Darras tome 31 p. 533
42. Scanderbeg sentait que sa capitale ne pourrait pas, malgré l'éloignement de Mahomet et d'une partie de ses troupes, soutenir indéfiniment les attaques d'une armée qui comptait encore près de quatre-vingt mille combattants. Il régla toutes choses afin de pouvoir s'absenter quelque temps à l'insu de l'ennemi, et se rendit à la cour pontificale, pour obtenir de Paul II et des cardinaux un prompt secours. Le pape, ne pouvant faire davantage, lui remit sur l'heure des sommes considérables, avec lesquelles il reprit, joyeux et ranimé, le chemin de sa patrie. Ce subside lui permit de lever promplement des troupes en plus grand nombre qu'il n'en eut jamais sous ses ordres ; elles se composaient d'Epirotes, de Macédoniens, d'Illyriens et de Dalmates. II en fit deux armées.
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p534 PONTIFICATS DU PIE II ET DE PAUL II.
Sur ces entrefaites, il apprit que Jomina, frère de Ballaban, amenait du renfort aux assiégeants de Croja. Il se porta vivement à sa rencontre, mit en déroute cette armée, et le tua lui-même dans la mêlée, ainsi que le fils de Ballaban, auquel il fit jeter aux abords des tentes les cadavres de ceux qu'il attendait. L'apostat, fou de rage, se présenta lui-même devant les murs de la ville assiégée à portée de la voix, espérant qu'il pourrait obtenir à prix d'or la défection de la garnison, pour venger ensuite avec éclat la mort de son fils et de son frère. Mais dans cette démarche imprudente, il reçut une balle en plein corps et tomba raide mort sur place. Cet événement inattendu jeta les Turcs, déjà menacés de disette, dans une consternation si grande, qu'ils levèrent le siège précipitamment1. Scanderbeg ne se fit pas illusion : Mahomet II, exaspéré de tant d'échecs, n'allait pas tarder à revenir à la tête de forces tellement considérables cette fois, qu'il ne pouvait pas espérer les repousser sans une aide puissante. Il courut au plus pressé, se rendit à Venise et engagea une partie de ses Etats à cette république, entre autres Croja sa capitale. Lorsque le sultan se présenta, il fut repoussé de Dyrrachium, puis de Croja, assouvit sa fureur contre des bourgades sans importance, et regagna Constantinople. Le héros albanais, épuisé par les travaux et les fatigues d'une lutte sans trêve, fut pris d'une maladie d'autant plus grave qu'elle n'avait pas de caractère déterminé. Il était alité, quand il apprit que le général turc Ahamat avec quinze mille cavaliers ravageait la campagne de Seodra. Aussitôt l'illustre malade appelle aux armes les chrétiens, et la subite apparition de leurs étendards frappa les ennemis d'une panique si grande, qu'ils s'évanouissent comme la fumée. Le même soir, Scanderbeg à bout de forces, après avoir accompli les devoirs d'un chrétien à sa dernière heure et reçu les sacrements, expirait, le 16 des calendes de février 1466, à peine âgé de quarante-trois ans, dont vingt-quatre passés glorieusement à la tête de son peuple. 1 Les Albanais le célèbrent encore dans leurs chants nationaux. Il fut enseveli dans
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1 Maris. IIaulet., Vit. Scanderbeg., xi.
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p535 CHAP. IX. — L'HÉRITAGE D'UNE GRANDE PENSÉE.
la cathédrale de Lyssa. Son neveu, qui était infecté de mahométisme, recueillait une partie de son héritage ; Venise annexa le reste à ses possessions. Croja subit le joug des Infidèles, qui ne tardèrent pas à pénétrer en Dalmatie et dans les îles lonniennes1.
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< .Marin. Bahlet., Vit. Scanrlerleg., xm. — Phrantz., ni, 29. — Sanut., 17 duc. Venet., ann. 1-16G. — Xaccier., Hist. Venet., apud Miïrator., de reb. Italie XXIII.