Darras tome 7 p. 62
29. Mais ce qu'il ne put rencontrer ailleurs que dans le roman de Simon le Mage, ce fut le système cosmogonique, auquel il rattacha sa longue théogonie. Le rôle que Simon faisait jouer à l’Épinoia divine, exilée du ciel, Valentin l'attribua au dernier Éon de son plérôme, à Sophia. On a vu que le Nous, Monogénès le fils de Buthos, était le seul qui pût connaître son père. Valentin croyait interpréter ainsi le mot de l'Evangile. « Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, nul ne peut parvenir au Père si ce n'est par le Fils3. » Cependant tous les Éons ambitionnaient cette science parfaite. Émanés de Dieu, ils brûlaient du désir de remonter à leur origine, et de connaître la puissance infinie dont ils étaient la manifestation. Leurs aspirations ne pouvaient aboutir. Vainement le Fils lui-même (Nous) compatissant à leur douleur, se montra disposé à leur communiquer sa science. Il trouva un obstacle insurmontable dans Zigè, le Silence inaccessible et éternel, qui ne lui permit aucune révélation. A mesure donc que les Éons s'éloignaient, par leur rang d'émanation, du foyer de l'Être, leur ignorance allait croissant, et leur ardeur pour en sortir se montrait
------------------
1 Malter, Bist. critique au gnostic, tom. I, pag. 61, 62, 2« éditioû. — 2.Col., il, 9. — 3. Mattth., xi, 27; Luc, x, 22.
========================================
p63 CHAP. I. — GN0STICISJIE.
plus vive. Cette passion, commune à tous, se concentra dans la dernier d'entre eux, Sophia, ou la Sagesse. Son union avec Téleios (la volonté) lui devint insupportable. Sophia voulait, ainsi que le Monogénès, s'unir avec Butos, dans les profondeurs de la science infinie. Plus la distance était grande, plus elle s'obstinait à la franchir. Dans cette lutte contre l'impossible, elle se fût anéantie, si le Dieu suprême n'eût pris soin de la protéger contre elle-même et malgré elle. Il envoya à son secours un Eon, qui reçut l’existence uniquement pour rétablir l'harmonie troublée. C'était Horos, génie de la délimitation, qui mit un terme à l'égarement de Sophia, en la faisant rentrer dans les limites de son être. Toutefois, une perturbation plus générale s'était communiquée à tous les échelons du plérôme, où la passion de Sophia avait été ressentie et partagée. L'Éon de la limite eût été impuissant à opérer une restauration complète. Le Nous, le Fils unique du Père, se détermina alors à produire un couple nouveau, destiné à pacifier définitivement le cosmos divin. Il engendra Christos; et Pneuma, le Christ et l'Esprit. Christos expliqua aux Éons le mystère des déploiements de l'Être suprême. Il leur fit comprendre qu'ils ne pouvaient le connaître que par ses manifestations successives, et que sa nature incommunicable dépassait toute intelligence. Ces communications calmèrent leurs désirs ambitieux. Pleins de reconnaissance pour l'auteur de leur être, ils revinrent au calme et à la félicité, sous la direction du Pneuma, Esprit-Saint, qui leur assura la véritable paix. Telles furent la déchéance et la rédemption primitives du monde céleste, que Valentin avait imaginées pour son plérôme.
30. Car, dans l'analyse de cette mythologie gnostique, aussi fabuleuse et aussi compliquée que celle de l'Inde ou de la Perse, nous ne sommes point encore arrivés à la création du monde visible. Les manifestations, les souffrances, les luttes et les victoires qui précèdent appartiennent au plérôme divin, à la sphère d'un monde fantastique, avec lequel le nôtre n'a aucun rapport. Ou pourrait se demander pourquoi Valentin crut devoir dépenser tant d'efforts d'imagination en pure perte. On s'étonne surtout que
=========================================
p64 ÏONTIFICAT DE SAINT SIXTE I (117-121).
ses disciples, et ils furent nombreux, aient eu le courage d'affronter cette interminable génération d'êtres qui n'intéressent personne, et dont les aventures rempliraient trois poèmes épiques, sans offrir l'intérêt de l'Iliade. Rien, selon nous, ne prouve mieux l'attente universelle d'une manifestation divine, à cette époque, et les espérances que la nouvelle de l'avènement de Jésus-Christ en Judée avait fait naître dans tous les cœurs. Sans cette préoccupation générale des esprits, il eût été impossible aux théosophes gnostiques de faire prendre au sérieux leurs systèmes. L'étude que nous en faisons aujourd'hui nous inspire je ne sais quel dégoût et quelle répugnance intimes. Ils ont cependant passionné les intelligences, à l'époque où ils parurent. Tant cette grande nouvelle que le Fils de Dieu venait de paraître sur la terre et de converser avec les hommes, avait profondément impressionné le monde ! Aucun effort d'intelligence, aucun travail d'application ne semblaient trop pénibles, pour conquérir l'ensemble de la révélation qu'un Dieu apportait à la terre. On entourait le docteur gnostique, qui se prétendait seul dépositaire d'un pareil secret; on recueillait avidement toutes ses paroles. Plus sa doctrine était mystérieuse, inintelligible même, plus elle semblait émaner du Fils de Dieu, et descendre directement du ciel. C ‘est vraisemblablement un calcul de ce genre qui nous a valu l'ogdoade, la décade et la dodécade valentiniennes. Quoi qu'il en soit, le roman continue par une nouvelle production, non moins singulière que les précédentes. Durant les ardeurs inassouvies de sa passion et de ses souffrances, Sophia avait enfanté une fille, un éon-femme, né du désir de sa mère de s'unir avec Bythos. Œuvre imparfaite, véritable avorton , cette substance informe, à laquelle Valentin donne le nom d'Achamotk, fut en naissant exilée du plérôme et précipitée dans le chaos. Le souvenir de la lumière, un instant aperçue dans les sphères divines, la pensée de son isolement et de son impuissance poursuivaient la malheureuse Achamoth. Tantôt, le sourire sur les lèvres, elle s'élançait vers les confins du plérôme, espérant les voir s'ouvrir devant elle. Son sourire faisait briller la lumière au sein du chaos. Mais repoussée par Horos, l’éon-limite,
=========================================
p65 CHAP. I. — GNOSTICISKE.
elle retombait de tout son poids dans le vide et pleurait. Ses larmes donnèrent naissance à l'élément humide. Sa tristesse même fut féconde; elle enfanta la substance matérielle. Mais rien, pas même l'étonnant spectacle de cette maternité involontaire, ne pouvait calmer la douleur de l'exilée. Horos en eut pitié, li lui envoya l'éon Jésus, dont elle devint la compagne, par une syzygie placée en dehors du plérome. Jésus l'instruisit, la délivra de ses perplexités, et la consola, en faisant briller sur elle comme un reflet du monde supérieur.
31. On pourrait croire que l'apparition de la lumière,
de l'eau et des substances matérielles, dans le chaos où vivait Achamoth. sont une préparation suffisante qui permettra enfin au théosophe gnostique de
passer à la formation du monde visible. Il n'en est rien. Valentin ne se préoccupe point encore de ce détail infime. Il suppose
qu'après sa réhabilitation par l'éon Jésus, Achamoth produisit trois principes, ou éléments dictincts, l'un pneumatique (Pneuma), essentiellement bon et
incorruptible ; l'autre psychique psuxè(), substance mixte, composée de
bien et de mal, soumise aux alternatives de lumière et de ténèbres, de
vérité et d'erreurs, de vices et de vertus;
enfin un troisième hylique (Ulè),
radicalement corruptible et mauvais. Si la critique pouvait prétendre à
s'exercer parmi cet amalgame de chimériques rêveries, on s'étonnerait sans doute
qu'un éon réhabilité puisse donner naissance au mal absolu, mais nous n'avons
pas le droit de nous montrer sévère vis-à-vis d'une imagination en délire. On
remarquera néanmoins ce faux-fuyant, par lequel Valentin croyait échapper au
problème de l'existence du mal. La distinction des trois éléments spirituels, produits par Achamoth, permettait au théosophe alexandrin de franchir plus
aisément cet écueil si redouté des gnostiques. Avec l'aide de l'éon Jésus,
Achamoth forma, du principe psychique, le Démiurge, dont la
nature n'était proprement ni pneumatique ni
hylique, mais tenait de l'un et de l'autre, puisqu'il y avait en lui quelque
rayon de vie divine, et qu'il renfermait les éléments des choses physiques. Le Démiurge, sous la direction des deux éons qui lui
avaient donné le jour, devint l'ouvrier (opifex) des mondes
========================================
p66 PONTIFICAT D£ SAINT SIXTE I vl 17-127).
inférieurs, mais ouvrier inconscient, qui reflétait leurs idées sans les comprendre, et réalisait un plan dont lui-même n'avait pas le secret. Il sépara d'abord le principe hylique et le principe psychique, jusque-là confondus dans le chaos, et en forma six mondes ou régions, ayant à leur tête des intelligences, ou éons, qui les gouvernaient. Ces mondes, où les éléments psychiques et pneumatiques prédominent, constituent les sphères supérieures de l'univers visible, la zone sextuple des cieux.
32. Avec les principes hyliques qui restaient inoccupés, le Démiurge composa enfin notre monde matériel, cette terre, mélange corruptible, réceptacle de toutes les souillures des zones supérieures. « Elle subsiste en Dieu, disaient les Valentiniens, comme une tache sur une tunique. » Sa grossièreté, son inertie, la force de résistance qu'elle opposait aux efforts du Démiurge firent éclore Satan, le prince de ce monde, le Cosmocrator, ennemi du beau, du vrai et du bien. Une foule d'esprits pervers naquirent avec lui et formèrent son escorte. Après avoir complété, par la formation de notre univers, le septénaire sacré de ses œuvres, l’Ebdomas Démiurge valentinienne, le voulut réagir contre le Cosmocrator, en produisant à son image un être qui devait s'appeler l'homme. Avec l'élément hylique il façonna le corps; un rayon du principe psychique fut l'âme. Le Démiurge ne pouvait faire davantage, mais, à son insu, Achamoth fit passer dans l'homme un germe de lumière pneumatique, qui illumina soudain l'être nouveau. Le Démtiurge ne reconnut plus son œuvre; il lui trouvait une supériorité qui l'étonnait, et dont il ne tarda point à devenir jaloux. On se rappelle en effet que le Démiurge, formé lui-même et exclusivement du principe psychique, ne possédait pas la moindre étincelle du Pneuma esprit pléromatique. La créature humaine se trouvait donc, sous ce rapport, supérieure à celui qui l'avait formée. Ce fut pour l'homme une source intarissable de maux. Le Démiurge lui imposa, dans un sentiment de vengeance, l'obligation de s'abstenir à jamais du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal. Il était impossible à l'homme, doué d'un germe pneumatique, de respecter un tel ordre. Le Démiurge l'avait prévu. A la première
========================================
p67 CHAP. 1. GNOSTICISME.
infraction commise par sa créature, il ressaisit sur elle toute sa tyrannie. Il la chassa du paradis de délices, enveloppa son âme d'une triple couche de principes hyliques, la soumit à l'influence des appétits matériels, étouffant, autant qu'il était en son pouvoir, les clartés pneumatiques dont l'homme avait joui à son berceau. Dans cet état de captivité, le corps paralyse l'âme, les esprits y excitent tous les appétits sensuels. L'homme est constamment sollicité à sa propre ruine; il s'abîmerait dans la décadence et le néant, si la bienfaisante Achamoth ne le soutenait sans cesse par une vertu invisible, car elle « est la lumière du monde, » elle est « le sel de la terre. » Ceux qui suivent cette lumière fortifient en eux les germes de vie divine; ils forment la classe supérieure des pneumatiques, ce sont les vrais sages : tous les disciples de la gnose prenaient rang dans cette catégorie. Au dernier échelon des êtres, sont les hyliques, qui suivent aveuglément les inspirations des esprits matériels, et subissent le joug de Satan. Entre ces deux extrêmes du monde moral, se placent les psychiques, flottant incertains entre la vertu et le vice, tombant quelquefois dans les abîmes du mal, et ne pouvant jamais se relever à la vie divine du Pneuma. Comme types des trois races, Valentin nommait Seth pour les pneumatiques, Abel pour les psychiques, Caïn pour les hyliques. Les païens appartenaient en général à la catégorie des hyliques, à l'empire de Satan, ou de la matière dont il est le produit; les Juifs à la foule des psychiques, à l'empire du Démiurge, ou du monde inférieur, dont il est l'agent principal. Quelques prophètes, en petit nombre, avaient seuls représenté, dans la série des âges, la classe supérieure des pneumatiques.
33. Une rédemption était devenue nécessaire pour le monde inférieur, comme elle l'avait été jadis pour le cosmos intermédiaire d’Achamoth, et pour les régions divines du plérome. Le Sauveur choisi pour l'accomplir fut l'éon Jésus, envoyé par le Démiurge. Il entra dans le monde par la Vierge Marie, « comme l'eau traverse un canal. » Mais il n'y avait rien de matériel dans sa personne, composée d'un principe psychique, emprunté au Démiurge, et d'une forme, ou apparence corporelle, faite avec un art inexprimable. Il est
==========================================
p68 PONTlFit^T 12 SAINT SIXTE I (117-lï
curieux de retrouver, dans cette donnée valentinienne, la foi des premiers siècles à la virginité immaculée de Marie. On peut aussi remarquer les efforts des gnostiques pour immatérialiser la personne du Sauveur. Tant l'avènement du Fils de l'homme, la puissance divine qu'il avait manifestée, les miracles évangéliques étaient des faits constants, notoires, irréfragables ! Croit-on que si Va-lentin avait pu se débarrasser du surnaturel évangélique, par une négation semblable à celle de nos modernes rationalistes, il eût pris tant de peine pour lui donner une explication satisfaisante? Loin de nier aucun des miracles racontés par les évangélistes, Valentin les admet tous, et y ajoute un commentaire non moins prodigieux. Ainsi l'éon Jésus, pourvu déjà de l'élément psychique par son âme et de l'élément hylique par la forme apparente de son corps, reçut l'infusion pneumatique du Xristos supérieur, lequel descendit du plérome et vint se reposer sur lui, en forme de colombe, à l'époque du baptême dans les eaux du Jourdain. Avant cette union avec le Christos, Jésus ne s'était distingué que par la pureté de sa vie, les grâces de son enfance, l'humble obscurité de sa jeunesse, et les rigueurs ascétiques de son séjour au désert; encore n'y avait-il pas grand mérite dans ce jeûne prolongé, que la nature de son corps lui rendait facile. L'invasion de la divinité en sa personne lui communiqua une puissance absolue sur le monde matériel. Dès lors il commença sa vie de thaumaturge, dictant des lois à la nature tout entière, apaisant les flots, guérissant les maladies, ressuscitant les morts. Parallèlement au pouvoir souverain, il possédait la plénitude de la science, et la révélait dans un enseignement qui dépasse toute la sagesse des prophètes. Cette révélation, faite par Jésus, fut le premier degré de la rédemption, correspondant à la catégorie des pneumatiques, lesquels sont rachetés par la science du Sauveur. Quant aux psychiques, il leur fallut une rédemption moins intellectuelle. Au moment de la Passion, le Xristos supérieur quitta Jésus, lequel souffrit seul dans son corps apparent. Son élévation sur la croix ramena dans les limites de leur nature les hommes psychiques, confondus avec la matière par leur enveloppe terrestre. La croix, Étaupos, était
=========================================
p69 CHAP. I. — GNOSTICISME.
prise ici par Valentin dans un sens étymologique de « rempart, » «limite; » elle rappelait par conséquent le rôle joué par Horos (Oros) dans la rédemption antérieure du plérome. Le principe psychique fut ainsi délivré du principe hylique, c'est-à-dire que les hommes psychiques purent désormais combattre le mal jusqu'à son entière destruction, et s'élever, avec Jésus ressuscité, dans les clartés du monde pneumatique, reflet des lumières du plérome. Il n'était noint question de rédemption pour les hyliques. Cette race de Caïn était prédestinée à mourir; il n'y avait pour elle ni immortalité de l'âme, ni réhabilitation, ni espérance au delà du néant.
34. « II y a, dans cette partie du système de Valentin, dit M. Freppel, plus de teinte chrétienne que dans les deux autres. Mais la mysticité religieuse qu'affecte ce langage ne saurait nous faire illusion un seul instant sur sa véritable portée. C'est le troisième acte du drame panthéistique, que le théosophe égyptien déroule sous nos yeux. Après avoir retracé le passage de l'infini au fini, sous l'image d'une chute, il veut peindre le retour de l'infini au fini, sous la forme d'une rédemption. En effet, toute théorie qui voit dans le monde un déploiement de la substance divine, est tenue de montrer comment cette substance une fois déployée, se replie sur elle-même. Voilà l'unique sens possible de la rédemption de Valentin. Son principe pneumatique, qui sort du plérome pour s'envelopper des deux principes psychique et hylique, c'est l'absolu qui, après avoir traversé les deux premiers degrés de l'être, se fait jour dans l'homme, où il prend conscience de lui-même, et par l'homme il ne faut pas entendre tel ou tel individu, mais le tout collectif de l'humanité. Valentin a sa philosophie de l'histoire, comme les panthéistes modernes. L'esprit n'est pas encore dégagé de la matière chez les païens; voilà pourquoi, dit-il, le principe hylique prédomine dans le monde ancien. Parmi les Juifs, l'esprit déjà plus libre et plus fort, lutte avec des instincts grossiers qui le méconnaissent ou l'enchaînent; c'est ce que l'audacieux sectaire appelle le règne du principe psychique. Le christianisme seul opère cette rédemption de l'esprit, qui brise les entraves de la matière et
=======================================
p70 TONTIFICAT DE SAINT SIXTE 1 (117-127J.
des sens, pour arriver à la pleine liberté, c'est-à-dire à la conscience de soi comme raison absolue. Un mot de saint Irénée est capital sur ce point : « Pour eux, la rédemption suprême consiste dans la connaissance de la grandeur ineffable. » La chute, c'est l'esprit qui perd dans la matière conscience de lui-même; la rédemption, c'est l'esprit qui reprend conscience de lui-même dans l'humanité. Or le Christ est l'idéal de cette science adéquate à son objet; en lui, comme dans le type générique de la nature humaine, cette science arrive à la plénitude. Car il est évident que, pour Valentin, le Christ historique perd toute signification, et fait place à un Christ idéal qui personnifie l'humanité, parvenue au degré le plus élevé de la connaissance. Lors donc que le principe pneumatique, ou divin, se sera complètement dégagé de tout ce qui est matériel et humain, que l'esprit aura brisé les limites qu'il s'était posées lui-même, qu'il aura parcouru successivement toutes les phases de l'existence pour se manifester, le monde rentrera dans le plérome, les rayons de la sagesse se replieront vers leur foyer, le fini sera absorbé par l'infini, et le retour de toutes choses à Dieu s'effectuera dans l'identité absolue. Tel est le sens final de cette épopée métaphysique 1. »
35. Que tous les adeptes du gnosticisme aient compris la signification des hypostases de Valentin, il serait difficile de le croire. Ce que le vulgaire, imbu des préjugés païens, dut retenir de préférence dans cette théogonie, fut sans doute le principe de la pluralité des dieux. Les noms étaient différents de ceux des divinités grecques ou romaines, le mode de génération divine était le même. Aussi les papes de ce temps redoublèrent d'efforts, pour opposer aux progrès de l'erreur gnostique le dogme chrétien de l'unité de Dieu dans la trinité des personnes. La première Épître de saint Sixte va nous en donner la preuve. « Mes bien-aimés, dit-il, montrez-vous fermes dans la foi, et ne vous écartez point de la doctrine des apôtres. Il n'y a qu'un seul Dieu véritable, Père, Fils et Saint-Esprit. Les prophètes nous l'ont appris, les apôtres
-----------------
1. Freppel, S. Irénée, pag. 249.
==========================================
p71 CHAP. I. — GXOSTICISME.
l'ont attesté. » Nous lisons dans Isaïe : «Je suis le Dieu unique; il n'en est pas d'autre que moi.» Or le Fils est Dieu avec le Père, comme le témoigne cette parole de l'apôtre Paul : «Au nom de Jésus que tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la terre et aux enfers. Que toute langue confesse que Jésus-Christ le Seigneur est dans la gloire de Dieu le Père tout-puissant. » Mais, disent quelques-uns, le Fils est moindre que le Père. Quoi donc ! La gloire du Père sera-t-elle amoindrie dans le Fils? Ou le Père et le Fils sont un seul et même Dieu, ou si le Père est seul Dieu, Jésus-Christ Fils de Dieu ne saurait être Dieu. II n'y a pas d'autre alternative. Or l'apôtre enseigne clairement que le Fils est réellement le « Dieu unique, béni dans tous les siècles. » Le Père et le Fils sont donc un seul et même Dieu. C'est ce Dieu unique dont le prophète Baruch annonçait l'avènement en ces termes : « Il est notre Dieu, il n'en est pas d'autre que lui. Après avoir ouvert à Israël et à Jacob la voie de la sagesse, on le verra descendre lui-même sur la terre et converser avec les hommes. » — « Dieu était dans le Christ, se réconciliant le monde, » dit l'apôtre Paul. On ne saurait donc séparer le Père et le Fils dans l'unité divine. Le Saint-Esprit en forme le troisième terme 1. » Après avoir établi la divinité de l'Esprit-Saint par les textes de l'Écriture, saint Sixte termine ainsi cet exposé du dogme catholique : « Telle est, dans sa simplicité, la substance de notre foi. L'unité de Dieu dans la trinité du Père, du Fils et de l'Esprit, voilà ce que nous devons croire. Nous y sommes tenus par notre titre de chrétien. L'intégrité de la foi est la base de toute bonne œuvre ; celui qui laisse ébranler sa foi est un infidèle. Repoussez donc les enseignements des docteurs de mensonge, car il en est que nous comptions jadis dans notre sein et qui ont abandonné la foi véritable. Ils paraissaient nos frères, mais ils ne l'étaient pas, sans cela ils fussent restés avec nous, et n'eussent point porté le trouble et la désolation dans les Églises. On peut leur appliquer le mot du Prophète : « Leur langue est l'aiguillon du serpent, le venin de l'aspic découle de leurs lèvres. » Donc éloi-
--------------------
1. Sixti Epist. ; Palroh graec, tom. V, col. 1074-1076.
=========================================
p72 PONTIFICAT DE SAINT SIXTE I (117-127).
gnez-vous d'eux, et, s'ils demeurent incorrigibles, rompez toute communication avec eux, de peur qu'ils ne pervertissent les fidèles du Christ. » Dans le langage du pape saint Sixte, il est impossible deméconnaître l'intention d'opposer au gnosticisme la barrière dela foi apostolique. L'opportunité de cette Épître, en face des systèmes de Basilide et de Valentin est tellement évidente, que nous n'hésitons pas à la considérer comme authentique.