourait la haine du roi et des schismatiques lombards. Le comte Manégold franchit en toute hâte la distance qui le séparait de Forcheim. Il
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1. Lambert. Hersfeld., loc. cit., col. 1Î46.2. Paul Bernried., loc. cit., col. 81. 3. Arnulf. Gest. Mediolan. Pair. Lat., tom. CXLVII, col. 333.
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y arriva un jour seulement après les légats apostoliqnes, et put assister à l'ouverture de la diète qui eut lieu à l'époque fixée 1(13 mars 1077).
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1. La chronique de Lambert d'Hersfeld se termine ici par ces paroles d'une touchante humilité: Nos more ineriis poète, extremo jam in opère langues-centes, ingentisq ae materia) mole supcrati, protracto volumini hic tandem finem imponimus, ut si cui forte post nos ad dtscribendam religuam purtem hujus hisloris manum mittere libuerit, ab electione Ruodolfi régis congruum scribendi exordium faciat. (Lambert Hersfeld. Annal. Pair. Lai, tom. CXLVI, col. 1248.)
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CHAPITRE III
SOMMAIRE
PONTIFICAT DE SAINT GRÉGOIRE VÎI (Quatrième période 1077-1080.)
§ I. DIÈTE DE F0RCHEIM.
1. Première séance sous la présidence des légats apostoliques. Accusations contre Henri IV. — 2. Seconde séance. Résolution unanime d'élire un autre roi. — 3. Troisième séance sous la présidence de l'archevêque Sigefrid. Rodolphe de Souabe élu roi de Germanie. — 4. Conditions imposées au roi élu. Le trône électif.
§ II. RODOLPHE DE SOUABE ROI DE GERMANIE.
5. Sacre de Rodolphe à Mayence par l'archevêque Sigefrid. — 6. Émeute à Mayence le jour du sacre. — 7. Incarcération du légat apostolique Bernard de Marseille par ordre de Henri IV. Rodolphe et l'évêque simoniaque Imbrico d'Augsbourg. — 8. Un incident liturgique à Augsbourg le jour de Pâques. — 9. Rodolphe et l'évêque simoniaque Othon de Constance. Sédition au monastère de Saint-Gall. Les simoniaques et les clérogames.
§ III. RETOUR DE HENRI IV EN GERMANIE.
10. Cruautés de Henri IV en Souabe. Rodolphe réfugié en Saxe.— 11. Inactivité prétendue de Grégoire VII. Témoignage contemporain. — 12. Lettre de Grégoire VII à ses légats en Allemagne. Encyclique à tous les fidèles de Germanie. — 13. Supplices infligés par Henri IV aux porteurs des lettres apostoliques. — 14. Diète tenue à Ulm par Henri IV. Un patriarche faussaire. Mort foudroyante de Sigéard. — 15. Sacrilège et mort de l'évêque Imbrico d'Augsbourg. — 16. Cruautés et ravages de Henri IV en Bavière.
§ IV. LES DEUX ROIS EN PRESENCE.
17. Siège de Wurtzbourg par Rodolphe. Panique de Henri. — 18. Rodolphe et Henri sur les bords du Necker. Trêve. — 19. Violation de la trêve par Henri IV. Nouvel appel au pape.
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p233 SOMMAIRE.
V. RETOUR DE GRÉGOIRE VII A ROME.
20. Emeute à Rome. Martyre du préfet Cencius. — 21. Itinéraire de Canosse à Rome. — 22. Rentrée triomphale. La donation de la comtesse Mathilde. — 23. Texte authentique de la donation. —24. Les objections anciennes et les découvertes modernes. —25. Lettre de Grégoire VII à l'archevêque de Trêves Udo. — 26. Réponse du pape aux députés de Rodolphe. Nouvelle excommunication de Henri IV à la diète de Goslar. —27. Mort de l'impératrice Agnès.
§ VI. PREMIER CONCILE ROMAIN DE l'an 1078.
28. Les ambassadeurs de Henri IV et de Rodolphe au concile. — 29. Lettre de convocation à Wibert de Ravenne et aux évêques schismatiques d'Italie. — 30. Situation religieuse de la France. — 31. Situation religieuse de l'Angleterre et de l'Ecosse. — 32. Russie, Pologne, Danemark, Servie et Dalmatie. — 33. Espagne et Italie méridionale. — 34. Ouverture du concile. Requête des ambassadeurs de Henri IV. Réponse du pape. — 35. Les anathématismes synodaux. — 36. Critique gallicane. Injures du pamphlétaire Benno. — 37. Décision synodale relative aux affaires d'Allemagne. — 38. Dernière session et clôture du concile. — 39. Notification en Allemagne des actes du concile.
§ VII. CORRESPONDANCE PONTIFICALE.
40. Nouvelle perfidie de Henri IV. — 41. Plaintes des Saxons au pape. — 42. Réponse de Grégoire VII. — 43. Lettre de Grégoire à saint Hugues de Cluny. Le moine Odo cardinal évêque d'Ostie.— 44. Lettre de Grégoire VII à la reine Adélaïde.
§ VIII. ÉVÉNEMENTS MILITAIRES DE L’AN 1078.
45. Voyage de Grégoire VII en Apulie. Signature d'une trêve avec Robert Guiscard. — 46. Victoire de Rodolphe à Melrichstadt. — 47. Impostures de Henri IV. Diète de Regensbourg. — 48. Dévastation de la Souabe par Henri IV. — 49. Nouvelles plaintes des Saxons à Grégoire VII
§ IX. SECOND CONCILE ROMAIN DE L’AN 1078.
50. Lettre de convocation aux évêques des Gaules. — 51. Une révolution à Constantinople. Excommunication de Nicéphore Botoniate. — 52. Henri IV cité à comparaître en personne au prochain concile. — 53. Divers décrets du concile. — 54. L'hérésiarque Bérenger. Renvoi de sa cause au prochain concile.
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p234 PONTIFICAT DE GREGOIRE VII (1073-1085).
§ X. NOUVEAUX ATTENTATS DE HENRI IV.
85 Intrusion simoniaque d'Egilbert à l'archevêché de Trêves. — 56. Intrusion de Sigwin à Cologne. Piège tendu aux Saxons. — 57. Déception des Saxons à la diète de Fritzlar. Leur vengeance. — 58. Nouvelles récriminations des Saxons contre le pape.
§ XI. CONCILE ROMAIN DE l'an 1079.
59. Ouverture du concile à la basilique de Latran.—60. Rétractation de Bérenger. — 61. Rechute de Bérenger. Sa conversion définitive. — 62. Bérenger jugé par ses contemporains. — 63. Réquisitoire des Saxons contre Henri IV. —64. Réprobation unanime des pères contre la tyrannie de Henri IV. —
65. Indiction d'une assemblée définitive pour le 1er mai suivant. — 66. Serment prêté au pape par le patriarche d'Aquilée.
§ XII. NÉGOCIATIONS ET FAITS MILITAIRES.
67. Saint Pierre Igné, Udalric de Padoue et le patriarche d'Aquilée légats apostoliques en Germanie. — 68. Retard des légats. Violation de la trêve par Henri IV. — 69. Mort d'Adélaïde épouse du roi Rodolphe. — 70. Arrivée des légats à Ratisbonne. Diète et guet-apens de Fritzlar. — 71. Diète dérisoire de Wurtzbourg. — 72. Les deux armées en présence. Trêve proclamée par les légats. — 73. Retour des légats à Rome. Trahison d'Udalric de Padoue. — 74. Promotion d'évêques simoniaques par le roi Henri. — 75. Bataille de Flatcheim. Victoire de Rodolphe. — 76. Les députés de Henri au concile romain. Mort tragique d'Udalric de Padoue.
§ XIII. CONCILE ROMAIN DE L'AN 1080.
77. Encyclique de Grégoire VII pour l'indiction du coneik. — 78. Arrogante sommation des envoyés de Henri. — 79. Requête des ambassadeurs de Rodolphe. — 80. Discussion synodale. La reine Praxède seconde femme de Henri. Un nouveau crime. — 81. Sentence d'excommunication et de déposition contre Henri. — 82. Un aveu de M. Villemain. — 83. Couronne d'or envoyée par Grégoire VII au roi Rodolphe. — 84. Clôture du concile.
§ I. Diète de Forchcehim.
1. «L'assemblée se composait en majorité de Saxons et de Souabes, dit Bruno de Magdebourg ; cependant elle comptait des représentants des autres provinces allemandes, munis d'un mandat de
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délégation1. » Les principaux évêques dont les noms nous aient été conservés étaient Sigefrid de Mayence primat de Germanie, Adalbero de Wurtzbourg et Hérimann de Metz; à la tête des princes se trouvaient les ducs Rodolphe de Souabe, Welf de Bavière et Berthold de Carinthie 2. La séance eut lieu le lundi 13 mars 1077 dans l'une des salles du palais occupé par les légats apostoliques. «Ceux-ci, dit Berthold3, donnèrent d'abord lecture de deux lettres apostoliques, l'une et l'autre adressées « à tous les archevêques, évêques, ducs, comtes et autres princes du royaume teutonique. » La première datée du 28 janvier précédent contenait le récit authentique de l'entrevue de Canosse et des conditions souscrites par le royal pénitent. Si les communications n'eussent point été rigoureusement interceptées par les partisans de Henri, cette lettre aurait dû être depuis longtemps parvenue à sa destination. Mais les Allemands en connurent seulement alors et pour la première fois le texte officiel ainsi conçu : « Comme dans la lutte de la milice chrétienne engagée pour la défense de la justice vous avez fait cause commune avec nous et partagé nos périls, c'est pour nous un devoir d'informer votre dilection dans un sentiment de charité sincère de la façon dont le roi, après s'être soumis aux humiliations de la pénitence, a obtenu la grâce de l'absolution. Ainsi qu'il avait été convenu avec vos ambassadeurs, nous nous étions rendu en Lombardie environ vingt jours avant le terme fixé pour l'arrivée de votre escorte à Klausen dans les défilés des Alpes. Nous l'attendîmes en vain pour entreprendre la traversée des montagnes. A l'approche du délai de rigueur on vint nous apprendre que des difficultés de force majeure, dont nous ne tardâmes guère à connaître la nature4, vous avaient empêchés de
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1. Brun. Magdeb. Bell. Sax. Patr. Lat, tom. CXLVII, col. 552.
2. Lambert. Hersfeld. Annal. Patr. Lat., tom CXLV1, col. 1245.
3. Berthold. Constant. Patr. Lat., tom. CXLVII, col. S84.
4. L'évasion de Spire et l'arrivée de Henri en Italie avaient rendu courage à ses partisans, qui avaient aussitôt occupé tous les passages de l'un et de l'autre côté des Alpes. Telles étaient les difficultés de force majeure auxquelles Grégoire VII fait allusion.
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réunir l'escorte promise. Dès lors il ne nous restait, cerné que nous étions de toutes parts, aucun moyen d'arriver jusqu'à vous. Sur ces entrefaites nous apprîmes l'arrivée du roi en Italie. Déjà il nous avait fait supplier par ses ambassadeurs 1 de lui accorder une audience, offrant de donner toute satisfaction à Dieu, à saint Pierre et à nous, promettant d'accomplir en toute obéissance la réforme de sa vie, pourvu qu'à ce prix il obtînt la faveur de l'absolution et de la bénédiction apostolique. Ses instances redoublèrent alors, mais nous lui opposions toujours le même refus, en lui rappelant par tous les messages échangés en cette circonstance la gravité des excès dont il s'était rendu coupable. Enfin il se présenta lui-même à l'improviste, suivi de quelques-uns de ses fidèles, à la porte du château-fort de Canosse. Durant trois jours, sans chaussure aux pieds, vêtu d'habits de laine, il ne cessa d'implorer avec des torrents de larmes le secours et la consolation de la miséricorde apostolique. Les témoins de sa pénitence et tous ceux qui en entendaient le récit se montraient émus de compassion, ils intervenaient près de nous en pleurant eux-mêmes et en demandant sa grâce. Etonnés de nous trouver une rigueur et une inflexibilité qui ne sont ni dans notre caractère ni dans nos habitudes, quelques-uns nous crièrent en face : « Ce n'est plus la fermeté d'un apôtre, mais la cruauté d'un tyran ! » Cédant enfin aux démonstrations de son repentir et aux instantes prières de tous ceux qui nous entouraient, nous l'avons absous du lien d'anathème, reçu à la grâce de la communion au sein de notre mère la sainte Eglise, après avoir reçu de lui les engagements dont nous vous transmettons la teneur2,
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1. Cf. chapitre précédent, n°* 43 et 45.
2. Ces engagements, securitatibus quae inferius scriptœ sunt, sur lesquels le pape revient un peu plus loin, sicut in descriptis securitatibus cognoscere potestis, et qui portaient les signatures de saint Hugues de Cluny, des princesses Mathilde et Adélaïde, des évêques et des seigneurs italiens ou allemands, témoins et garants de l'entrevue de Canosse, ne sont point venus jusqu'à nous. Il ne nous reste, comme on l'a vu plus haut, que la promesse de sauf-conduit datée du 28 janvier, jour même où le pape adressait en Allemagne la lettre que nous reproduisions.
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et dont la caution nous a été fournie solennellement par l'abbé de Cluny, par nos filles les comtesses Mathilde et Adélaïde, ainsi que par les divers princes, évêques et seigneurs laïques requis par nous à cet effet. Maintenant nous nous promettons, aussitôt que la possibilité nous en sera offerte, de passer dans vos contrées, comme nous n'avons cessé de le vouloir, afin de régler définitivement toutes choses pour la paix de l'Eglise et la concorde du royaume. Car ainsi que votre dilection en trouvera la preuve irréfragable dans les engagements souscrits au nom de Henri, tout ce qui concerne la cause royale a été absolument réservé et ne pourra être défini qu'après notre arrivée en Allemagne et à l'unanimité de vos délibérations 1. » La seconde lettre pontificale dont les légats donnèrent lecture à la diète était celle que le pape leur avait remise à eux-mêmes quinze jours auparavant, et dont nous avons déjà reproduit le texte 2. Elle réservait également au jugement du pape la solution définitive de la cause royale. Les instructions des légats portaient la même réserve ; enfin le comte Manégold de Vérin-gen plus récemment arrivé de Canosse put confirmer par son propre témoignage la persistance des résolutions de Grégoire VIL «En conséquence, dit Paul de Bernried, les légats parlant au nom du souverain pontife demandèrent qu'on attendît l'arrivée de Grégoire VII et qu'il fût sursis à l'élection d'un nouveau roi, si cela se pouvait faire sans péril. Après cette déclaration les archevêques, évêques, ducs, margraves, comtes grands et petits 3 se levant tour à tour et rendant aux envoyés apostoliques l'hommage qui leur était dû, rappelèrent toutes les cruautés, toutes les injustices dont ils avaient jusque-là été victimes de la part du roi Henri, et dont un plus long délai ne manquerait pas de provoquer la recrudescence. Ce prince parjure les avait tant de fois trahis en leur donnant le baiser de paix, qu'il leur était impossible
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1. S. Greg. VII. Epist. xn, lib. IV, col. 465
2. Cf. chapitre précédent, n<" 66 et 68.
3.Comités majores et minores, « du premier et du second ordre. » On distinguait ainsi les comtes dont les fiefs relevaient directement de la couronne de ceux dont les domaines relevaient médiatement des grands feudataires.
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d'ajouter la moindre foi à ses promesses, même les plus solennelles. Si lors de sa déposition à Tribur ils n'avaient pas plus rigoureusement procédé contre lui, ce n'était pas dans l'espérance de le voir se convertir, chose qu'ils regardaient comme impossible, mais uniquement pour ne donner aucun prétexte de calomnier leur conduite, et prévenir les récriminations que dans sa perfidie il n'eût pas manqué d'exploiter contre eux en disant qu'on lui avait refusé un délai nécessaire à prouver la sincérité de sa conversion. Le jour entier s'écoula à entendre les discours de chacun des orateurs; la moitié d'entre eux n'avait pu encore prendre la parole, quand cette première séance fut levée1. »