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19. On dira peut-être que tel est le langage des pouvoirs menacés, qui se réservent ensuite le moyen d'éluder leurs promesses quand ils ont repris haleine. Clément qui avait des inclinations pacifiques, s'appliqua sincèrement à établir la paix entre les princes chrétiens, afin de les tourner ensuite contre les ennemis de la religion. En 1524, les Allemands devaient tenir une diète à Nuremberg ; le pape y envoya le cardinal Campeggio, homme orné de toutes les qualités nécessaires pour amener le succès, si le mal eut été susceptible de guérison. Campeggio se rendit en peu de jours à Nuremberg ; il fut reçu par tous les princes, mais, pour ne pas irriter les luthériens, il ne se présenta qu'en habit de voyage, sans clergé, ni croix. Malgré toute son habileté et plusieurs discours remplis d'une éloquence véritablement prophétique, le légat n'eut pas même le crédit de faire justice de quelques prêtres qui, selon le nouvel évangile, s'étaient mariés publiquement dans le diocèse de Strasbourg, et, poursuivis par l'évêque, avaient porté leur affaire à la diète. Le seul résultat des délibérations fut un décret portant que le Pape, du consentement de l'empereur, convoquerait au plus tôt un concile en Allemagne ; que chaque prince examinerait chez soi la doctrine de Luther ; et qu'on s'assemblerait à Spire pour aviser, en attendant le concile, à une pragmatique. On ajoutait néanmoins que tous les libelles diffamatoires, publiés contre la cour romaine, seraient supprimés, aussi bien que les caricatures faites en dérision du pape et des évêques. Le seul résultat de cet édit fut, au reste, d'exciter des contradictions. Le Pape s'en plaignit avec le plus grand éclat, le légat se rendit à Ratisbonne pour confirmer, dans une nouvelle assemblée, le décret de Worms. L'empereur, désireux de ménager Clément VII, fut mécontent qu'on eut éludé ses ordres, interdit la diète de Spire et menaça même de mettre au ban de l'empire quiconque s'y rendrait, même par procureur. Luther, d'ailleurs traité avec ménagement, fit entendre aussi de très-justes observations : «Si l'édit de Worms qui me condamne comme hérétique, disait-il, doit être observé, pourquoi celui de Nuremberg
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enjoint-il d'examiner si ce qu'enseignent mes livres est bon ou mauvais ? Et s'il ordonne cet examen, pourquoi veut-il qu'on me condamne. » Le dilemme était sans réplique ; par de faux ménagements, on avait énervé l'autorité et augmenté le crédit de l’hérésiarque.
20. La vingt-cinquième année du siècle, fut indiqué, dit Raynaldi, en l'indiction treizième, un jubilé solennel, non pas tant pour la solennelle expiation des péchés des chrétiens qu'à cause des guerres civiles suscitées par la rivalité des Français et des Espagnols, ainsi que par la rage impie de l'hérésie luthérienne. La peste qui, cette année, sévissait à Rome, détourna les fidèles du pèlerinage au tombeau des saints Apôtres; pour en dissuader, le fanatisme de Luther se joignait aux injonctions de la peste: suivant le nouvel apôtre, il n'y a point, en ce monde, de lieux favorisés du ciel où Dieu donne, comme dit Platon, une particulière évidence de sa divinité ; ou, s'il y en a, ce n'est point à Rome, la terre arrosée du sang des martyres ; et d'ailleurs, puisque Dieu nous visite par les Turcs, ce serait combattre Dieu que de les combattre. Les lettres apostoliques, au surplus, ne firent pas mention d'aumônes en argent ; pour épargner, à Luther, l'occasion d'aboyer contre Rome, le Pape se contenta de faire répéter cinq fois l'oraison dominicale. À cause des calamités publiques, le concours des pèlerins fut moindre qu'aux précédents jubilés ; il fut assez grand toutefois pour exciter la bile de Luther, qui faisait lui son jubilé en prenant femme.
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Soudain un ramassis de quarante mille aventuriers, soumis à un chef, pourvu que ce chef fit ce qu'ils voulaient, se précipitent sur Rome. A ces bandits, Luther avait crié : « Le Pape de Rome n'est pas le plus saint, mais le plus pécheur des hommes ; son trône n'est pas scellé au ciel, mais rivé à la porte des enfers. Qui lui a donné le pouvoir de s'élever au des-
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sus de Dieu, de fouler aux pieds ses préceptes? Prince, mon maître, le pouvoir suprême qu'exerce le Pape à Rome, il te l'a volé. Nous ne sommes plus que les esclaves de tyrans romains : nous portons le titre et les armes de l'empire, le pape en a les trésors: à lui le grain, à nous la paille1. » Les brigands allaient répondre à ces provocations ; ils n'avaient tous qu'un désir, mettre Rome à sac, avides qu'ils étaient de piller ses trésors. Beaucoup étaient luthériens, la plus grande partie allemande, et, par suite, habitués à considérer les Papes et les Italiens comme les sangsues de leur nation. Leur mot d'ordre était : Nicht Papa : point de Pape. L'un d'eux disait: « Avec la peau du Pape Clément, je veux faire une étrivière ; je la porterai à Luther pour qu'il voie comment est puni celui qui résiste à la parole de Dieu. » Leur capitaine Freundsberg tenait suspendu à l'arçon de sa selle un lacet d'or et un autre d'argent ; avec le premier, il se proposait d'étrangler le dernier des papes ; avec l'autre, les cardinaux.
26. Tels furent les hommes qui assaillirent Rome. Cette nuée de vautours avait passé sur Ferrare et Bologne et, se détournant de la Toscane, on ne sait pourquoi, s'abattit sur la ville éternelle. Clément VII avait essayé de recruter des troupes : il n'en eut pas fallu beaucoup pour fermer les défilés des Apennins. On abandonna le Pontife ; seule, la jeunesse romaine fît un noble effort de courage : c'était trop peu et c'était trop tard. Freundsberg, frappé d'apoplexie, était mourant; Bourbon ayant été tué à l'assaut, la soldatesque furieuse et sans frein pénétra dans les murs de la ville sainte, chacun ne pensant qu'à assouvir les instincts brutaux de l'avarice, de la luxure et de la rage. La capitale du monde chrétien, la ville aux trois cents églises, le siège des beaux arts, l'asile et l'école de toutes les sciences, la seconde patrie de tout chrétien serait la proie des voleurs et des mécréants. C'était la barbarie dans son orgueil stupide, qui foulait aux pieds la civilisation. « De ce désastre dans lequel on a calculé que Rome perdit une valeur de cent millions, dit Cantu, nous ne devons mentionner ici que les actes de violence
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1. A la noblesse chrétienne de la nation allemande pour la réforme de l'état chrétien.
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contre les choses sacrées. Les soldats profanèrent les tombeaux et surtout celui de Jules II, coupable d'avoir voulu délivrer l'Italie des étrangers. Les églises, les religieuses, les moines furent les premiers exposés à la brutalité de ceux qui avaient converti la basilique de Saint-Pierre en une écurie pour leurs chevaux, qui leur faisaient une litière avec les bulles papales, qui leur donnaient à manger l'avoine dans les baptistères, qui graissaient leurs bottes avec le saint chrême, qui s'enivraient en faisant des libations dans les calices, qui poursuivaient les pieuses vierges dans les chapelles et jusque sur les marches de l'autel, et qui, revêtus des ornements sacrés, se livraient à des orgies abominables. Les cardinaux de la Minerve et de Sienne, Ponceta, Jean-Marie del Monte, qui fut plus tard pape, Bartolini, archevêque de Pise, Pucci, évêque de Pistoie, Ghiberti, évêque de Vérone, et saint Gaétan eurent à subir toute espèce d'insultes, d'outrages et d'infamies comme tous ceux qui, surpris par cette subite invasion, ne purent s'échapper. On met un cardinal revêtu de la pourpre sur un âne, la tête tournée vers la queue de l'animal, et on le traîne de porte en porte pour mendier sa rançon. On appelle un prêtre qui accourt avec le viatique, on le mène dans une écurie, et là on veut le forcer à faire communier une jument ; et comme il s'y refuse, on le massacre. On fit par dérision de fausses funérailles au cardinal d'Ara Cœli ; dans un conclave grotesque on déposa Clément VII et on lui substitua Martin Luther, en l'honneur duquel on fit une cavalcade bouffonne. Les archives palatines furent brûlées ; dans la chapelle Sixtine on alluma des feux de bivouac dont la fumée la noircit de tous côtés ; une femme fut pendue pour avoir donné des laitues à Clément VII. Tout ce qu'on vénérait par dévotion, par amour de l'art ou de l'antiquité, ou par respect pour la tradition, fut livré à la brutalité de ces ribauds et de ces sauvages compatriotes de Luther, que celui-ci avait poussés à détester et à mépriser les Italiens1. »
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Au
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1.Gevay, Urkunde, etc. p. 66-70 : instruction pour Marin de Salinas, en date du 8 février 1529.
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moment où l'Allemagne se flattait de contempler, humilié devant son Empereur, le Pape que ses prédécesseurs avaient tant de fois obligé à lui rendre hommage, on vit Charles-Quint déclarer publiquement qu'il se repentait des atrocités commises à Rome en son nom ; demander l'absolution pour ceux qui avaient commis ces excès ; s'obliger à faire restituer au Saint-Siège, Modène et Reggio, enlevés par le duc de Ferrarre, ainsi que Gervia et Ravenne occupés par les Vénitiens. On le vit également prendre ses dispositions pour réintégrer, à Milan, les Sforza. Enfin le nouveau Charlemagne le défenseur du monde chrétien, se mettait lui-même à la disposition du Pontife, le faisant juge du moment où l'Empereur devait tirer l'épée ou la remettre dans le fourreau, et recevoir, de la main du Pape, les insignes de Chevalier de Saint-Pierre.
32. En arrivant à Orvieto, Clément avait murmuré d'une voix éteinte : « Mon Dieu, pardonnez à mes ennemis comme je leur pardonne les offenses dont ils se sont rendus coupables envers l'Église, envers le chef invisible de l'Eglise qui est dans les cieux et le chef visible qui règne sur cette terre. » Après quoi, il avait béni ses persécuteurs, parce que, dit le vieil historien, ce Pontife savait que cette bénédiction leur servirait dans le ciel. Aux ouvertures de Charles-Quint, il fut répondu que le Pape se rendrait à Bologne et que l'Empereur viendrait à sa rencontre. Mais Clément, tourmenté par une maladie cruelle, fut obligé de différer son voyage et même de renoncer quelque temps du moins au gouvernement; aussi nomma-t-il, pour gouverner Rome, quatre cardinaux et partit peu après. Dans le Congrès qui s'ouvrit à Bologne, Clément eut le bonheur de voir la paix se conclure entre l'Empereur et les Vénitiens, les ducs de Milan, de Savoie et de Mantoue. Le 23 février 1530, Charles fut couronné roi de Lombardie et le lendemain, sacré Empereur d'Occident. La solennité du couronnement fut une des plus splendides dont l'histoire ait gardé le souvenir. Ce lambeau de pourpre, percé à jour par les excommunications papales et que ses prédécesseurs s'étaient parfois jeté eux-mêmes sur les épaules, ne représentait plus, défait, dans sa plénitude, la qualité de vicaire du Pape au temporel, et de souverain universel de la chrétienté ;
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cependant Charles-Quint voulut le recevoir des mains
du Pontife, pour faire briller encore un rayon du droit ecclésiastique au front
du successeur de Charlemagne. Le prince n'avait pas eu le courage de demander
que la cérémonie eut lieu dans la métropole, naguère dévastée, du Catholicisme
; il choisit, à cet effet, la cathédrale de Saint-Pétrone à Bologne, qui fut convertie
en une basilique semblable à celle de Latran. On n'avait invité à la
cérémonie, ni les électeurs, ni aucun prince allemand, à l'exception de
Philippe de
Bavière ; au lieu de cavaliers germaniques, c'étaient des gens de toute nation,
commandés par Antoine de Leiva ; des pages et des hérauts ouvraient la marche ;
Boniface de Cologne, marquis de Montferrat, portait le sceptre ; le duc d'Urbin
l'épée ; la couronne était portée par Charles de Savoie, qui s'était fait faire un habit de trois
cent mille écus. L'Empereur avait autour de lui, pour le
servir, l'élite de la noblesse d'Italie, Médicis, Pio, del Caretto, Gonzague,
Pic, Trivulce, Dal Verme, Doria, Sansévérino. Aux interrogations qui lui
furent faites, selon l'ordre du Pontifical, l'Empereur répondit avec
force, et quand il s'agit de la répression des hérétiques, il éleva la voix,
tira son épée, jura de faire bonne justice. Après qu'on eut procédé, selon le
cérémonial prescrit, à l'onction
par le Saint-Chème, Charles-Quint reçut la couronne de Charlemagne, en signe
de souveraineté universelle sur la chrétienté et
promit, sous la foi d'un très solennel serment, de défendre les possessions,
les dignités, les droits du Pape et de l'Église. Les anciennes cérémonies
furent observées. Avant la cérémonie, on avait, entre les deux tours qui sont
près de la basilique, reçu l’Empereur chanoine de la Vaticane ; après, Charles-Quint, la couronne en tête, tint
l'étrier du cheval que le Pape montait pour la cavalcade. Pour nous rendre compte
des sentiments de l'Empereur, nous rappellerons ici les paroles de
Charles-Quint dans son rescrit à la diète de Worms : « Nos ancêtres, les rois d'Espagne, les archiducs d'Autriche, les ducs
de Bourgogne, protecteurs et défenseurs de la foi catholique, en ont défendu
l'intégrité, de leur sang et de leur épée, en même temps qu'ils veillaient à ce
qu'on rendit aux décrets de l'Église l'obéissance qui leur est due. Nous ne
perdrons pas de vue
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ces beaux exemples, nous marcherons sur les traces de nos aïeux, et nous protégerons de toutes nos forces cette foi que nous avons reçue en héritage. Et comme il s'est trouvé un frère qui a osé attaquer à la fois, et les dogmes de l'Église et le chef de la catholicité, défendant avec opiniâtreté les erreurs où il était tombé et refusant de se rétracter ; nous avons jugé qu'il fallait s'opposer aux progrès de ces désordres, même au péril de notre sang, de nos biens, de nos dignités, de la fortune de l'Empire, afin que la Germanie ne se souillât pas du crime de parjure1. »
33. Le premier résultat de la concorde entre le sacerdoce et l'empire fut la convocation d'un concile général. L'affirmation du droit individuel de libre examen entraînait la négation de l'autorité spirituelle, et, par suite, l'anarchie dans les esprits. Ce radicalisme destructeur avait épouvanté Charles-Quint ; il disait souvent qu'un concile était nécessaire, non pas tant pour réformer les ecclésiastiques, que les laïques sortis de la bonne voie; il prévoyait qu'avant peu on ne pourrait plus maintenir l'ordre, je ne dis pas dans les royaumes, mais dans les familles. Or la foi catholique tire sa force de son caractère d'unité et d'inaltérabilité. Parler de réformer la foi, c'était une négation impie et, de plus, une contradiction : c'était forcer le monde à croire à l'Église, tandis qu'elle même eut répudié son propre et infaillible magistère. Clément VII cependant éprouvait une certaine répugnance à convoquer un concile œcuménique, surtout parce qu'on discutait si ce concile était, oui ou non, supérieur au Pape. Clément rejettait cette prétention ; en présence de son rejet, un concile pouvait créer un anti-pape excès qui, au milieu des agitations de l'époque, eut produit un immense désordre. Cependant Clément VII finit par donner son assentiment ; voici quelques passages de sa lettre autographe pour annoncer ce concile de Trente qui devait produire, dans l'Église, de si durables bienfaits. « M'étant consulté, dit-il, sur cette proposition, avec ceux des cardinaux que j'ai délégués pour la cause de la foi, nous avons tous adopté avec un élan unanime cette résolu-
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1. Audin, Histoire de Luther, t. I, eh. 39 et n° 4 des pièces justificatives.
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tion, qu'il fallait consentir promptement à la convocation du concile et à toutes les mesures qui ont pour objet d'extirper les hérésies, parce que cette mesure importe au service de Dieu, au salut universel de la chrétienté. » Il est vrai que ceux des luthériens qui réclament ce concile émettent la fâcheuse prétention de soumettre à un nouvel examen, ce qui a été précédemment réglé par les conciles ; il est douteux que rejettant les anciens Pères, ils s'inclinent devant la décision des nouveaux ; il est, de plus, clair que les temps sont peu sûrs et qu'un concile, en cas d'échec, augmenterait encore le trouble. « Ces motifs, continue le Pape, auraient peut-être tenu mon esprit en suspens, si je ne me fusse rendu à l'autorité de Votre Majesté, qui fut toujours, je le sais, si religieuse, si catholique, si dévouée aux intérêts du Siège Apostolique, et non moins prudente et circonspecte, et si je n'eusse considéré que personne mieux qu'Elle, à cause de sa présence au milieu de sa province, pour la guérison de laquelle on propose ce remède, n'est à même de savoir ce qui lui est nécessaire, et cela bien plus sûrement que ceux qui en sont éloignés. Je me range donc à son avis, bien persuadé qu'Elle ne peut désirer ni proposer une mesure qui ne soit utile au service particulier et à l'intérêt général de la chrétienté. Et cependant tout en la priant d'abord d'examiner avec beaucoup de réflexion, et de bien peser tout ce qui a trait aux résultats susdits je dis à Votre Majesté, que je serai satisfait qu'Elle puisse, au cas où Elle le jugerait ainsi nécessaire, offrir et promettre la convocation au concile, sous la condition pourtant, ainsi que le dit encore Votre Majesté dans sa lettre, que les hérétiques, renonçant à leurs erreurs, reviendront immédiatement aux pratiques de la religion catholique et à l'obéissance de notre sainte Mère l'Église, et qu'ils vivront selon ses rites et sa doctrine, jusqu'à ce qu'il en ait été ordonné autrement par le concile, aux décisions duquel ils s'engageront en tout et pour tout à se soumettre : sans ces conditions, il est évident pour tous que ce serait un grand scandale et un détestable exemple que de leur accorder le Concile. Pour ce motif, il est indispensable que Votre Majesté donne des instructions formelles, en sorte que l'exécution de ces conditions suive de près les promesses;
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afin que nous puissions être sûrs que les hérétiques, une fois la convocation du concile obtenue, ne retombent pas dans leurs premières erreurs, car ce serait mettre le comble au scandale » Le Pape indique, pour siège du concile, Rome, Bologne, Mantoue et Plaisance, et réitère sa volonté de prendre cette disposition, que personne ne pourra ignorer son intention de corriger les choses blâmables et de satisfaire, en tout ce qui sera possible, aux justes observations.
34. A la suite du sacre, Clément concéda que le royaume de Naples serait, pendant la vie de Charles-Quint, considéré comme relevant de l'Empire. A la même époque, les redevances annuelles du royaume des Deux-Siciles envers le Saint Siège furent réduites d'une manière stable et précise, à la haquenée blanche. A son tour l'Empereur donna, aux chevaliers de saint Jean de Jérusalem, l'île de Malte et l'île de Goze, qui n'en est séparée que par un trajet de quatre milles, avec tout droit de propriété, seigneurie et souveraineté en justice, à charge de le tenir en fief de Charles et de ses successeurs, en leur qualité de roi des Deux-Siciles, sous la simple redevance d'un faucon que les chevaliers présenteraient chaque année au gouverneur de ce royaume, Par le fait, il rétablissait une puissance que sa noblesse et son héroïsme firent placer justement, malgré les bornes de sa souveraineté, parmi les premières puissances du monde chrétien. Depuis la belle et malheureuse défense de Rhodes, bien accueillis du Pape et des princes chrétiens, les chevaliers n'avaient cependant trouvé nulle part un asile digne de leur grandeur. A la prière du grand-maître, Clément leur obtint Malte de l'Empereur. Le prince ne se fit point prier en abandonnant un roc aride et inhabité, d'environ sept lieues de long sur quatre de large, il mettait la Sicile à l'abri des pirates et préparait à l'Italie, contre les entreprises des Musulmans, un solide boulevard. Les chevaliers, de leur côté, au moyen des rapports et des riches com-manderies qu'ils possédaient sur le continent, voyaient le moyen de transformer cet îlot en place imprenable, d'y appeler la population et de fertiliser le sol par l'assiduité de la culture. Au lieu de douze mille habitants qu'on y comptait, à leur prise de possession,
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on en compta bientôt cinquante mille ; et la méchante bourgade, qui en était la capitale, où le grand-maitre, en débarquant, trouva à peine un logis, devint une grande et belle ville, remplie d'édifices magnifiques. Sur les deux ports de l'île, on construisit des forts solides qui ne formèrent, par leur voisinage, qu'une seule forteresse, dont les défenses, habilement entendues, feront la meilleure place de guerre de tout l'Occident.
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36. Au moment ou Clément Vil ordonnait, aux évêques, de sévir contre les hérétiques, d'abord par la voie des censures et des peines de droit, ensuite par le jugement qui, selon les usages du temps, avait pour terme de livrer les coupables au bras séculier, François Ier envoyait des ordres très-précis, au parlement, et des recommandations à l'évêque de Paris. François Ier n'avait pas montré d'abord beaucoup d'aversion pour les erreurs luthériennes ; ses goûts l'inclinaient vers les humanistes ; ses mœurs devaient lui rendre agréable la doctrine de la foi sans les œuvres ; et il s'était laissé assez aveugler sur ses intérêts politiques, pour favoriser le protestantisme à l'étranger, au moins pour créer des embarras à Charles-Quint. Brantôme, cité par Gaillard, rapporte même, dans
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ses Anecdotes, que François Ier, mécontent du Pape, avait menacé le Nonce d'introduire le luthéranisme en France. « Franchement, Sire, vous en seriez marri le premier, repartit le Nonce, et vous en prendrait très-mal et y perdrait plus que le Pape ; car une nouvelle religion mise parmi un peuple, ne demande après que le changement de Prince. » Brantôme ajoute que François Ier embrassa le Nonce et lui avoua qu'il pensait de même. Cependant les sollicitations dans le sens de ses faiblesses, n'avaient pas manqué à François, surtout du côté de l'Angleterre ; il se refusa au dessein du schisme. Politiquement, dit Audin, on s'explique le refus du Valois de rompre avec Rome : le schisme aurait amené l'hérésie en France et l'hérésie eut été forcée d'arborer un symbole. Mais lequel aurait-elle voulu faire prévaloir? Placé aux portes de l'Allemagne, François Ier voyait toutes les contrées, où la parole nouvelle avait triomphé, déchirées par les luttes intestines et toujours en travail d'une symbolique à substituer au vieux catéchisme catholique. Zwingle, du haut de ses montagnes de l'Albis, avait voulu séduire le monarque français à l'aide d'une Exposition de foi d'où le dogme de la présence réelle était banni. Calvin, dans la préface de son Institution chrétienne, l'invitait en termes magnifiques à s'unir à l'Eglise de Genève, où l'on enseignait que la volonté de Dieu est la seule raison de l'élection et de la réprobation des hommes. Carlstadt l'avait convié à faire partie de la Jérusalem qu'il avait trouvée en brisant toutes les images que l'art chrétien avait rassemblées dans les églises teutonnes. Luther, pour le gagner à la dogmatique de Wittemberg, lui montrait cette belle perle qu'il avait un jour trouvée sur son chemin, et qu'il nommait la foi sans l'œuvre. Osiander lui avait écrit de Nuremberg pour lui proposer, comme une vérité de salut, sa justification qui s'opère par l'intime union de la justice substantielle de Dieu avec nos âmes. Augsbourg le tentait à l'aide d'une confession de foi dictée par le Saint-Esprit lui-même, mais péniblement, si l'on en jugeait par les hésitations de style et d'idées dont le formulaire porte partout les traces. Avec l'esprit pratique dont il était doué, François Ier s'était bientôt aperçu que la Réformation jetait partout le désordre et l'inquiétude; qu'au
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lieu d'une symbolique uniforme, elle apportait des confessions multiples qui donnaient lieu à d'interminables querelles; qu'en Allemagne elle avait engendré des milliers de sectes qui voulaient chacune se-constituer en république chrétienne ; que Carlstadt, OEcolampade, Osiander, Schwenckfeld, Munzer, Bockold, issus de Luther, reniaient leur père et enseignaient tour à tour des dogmes contradictoires qui tous passaient pour procéder de l'esprit de lumière. Or, humainement parlant, que serait devenu le beau royaume de France, qu'en traversant les Alpes pour conquérir l'Italie, il aurait laissé en proie à cette tourbe de docteurs qui ne s'entendaient pas entre eux, qui se maudissaient et se damnaient les uns les autres ; qui comme Storch, prêchaient la communauté des biens, comme Carlstadt, le bris des images, comme Hermann la polygamie, comme Calvin et Zwïngle, le fatalisme et l'esclavage de la liberté humaine? Et, s'il jetait les yeux sur l'Angleterre, ne devait-il pas s'applaudir d'avoir résisté aux conseils de Henri VIII, quand il voyait tout le sang qu'avait coûté la suprématie spirituelle que s'était arrogée le prince 1? »