St  Vincent de Lérins

Darras tome 13 p. 166

 

36. La Gaule était toujours agitée par les controverses du semi-pélagianisme. La mort de Cassien, en 434, n'arrêta point ces dis­cussions théologiques. L'illustre prêtre de Marseille s'endormit dans le Seigneur, avec une réputation de sainteté que ses erreurs sur la grâce et le libre arbitre n'ont pas rendue équivoque, parce que leur condamnation n'eut lieu qu'après sa mort. Il put cepen­dant lire le vigoureux traité de saint Prosper d'Aquitaine, publié vers 432, et intitulé : Liber contra Collatorem. Le collateur ou au­teur des Collationes (Conférences), était Cassien lui-même, dont le nom revenait à chaque instant sous la plume de l'apologiste ca­tholique. « C'est la grâce de Dieu qui nous fait chrétiens, disait saint Prosper. Cette grâce n'a jamais eu de défenseur plus illustre que l'évêque Augustin, de bienheureuse mémoire. Il est cependant

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p167 CHAP.   II.   —  L'ÉGLISE   D'OCCIDENT  

 

des hommes qui ne craignent pas de calomnier ce grand génie. Ils prétendent que ses écrits contre les pélagiens sont remplis d'erreurs. Comme si ce n'était point assez des aboiements de l'hérésie extérieure, il nous iaut voir la discorde se glisser dans nos propres rangs et troubler la paix du saint bercail de l'Église1 ! » Après cet énergique début, saint Prosper formule, en douze pro­positions, extraites des Collationes, toute la doctrine erronée du semi-pélagianisme. Il lui oppose la tradition, l'enseignement des pères, les décrets des papes et des conciles. « Toutes vos théories, labo­rieusement échafaudées, s'écroulent, dit-il, au souffle de la vérité immortelle, comme jadis les murailles de Jéricho au son des trompettes sacerdotales2. » Malgré la chaleur et la vivacité de cette polémique, le docteur d'Aquitaine terminait son œuvre par une parole de conciliation et d'espérance. « Il reste suffisamment prouvé, dit-il, par l'autorité de l'Écriture et des pères, que l'en­seignement de saint Augustin est en conformité parfaite avec la foi orthodoxe. Cependant nous ne prétendons pas séparer nos ad­versaires de la communion ecclésiastique. Loin de désespérer de leur conversion, il faut au contraire tolérer jusqu'à un certain point leurs écarts. Il convient d'attendre que le Seigneur, par l'organe des princes de son Église, ait porté un jugement définitif, et apaisé des luttes où l'orgueil individuel, d'une part, et l'ignorance, de l'autre, jettent tant de vivacité. Soyons donc patients et mo­dérés, rendons l'amour pour la haine, évitons d'inutiles conflits, sans pour cela déserter la cause de la vérité, ni pactiser avec l'er­reur. Demandons à Dieu d'inspirer le commencement et la fin de toutes nos pensées, de tous nos désirs, de toutes nos actions; parce que « c'est de lui, par lui et en lui que tout subsiste. A lui soit la gloire, dans les siècles des siècles! Amen, 3. »

 

37. Vers le même temps, Vincent de Lérins publiait son Commonitorium, ou traité d'un « pèlerin en faveur de l'antiquité et de l'u­niversalité de la foi catholique, contre les nouveautés profanes de

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1. S Prosper., Contra Collatorem, cap. i; Patr. lut., tom. LI, col. 215. — 2.S. Prosper., Contr. Collât., cap. V; tom. cit., col. 228. — 3 Joau., vin, 23; Rom., xi, 36;  S. Prosp., Contr. Collât., cap. xxil; tom. cit., col. 276.

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p168   PONTIFICAT  DE  SAINT  SIXTE  III   (432-440).

 

toutes les hérésies1. » Sous le titre modeste de « pèlerin, » Vin­cent voulait dérober son nom et sa mémoire aux éloges de la pos­térité. Son vœu fut en partie satisfait. L'œuvre est immortelle, mais l'auteur nous est presque inconnu. On sait seulement qu'il était moine de Lérins, et vécut jusqu'à l'an 450. Quelques écrivains le disent frère de l'évêque de Troyes, Lupus (saint Loup). En dépit de l'obscurité qui enveloppe sa personne et sa biographie, Vincent de Lérins est une des gloires de l'Église universelle. Le Commonitorium fut, au Ve siècle, ce que le traité des « Prescriptions » de Tertullien avait été, au IIIe. « Ce petit volume, modèle presque con­tinu d'élégance latine, dit le savant Gorini, est une indispensable in­troduction aux études théologiques. L'auteur s'y est proposé d'éta­blir la base de la foi orthodoxe, et il montre que cette base est l'au­torité. Ce que les chrétiens ont cru tous, toujours, partout, à ses yeux, voilà le dogme. L'Église n'a jamais pensé autrement 2. » Il semble que la Providence ait voulu ménager à la Gaule, au mo­ment où les erreurs du semi-pélagianisme menaçaient d'infester notre patrie, la gloire de produire un défenseur intrépide de la vé­rité et de la foi traditionnelles. Chose remarquable ! le Commonitorium débute par un hommage rendu à la papauté dans la personne de saint Etienne I (253-257), qui frappait d'anathème l'erreur des rebaptisants, et il termine par l'éloge de saint Sixte III « dont l'autorité, dit Vincent de Lérins, fait aujourd'hui l'ornement du siège apostolique 3. »

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