La Trinité 2

Daras tome 27

 

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QUINZE LIVRES(1)

 

SUR

 

A TRINITE

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LIVRE PREMIER

 

Saint Augustin dans ce livre établit l'unité et l'égalité de la suprême Trinité par les saintes Ecritures, et explique certains textes invoqués contre l'égalité du Fils.

 

CHAPITRE 1.

 

Augustin écrit contre ceux qui abusent de la raison pour attaquer la foi de la Trinité

 

1. Avant de lire notre traité sur la Trinité, il faut qu'on sache bien que notre plume veille pour repousser les calomnies de ceux qui, méprisant ce principe de la foi, se trompent par un amour de la raison hors de saison et pervers. Plusieurs d'entre eux essaient de transporter aux choses incorporelles et spirituelles ce qu'ils ont appris des corporelles par l'expérience des sens du corps, ou que la nature du génie de l'homme, un soin diligent et les ressources de l'art leur ont fait découvrir, et veulent mesurer les choses de Dieu et s'en faire une idée par le moyen des choses corporelles. Il y en a aussi qui se forment de Dieu une idée, si toutefois ils ont, sur ce point, une idée quelconque, entièrement semblable à celle qu'ils ont de la nature et de la manière d'être de l'âme humaine, et, par suite de cette erreur, suivent dans leurs discussions, lorsqu'ils parlent de Dieu, des règles erronnées et trompeuses. Enfin, il y a une troisième sorte de gens qui tâchent de s'élever au‑dessus de l'univers créé certainement sujet au changement, pour porter toute leur attention sur la substance immuable qui n'est autre que Dieu; mais, ramenés en bas par le poids de leur condition mortelle, comme ils veulent paraître connaître ce qu'ils ignorent, et ne peuvent apprendre ce qu'ils ne savent point, ils affirment avec une excessive audace leurs présomptueuses opinions, et se ferment, à eux‑mêmes, toutes les voies de

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(1) Commencés vers l'an 401 et terminés vers l'an 416.

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l'intelligence, parce qu'ils aiment mieux ne point corriger leur sentiment quoique mauvais, que d'en changer après l'avoir soutenu. Tel est donc le mal des trois sortes de personnes dont j'ai parlé : les unes conçoivent Dieu comme une substance corporelle, les autres le conçoivent tel que les êtres spirituels, comme l'âme, et les troisièmes s'en forment une idée qui n'a rien de commun avec les êtres corporels, non plus qu'avec les créatures spirituelles, mais qui ne laisse point pour cela d'être fausse et de s'éloigner d'autant plus de la vérité, au sujet de Dieu, que l'idée qu'ils s'en font n'a rien de commun ni avec le corps, ni avec les esprits faits et créés, ni avec le créateur lui‑même. En effet, ceux qui se représentent, par exemple, Dieu blanc ou rouge, se trompent, bien que ces propriétés se trouvent dans les corps. De même si on se fait un Dieu qui tantôt oublie, tantôt se ressouvient, ou éprouve quelque chose de semblable, on n'est pas moins dans l'erreur, bien que tous ces phénomènes se rencontrent dans l'âme. Quant à ceux qui pensent que telle est la puissance de Dieu, qu'il a pu se donner l'être à lui‑même, ils sont dans une erreur d'autant plus grande que non‑seulement Dieu n'est point ainsi, mais que telles ne sont point non plus les créatures spirituelles ou corporelles, car il n'y a absolument rien qui se soit engendré soi‑même et donné l'être.

 

2. Pour purifier l'esprit de l'homme de toutes ces erreurs, la sainte Ecriture, se mettant à la portée des petits, n'a pas fait de difficulté de recourir à des expressions désignant des objets existants, propres à nourrir, si je puis parler ainsi, et à élever, par degré, notre intelligence aux choses sublimes et divines. En effet, elle s'est servie de locutions empruntées aux choses corporelles pour parler de Dieu, par exemple : «Protégez‑moi à l'ombre de vos ailes. » (Psal. xvi, 8.) Elle a transporté à Dieu, le sens de beaucoup de mots qui convenaient à la créature spirituelle, pour exprimer des choses qui n'étaient point ce que ces mots faisaient entendre, mais qu'on était obligé de rendre ainsi; exemple : «Je suis un Dieu jaloux. » (Exod., xx, 5.) Et encore: « Je me repens d'avoir fait l'homme; » (Genes., vi, 7) mais jamais elle n'a eu recours à des termes qui n'exprimassent rien d'existant véritablement, pour en faire des figures ou pour en voiler les énigmes. Aussi ceux qui tombent dans cette erreur et se détournent de la vérité, en se figurant u(e)n Dieu des choses qu'on ne peut trouver ni en lui ni dans aucune créature, se perdent‑ils en conceptions aussi vaines et vaporeuses que funestes. L'Ecriture sainte se sert ordinairement de choses existant dans les créatures pour en faire comme des jouets d'enfants, par lesquels, elle excite les faibles à s'avancer, je dirai pas à pas, et d'une marche

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proportionnée à leur faiblesse, à la recherche des choses d'en haut, et à les éloigner en même temps des choses d'en bas. Mais il est rare que l'Ecriture nous parle de ce qui n'est propre qu'à Dieu et ne se trouve point dans une créature, comme dans ces mots adressés à Moïse : « Je suis celui qui est.» (Exod., 111, 14.) Et dans ceux‑ci : « C'est celui qui est qui m'a envoyé à vous. » En effet, comme on peut dire également, en un certain sens, du corps et de l'âme qu'ils sont, l'Ecriture ne se serait point exprimée comme elle l'a fait, si elle n'avait voulu donner à entendre quelque chose dans un sens propre à Dieu. Il en est de même de ces mots de l'Apôtre : «Celui qui seul a l'immortalité ;»(I Tim., CI, 16) car l'âme aussi possédant une certaine immortalité, n'aurait point dit : « Seul il a l'immortalité,» s'il ne s'était agi de la vraie immortalité qui n'est autre que l'incommutabilité que nulle créature ne possède et qui est propre au Créateur seul. C'est ce que dit saint Jacques en ces termes : « Toute grâce excellente et tout don parfait vient d'en haut et descend du Père des lumières qui ne connaît ni changement ni l'ombre d'un moment. » (Jacq., 1, 17.) C'est également en ce sens que David s'écrie : «Vous les changerez et elles seront changées, mais vous, vous êtes toujours le même. » (Psal. ci, 27.)

 

3. Il est donc difficile de contempler et de bien connaître la substance de Dieu qui, sans éprouver aucun changement ne laisse point de faire des choses changeantes, et, sans aucun mouvement temporel, des choses temporelles; voilà pourquoi il est nécessaire de purifier notre âme pour qu'elle puisse voir, d'une vue ineffable cet être ineffable; mais, tant qu'elle n'est point encore purifiée, la foi nous nourrit et nous conduit par certaines voies très‑praticables et nous rend aptes et habiles à le saisir; c'est ce qui fait que l'Apôtre tout en disant que « dans le Christ se trouvent cachés tous les trésors de science et de sagesse,» (Col., 11, 3) ne laisse point cependant de le présenter à ceux mêmes qui ont déjà reçu, il est vrai, une seconde naissance par la grâce, mais qui, étant encore charnels et animaux, sont comme de petits enfants en Jésus‑Christ; toutefois, il ne la leur présente pas dans sa vertu divine par laquelle il est égal au Père, mais dans la faiblesse humaine selon laquelle il a été crucifié. En effet, il dit : « Car je n'ai point fait profession de savoir autre chose parmi vous que Jésus‑Christ, et Jésus‑Christ crucifié. » (I Cor., 11, 2.) Un peu plus loin il continue en ces termes : « Cependant, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes charnelles, comme à de petits enfants en Jésus‑Christ. Je ne vous ai nourris que de lait, non pas de viandes solides, parce que vous n'en étiez pas alors capables, et à présent même, vous ne l'êtes point encore. »

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p161 LIVRE 1. ‑ CHAPITRE Il.

 

(I Cor., 111, 1.) Quand on dit cela à certaines gens, elles se fâchent et s'imaginent qu'on ne leur parle ainsi que par un sentiment de mépris. Aussi, la plupart du temps, aiment‑elles mieux croire que ceux qui leur font entendre ces paroles parlent ainsi, parce qu'ils n'ont pas autre chose à leur dire, et, ne s'imaginent pas que ce sont elles qui ne peuvent comprendre ce qu'on leur dit. Souvent même nous leur rapportons des raisons qui ne sont pas celles qu'elles nous demandent quand elles nous questionnent sur Dieu, parce qu'elles ne peuvent les goûter et que peut‑être nous ne pouvons nous‑même ni les saisir ni les leur présenter, mais qui montrent néanmoins combien elles sont inhabiles et inaptes à percevoir ce qu'elles demandent. Mais parce qu'elles n'entendent point ce qu'elles veulent ou se figurent soit que nous agissons de ruse avec elles, pour déguiser notre propre incapacité ou que nous sommes jaloux de leur capacité, il arrive qu'elles s'éloignent de nous l'âme pleine de trouble et d'indignation.

 

CHAPITRE II.

 

Comment il sera traité de la Trinité dans cet ouvrage.

 

4. C'est pourquoi, avec l'aide du Seigneur notre Dieu, nous allons entreprendre de montrer, ainsi qu'on nous le demande, et autant que nous le pourrons, comment la Trinité est le seul vrai Dieu, et que c'est avec beaucoup de raison qu'on dit, qu'on croit et que l'on comprend que le Père, le Fils et le Saint‑Esprit, n'ont qu'une seule et même substance, une seule et même essence. Il ne faut pas que nos adversaires se croient le jouet de nos excuses, si je puis parler ainsi, mais connaissent par expérience, qu'en effet c'est là le souverain bien qui n'est vu que par les âmes les plus purifiées et que s'il ne peut être vu ni compris par eux, c'est parce que le regard trop faible de l'esprit de l'homme ne saurait se fixer sur une lumière aussi excellente, s'il n'a point été nourri par la justice de la foi. Mais d'abord il faut montrer, par l'autorité de la sainte Ecriture, qu'il en est ainsi. Puis, s'il plait au ciel et avec l'aide de Dieu, nous nous plierons peut‑être si bien aux exigences de nos bavards et raisonneurs adversaires, plus fiers que capables, et atteints par conséquent d'une maladie bien dangereuse, que nous leur apporterons des raisons qui ne leur permettrons plus de douter, et les forcerons au contraire à s'en prendre plutôt à leur propre esprit, qu'à la vérité même ou à nos explications s'ils ne peuvent trouver ce qu'ils cherchent. Et, s'il leur reste encore quelques lambeaux d'amour et de crainte de Dieu, ils reviendront au principe et à l'ordre de la foi, et sentiront enfin quel avantage, c'est pour le salut, qu'il ait été préparé dans l'Eglise, une médecine qui guérisse dans les

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p162 QUINIZE LIVRES SUR LA TRINITE.

 

fidèles par la pratique de la piété, la faiblesse de l'esprit et nous rende capables de percevoir l'immuable vérité, et empêche la témérité de nous précipiter dans une funeste erreur. Moi-même je n'aurai ni répugnance à chercher quand je serai dans le doute, ni honte à m'instruire quand je me sentirai dans l'erreur.

 

 

CHAPITRE III.

 

Prière de saint Augustin à ses lecteurs.

 

5. Que ceux donc qui liront ces lignes, marchent tous de front avec moi, quand ils partageront ma certitude; qu'ils cherchent avec moi, s'ils se trouvent dans les mêmes doutes, qu'ils reviennent à mon sens quand ils reconnaîtront qu'ils sont dans l'erreur, et qu'ils m'attirent au leur, si je reconnais que c'est moi qui me trompe. C'est ainsi que nous pourrons entrer ensemble dans les sentiers de la charité et tendre vers celui dont il est dit : «Cherchez sa face sans cesse. » (Psal. CIV, 4.) Voilà le pacte pieux et sûr que je veux faire, devant le Seigneur notre Dieu, avec tous ceux qui liront non‑seulement ce traité, mais tous mes autres ouvrages, et particulièrement ceux où je fais des recherches sur l'unité de la Trinité qui est le Père, le Fils et le Saint‑Esprit, attendu qu'en nul autre sujet l'erreur n'est plus dangereuse, en nul autre les recherches plus laborieuses, en nul autre les découvertes plus avantageuses. Si le lecteur en me lisant, trouve que je ne m'exprime pas bien parce qu'il ne me comprend point, son blâme ne doit tomber que sur la manière dont je rends ma pensée, non point sur ma foi; il est possible, en effet, qu'on eût pu être plus clair; toutefois, personne ne s'est jamais exprimé de manière à être compris de tout le monde, dans tout ce qu'il dit. Ceux donc à qui telle ou telle chose que je dirai ne plaira point, devront examiner s'ils comprennent les autres auteurs versés dans les choses et les questions que je traite, et qu'ils ne comprennent point chez moi. S'il en est ainsi, ils devront laisser là mon livre ou même, si ça leur fait plaisir, le rejeter loin d'eux, pour con­sacrer de préférence leurs soins et leur temps aux écrivains qu'ils comprennent. Néanmoins ils ne doivent pas croire que j'aurais mieux fait de me taire, puisque je ne pouvais m'exprimer d'une manière aussi claire et aussi nette que les auteurs qu'ils comprennent, car tout ce qu'écrit un auteur ne tombe point dans les mains de tous les lecteurs, et il se peut que ceux qui comprennent nos écrits, n'eussent jamais eu sous la main les ouvrages qui sont plus clairs que les miens, tandis qu'ils ont du moins les miens. Il est donc utile qu'il se fasse sur le même sujet des livres par des auteurs de différents styles,

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p163 LIVRE 1. ‑ CHAPITRE 111.

 

non de foi, afin qu'il puisse arriver à la connaissance de plus de monde, à ceux‑ci d'une manière, à ceux‑là d'une autre. Quant à ceux qui se plaignent de ne rien comprendre à ces matières et qui n'ont jamais rien entendu aux ouvrages où elles sont traitées avec soin et avec talent, ils doivent faire intérieurement des vœux et des efforts pour en tirer quelque profit, au lieu de me chercher querelle et de me dire des injures pour me forcer au silence. Quant à ceux qui, en me lisant, pourront dire : Je le comprends, mais ce n'est point exact, je les engage à vouloir bien soutenir leur sentiment et me réfuter s'ils le peuvent. S'ils s'en acquittent avec charité et vérité, et me le font savoir, dans le cas où je serais encore de ce monde, je recueillerai par là des fruits abondants de ce travail; s'ils ne peuvent me rendre ce service, je veux et ne demande pas mieux qu'ils le rendent à ceux à qui ils pourront. Quant à moi, je médite sur la loi du Seigneur, sinon le jour et la nuit, du moins à tous les instants qu'il m'est possible, et je couche par écrit le fruit de mes méditations, afin qu'il ne m'échappe point par l'oubli, et j'espère, par la miséricorde de Dieu, qu'il me fera persévérer dans toutes les vérités qui, pour moi, sont certaines; si j'ai un sentiment contraire à la vérité, il me le fera connaitre aussi, soit par des inspirations intimes et de secrets avertissements, soit par ses paroles manifestes, ou les entretiens de mes frères. Voilà ce que je lui demande, tel est le vœu que je dépose entre ses mains, car il peut conserver en garde ce qu'il donne et rendre ce qu'il promet.

 

6. Je sais bien qu'il se trouvera des lecteurs à l'esprit pesant qui, dans certains passages de mes écrits, me croiront un sentiment que je n'ai point, ou ne me croiront pas la pensée que j'ai en effet. Mais tout le monde sait qu'on ne doit point m'imposer leur erreur. Sans doute c'est en paraissant me suivre qu'ils se sont égarés dans les sentiers de l'erreur, parce qu'ils n'ont pu me suivre quand je me frayais une route dans des endroits obscurs et d'épaisses broussailles. De même on ne saurait attribuer avec raison, à la sainte autorité des divines Ecritures la multitude d'erreurs si variées où sont tombés les hérétiques, bien qu'ils essaient tous d'appuyer leurs opinions aussi fausses que fallacieuses sur ces mêmes Ecritures? La loi du Christ, je veux dire la charité, m'engage et m'en fait même un devoir par le plus doux commandement; s'il arrive à quelqu'un de penser que, dans mes livres, j'ai émis une erreur que je n'ai point émise en effet, erreur agréable aux uns et réprouvée des autres, d'aimer mieux être repris par ceux qui blâment l'erreur, qu'ap-

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prouvé de ceux qui la goûtent. En effet, les premiers ont raison de blâmer, sinon moi qui n'ai point eu le sentiment qu'ils me prêtent, du moins l'erreur qu'ils m'imputent, les seconds au contraire ne louent avec raison ni moi, à qui ils attribuent un sentiment que la vérité condamne, ni ce sentiment même que la vérité réprouve. Et maintenant je vais commencer le travail que j'entreprends au nom du Seigneur.

 

CHAPITRE IV.

 

Doctrine de la foi catholique sur la Trinité.

 

7. Tous ceux que j'ai pu lire ayant écrit avant moi sur la Trinité, qui n'est autre que Dieu même, interprètes catholiques des livres divins de l'Ancien et du Nouveau Testament, se sont uniquement proposé de montrer, d'après les saintes Ecritures, que le Père, le Fils et le Saint‑Esprit ne font qu'une unité divine par l'inséparable égalité d'une seule et même substance, et que, par conséquent, ce ne sont point trois Dieux, mais un seul Dieu, bien que le Père ait engendré le Fils et que le Fils ne soit point le Père, que le Fils ait été engendré par le Père et que le Père ne soit point le Fils, que le Saint-Esprit ne soit ni le Père ni le Fils, mais seulement l'Esprit du Père et du Fils, coégal lui-même avec le Père et le Fils et participant à l'unité de la Trinité. Cependant, pour eux, ce n'est point la Trinité qui naquit de la Vierge Marie, fut crucifiée et ensevelie sous Ponce Pilate, ressuscita le troisième jour, et monta aux cieux, c'est seulement le Fils. Ce n'est point non plus la Trinité qui descendit sous la forme d'une colombe sur Jésus baptisé (Matth., III, 16), et qui, le jour de la Pentecôte, après l'Ascension du Seigneur, en même temps que se faisait entendre un bruit venant du ciel, comme le ferait un vent violent, se reposa en langues de feu sur chacun des apôtres (Act., II, 2), c'est seulement le Saint‑Esprit. Ce n'est point non plus cette même Trinité qui a dit du haut du ciel : « Vous êtes mon fils; » (Marc, I, 11) soit quand Jésus fut baptisé par Jean, soit sur la montagne, lorsque trois de ses disciples étaient avec lui (Matth., XVII, 5), ou quand une voix se fit entendre disant : « Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. » (Jean, XII, 8.) C’est seulement le Père qui s'adressait au Fils, quoique le Père, le Fils et le Saint‑Esprit, étant inséparables, opèrent d'une manière inséparable. Cette foi est ma foi, parce que c'est la foi catholique.

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p165 LIVRE 1. ‑ CHAPITRE V.

 

CHAPITRE V.

 

Difficultés sur la Trinité : comment trois personnes ne font qu'un seul Dieu, et comment en opérant inséparablement les unes des autres, elles font certaines choses sans que toutes les trois le fassent.

 

8. Mais cette foi jette le trouble dans l'esprit de plusieurs quand ils entendent dire que le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint‑Esprit est Dieu, et néanmoins que cette Trinité ne fait point trois Dieux, mais un seul Dieu; ils cherchent à le comprendre, surtout quand après avoir dit que la Trinité opère inséparablement dans tout ce qui est opération divine, on ajoute qu'il s'est fait entendre une voix du Père qui n'était point la voix du Fils, que le Fils seul est né, a souffert, est ressuscité et monté au ciel, de même que le Saint‑Esprit seul est venu sous l’apparence d'une colombe. Ils veulent comprendre comment il se fait que la Trinité ait fait entendre cette voix qui n'est que la voix du Père, que la même Trinité ait créé cette chair dans laquelle le Fils seul est né de la Vierge, que cette même Trinité encore ait produit cette apparence de colombe sous laquelle il n'y a que le Saint‑Esprit qui soit apparu; car s'il en était autrement, la Trinité n'opérerait point d'une manière inséparable, mais le Père ferait une chose, le Fils en ferait une autre et le Saint‑Esprit ferait aussi la sienne, ou bien s'il y a des choses que les trois personnes font ensemble, et s'il y en a que chacune d'elles fait en particulier, la Trinité n'est plus inséparable. Encore une difficulté, c'est dans la Trinité un Saint‑Esprit que ni le Père seul, ni le Fils seul, ni le Père et le Fils ensemble n'ont engendré, quoiqu'il soit l'Esprit de l'un et de l'autre. On se demande donc comment cela se fait et sur ce point on nous presse de questions; nous allons l'expliquer, du mieux que nous pourrons, si, par la grâce de Dieu, notre faiblesse a quelque lumière sur ces matières et nous n'imiterons point ceux que rongent l'envie. (Sag., VI, 25.) Si nous disions que ces pensées ne nous sont pas habituelles, nous mentirions, et si nous reconnaissons qu'elles ne cessent d'être présentes à notre esprit, parce que l'amour de la vérité nous entraîne à sa recherche, on nous demande au nom de la charité de faire connaître ce que nous avons pu trouver dans nos réflexions. Ce n'est pas que j'aie déjà reçu ou que je sois parfait; si l'apôtre Paul peut s'exprimer ainsi, à combien plus forte raison ne puis‑je penser, moi qui suis si fort au‑dessous de lui, que j'ai saisi ces mystères? Mais, dans la faible mesure de mes forces, j'oublie ce qui est derrière moi. Je vais en avant et cours de toutes mes forces, afin de remporter le prix de la vocation qui nous vient d'en haut. Si après avoir par-

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couru une partie de la route, et sur le point de toucher au but, on veut que je dise ce que j'ai appris, la charité qui est libre me force de répondre à ces désirs. Mais il faut, et Dieu m'en fera la grâce, qu'en écrivant des livres pour ceux que pressent ces désirs, je fasse moi‑même quelques progrès et que tout en voulant répondre aux questions qui me sont faites, je trouve moi‑même ce que je cherche de mon côté. J'ai donc entrepris, sur l'ordre et avec l'aide du Seigneur notre Dieu, non pas tant d'exposer avec autorité ces mystères, comme si je les connaissais, que de les étudier en en parlant avec piété.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon