Hérétiques  

Darras tome 7 p. 244

 

   2. le pontificat de saint Anicet avait vu éclore une foule de sectes, végétation impure du gnosticisme, famille divisée contre son chef, n'ayant de commun qu'une haine et un mépris égal pour

--------------------

1. Voici l'observation ajoutée en note par les éditeurs de l'Épître de saint Soter, aux évêques de Campanie : Hœc quogue délirât temporis nota, anno 162 vmgrueus. {Patrol. grœc, tom. V, col. H36.)

2. ALerrat quoque hic consulatus anno 170 affixui. IPatrol. ffrac, tom. V, col. 1138.)

==========================================

 

p245 CHAP.  III.  — SYNCHRONISME.


les dogmes catholiques et pour les chrétiens fidèles à l'enseignement des apôtres. Il suffira de donner le nom de ces absurdes systèmes, sortis de la gnose de Valentin, et tellement secondaires que la plupart d'entre eux ne purent assurer à leurs auteurs la triste immortalité des hérésiarques.

 

D'abord les Archontiques (de Arköne, prince), qui attribuaient la création du monde à diverses puissances rivales. Ils rejetaient les sacrements et se livraient aux désordres les plus honteux.

 

Les Adamites, disciples d'un imposteur nommé Prodicus, qui voulaient faire revenir le monde à la nudité d’Adam.

 

Les Caïnites, qui, par un étrange renversement d'idées, rendaient un culte à tous ceux dont l'Écriture signale l'impiété et les crimes.

 

Les Antitactes ou Contraires, suivaient le même système; ils regardaient la divinité comme le principe du mal, et soutenaient, en conséquence, que la vertu est digne de tous les châtiments et le vice de toutes les récompenses.

 

Les Ophites se distinguaient par leur vénération pour le serpent, qu'ils regardaient comme l'auteur de toute sagesse, en souvenir du serpent qui avait séduit la première femme dans le paradis terrestre.

 

En se fractionnant de la sorte, le gnosticisme s'éloignait sans doute de son unité doctrinale. C'est le propre de l'erreur, comme l'a si bien dit Bossuet, de varier toujours. Mais ces variations mêmes lui servent à se propager; elle gagne en étendue ce qu'elle perd en profondeur. Le protestantisme moderne en est la preuve. Il en avait été de même des gnostiques. Plus ils s'éparpillaient en rameaux séparés, plus grand était le nombre des âmes qu'ils per­vertissaient. Le dogme de la divinité de Jésus-Christ s'altérait sous les efforts de ces sectes de ténèbres. Pour les uns, l'humanité du Sauveur n'avait été qu'apparente, et l'histoire évangélique se rédui­sait à une série de phénomènes illusoires et fantastiques. Pour les autres, Jésus-Christ n'était pas le fils co-éternel du Père Tout-Puissant, du Dieu infini. C'était une production des éons supé­rieurs. Pour tous enfin, la notion de la Trinité catholique dispa­raissait dans les rêves du plérôme.


Darras tome 7 p. 333

 

39. « On nous accuse de trois crimes : athéisme, anthropophagie dans des festins de Thyeste, promiscuité incestueuse. Princes, si vous pouvez trouver le moindre fondement à cette triple accusation, n'hésitez pas, frappez notre race, vengez sur des monstres les droits de la nature outragée. Oui, s'il en est un seul parmi nous qui commette de pareilles horreurs, exterminez-nous tous avec nos enfants et nos femmes. Ces forfaits qu'on nous reproche dépassent les limites mêmes de la bestialité. L'animal suit du moins certaines lois naturelles ; il ne s'attaque pas à ceux de sa propre espèce ; s'il obéit à l'instinct conservateur de sa race, c'est en un temps déterminé et dans une mesure restreinte ; enfin, la bête féroce elle-même sait reconnaître la main qui lui distribue des aliments ou des secours. Si donc un homme se trouvait qui mon­trât plus de cruauté et de fureur que les bêtes mêmes, il n'y aurait

--------------

1 Athenag., Legatio pro Christian., cap. I ; Patrol. grœc, tom. VI, col. 389-391. — 2 ld., ibid., cap. n.

=======================================

 

p334        POSTIFICAT DE SAINT ELECTHÉRE  (170-183).

 

pas de châtiments proportionnés à un tel forfait. Mais si cette triple accusation qu'on nous intente se réduit à de vaines paroles et à d'absurdes calomnies: si elle n'a d'autre fondement que la haine naturelle du vice contre la vertu, l'opposition de ces deux prin-cipes contraires du mal et du bien, qui se combattent suivant une loi providentielle ; si vous-mêmes enfin avez rendu déjà témoi­gnage de notre innocence, quand vous avez défendu de nous dénoncer aux tribunaux, sur le simple grief de porter le nom de chrétiens ; dans ce cas, c'est pour vous une obligation stricte et rigoureuse, d'ouvrir une enquête sur nos mœurs et nos doctrines ; de vous renseigner exactement sur le zèle et la soumission que nous professons envers votre autorité impériale et votre dynastie; enfin, de tenir la balance égale entre nos ennemis et nous. Cette impartialité nous suffit; nous vaincrons nos persécuteurs, nous qui savons mourir pour la vérité 1 ! » Apres cet élan d'indignation éloquente, l'Apologiste aborde successivement la discussion des trois griefs, formulés par le vulgaire, contre les chrétiens.


Darras tome 7 p. 368

 

§ III. Hérésies.

 

   68. La persécution semble avoir suivi la même marche que les armées impériales, qui, pendant dix années, sous la conduite de Marc-Aurèle, sillonnèrent en tout sens l'illyrie, la Thrace, les Gaules et la Germanie, pour y étouffer l'insurrection des barbares. La Thrace eut de nombreux martyrs, dont les noms nous sont inconnus, mais dont le souvenir est rappelé indirectement par saint Épiphane, dans un chapitre consacré à l'hérésie de Théodote de Bysance. Cet homme, corroyeur de profession, avait été arrêté pour la foi, avec plusieurs autres chrétiens; il recula devant l'hor­reur des supplices et apostasia honteusement. Les fidèles de Bysance lui reprochèrent sa lâcheté; pour échapper à l'ignominie, il prit le parti de s'expatrier, et vint à Rome, dans l'espoir que ses antécédents y seraient ignorés. Il y fut bientôt reconnu par quelques-uns de ses compatriotes. Ce misérable avait des prétentions à la science des Écritures. Il espéra justifier sa conduite par des textes empruntés aux Livres saints. « Il est écrit, disait-il, que le blasphème contre le Fils de l'homme sera pardonné. Or, je n'ai pas commis d'autre faute. Ce n'est pas un Dieu que j'ai renié, c'est un homme, élevé sans doute au-dessus de tous les autres, par sa naissance miraculeuse, par des grâces plus extraordinaires et des vertus plus parfaites. Mais enfin, Jésus-Christ ne fut qu'un homme. Les Apôtres et les premiers disciples le pensaient comme moi. » Theodote se faisait ainsi le précurseur de nos rationalistes mo­dernes. Pour couvrir la lâcheté de son apostasie, il cherchait à l'abriter sous un blasphème. L'horreur générale que cette doc­trine inspira aux chrétiens de son temps, la condamnation solen­nelle dont elle fut l'objet, quelques années après de la part du pape saint Victor, et enfin la protestation de tous les Pères et de tous les docteurs de l'Église, qui flétrissent unanimement l'erreur sacrilège de Theodote et de ses disciples les Alogoi (négateurs du

-----------------------

chii, Thyrsi, et Felicis, 24 septemb.; Martyr, rom., eod. die. Sauleu est maintenant une petite ville du département de Saône-et-Loire, à une dizaine de lieues d'Autun.

=========================================

 

p369 CHAP.  III.   —  HERESIES,

 

Verbe), prouvent qu'au  IIe siècle  l'Église catholique croyait comme elle croira toujours, à la divinité de Jésus-Christ. Par un dernier trait de ressemblance avec nos rationalistes actuels, Théodote et les Aloges, rejetaient l'Évangile de saint Jean comme une œuvre apocryphe. Si nos Aloges modernes se donnaient la pein de réfléchir à cette particularité, ils comprendraient le ridicule de
leur thèse, qui consiste à reculer au IIIe siècle la composition du texte évangélique. On peut tirer la même conclusion du titre d’un ouvrage de Tatien : Concordance des quatre Évangiles, qui ne nous est point parvenu. Ce fut le premier essai tenté en ce genre. Tatien, assyrien d'origine, un des plus brillants disciples de saint Justin, avait d'abord édifié ses frères dans la foi, par l'exemple de ses vertus, autant que par la science de ses écrits. Son traité de polémique religieuse :   Oratio ad Grœcos, que nous possédons encore, se distingue par une vigueur de style et une âpreté de ton, qui rappellent le génie de Tertullien. Par une singularité remarquable, Tatien flétrissait d'avance les erreurs qu'il eut le malheur d'embrasser plus tard. Enorgueilli de ses succès et de l'éclat de sa réputation, il dédaigna la simplicité de la foi et en méprisa la régle, pour suivre sa propre raison ; il voulut avoir son système faire école, et ne fut plus qu'un sectaire. Il se jeta donc dans le gnosticisme, et adopta la théorie marcionite, avec les éons de Valentin. Admettant les deux principes de Marcion pour expliquer
l'origine du mal, il se distingua en pressant plus vivement les con­séquences de cette erreur, et en les appliquant à la pratique. Il condamnait le mariage comme un adultère, ou une fornication ; il interdisait aux chrétiens de manger la chair des animaux et de boire du vin. Cette abstinence rigoriste, dont la lettre des Églises de Lyon et de Vienne nous a donné un exemple, valut aux disciples de Tatien le nom d'Encratites, Sévériens, ou « Tempérants. » Cette hérésie nouvelle se divisa bientôt en d'autres sectes. Les du nom de leur chef, Sévère, admettaient la loi et les prophéties mais comme des révélations d'esprits subalternes, bons et mauvais, dont l'action simultanée avnit produit le Testament Ancien. Les Cassianites, disciples de Cassien, mélangeaient à ces erreurs le
========================================

 

p370          PONTIFICAT DE SAIKT ELEDTHÈRE  (170-183).

 

système des Docètes, et ne voyaient, dans l'incarnation du Fils de Dieu, qu'une apparence fantastique. Tous prétendaient faire remonter aux Apôtres, le germe de leurs erreurs. Dès iors, ils prenaient le nom ambitieux d'Apostoliques ; ils affectaient dans leur extérieur un rigorisme exagéré. Le sac dont ils aimaient à se couvrir les fit appeler Saccophores. Quelques-uns professaient, au sujet de la propriété, des doctrines analogues à celles que nous avons vu mettre en circulation de nos jours. Ils la regardaient comme une injustice, et prêchaient un renoncement absolu aux biens de la terre, dont « la possession, disaient-ils, souille la conscience hunnine. » On désigna ces puritains antiques sous le nom de Kataroi(Purs), ou d'Apotactiques (Renonçants). 

 

59. A la même époque, un docte syrien désola pareillement les fidèles par le scandale de sa révolte contre l'Église. Bardesane, esprit cultivé, chrétien fervent dans les premières années qui sui­virent sa conversion, se montra d'abord, comme Tatien, le défen­seur intrépide de la vérité. Très-éloquent dans sa langue mater­nelle, le syriaque, plein de feu et de vivacité dans la controverse, il écrivit divers traités de polémique contre Marcion et les autres hérésiarques. Ces ouvrages, traduits en grec par ses disciples, conservaient, dans un idiome étranger, une élégance et une force que saint Jérôme admirait. Le plus célèbre de tous est le Dialogue du Destin, contre l'astrologie judiciaire, qui semble avoir été adressé à l'empereur Marc-Aurèle, à l'époque où ce prince affec­tait de s'environner de devins et de mages. La réputation de Bar­desane jetait un si vif éclat que les païens, le considérant comme une conquête précieuse, lui envoyèrent Apollonius, favori de Marc-Aurèle, pour l'engager, par les plus séduisantes promesses, à quitter la religion chrétienne. Il répondit à de telles avances avec autant de courage que de sagesse. « Je ne crains pas la mort, dit-il, aussi bien ne pourrais-je l'éviter, lors même que je me ren­drais aux désirs de l'empereur. » Sa fermeté, en cette circonstance, le mit, dans l'opinion des fidèles, presqu'au rang des confesseurs de la foi. Mais plus son attachement à la vérité l'avait élevé dans l'Église, plus sa chute fut profonde. Il embrassa les erreurs de

==========================================

 

p371 CHAP. III.—- HÉRÉSIES.

 

Valentin, qu'il enseigna pendant quelque temps aux disciples que ses talents avaient séduits. Cependant il ne tarda pas à recon­naître l'absurdité de la gnose, et, revenu à des idées plus chré­tiennes, il combattit même le système qui l'avait entraîné. Mais il conserva quelques restes malheureux de son égarement, qui for­mèrent une sorte de système moyen, de semi-gnosticisme, auquel il donna son nom. Marin, l'un de ses sectateurs, nous apprend que Bardesane admettait la co-existence de la matière, principe du mal, avec l'essence divine, principe du bien. Ce dualisme, on le sait, était l'idée dominante de l'école syrienne et de Marcion. Selon lui, le corps du Christ venait du ciel et non de Marie, et il n'y avait pas de résurrection des morts. Le fils de Bardesane, Harmonius, doué d'un véritable talent pour la versification, mit son gé­nie poétique au service des erreurs paternelles. Dans une série de chants qui devinrent bientôt populaires en Syrie, il condensa tout le gnosticisme de Bardesane. Deux siècles plus tard, saint Éphrem entendait encore ces airs, devenus nationaux, répétés par ses com­patriotes. Il dut, pour en combattre la pernicieuse influence, com­poser, sur le même rhythme, des hymnes catholiques qui se subs­tituèrent peu à peu dans la mémoire du peuple aux vers de l'hé­résiarque. La doctrine erronée de Marcion, qui infestait alors l'Église, avait pris un nouvel accroissement par les prédications mensongères d'Apelles, le plus fameux disciple du sectaire. Chassé de la compagnie de son maître, pour une infamie dont il s'était rendu coupable, il se réfugia à Alexandrie, où il enseigna ses propres erreurs. Il disait que le Créateur avait voulu former l'uni­vers visible à l'imitation d'un cosmos supérieur, dont il n'avait pu néanmoins atteindre la perfection. C'est pourquoi il s'était mêlé au sien des germes de corruption, par le fait de l'impuissance de l'auteur. Il disait que Jésus-Christ n'avait eu ni la simple apparence d'un corps, comme le prétendaient Marcion et la foule des Docètes, ni la réalité d'une chair vivante et véritable, selon que nous l'ap­prend l'Évangile ; mais qu'en descendant du ciel, il s'était composé un corps aérien, emprunté aux parties les plus subtiles de l'atmos­phère de chacune des régions qu'il avait dû traverser, et qu'après

=========================================

 

p372      PONTIFICAT  DE SAINT ELEUTHERE  (170-185).

 

sa résurrection il les avait restituées chacune au lieu de son origine, en sorte que le Pneuma (âme) seul était retourné au ciel. Ce système le conduisait à nier, ainsi que les Marcionites, le dogme de la résurrection de la chair. Pour séduire plus facilement les simples, il se prétendit en possession des secrets de l'avenir et publia, sous le litre de phanorèsis (révélation), les hallucinations d'une fille nommée Philumena, qu'il donnait comme une prophétesse. Apelles parvint à un âge avancé; dans sa vieillesse, il affectait des mœurs rigides et un extérieur grave et austère. Rhodon, docteur catholique, dans une conférence publique avec lui, l'ayant forcé à se contredire plusieurs fois, l'amena enfin à soutenir qu'il ne faut point examiner si scrupuleusement sa religion; que chacun doit demeurer dans la croyance qu'il a embrassée, et que ceux qui ont mis leur espérance en Jésus-Christ, à quelque secte qu'ils appar­tiennent, seront sauvés, pourvu qu'ils soient trouvés pleins de bonnes œuvres. Le protestantisme en est là aujourd'hui. C'est ainsi que, par une logique inexorable, toutes les hérésies, toutes les erreurs aboutissent forcément à l'indifférentisme universel.

 

60. Épileptique ou démoniaque, comme le disent les Pères, ou peut-être simplement imposteur, Montan, né dans la Mésie, con­trée qui faisait alors partie de la province phrygienne, donna nais­sance, vers le milieu du IIe siècle, à une nouvelle secte, dont l'illu-minisme paraît avoir été le caractère le plus saillant. Sujet à des convulsions extraordinaires, il prétendit que, dans ces accès, il recevait l'inspiration directe de l'Esprit-Saint, et la mission d'élever à un nouveau degré de perfection le dogme et la morale du chris­tianisme. Deux femmes opulentes, Priscilla et Maximilla, entraînées par une illusion grossière, ou par l'aveuglement de la passion, quittèrent leur famille pour s'attacher à ce fanatique. A son exemple, elles eurent des convulsions, des extases, prophétisèrent, et partagèrent dès lors avec Montan l'honneur de figurer à la tête de la secte. Elles prétendaient succéder directement aux prophètes catholiques, Agab, Jude, Silas; aux filles du diacre saint Phi­lippe, à Quadrat et à la prophétesse Ammia, de Philadelphie. « Dieu, disaient-elles, les envoyait pour perpétuer le don de pro-

=========================================

 

p373. CHAP. III. — HÉRÉSIES.

 

phétie, qui ne doit jamais se perdre dans l'Église. » Montan se vantait d'avoir à lui seul, la plénitude de l'Esprit-Saint, dont cha­cun des apôtres n'avait reçu qu'un écoulement partiel, au jour de la Pentecôte. En conséquence, il se nommait le Paraclet, et s'at­tribuait la mission de réformer l'Église. Saint Paul avait permis les secondes noces; Montan les interdisait comme une infamie. L'Église enseignait l'indissolubilité du mariage, explicitement for­mulée dans l'Évangile ; Montan prétendait qu'il est toujours permis d'en rompre les liens. Les apôtres avaient permis l'usage de tous les aliments convenables à l'homme, et supprimé la distinction judaïque des animaux purs ou impurs; Montan la rétablit, et ne permit à ses disciples qu'un régime uniquement végétal. Les apôtres n'avaient institué qu'un seul carême; Montan en exigea trois, qui remplissaient presque le cercle entier de l'année. Ses sectateurs observaient des jeûnes si rigoureux qu'ils passaient quelquefois tout le jour sans prendre aucune nourriture. Ils en avaient d'autres où ils ne mangeaient que le soir. Par un excès diamétralement opposé à celui de Théodote de Bysance, Montan faisait une obligation de se présenter spontanément au martyre et défendait de fuir dans la persécution. Inexorable pour les pécheurs, il n'en admettait presque aucun à la pénitence. Il ne niait point toutefois à l'Église, en thèse générale, le pouvoir de remettre les péchés, mais il n'admettait l'exercice de ce pouvoir que par les pneumatiques (spirituels), un prophète ou un apôtre. Ses partisans affectaient d'établir entre eux une hiérarchie régulière, à la tête de laquelle ils plaçaient un patriarche, chef suprême de toute la secte. Venaient ensuite ceux qu'ils appelaient cenomes (loi vivante), et enfin les évêques, qui n'étaient qu'au troisième rang. Ils avaient fixé le chef-lieu de leur hérésie dans une petite ville de Phrygie, nommée Pepuza, qu'ils étaient convenus entre eux de décorer du nom de Jérusalem. C'était là que, sous les apparences d'une austé­rité inflexible, ils se livraient à tous les désordres d'une vie licen­cieuse, comme le leur reproche avec véhémence Apollonius, auteur ecclésiastique de ce temps1. Sous la dénomination de Catapkryges

------------------

1 Apollonii Fragmenta, Patrol.grcec, tom. Y, col. 1382.

=========================================

 

p374       PONTIFICAT DE SAINT ELEUTHÈRE  (170-185).

 

(Phrygiens), les montanistes se répandirent dans une grande partie de l'Asie, et infectèrent l'Afrique elle-même, où ils comptaient déjà plusieurs églises, au commencement du IIIe siècle. Il y eut chez eux des Priscilliens, qui reconnnaissaient aux femmes le pouvoir sacerdotal; des Artotyriles, qui célébraient les saints mystères avec du pain et du fromage, pour rappeler, disaient-ils, la simplicité des patriarches; des Trascodrugites ou Paltalorhyncites, ainsi nom­més parce qu'en signe de tristesse, ils affectaient de poser leur doigt sur le nez; des Ascites ou Ascodrytes, qui dansaient autour d'une outre gonflée de vent, symbole, disaient-ils, du Saint-Esprit. C'est ainsi que le protestantisme moderne a eu ses quakers, ses trembleurs, ses danseurs et ses mômiers. Cependant les évêques s'émurent de ces innovations scandaleuses. Sérapion, évêque d'Antioche, Apollinaire d'Hiérapolis, AElius Publius de Debelta, colonie de Thrace, réunis dans une assemblée solennelle, condamnèrent formellement la nouvelle hérésie et ses fauteurs 1. La consultation adressée par les martyrs de Lyon à saint Éleuthère et la réponse du pontife avaient l'erreur des Cataphryges pour objet. Montan, aveuglé par l'esprit d'orgueil et de démence, auquel il était livré, ne se soumit point à la sentence portée contre lui. Il continua à jouer le rôle d'illuminé, et l'on croit que, dans un de ses accès convulsionnaires, il se donna lui-même la mort, de concert avec Maximilla, sa prophétesse, probablement pour se mettre plus tôt en possession de la béatitude éternelle.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon