Darras tome 6 p. 394
87. Vers l'an 560, Fortunat, évêque de Poitiers et contemporain de saint Grégoire de Tours, s'exprimait ainsi, dans une hymne que toutes les Églises de France ont chantée, durant plusieurs siècles : « Que le peuple chrétien unisse ses voix et son cœur pour chanter Denys le martyr, le soldat courageux et fidèle qui suivit l'étendard du roi des cieux. Envoyé de Rome par le pontife Clément, il aborda sur nos rivages, pour que la Gaule eût part aux fruits de la semence du Verbe divin1.» Le nom du pontife Clément s'associe donc à la mission de saint Denys à Paris, et toutes nos traditions en ont gardé le souvenir national. Vers l'an 615, le fils de Clotaire II, qui devait monter sur le trône en 628, sous le nom de Dagobert Ier, fut conduit au village de Catulla, par un incident qui frappa vivement l'imagination des chroniqueurs, parce qu'il donna plus tard naissance à la fameuse abbaye de Saint-Denys.— Un cerf, lancé par la meute ardente, échappait à la poursuite des chasseurs; il vint, après une course de plusieurs lieues, se
----------------------------
1 On nous permettra de reproduire dans son entier cette hymne qui fut chantée à Paris pendant les trois ou quatre siècles qui suivirent Fortunat, et qui est aujourd'hui si complètement oubliée.
I. Fortem fidelem militem,
Cœli secutum principem,
Dionysium martyrem,
Plebs corde voce personet.
II. Clémente, Roma prœsule,
Ab Urbe missus adfuit;
Verbi superoi numinis,
Ut fructus esset Galliae.
III. Opus sacratum construit,
Fidem docet baptismatis,
Sed audientum cfecitas
Munus repellit luminis.
IV. Instante sacro antistite,
Errore plebem solvere
Dum spem salutis ingerit,
Tormenta inortis incidit.
V. Tenetnr a gentilibus,
Christi placens altaribus ;
Amore tantœ gloriae,
Pœnas libenter excipit.
VI. Unum quod illi defuit,
Pro rege colla tradidit :
Dilectionem pectoris
Cervice cœsa prodidit.
VII. Magnus sacerdos qui dabat
Templi sacrata munera,
Fuso beato sanguine,
Est factus ipse victima.
VIII. Fclix pio de vulnere,
Quo pœna palmam praebuit,
Qui morte mortem conterit,
Nunc régna cœli possidet.
IX. Gloria sit Deo Patri,
Gloria Unigenito,
Una cum sancto Spiritu,
In sempiterna sœeula.
Amen.
(Patrcl. M., loin. LXXXVIH,
col. 98.)
==============================
p395 CHAP. VI. — MISSION DE SAINT DENYS DE PARIS VAR SAINT CLÉMENT.
réfugier près de la chapelle élevée, par sainte Geneviève, sur le tombeau de saint Denys. Quoique les rois précédents y eussent ajouté quelques constructions, à cause des nombreux miracles qui s'y opéraient par l'intercession des saints martyrs, cependant ces édifices étaient loin de répondre à la sainteté du lieu... En effet, dans ce village, au temps de Domitien, qui, le second depuis Néron, souleva une persécution contre les chrétiens, le bienheureux évêque de Paris, Denys, et avec lui Rustique et Éleuthère, l'un prêtre et l'autre diacre, furent mis à mort pour le nom de Jésus-Chris. Une pieuse femme, appelée Catulla, nom qui fut donné ensuite à ce lieu, ensevelit en secret le corps des martyrs, la crainte des persécuteurs ne lui ayant pas permis de leur rendre publiquement ce devoir. Elle eut soin pourtant de marquer le lieu, pour que le souvenir en fût perpétué dans les générations suivantes. C'est ainsi que cet incomparable trésor demeura longtemps enfoui sans honneur, et le lieu n'offrait de remarquable que le souvenir traditionnel qui s'y rattachait 1. » Ces paroles sont d'un écrivain anonyme, mais certainement contemporain de Dagobert Ier, cité comme tel par Duchesne et par tous les historiens : « Ex anonymo sed contemporoneo. » L'auteur inconnu des Gesta domni Dagoberti florissait donc quelques années seulement après la mort de saint Grégoire de Tours. En sa qualité d'historiographe du roi Dagobert, il avait certainement lu l’Histoire des Francs ; il y
---------------------------
1. Vilis qw'ppe tantum œdicula, quam, ut ferebalur, beata Genovefa super sanctos martyres dévote construerat, tantorum martyrum corpora non ambiebat... quamvis quœdam inibi ab anterioribus regibus, propter assidua quœ ibidem agebantur miraculn , collata fuissent... In eo sane vico, temporibus Domitiani, qui secundus ab Nerone, in c/iristianos arma corripuit, primum memoratee urbis episcopunt beatissimum Dionysium, cumque eo Rusiicum et Eleutherium, quorum aller presbyter, aller diaconus erat, pro Christi nomine, in prospecth ipsius civilatis inlerempios, quœdam mater familias vocabulo Catulla, a quâ et vico deductum nomen dicunt, quia palam non audebat, clam sepulturœ mandavit. Signavit tamen locuhmi, ut rei gestœ junioribus constaret notitia. Sic incornparabilis thésaurus dinlatuit, nec prœter famam locus ille quidquam Itabebat conspicuum. (Gest=i domni Dagoberti Régis Fraucorura, scripta ab anonymo quidem, sed contemporaneo, Duchesne, Hist. Franc, script, coœlanei.ï. I, p. 574 (163G-1641). Patrol. lat., t. XCVl.col. 1395-1396.
=================================
p396 PONTIFICAT DE SAINT CLÉMENT I (67-76).
avait rencontré le témoignage de l'évêque de Tours sur l'époque de la mission de saint Denys, sous le règne de Dèce. Cependant il n'hésite pas dans sa narration, et son témoignage reflète non pas l'opinion de Grégoire de Tours, mais la leçon des Actes latins de saint Denys, qui fixe la date de sa mission dans les Gaules à l'époque de Domitien, contemporain du pape saint Clément,
88. Dans un diplôme publié par Mabillon, ex autographo, Thierry IV, roi des Francs, surnommée Chelles [Theodericus Calensis), s'exprime ainsi en 723 : «Le bienheureux Denys, avec ses compagnons Rustique et Éleuthère qui, les premiers après les apôtres, vinrent dans cette province des Gaules, envoyés par le bienheureux Clément, successeur de l'apôtre Pierre, prêchèrent en ce lieu le baptême de la pénitence et la rémission des péchés; en ce lieu ils méritèrent la palme du martyre, et en cueillirent les couronnes glorieuses. Leurs précieuses reliques reposent dans l'église élevée en leur honneur, et, depuis les temps anciens jusqu'à nous, d'éclatants miracles y ont été opérés par leur intercession et la puissance de Jésus-Christ. C'est là que reposent le corps de notre cinquième aïeul, le roi Dagobert, de bonne mémoire, et ceux de plusieurs de nos glorieux ancêtres. Plaise à Dieu de nous faire participer, par l'intercession de ces saints, à la gloire de son royaume céleste et aux félicités de la vie éternelle... Donné le jour des calendes de mars, l'an troisième de notre règne, à Va-lenciennes, au nom de Dieu, heureusement, Amen 1. » (1er mars
----------------------------------
1 Beatus Dionysius, cum sociis suis Rustico et Eleotherio, qui, primi post apostolos, sub ordinatione beati démenti, Pétri apostoli successoris, in hanc Galliarum proeinciam advencrunt, ibique prœdicantes baplismum pœrdt.entiœ et remissionem peccalorum, dura in hune modum concertabant, ibique meruerunt palmam marthyrice, et coronas percipere gloriosas, ubi per rnulta tempora, et usque nunc in eorum basilicam, in quâ pretiosa eorum corpora requiescire videntur, non minime miracola, virtute Christi, per ipsus dignabutur operari; in quo etiam loco gloriosi, parentis nostri, vel bonœ memorice proatavus * noster Dagoberthus, quondam rex videntur requiescire; utinam ut et nus per intercessionem sanctorum ipsorum, in cœlestiœ régna, cum omnibus sanctis mireamur participare, et vitam œternam per-cipere... Data ipsa die kal. Martias, anno regni nostri Valencianis**, in Dei
* Proatavus, cinquième aïeul. (Ducange, Gloss.) Thierry IV remontait à Dagobert 1er par Dagobert II, Childebert III, Thierry III et Clovis II, en tout cinq degrés.
°°Les rois Francs des deux premières races avaient un palais à Valenciennes.
=================================
p397 CHAP. VI. — MISSION DE SAINT DENIS DE PARIS PAR SAINT CLÉMENT.
123.) Launoy était mort1, quand Mabillon publia le texte mérovingien (1681) sur le diplôme original. Nous ne savons donc ce qu'il eût opposé à ce témoignage si précis, et qui établit l'uniformité de la tradition au commencement du VIIIe siècle, avec la tradition des siècles précédents. Les paroles du diplôme sont remarquables. Elles attestent à la fois la mission de saint Denys et de ses compagnons par le pape Clément, et l'antériorité d'une précédente mission apostolique dans les Gaules. Primi post apostolos, in Galliam advenerunt. Leur authenticité, placée sous la garantie de Mabillon, dans son ouvrage capital : De re diplomaticâ, est désormais hors de toute controverse. Le diplôme suivant de Pépin le Bref, inséré aussi, depuis la mort de Launoy, dans la collection des Rerum Gallicarum et Francicarum scriptores, par dom Bouquet, en 1738, reproduit le même témoignage, et nous fournit la preuve que la chancellerie carlovingienne suivit la tradition des Mérovin-giens, au sujet de la mission de saint Denys par saint Clément. Voici ce texte précieux : «Donc, quand le Tout-Puissant, qui a ordonné à la lumière de briller au sein des ténèbres, eut illuminé les cœurs des chrétiens, par le mystère de l'Incarnation de Jésus-Christ son Fils unique, Notre-Seigneur, et par les splendeurs de l'Esprit-Saint; dans leur amour pour lui, et par zèle pour sa gloire, au milieu de tant d'autres glorieux triomphes des martyrs, le bienheureux Denys, avec ses compagnons, Rustique et Éleuthère, les premiers après les apôtres, par l'ordre du bienheureux Clément, successeur de l'apôtre Pierre, vinrent dans cette province des Gaules, y prêchant le baptême de la pénitence, pour la rémission des péchés, et combattant les combats de la foi. Ils méritèrent la palme du martyre, et en cueillirent les couronnes glorieuses. Leurs précieuses reliques reposent dans la basilique élevée en leur honneur, et, depuis les temps anciens jusqu'à nos jours, d'écla-
----------------------------------
nomine féliciter. Amen. (Es Diplomate Theoderici Calensis;) Mabillon, De re diplomaticâ, lib. VI, in-fol., 1681, pag. 488; Patrol. lat., tom. LXX.I, col. H9S
1. Launoy mourut en 1678. Il était âgé de 75 ans. Ses trois dissertations sont datées, dans la première édition, de 1651.
=================================
p398 PONTIFICAT DE SAINT CLÉMENT I (67-76).
tants miracles y ont été opérés par la vertu du Christ. C'est là que repose aussi le corps de Dagobert, jadis roi. Plaise à Dieu que, nous aussi, nous ayons part au royaume céleste, par l'intercession de ces saints martyrs, et que nous puissions jouir des félicités de la vie éternelle... Donné le... des calendes d'octobre, l'année dix-septième de notre règne. Fait au monastère même de Saint-Denys 1 » (octobre 738). Ces deux monuments, inconnus à Launoy, échappèrent à sa critique. Mais ils n'en subsistent pas moins dans toute leur autorité. Il nous est donc permis de passer outre aux dénégations qu'il n'eut pas le temps d'accumuler contre eux, et de demander comment en 723 la chancellerie mérovingienne aurait pu se servir d'une formule où la mission de saint Denys par saint Clément est rappelée, si une tradition antérieure n'eût relaté le fait? Supposons en effet que le témoignage des Gesta Dagoberti, au VIIe siècle, soit une interpolation; que l'hymne de Fortunat, au VIe, soit une pièce supposée; que le texte des Actes de saint Denys, au IVe ou Ve, soit un apocryphe d'origine récente; nous aurons ainsi accordé à Launoy tout ce qu'il a pu jamais prétendre. Mais alors, de quel auteur les rois Mérovingiens et Carlovingiens ont-ils appris que saint Denys fut envoyé dans les Gaules par le pape saint Clément? Grégoire de Tours, dont l'histoire était pour eux une histoire de famille, leur disait que saint Denys était venu sous Dèce ; pourquoi ne suivent-ils pas l'indication de Grégoire de
---------------------------
1. Ergo dum et omnipotens Pater, qui dixit de tenebris lumen explendescere, per Incarnationis mysterium unigeniti Filii sui Dominî nostri Jesu Christi, vel inlustrationem Spiritus sancti illuxit in corda sanctorum christianorum, pro cujus amore et desiderio inler çœteros triurnphos gloriosos martyrum, beatus Dionysius, et sœpe jam dictus Rusticus et Eleutherius, qui. primi post apostolos, sub ordinatione beati Qlemeniis,^etri apostoli successoris, in hanc Galliarum provinciam advenerunt, ibique prœdicantes baptismum pœnitentiœ in remissionem peccatorum, dum in hune modum certabant ibi meruerunt palmam martyrii et coronas percipere gloriosos : ubi per multa tempora et usque nunc in eorum basilica, in qud eorum corpora requiescere videntur, non minima miracuia virtutum Christus pro ipsis dignatur operari : in quâ etiam domnus Dagobertus quondam rex videtur quiescere, utinam et nos per intercessionem sanctorum ipsorum in cœlesli regno cum omnibus sanctis mereamur participari, et vitam œternam perapere. (Dom Bouquet, tom. V, Rerum Gallicarum et Francicarum scriptores; Patrol. lat., tom. XCYI, col. 1597, 1598.)
===============================
p399 CHAP. VI. — MISSION DE SAINT DENYS DE TARIS PAR SAINT CLÉMENT.
Tours? Évidemment cette divergence suppose une tradition antérieure, tradition non pas seulement constatée par la crédulité vulgaire, mais par des monuments publics, officiels, des diplômes royaux. Qu'on nous montre, pour l'époque de Dèce, un témoignage aussi solennel, et nous l'accepterons; mais, dans toute la série des siècles que nous avons parcourue, cette date et ce nom ne se trouvent nulle part.
89. Pour clore la liste de ces témoignages, il ne nous reste plus qu'à constater, par un monument collectif, la croyance universelle de l'Église gallicane à la mission de saint Denys par saint Clément. L'an 825, la Gaule tout entière voyait ses évêques réunis en concile, à Paris, pour y traiter la question du culte des saintes images. Un seul prélat, Modoin d'Autun, manqua à cette imposante solennité; une maladie l'empêchait d'y prendre part. L'Église d'Occident était ainsi convoquée dans des conciles nationaux par le pape Eugène II, qui voulait transmettre aux empereurs iconoclastes de Constantinople l'attestation unanime de la foi latine au sujet du culte des images. Le point dogmatique fut soumis à une discussion rigoureuse ; et quand la vérité eut été établie, les vénérables prélats rédigèrent en commun l'expression de leur foi, dans une lettre adressée par eux au souverain Pontife. Voici leurs paroles : « Il nous faut reprendre de plus haut, pour mieux démontrer la vérité de la tradition et la tradition de la vérité. Cette vérité nous a été transmise par nos pères, et elle est arrivée en droite ligne jusqu'à nous, depuis le bienheureux Denys, envoyé dans les Gaules par le bienheureux Clément, premier successeur de Pierre, apôtre. Il vint dans notre pays prêcher la foi, avec douze autres compa-gnons, qu'il répartit dans les diverses provinces des Gaules, et, après avoir annoncé pendant quelque temps l'Évangile en ce pays, il reçut la couronne du martyre l. » Cette lettre est parfaitement
--------------
1 Nec vobis tœdium fiât, si ad ostendendam rationem veritatis, veritatemque ratioms sese pauio longius sermo protraxerit; dummodo lineâ veritatis, quœ at> antujuis Patribns nostris usque ad nos inflexibiliter ducta est, B. Dionysio scilicet» qui a i. Clémente, qui beati Pétri apostoli in apostolatu primus ejus successor exiitit, in Gallias cum duodenario numéro primus prœdicator directus, et pott
================================
p400 PONTIFICAT DE SAINT CLÉMENT I (67-76).
authentique. Tous les évêques de France attestent, en 825, qu'ils tiennent leur doctrine par la tradition descendue en droite ligne de saint Denys, envoyé à Paris par le pape Clément. Qui leur a enseigné cette date? Est-ce Hilduin, qui n'a rien écrit encore sur ce sujet, et dont la fameuse lettre sur saint Denys ne sera publiée qu'en 837? D'ailleurs Hilduin soutenait l'aréopagitisme. Il en fut même, au dire de Launoy, l'inventeur. Si le concile de Paris eût agi sous l'influence d'Hilduin, les évêques n'eussent pas oublié d'ajouter au nom de Denys le titre d'Aréopagite. Ils n'en font rien pourtant, et ils se contentent de rappeler ce que les Actes du Ve siècle, l'hymne de Fortunat du VIe, les Gesta Dagoberti du VIIe, les diplômes royaux du VIIIe, avaient successivement transmis à la mémoire des générations. Leur lettre synodale n'a pas le caractère d'un témoignage isolé, et c'est un point que nous ne pouvons laisser dans l'ombre. Les conciles, comme toutes les grandes assemblées délibérantes, n'adoptent un texte collectif et ne le sanctionnent par leurs suffrages qu'après une discussion minu-tieuse, où chaque parole a été l'objet d'un examen détaillé et d'un contrôle sévère. Qu'on prenne, par exemple, le texte d'une adresse votée par une de nos chambres, sous un régime parlementaire, et on aura un terme de comparaison assez exact pour la lettre syno-dale de 825. Le concile de Paris délibérait, avec la plénitude de sa liberté, sur un point dogmatique. L'empereur Louis le Débonnaire, qui venait en 822, à la diète d'Attigny-sur-Aisne, de faire amende honorable à ses sujets révoltés, et de livrer ainsi la pourpre de Charlemagne au farouche dédain de peuples encore barbares, n'était pas homme à peser sur les pacifiques discussions des conciles, et à leur imposer, comme Constance ou Valens, des articles de foi. Nous pouvons donc affirmer que si jamais con-
----------------------------------------
aliquod tempus una cum sociis hue illucque prœdicationis gratiâ dispersis, martyrio coronatus est. (Baron, ad ann. 823; Mabil., Vetera Analeda, pag. 223.) Mabillon relève en ces termes la valeur de ce témoignage, en faveur de la mission de saint Denys par le pape saint Clément : Cuj'us rei luculemum habeinu* lesrimonium Galliœ episcoporum in frequenti conventu apud Parisios at cultu sacrarum imaginum, anno 82o.
=================================
p401 CHAP. VI. — MISSION DE SAINT DENYS DE PAIUS PAB SAiyr CLÉMENT.
cile fut indépendant des obsessions du pouvoir civil, ce fut celui de l'Église gallicane, convoqué en 825, à Paris. Sa lettre synodale au pape Eugène II, exclusivement relative à une question religieuse, à un point de controverse agitée en Orient et demeurée étrangère à l'Occident, n'avait trait à aucun des incidents politiques qui passionnaient alors les esprits dans les Gaules. Tous les évêques qui la signèrent admirent unanimement l'époque de la mission de saint Denys par le pape Clément. Aucun ne s'inscrivit en faux contre cette assertion; aucun ne la flétrit de nouveauté, et ne rappela à son sujet l'immortelle loi de tous les conciles : Nihil innovetur nisi quod traditum est. Cette expression de la tradition antique, au sujet de saint Denys, n'est pas déposée dans un discours particulier adressé au concile; elle est formulée dans l'acte collectif, où tous les Pères consignent le résultat de leurs délibérations communes, et que tous revêtirent de leur seing pour l'envoyer au souverain Pontife, à titre de décision doctrinale. En vérité, il faut se refuser à toute évidence, pour ne pas voir dans ce fait la constatation la plus éclatante d'une tradition alors universelle dans les Gaules : et plus on s'obstinera à rejeter les témoignages antérieurs de cette tradition, fournis par les siècles précédents, plus on rendra inexplicables son existence et son crédit en 825.
90. L'époque de la mission du premier évêque de Paris, par saint Clément, n'est pas seulement établie par une chaîne continue de témoignages, recueillis aux différents siècles, dans nos chroniques et nos archives nationales. L'histoire des conquérants de la foi a été écrite par leurs disciples. Les triomphes du martyre eurent leurs historiens, comme Alexandre et César ont les leurs. Dès l'an 90 de l'ère chrétienne, le pape Clément Ier, qui envoyait saint Denys dans les Gaules, avait institué des notaires chargés de recueillir, dans chaque région, les Gesta martyrum1. Les souverains
--------------------------------------
1. Septem notarios instituit qui gesta martyrum sollicite et curiose, unusquisqut per regionem suam, perquirerent. (Liber pontifical., S. Clemens, pap. I.)
Voir à ce sujet le remarquable travail de M. Nigon de Berty, sur la Statistique religieuse de la France, depuis 1802. L'auteur, dans son introduction, suit
=============================
p402 PONTIFICAT DE SAINT CLÉMENT I (67-76).
Pontifes avaient, en quelque sorte, voulu compter chaque goutte du sang versé à grands flots pour le nom de Jésus-Christ, sur tous les points du globe. « Leur sollicitude, dit le cardinal Baronius, s'était étendue avec une charité maternelle, non-seulement aux martyrs de Rome, mais à tous les autres enfants que l'Église engendrait pour le ciel, chez toutes les nations de la terre 1. » Les monuments traditionnels où sont enregistrées ces morts glorieuses, comme autant de dates de victoires, sont de deux sortes : les Actes et les Martyrologes. Les Actes sont un récit, plus ou moins détaillé, des interrogatoires et des supplices de chaque martyr. Ils prennent aussi le nom de Passio, terme consacré par l'Église pour désigner l'histoire des souffrances de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et qui s'appliqua ensuite, par extension, à celle des martyres particuliers, continuation du sanglant sacrifice du Calvaire. — Les Martyrologes sont des calendriers ecclésiastiques, où sont rangés, par chaque jour, les noms des martyrs, avec une brève indication de l'époque et du lieu de leur supplice. Dressés, dès l'origine, sur les Actes mêmes de chaque saint, leur usage remonte au berceau de l'Église, dont ils forment, en quelque sorte, les fastes quotidiens. C'est le Livre d'or des élus, qui ne sera clos qu'à la consommation des siècles. Voici comment, en 590, le pape saint Grégoire le Grand parlait du Martyrologe romain au patriarche d'Alexandrie, Eulogius : « Nous conservons avec soin, réunis en un corps d'ou-vrage, les noms de presque tous les martyrs inscrits à la date de leur passion; et chaque jour nous célébrons les divins mystères en leur honneur 2. » La liturgie de l'Eglise était ainsi fondée sur les
---------------------------------
pas à pas le développement progressif de cette première institution de saint Clément, sous l'influence des papes ses successeurs, et établit que la science de la statistique religieuse doit ses premiers éléments au zèle éclairé des souverains Pontifes.
1.Romana Ecclesia... materna charitate, non tantum Romœ passas martyres cernait esse suos; sed omnes ubique gentium se cum dolore peperisse. (Baronii,. Atnrtyi'ol. Roman., Prœfatio,cap. vi.) « Nos pêne omnium martyrum, districtis per singulos dies passionibns, collet in uno codice nomina habemus, atque quotidianis diebus, in eorum vénérations, mismrum solemnia habemus. (S. Greg. Magni Epist. lib. VU, epist. XXVII, ad
Eulog. episc. Alexandrin.)
=================================
p403 CHAP. VI. — MISSION DE SAINT DENYS DE PARIS PAR SAINT CLÉMENT.
martyrologes; on comprend dès lors la valeur de ces monuments vénérables au point de vue de l'histoire ecclésiastique, et leur im-portance, ainsi que celle des Actes, dans la question particulière qui nous occupe.
91. Les Actes de saint Denys proviennent de deux sources distinctes et accusent deux origines : l'une grecque et l'autre latine. Le nom du premier évêque de Paris : Dionisios, celui de son compagnon : Éleutèrios, sont manifestement des noms grecs. Il est évident que les premiers apôtres de Paris étaient des Hellènes qui apportaient à la bourgade de Lutèce la lumière de l'Évangile, comme d'autres Hellènes avaient apporté, six siècles auparavant, la civilisation de Périclès à l'antique cité phocéenne de Marseille. Mais, en s’éloignant de leur sol natal pour s'enfoncer dans nos froides patries du nord, ils y avaient laissé des souvenirs. La Grèce, la terre des traditions et des souvenirs, conserva leur mémoire et voua un culte à ses héroïques enfants, qui l'avaient quittée pour aller chercher le martyre sous d'autres cieux. Nous ne nous étonnerons donc pas de retrouver, un peu travesti dans l'idiome d'Homère, le nom de la cité gauloise de Paris avec celui de son premier apôtre. — Si l'on considère, d'un autre côté, que l'Occident vit mourir pour le nom de Jésus-Christ ces glorieux missionnaires que lui envoyait l'Orient, on comprendra que le récit traditionnel de leur martyre, recueilli aux lieux mêmes qui en furent le théâtre, ait donné naissance à la tradition latine, seconde source d'où émanent les Actes de saint Denys. Nous devons donc interroger séparément les deux traditions grecque et latine, au sujet de l'époque de la mission de saint Denys dans les Gaules. Les Ménées, ce martyrologe grec auquel on ne saurait du moins refuser une valeur traditionnelle, s'expriment ainsi : «Denys se rendit ensuite dans les régions de l'Occident, sous le règne de Domitien. Il illustra par ses miracles la ville de Paris, et y eut la tête tranchée1. » La Vie de saint Denys, par Métrodore, nous fournit un témoignage
--------------------------------
1. 3l£Tà tavTK xaTaXaëàiv ta é<77répia [xépï], èm ty]ç paaiXeiaç Ao|j.eti<xvov, y.cù noX)à 8a'(;.a-:a :7:io£^àjx£vo; èv YloLçr^ioç, -ri^ 7io).ei, rr)v xscpa),Y)V à7tOT5jiV6Tai. (Menées, Patrot. grœc, tom. III, col. 588.)
=================================
p404 PONTIFICAT DE SAINT CLÉMENT I (67-76).
identique : voici ce que nous y lisons : « Le bienheureux Denys, guidé par la volonté de Dieu, se rendit à Rome, où il trouva le bienheureux Clément, qui était alors investi de la puissance du Siège apostolique.....Il alla ensuite se fixer dans la ville de Paris 1. » Dans son éloge de saint Denys, cité par Suidas, et que nous avons encore, Michel Syncelle dit de même : « Nous avons rassemblé, pour composer cet éloge, tous les souvenirs de la tradition et tous les monuments écrits. Voici donc ce que l'enseignement des siècles, transmis des pères à leurs enfants jusqu'à nos jours, nous apprend de saint Denys : « Nous savons qu'il termina sa vie par le martyre, sous le règne de Trajan... dans la petite cité qui porte le nom de Paris 2. » Siméon Métra-phraste, dans sa collection des Vies des saints, enregistre la même tradition : «Après de nombreuses souffrances sur terre et sur mer, soutenu par un courage invincible, comptant pour rien les choses d'ici-bas, l'esprit fixé dans la contemplation des divins mystères, saint Denys se rendit à Rome, où il rencontra Clément, alors assis sur le Siège apostolique... et de là dans la cité de Paris, qu'il trouva remplie d'infidèles 3. » Nous avons ainsi, par tous ses organes, la croyance de l'Église grecque. Elle est unanime à faire arriver saint Denys à Paris, au premier siècle ; et son témoignage
--------------------------------------
1. T6tê xaî ô [iaxàpto; ouxosî Aiovucrio;,... xrjv Pcôpiv xaxÉXaëîv, oùpavîw xaî 6sitj> 6eXy|[AaTt, w; ûtcô 0éou r^caz^^oç^ ôSriYoO|j.evo(;. Elo-£>.8wv Se xaî sùpiov xàv fjt.axàpiov KXvifJiEvxa,... Tïjv x-?j; 'ATtoaroXwrjç xaÔéSpaç Ijcovxa è^ovoiav... Aùxoç Se 6 àyioç Àio- vOaio; èv x-f) IlapTiaia 6t£(j.£iv£v. (Metrod., Vita S. Dionys.; Patrol. grœc, tom. III, col. 672, 673.)
2. "Oaa Se Si' àypacpou TrapaSoasw;, ^ s^ypàçov 7tap£i),riça(ji.£v, xavxt tw xùW zy%ii>- fuwv vcpâffjjLaxt. x. x. \.... Totouxoç oyv sic rjjxaç xaxYivxyjxE lôfoç, àve'xtoôsv îrpàç TOXipoç natSt Tuapa6iS6[Ji.£voç. x. x. ).. x9|v aùxoû [jiaxapiav a6Xï)<7iv èv xoiç ûcrxàxoiç -rîj; ToO ïpatavoù (Baai/.etaç yEyovÉvai xax£iW)ipau,£v... êv napiffioiç (ttoVi^vy; ouxw xa).ou- (asvti). (Michaelis Syngeli. Encom. B. Dionys.; Patrol. grœc, torn. III, col. 625, 656, 660.)
3. IIoMà fjisv xaxà yrp na8ù>v, ixoXXà Se xaî xaxà OaXàuuav v7io[A£Îvai; xà ôucr^sprj, xaî p^Sè Otco xoOxwv xaxaa^EÔEÎç, àXXi' iiàp xà xàxw 7tàvxa xy] xwv àvw eswpta Y£v6[jlevoç, xrjv (laffcXiSa £Pcop.Y]v xaxaXapvêàvEi, xaî TCpoaEtat KXrjpLEVXi xov 'AttootoXizov xrjv.xàvxa Ôpovov ôisjtovxi, x. x. 1. 'Ev xoiwv xrj IFapYiffÉa xavxyj yevo^evo;, xaî •jrXïjpï) iriv 7iôXw àmarTiaç eûwv. (Siméou Metaphr., Vita S. Dionysii; Patrol. grœc, tom. IV, p. 595, 596.)
=================================
p405 CHAP. VI. — MISSION DE SAINT DENÏS DE PARIS PAR SAINT CLÉMENT.
est d'autant plus remarquable, qu'il porte avec lui la preuve d'une parfaite indépendance. Les divers auteurs ne se copient pas les uns les autres. Il y a entre eux des divergences. Les uns font mourir saint Denys sous Domitien (81-96), les autres reculent son martyre au règne de Trajan (98-117). On comprend ces légères variantes, qui se rencontrent dans leur récit. Une différence de quelques années, dans une question chronologique, est chose assez commune entre les savants modernes, et pour des faits relativement bien moins éloignés. Mais ce qu'on ne comprendrait pas, c'est que la date de 230, du règne de Dèce, si elle était la véritable, ne se retrouvât sous la plume d'aucun de ces écrivains. La neuvième persécution générale (250) avait laissé des souvenirs inscrits en lettres de sang. Elle était beaucoup plus rapprochée des auteurs que nous venons de citer, et leur était mieux connue même que celles de Domitien et de Trajan. Cependant ils n'hésitent point dans leur témoignage. C'est le pape Clément qui envoie saint Denys dans les Gaules. L'Orient a retenu ce nom ; saint Denys est martyrisé à Paris, à la fin du premier ou au commencement du deuxième siècle, mais il a été envoyé par saint Clément.