Darras tome 15 p. 488
52.L'impératrice Martina, femme d'Héraclius, que les sentinelles barbares croyaient avoir vue sortir de la porte des Blakhernes, n'était pas à Constantinople. Elle avait voulu accompagner son époux dans tous les périls de sa lointaine expédition. La princesse Eudoxie elle-même avait quitté la capitale, quelques jours avant le blocus, pour aller dans l'Atropatène rejoindre le khan des Khazars, Ziébil, dont elle était devenue si inopinément la fiancée. Triste sort des filles royales, livrées comme enjeu aux hasards les plus étranges de la politique! Eudoxie aurait, comme tant d'autres, obscurément accompli son sacrifice. Elle fut délivrée sans le savoir, de même qu'elle avait été engagée à son insu. En arrivant à l'armée de son père, elle apprit que Ziébil venait de mourir prématurément. La fiancée se consola facilement, on peut le conjecturer; mais la mort de Ziébil faillit compromettre tout le succès de l'expédition. Les quarante mille Khazars auxiliaires qu'il avait confiés à Héraclius, déclarèrent que cette mort rompait leurs engagements, et se retirèrent dans leurs montagnes. L'empereur ne les retint pas. Rassemblant autour de lui les soldats de sa faible, mais héroïque
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1 Cedren., lib. I, pag. 729; Cf. Drapeyron, L'empereur Héraclius, pag. 238. — 2 Pisid.j Dell. Avarie., vers. 1.
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armée, il leur dit : « Vous le voyez, frères, vous n'avez plus d'alliés. N'en soyez point émus. C'est Dieu et sa mère qui veulent que nous devions tout à leur intervention. Voila les seuls alliés que nous aurons désormais 1 » (20 décembre 626). Théodore et les troupes qui venaient, sous son commandement, de s'illustrer par la défaite de Saës, furent rappelés au camp impérial, et dès les premiers jours du printemps, Héraclius passa audacieusement en Assyrie, ravageant les cités, brûlant les moissons, passant les habitants au fil de l'épée. A la fin de l'automne, il vint camper sur les ruines de Ninive. Un nouveau général persan, Bazates, marchait à sa rencontre. En lui confiant sa dernière armée, Chosroës lui avait dit : « Si tu ne peux vaincre, du moins tu peux mourir. » La lutte s'engagea, le 12 décembre 627, dans ces plaines où mille ans auparavant Alexandre avait remporté un de ses plus beaux triomphes. Bazatès se présenta au premier rang, provoquant à haute voix Héraclius. «Dieux, vous êtes mes témoins, répétait-il, jugez entre moi et mon impitoyable maître! » L'empereur parut, monté sur son cheval de guerre. Du revers de sa terrible épée il abattit la tête du malheureux persan. Un second, un troisième général se succédèrent à ce combat singulier; ils eurent le même sort. Les deux armées se ruèrent alors l'une sur l'autre, dans une mêlée épouvantable qui dura onze heures. La nuit était déjà épaisse, quand vainqueurs et vaincus tombèrent de lassitude sur le champ de carnage. Mais à l'aurore les Perses, contemplant l'étendue de leur désastre, s'enfuirent précipitamment dans les rochers et les bois. Les Romains, de leur côté, purent juger de l'importance de leur victoire. Aussi loin que pouvait porter la vue, la plaine était jonchée de cadavres ennemis. Les richesses de l'empire persan, éparpillées sur le sol, à côté de ceux qui n'avaient pu les défendre, sollicitaient la main du vainqueur. Mais le premier mouvement fut tout entier pour Dieu. Un chant d'actions de grâces, répété par les échos du Tigre, retentit dans toute la plaine, célébrant la gloire du Christ triomphant.
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1 Theophan., tom. I, pag. 488.
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53. Le 1er février 628, Héraclius arrivait à Dastadgerd, espérant y surprendre Chosroès. Mais ce dernier avait eu le temps de s'enfuir par une brèche pratiquée à la muraille du palais, emmenant son sérail, ses eunuques, avec un petit nombre de serviteurs fidèles, et laissant tout le reste à la merci de l'empereur. Dans cette crise suprême, le roi des rois se montra aussi lâche que cruel. Le 22 janvier, on lui avait amené, de Césarée en Palestine, un prisonnier chrétien dont les aventures, non moins extraordinaires que le courage, avaient attiré son attention. Persan d'origine et fils d'un mage fameux, il avait d'abord servi avec distinction dans les armées de Serbar. Son nom était Magondates. Sa carrière militaire terminée, il se fixa à Hiérapolis. Le bruit que faisait dans le monde l'enlèvement de la vraie croix étonnait et révoltait ses instincts idolâtres. Il eut la curiosité de savoir d'où pouvait venir l'incroyable vénération que professaient les chrétiens d'Europe et d'Asie pour l'instrument d'un supplice infâme. La maison qu'il habitait à Hiérapolis appartenait à un changeur de cette ville, lequel était chrétien. Dans les conversations qu'ils eurent ensemble, Magondates trouva bientôt non-seulement la solution du problème qu'il cherchait, mais la vérité et la foi qu'il ne cherchait pas. Admis aux assemblées des fidèles, il étudiait avec transport les beautés d'une religion jusque-là inconnue pour lui. L'église d'Hiérapolis était décorée de peintures représentant les scènes du martyre de divers saints du pays, morts en confessant le nom du Christ. Le néophyte persan voulut lire le récit de leurs combats : c'était là que la grâce l'attendait. Il n'eut plus dès lors qu'une pensée, celle d'aller chercher le baptême aux lieux mêmes où le Sauveur répandit son sang pour le salut du genre humain. Il partit pour Jérusalem. C'était vers l'an 618. La ville sainte commençait à sortir de ses ruines, à relever ses églises et ses monuments. L'abbé de Saint-Sabas, Modestus, et la plupart des religieux avaient quitté leur laure du désert, trop exposée aux incursions des Arabes, pour s'établir aux portes mêmes de Jérusalem, dans le monastère abandonné d'Anastase. En qualité de vicaire du patriarche Zacharie, prisonnier au fond de la Perse, Modestus
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administra cette chrétienté désolée, et fit appel à la charité catholique pour lui venir en aide. « Malgré les ravages des Perses, l'Orient tout entier contribua. Le patriarche d'Alexandrie, Jean l'Aumônier, se rendit célèbre entre tous par sa munificence. Un prêtre égyptien, Chrysippe, vint, au nom de ce patriarche, offrir à Jérusalem mille pièces d'or, mille ouvriers, mille barres de fer pour la reconstruction des basiliques, mille mesures de blé, mille amphores de vin, mille bêtes de somme. Enfin, grâce à des prodiges de constance et d'énergie, l'église circulaire de l'Ascension, rebâtie la première de fond en comble, reparut au sommet du mont des Oliviers, puis la basilique du Saint-Sépulcre s'éleva, moins magnifique qu'au temps de Constantin, mais plus intéressante peut-être par cette résurrection inespérée 1. » Quelques jours après la réouverture de la basilique, Magondates y arrivait, et se prosternant aux pieds de Modestus, lui demandait la grâce du baptême. Admis dans le monastère d'Anastase (‘Anastasis Résurrection), le néophyte en voulut prendre le nom, associant ainsi le double souvenir de la maison sainte qui lui donnait asile et de la résurrection matérielle de Jérusalem au fait de sa propre résurrection spirituelle. Arrêté, quelques mois après à Notre-Dame de Césarée, où il s'était rendu en pèlerinage, Anastasé, traité comme un transfuge et un espion, fut attaché par une chaîne de fer à un autre prisonnier chrétien, et envoyé jusqu'au fond de la Perse pour y être jugé par Chosroès en personne. Un moine du couvent de saint Anastase, qui l'avait accompagné dans son pèlerinage à Césarée, le suivit à pied, au péril de sa vie, dans ce long et douloureux voyage. Chosroës fit suspendre Anastase par une main, en lui attachant un poids de cent livres aux deux pieds. Le martyr bé-
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1 Couret, La Palestine sous les empereurs grecs, p. 246. « On ne put, dit M. Couret, pour le nouvel édifice, suivre les plans de Constantin et réaliser une seconde fois le superbe projet que l'empire, dans toute sa splendeur, avait mis dix années à exécuter. La modicité des ressources fit scinder en quatre parties la grande basilique qui enveloppait dans sa vaste et somptueuse enceinte toutes les stations conservées : quatre églises distinctes prirent donc la place de l'édifice constantinien.»
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nissait Dieu dans ce supplice. Détaché, après plusieurs heures, et flagellé jusqu'au sang, il fut couché à terre, puis on chargea son corps endolori d'une poutre énorme sur les extrémités de laquelle deux bourreaux se placèrent en appuyant de tout leur poids. Tout entier au souvenir de la passion, Anastase paraissait insensible à cette torture. On le ramena en prison. Durant la nuit, il dit aux chrétiens qui l'entouraient : « Demain, avec la grâce de Dieu, j'émigrerai de ce siècle. Mais vous serez relâchés vous-mêmes dans peu de jours; car le roi impie et inique va bientôt perdre le trône et la vie. Quand vous serez remis en liberté, allez à Jérusalem : dites à l'abbé et aux religieux de Saint-Anastase ce dont vous aurez été témoins. » Le lendemain, en effet, Anastase et ses deux compagnons furent extraits de la prison de Bethsabée et conduits sur les bords du Tigre. Là se trouvaient réunis soixante-dix autres captifs chrétiens, qui eurent la tête tranchée sous les yeux d'Anastase. Des Juifs du voisinage tinrent à honneur de faire, en cette circonstance, office de bourreaux. Après chaque exécution, ils demandaient au courageux confesseur s'il ne voulait pas enfin, pour éviter un pareil sort, abjurer le nom de Jésus-Christ. Anastase leur répondait : « J'avais espéré que vous couperiez mon corps en morceaux, et vous voulez que je tremble devant un genre de mort si expéditif!» Quand son tour fut venu, il dit : « Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains, » et il se livra aux exécuteurs, qui l'étranglèrent avec un nœud coulant, puis lui tranchèrent la tête et portèrent ce trophée à Chosroès (22 janvier 638 1).
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1 Bolland., Ad. sanct., ad hunc diem; Georg. Pisidès, Vita S. Anastasii martyris; Pair, gresc, tom. XC11, col. 1679. Le moine qui avait suivi Anastase en Perse rapporta d'abord sa tunique à l'abbé Modestus, puis il retourna à Dastadgerd chercher le corps du martyr et le ramena à Jérusalem. Lors de la prise de cette ville par les musulmans, les reliques de saint Anastase furent transférées à Constantinople, et de là à Rome. Le VIIe concile général, IIe de Nicëe, approuva l'usage de reproduire pour les fidèles une ancienne image représentant la tête de saint Anastase au moment de la décollation. La Patrologie grecque en a donné un fac-similé frappant, tom. XCII, col. 1711. L'original, célèbre par plusieurs miracles, existe encore à Rome dans l'église du monastère de Notre-Dame-ad-aquas-Salvias, qui porte aujourd'hui le nom des
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54. Huit jours après, le tyran fuyait devant Héraclius et arrivait plein d’épouvante a Ctésiphon. A peine y eut-il mis le pied qu’il se rappela une prédiction sinistre des mages de Tauris. Ces imposteurs, probablement pour assurer à leur patrie le bénéfice exclusif de la résidence royale, lui avaient dit que le jour où il rentrerait à Clésiphon il serait perdu. L'événement démontra la fausseté de leur oracle ; Chosroès rentra dans cette ville et n'en mourut pas. Il est vrai qu'il se hâta d'en sortir, et courut s'enfermer avec trois de ses femmes à Séleucie. Cependant Dastadgerd ouvrait ses portes à l'empereur romain. Les mages, qui avaient fait couler à grands flots le sang des chrétiens, redoutaient une juste vengeance. «Je ne désire la mort de personne, leur dit Héraclius, mais ne vous avisez pas de tirer l'épée une autre fois. » Les édifices idolâtriques furent seuls livrés aux flammes. Les prisonniers chrétiens virent tomber leurs chaînes, et reprirent par milliers le chemin de la patrie. Chosroès n'avait pourtant point encore renoncé à la lutte. Vainement Héraclius lui écrivait : « Je vous ai combattu, et je vous poursuis, non pour vous détruire, mais pour vous forcer à la paix. Autrefois je vous l'ai demandée, aujourd'hui je vous l'offre. » Un refus orgueilleux fut la seule réponse du tyran. Vaincu, exécré de ses sujets eux-mêmes, chargé des malédictions de l'univers, Chosroès se croyait plus près de Constantinople qu'Héraclius ne l'était de Ctésiphon. Au milieu de ses ridicules et folles illusions, on le vit rassembler les serviteurs de ses palais, les esclaves, les eunuques, et jusqu'aux femmes et aux enfants, pour refaire une armée. Ne voyant point arriver Serbar, qu'il avait mandé à son secours par un message tombé depuis entre les mains d'Héraclius, il écrivit un second billet adressé cette fois à Cardarega, lieutenant du généralissime, et conçu en ces termes : « Poignardez Serbar, et ramenez-moi son armée. » Le porteur de cet ordre barbare fut arrêté à la frontière de Galatie, et le billet royal immédiatement transmis à Constantinople. Le patriarche Sergius
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saints Vincent et Anastase. Les autres reliques du martyr persan sont conservées dans la chapelle Scala sancta, près du Latran.
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demanda une entrevue à Serbar, et vint à Chalcédoine lui mettre sous les yeux la preuve de l'amour que lui portait son roi. Serbar réfléchit quelques instants, prit la lettre royale, y fit ajouter une liste de proscription qui portait le nom de quarante généraux de son corps d'armée. Un scribe exercé imita parfaitement l'écriture du billet original, et reproduisit au bas du nouvel ordre le sceau qui était apposé au premier. Cette double pièce à la main, Serbar convoqua tous les officiers sous sa tente, lut à haute voix l'ordre qui le concernait lui-même, puis la liste de proscription frauduleusement annexée. Se tournant alors vers Cardarega : « Eh bien ! dit-il, es-tu prêt à exécuter ce qu'on te demande ?» Cardarega protesta de son innocence, et mêla sa voix à l'explosion unanime d'indignation qui éclata dans tous les rangs. Séance tenante, la déchéance de Chosroës fut prononcée, et un traité de paix signé avec Sergius comme représentant de l'empereur. Le lendemain, l'armée de Serbar s'éloignait de Chalcédoine, abandonnant l'Asie-Mineure après quinze années de ravages, et se dirigeant à marches forcées sur Ctésiphon pour y détrôner Chosroès. La besogne était déjà faite. Le roi des rois avait trouvé une mort digne de sa vie. Redouté de tous, il se défiait de tout le monde. Le premier objet de sa haine avait été son fils aîné, Siroès, dans lequel il ne voyait que l'héritier présomptif de sa couronne, et par conséquent un compétiteur. Siroès était depuis quelques mois enfermé dans une étroite prison à Séleucie. Une révolte lui en ouvrit les portes. Avec l'aide de ses partisans, il égorgea vingt-quatre de ses frères, s'empara de Chosroès, le fit enchaîner et jeter dans un cachot. Au lieu d'aliments, il ne lui fit servir que des lingots d'or, et le condamna à mourir de faim, en lui adressant ces paroles : « Nourris-toi, si tu le peux, de cet or pour lequel tu as si longtemps opprimé la Perse, et ravagé le monde ! » En même temps, un traité de paix conclu avec Héraclius terminait une croisade de six années,
55. Le jour de la Pentecôte (15 mai 628), le patriarche Sergius, au milieu d'une foule immense, montait à l'ambon de Sainte-Sophie, et lisait un message d'Héraclius conçu en ces termes : « Que la terre entière se réjouisse et rende grâces à notre Dieu. Louez son
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nom, car il est le Christ; sa miséricorde et sa vérité s'étendent à toutes les générations ; que la terre et les cieux tressaillent d'allégresse, et nous, chrétiens, louons, adorons, bénissons le nom du Seigneur. Le tyran impie, l'orgueilleux Chosroès est tombé, il a été précipité dans les sombres abîmes; sa mémoire s'est engloutie comme dans le fracas des grandes eaux. Il insultait Jésus-Christ le vrai Dieu, il outrageait sa mère immaculée, notre souveraine à jamais bénie, Marie toujours vierge. Il a succombé sous le poids de sa propre iniquité. Son fils Siroès l'a mis à mort. La paix est conclue avec la Perse 1. » Les applaudissements couvrirent la voix du patriarche. De longues acclamations se succédèrent pour Héraclius, pour l'armée victorieuse, pour l'empire d'Orient réhabilité et pour le patriarche lui-même. Cependant qu'était devenue la croix du Sauveur, l'instrument de rédemption, qu'une guerre de six années donnait le droit au monde chrétien de reconquérir? Le traité conclu avec Siroès stipulait la remise de la vraie croix, mais Siroès lui-même ignorait encore le lieu où elle avait été déposée. Héraclius confia à son frère Théodore le soin de cette importante négociation, et de sa personne, à la tête de l'armée victorieuse, il revint près de Chalcédoine, an palais d'Hérée. Là il attendit le retour de son frère, ne voulant pas remettre le pied à Constantinople sans le trophée divin qui avait été le mobile et qui allait être la récompense de sa triomphante expédition. L'on avait cru jusque-là que, dans ses diverses retraites, Chosroès s'était fait suivre de la croix sainte, il n'en était rien. Serbar, le vainqueur de Jérusalem et celui qui avait apporté le précieux trésor en Perse, l'avait déposée dans une forteresse lointaine, et savait maintenant seul ce secret. Il en profita pour augmenter, près de Siroès et de l'empereur lui-même, le crédit que les derniers événements lui assuraient déjà. La vraie croix fut rendue à Théodore, et le patriarche Zacha-rie, sûr désormais que la relique sacrée reviendrait à Jérusalem, l'y précéda de quelques mois. Le 14 septembre 028 , Héraclius, monté sur un quadrige triomphal, un diadème sur la tête, les
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1. Chronicon Pascal., p. 727.
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épaules couvertes du manteau de pourpre, tenant à la main une croix d'or enrichie de pierreries, entrait triomphalement à Cons-tantinople par la porte d'Or. En avant du char, des prêtres portaient la relique de la vraie croix, autour de laquelle trois cents étendards enlevés aux Perses formaient un glorieux ombrage. Le cortège se dirigea vers Sainte-Sophie, où le patriarche Sergius accueillit le nouveau Constantin, en cet anniversaire de la première exaltation de la croix. Au printemps de l'année suivante (629), Héraclius s'embarquait pour la Palestine, et reportait à la ville sainte le bois sacré teint du sang rédempteur. «A plusieurs milles en avant de Jérusalem, le patriarche Zacharie, l'abbé Modestus, les prêtres, les religieux, tous les fidèles se portèrent à sa rencontre avec les cierges, les encensoirs, et au chant des hymnes sacrés. Quand le cortège fut arrivé à la porte Dorée, l'empereur mit pied à terre, déposa sa couronne et son manteau de pourpre, et s'achemina vers la nouvelle église du Saint-Sépulcre, portant sur ses épaules la relique de la vraie croix. Il la remit au patriarche qui vérifia l'intégrité du sceau apposé autrefois par lui-même, et montant à l'ambon, présenta à l'adoration du peuple le sublime trophée 1. »
56. Héraclius était parvenu à l'apogée de la gloire humaine. La religion mêlait sa voix reconnaissante aux éloges que lui décernait l'univers entier. Il trouva à Jérusalem les ambassadeurs du roi des Francs, Dagobert Ier, lesquels venaient féliciter le vainqueur de la première croisade, et apprendre de lui comment l'épée des soldats chrétiens peut écrire les Gesta Dei. Des villes sollicitèrent l'honneur de porter son nom, et de perpétuer, sous le vocable d'Héraclée, les souvenirs de ses exploits. Les traits de son visage étaient immortalisés par la sculpture, on lui dressait des statues colossales. Des médailles commémoratives le représentaient dans l'attitude du triomphe avec cet exergue : Super aspidem et basilicum ambulabis, et conculcabis leonem et draconem. A Rome, dans une solennité pleine de grandeur, à laquelle le pape Honorius s'associa certainement, s'il
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1 Courot, La Palestine sous les empereurs grecs, p. 252.
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n'en prit lui-même l'initiative, la statue en pied d'Héraclius, couronnée d'un diadème, fut placée par les sénateurs sous un dais magnifique dans la grande salle du palais des Césars (629)1. La litanie ou procession qui tous les samedis devait, par ordre d'Honorius, se rendre de l'église de Saint-Apollinaire à la basilique du Vatican, rappelait chaque semaine la conquête de la vraie croix. Enfin, à partir de cette époque, le nom d’Héraclius retentit dans tous les temples chrétiens, lors de la fête de l'Exaltation de la sainte Croix, mêlé à ceux de la pieuse Hélène et de Constantin. Dans le partage des trésors conquis à Tauris et à Dastardged, Héraclius n'oublia pas le tombeau de saint Pierre de Rome, et ce fut avec les largesses de l'empereur qu'Honorius put revêtir de lames d'argent massif les portes principales de la basilique.
57. Constantin Porphyrogénète, dans son livre De administrando imperio, nous apprend sur les relations qui s'établirent à cette époque entre le pape et Héraclius un détail qui n'est pas sans intérêt. « Les Chrobates (Croates), dit-il, rameau détaché de la nation slave, qui occupèrent d'abord l'Albanie, et plus tard, sous l'empereur Dioclétien, la Dalmatie, avaient eu beaucoup à souffrir de l'invasion des Awares. Lors du siège de Constantinople par ces derniers, sous l'empereur Héraclius, les Chrobates secondèrent vigoureusement les Romains. Jusque-là, cette peuplade était restée idolâtre. Héraclius s'adressa au pontife romain, et par une ambassade spéciale lui demanda des missionnaires. Ceux-ci travaillèrent si efficacement à la conversion des Chrobates, que toute la nation reçut le baptême. Honorius y constitua un métropolitain, des évêques, des prêtres et des diacres. Avec la foi, ce peuple prit des mœurs douces et paisibles. Il renonça entièrement aux guerres de dépréciation, aux courses à main armée sur les territoires voisins. Cette particularité remarquable tient à l'oracle, ou décret, que leur adressa le pontife romain en leur envoyant des missionnaires. En effet, le jour de leur baptême solennel, les Chrobates, obéis-
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1 Ce fait est attesté par la chronique du Mont-Cassin, qui s'exprime en ces termes : Eraclius in augustali solio Caesariani palatii a senatoribus positut et diademate redimitus, monocralor conslitutus est.
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p498 pontificat d'Honorius I (623-638).
sant aux instructions d'Honorius, rédigèrent un acte signé et confirmé sous le sceau du serment, par lequel ils s'engageaient envers l'apôtre saint Pierre à respecter désormais les terres d'autrui, et à conserver la paix avec quiconque ne les attaquerait point. En retour, le pontife romain leur promettait que, si jamais des nations ennemies violaient leur propre territoire, l'envahissaient ou le dévastaient, il les prendrait sous sa protection ; que, dans ce cas, Dieu combattrait pour eux, et que, par l'intercession du bienheureux Pierre, il leur accorderait la victoire 1. »