Darras tome 15 p. 428
§ III. Honorius et la Grande-Bretagne
19. Ces fragments détachés de la correspondance administrative d'Honorius sont de nature à faire regretter la perte du Regestum, ou registre complet des actes de ce pape. Cette collection aurait pu figu-
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1Honor., Epist. xm, tom. cit., col. 481. — 2 Honor., Epist. xi; Patr. îat., tom. cit., col. 430.
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rer dignement à côté des lettres de saint Grégoire le Grand, dont il aimait à se dire le disciple. Elle eût surtout fourni une réponse décisive aux accusations trop légèrement dirigées contre sa mémoire. Quoi qu'il en soit, les autres lettres d'IIonorius, qui nous restent encore, ont été conservées par la vénération filiale des diverses églises auxquelles ce pontife les adressait. Sa vigilance s'étendait aux extrémités du monde, et partout sa parole était le miroir de la justice, l'écho de la vérité. Depuis la conversion d'Edwin, roi des Nor-thumbres 1, la Grande-Bretagne jouissait d'une prospérité et d'un calme jusque-là inconnus. «C'est encore, dit le vénérable Bède, un proverbe en usage chez nous de dire : Au temps d'Edwin, la sécurité était telle qu'une femme, son petit enfant sur le bras, pouvait sans danger traverser l'île d'un rivage à l'autre. — Au bord de toutes les fontaines, le pieux roi avait fait placer pour la commodité des voyageurs une coupe de cuivre, attachée à un tronc d'arbre par une chaîne de fer. Jamais un seul de ces vases ne fut soustrait à son charitable usage 2. » Or, l'an 634, après la mort de Justus archevêque de Cantorbéry, un homonyme du pape, le prêtre Honorius, fut choisi pour lui succéder, et reçut la consécration épiscopale des mains de Paulin d'York. A cette occasion, Edwin fit partir pour Rome une ambassade chargée de solliciter du souverain pontife le pallium en faveur du nouvel évêque et de son consécrateur. Voici la réponse qui lui fut faite : « Au très-excellent seigneur et très-précellent fils Edwin, roi des Angles, Honorius évêque, serviteur des serviteurs de Dieu. L'intégrité de votre foi, l'ardeur de votre zèle pour le culte de Dieu votre créateur, resplendissent au loin. Elles sont connues du monde entier, et votre exemple multiplie partout les fruits de salut et la lumière de l'enseignement orthodoxe. Vous avez compris votre mission royale, vous n'êtes roi que pour adorer le Dieu des rois et le faire servir. Que pourrions-nous en effet offrir à ce grand Dieu, sinon la persévérance dans les œuvres justes et saintes, l'hommage de notre amour, de notre culte, de nos vœux sincères? C'est pourquoi, très-excellent
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1 Cf. chap. précéd., n» ". — 2. Beda, Hisl. Eccles. Angl., lib. II, cap. XVI.
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fils, nous vous exhortons dans le sentiment d'une tendresse toute paternelle à redoubler de sollicitude et de prières pour conserver le trésor de la grâce, pour vous maintenir loin de toute erreur dans la connaissance et l'amour du Dieu véritable, et vous préparer ainsi une demeure dans la céleste patrie. Je vous recommande la lecture et la méditation assidue des œuvres du pape Grégoire, le prédicateur de votre patrie et mon maître d'apostolique mémoire. Gravez sa doctrine dans votre âme, en souvenir de l'amour qu'il portait à la Grande-Bretagne. Son intercession obtiendra les bénédictions divines sur votre royaume et sur votre peuple. Nous avons de grand cœur accordé pour vos évêques les faveurs que vos envoyés ont sollicitées par votre ordre. Nous avons remis entre leurs mains le pallium pour les deux métropolitains Honorius et Paulin. En vertu de notre autorité apostolique et des pouvoirs que nous leur conférons, lorsque l'un d'eux sera appelé par la mort à paraître devant Dieu, le survivant lui choisira, en notre nom, un successeur. Nous nous sommes déterminé à prendre cette mesure non moins par affection pour votre charité, que par la considération de l'énorme distance qui nous sépare. Il nous est souverainement agréable de prêter notre concours à votre dévotion et à vos pieux désirs. Que la grâce d'en haut garde votre excellence saine et sauve 1. »
20. Il paraît que les ambassadeurs d'Edwin avaient porté à Rome non-seulement les vœux du roi leur maître, mais encore ceux de la pieuse reine Edelburge et du jeune prince son fils. C'est du moins ce que nous pouvons conclure du texte de la lettre suivante, adressée conjointement par le pape au nouvel archevêque de Cantorhéry saint Honorius, et à saint Paulin d'York. Il y est question au pluriel « des rois » qui ont demandé pour ces deux évêques le pallium, et par cette expression, nous croyons devoir entendre tous les membres de la famille royale des Northumbres. Voici la réponse du souverain pontife : « Honorius, serviteur des serviteurs
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1 Honor., Epist. vi; Pair, lat., tom. LXXX, col. 470. Cette lettre n'est pas datée, mais comme elle est relative au même objet que la suivante, laquelle porte la date du 11 juin 633, on peut facilement suppléer à cette lacune.
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de Dieu, à son très-cher frère l'évêque Honorius. Parmi les grâces que la miséricorde de Jésus-Christ notre rédempteur accorde à son Église, la plus admirable est certainement la charité qui unit les frères dans une même dilection, les rend présents les uns aux autres malgré les distances, les embrasse tous dans la communauté de la prière. Nous ne cessons d'offrir à la majesté divine nos humbles supplications pour vous, afin qu'elle daigne protéger votre dilection au milieu de vos labeurs évangéliques, et vous confirmer dans la stabilité hiérarchique établie par saint Grégoire, notre maître et votre premier apôtre. Puisse l'église de la Grande-Bretagne s'accroître par vos soins; puisse l'œuvre fondée par mon maître Grégoire et développée par les conquêtes de vos prédécesseurs, s'étendre de plus en plus, sous l'action de votre foi, dans la charité et la crainte du Seigneur. Ainsi vous seront appliquées un jour les paroles d'éternelle vie : Euge, bone serve et fidelis. Dans ces sentiments d'amour pour vous, frères bien aimés, nous ne voulons refuser aucun des privilèges qui peuvent être utiles à vos églises. Conformément à votre demande et à celle des rois nos fils, en notre qualité de vicaire du bienheureux Pierre prince des apôtres, nous autorisons celui de vous qui survivra à l'autre à sacrer le successeur du défunt. Nous vous envoyons à chacun un pallium, dont vous ferez usage pour cette consécration. Agissant de la sorte, en vertu des pouvoirs que nous vous transmettons, l'ordination que vous pourrez être appelés à faire sera agréable au Seigneur. Par cette mesure, nous avons surtout voulu prévenir toutes les difficultés qui résulteraient de la distance qui vous sépare de Rome, éviter à vos églises jusqu'à la moindre occasion de trouble, et contribuer aux progrès de la foi parmi les peuples confiés à vos soins. Donné le III des ides de juin, sous le règne de nos seigneurs très-pieux et augustes Héraclius et le très-heureux César, son fils, l'an vingt-quatre du premier, l'an troisième du second, indiction septième (11 juin 633). »
21. Les événements politiques devaient rendre inutiles les mesures de prévoyance que la sollicitude pontificale inspirait à Honorius, dans l'intérêt des églises de la Grande-Bretagne. « Edwin
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régnait depuis dix-sept ans avec gloire sur les deux races des Angles et des Bretons, dit le vénérable Bède, lorsque Ceadwalla, roi de Nord-Galles ou Gwinez, leva l'étendard de la révolte, aidé de Penda, fils de CeorI, de la race royale de Mercie, le plus redoutable guerrier de ces temps. Une bataille sanglante fut engagée dans les plaines de Hatfield, près des rives du Torre et du Don. Edwin y fut tué le IV des ides d'octobre (12 octobre 6351); il était dans la quarante-huitième année de son âge. A ses côtés, tomba son fils aîné Osfrid. Le plus jeune, Eadfrid, se rendit à Penda, dans l'espérance d'avoir la vie sauve. Mais quelque temps après, Penda, au mépris des serments, le fit mettre à mort. L'armée vaincue fut presque entièrement égorgée. Les églises du Northumberland souffrirent alors la plus violente persécution. Penda, comme toute la population de Mercie, était païen; Ceadwalla, bien que baptisé, n'avait de chrétien que le nom et se montrait plus barbare que les païens eux-mêmes. Il n'épargnait ni les enfants ni les femmes : avec une férocité de bête fauve, il parcourait les provinces, passant toutes les populations au fil de l'épée. Il se délectait à voir couler le sang; on lui entendit plusieurs fois dire qu'il anéantirait jusqu'au dernier rejeton de la race des Angles. Cependant, au péril de leur vie, quelques pieux fidèles recueillirent sur le champ de bataille la tête du roi Edwin, et la conservèrent respectueusement. Elle fut plus tard déposée à York, dans l'église de Saint-Pierre et de Saint-Paul bâtie par ce prince, sous le portique du saint pape Grégoire, aux disciples duquel Edwin était redevable du don sacré de la foi. L'évêque Paulin et la reine Edelburge échappèrent au massacre général. Sous l'escorte d'un fidèle guerrier, nommé Bassus, ils purent se réfugier à Cantorbéry près de l'archevêque Honorius, qui les reçut avec le respect dû au malheur et à la vertu. Edelburge amenait avec elle ses deux derniers enfants, Eanflede et Wulfran , et son petit-fils, Yffi, né quelques mois avant la mort prématurée d'Osfrid. Elle garda à
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1 Edwin a été mis au nombre des saints. Sa fête est inscrite au martyrologe anglican le 4 décembre.
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Cantorbéry sa fille Eanflede, et envoya les deux jeunes princes dans les Gaules à leur oncle Dagobert, pour les soustraire à la fureur de Ceadwalla. Les innocents orphelins trouvèrent près du roi franc l'accueil le plus hospitalier, et une bonté vraiment paternelle; mais ils n'en jouirent pas longtemps et moururent en bas âge. L'évêque Paulin, chassé de son siège métropolitain d'York, ne devait plus y remonter. Or, l'église de Ruf se trouvait vacante depuis trois ans par la mort de l'évêque Romanus, disparu dans le naufrage d'un bâtiment sur lequel il s'était embarqué pour se rendre à Rome. Sur l'invitation du métropolitain Houorius et du roi Eadbald, Paulin se chargea de gouverner cette église. Il y termina saintement une vie pleine de glorieux travaux, et y laissa, comme une relique insigne, le pallium qui lui avait été transmis par le pape llonorius1. »
22. La nouvelle de ces révolutions sanglantes fut mandée à Rome par les soins de l'archevêque de Cantorbéry. Le pape Honorius lui répondit en ces termes : « Les lettres de votre dilection nous ont appris les cruelles épreuves parmi lesquelles vous poursuivez votre ministère apostolique, au milieu du troupeau confié à vos soins. Avec les travaux croissent les dangers, les angoisses : les bouleversements du monde ajoutent leur poids à celui de vos difficultés. Cependant nous vous exhortons à tenir ferme, et à poursuivre l'œuvre évangélique que vous avez commencée. Ne songez plus à donner votre démission; c'est la persévérance qui vous est surtout nécessaire, et que l'Église attend de vous. Rappelez-vous la parole de l'Evangile : « J'ai prié pour toi, afin que la foi ne faillisse pas. Lorsque tu seras converti, confirme tes frères2; » et cette recommandation de l'Apôtre : «Frères, soyez stables, immobiles; persévérez toujours dans l'œuvre du Seigneur, sachant que votre labeur n'est pas vain aux yeux de Dieu 3. » Cependant vous nous demandez de confirmer par notre autorité les privilèges de votre métropole. Nous nous prêtons volontiers à ce désir, d'autant que la
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1. Bed., Hist. Eccles. Angh, lib. Il, cap. xx; Patr. lat., tom. XCV, col. 114. La fête de saint Paulin d'York se célèbre le 10 octobre. —2. Lue., xxn, 32. — 31 Cor., xv, 58.
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justice même veut que nous maintenions les règlements et les statuts fixés par nos prédécesseurs. Marchant donc sur leurs traces, et nous conformant à l'antique coutume qui n'a cessé d'être en vigueur pour votre église, depuis le temps de votre prédécesseur Augustin de sainte mémoire jusqu'à nos jours, par l'autorité du bienheureux Pierre prince des apôtres, nous vous accordons à perpétuité, à vous Honorius, et à vos successeurs, le titre de primat des églises de la Grande-Bretagne. Nous enjoignons à toutes les chrétientés des Angles de se soumettre à votre juridiction. Le siège métropolitain, la chaire archiépiscopale, le chef de toutes les églises des Angles, demeurera à perpétuité fixé à Durovernia (Cantorbéry), sans que nul, par mauvais vouloir, puisse l'en changer. Quiconque aurait l'audace de l'entreprendre et de contrevenir à notre décret, en dépouillant cette église de sa dignité et de ses prérogatives, serait privé de la communion du corps et du sang de Jésus-Christ notre seigneur et notre rédempteur. Que Dieu vous garde sain et sauf, frère bien aimé 1. »
23. L'archevêque de Cantorbéry suivit les conseils du souverain pontife. Il ne tarda pas à voir de meilleurs jours se lever sur sa patrie. Le tyran Ceadwalla ne jouit pas longtemps de sa victoire. Oswald, neveu du saint roi Edwin, réunit une armée « petite par le nombre, dit le vénérable Bède, mais forte par la foi en Jésus-Christ. On montre encore, ajoute-t-il, dans la plaine d'Hefenfeld, une croix que fit élever Oswald, avant de livrer bataille aux innombrables soldats du roi breton. Pieusement agenouillé aux pieds de cet arbre de notre rédemption, il supplia le Seigneur de venir en aide à son peuple dans un danger si pressant. Puis, s'adressant à sa vaillante troupe : Fléchissez tous le genou, s'écria-t-il, prions ensemble le Dieu tout-puissant, maître de la vie. Qu'il nous délivre d'un ennemi féroce et superbe. Il sait que notre cause est juste ; nous combattons pour le salut de tout un peuple. — L'armée
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1 Cette lettre, qui n'a été connue ni de Baronius ni du P. Labbe, fut publiée pour la première fois par l'anglican Wilkins (David), au tome I, p. 35, des Concilia magnœ Britanniœ et Hiberniae. Ou la trouve au supplément de Mansi, p. 471, et Pair. M., tom. LXXX, col. 479.
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tomba à genoux, répétant cette prière. Puis, se relevant, elle engagea le combat. On était à l'aube du jour. Avant midi, la victoire était complète, Ceadwalla tué, et son armée en déroute 1. » (G3-L) 2i. Triomphant par la croix, Oswald voulut convertir à la croix de de Jésus-Christ celles des provinces de son royaume restées jusque-là idolâtres. Dans ce but, il s'adressa aux religieux irlandais du monastère d'Hiy, pour en obtenir un prêtre chargé de cette mission. Le choix des moines tomba sur l'un d'entre eux, nommé Corman, qui s'embarqua aussitôt pour la Grande-Bretagne, et se mit à l'œuvre. Son austérité déplut aux Angles, qui refusèrent de l'écouter. Il échoua complètement et revint à son monastère. L'abbé Segienus et tous les religieux apprirent de sa bouche le détail de ses infructueuses tentatives. Il se plaignait d'avoir eu affaire à des natures indomptables, à un peuple barbare et sauvage. Quand il eut cessé de parler, un vénérable vieillard, nommé AEdan, lui dit : « Mon frère, il me semble que vous avez été plus sévère qu'il ne fallait vis-à-vis de populations ignorantes. Vous auriez dû, suivant la discipline apostolique, commencer par leur offrir le lait d'une doctrine plus douce, jusqu'à ce que, nourries peu à peu du Verbe divin, elles fussent devenues capables de comprendre un enseignement plus parfait, et de s'élever à la pratique des commandements du Seigneur. » Tous les regards se fixèrent sur AEdan. Son visage respirait une expression de charité si complètement en harmonie avec ses paroles, que l'assemblée s'écria tout d'une voix : « C'est AEdan qu'il faut envoyer rétablir cette mission; il est digne de l'épiscopat. » Le saint vieillard justifia les espérances de ses frères. Dès les premiers jours de son arrivée chez les Angles, sa douceur inaltérable, sa piété, sa modération, qui n'excluaient ni l'ardeur ni le zèle, lui gagnèrent tous les cœurs. Oswald lui donna l'île de Lindisfarn pour y établir, avec son siège épiscopal, un monastère qui devint une pépinière de saints. Deux fois par jour, aux heures du reflux, l'île est accessible à pied sec. Cette circonstance permettait aux Angles de venir entendre l'homme de Dieu. « On vit plus d'une fois, dit le
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1 Bed., Bist. Eccles., lib. III, cap. il; Patr. lat., tom. XÇV, col. 118.
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vénérable Bède, se renouveler un touchant spectacle. AEdan n'avait pas encore eu le temps d'apprendre l'idiome des Angles. Il prêchait dans la langue des Hibernois, mais le roi Oswald, assis à ses côtés, interprétait à la foule la prédication céleste. » Les fruits de cet apostolat furent merveilleux. De nouveaux ouvriers évangéliques furent mandés successivement du monastère d'Hiy, pour travailler à une moisson si subitement mûrie. Partout les prêtres faisaient retentir la parole du Seigneur, et baptisaient les peuples. Des églises s'élevaient, des foules avides accouraient auprès des nouveaux apôtres, le roi donnait des terrains pour construire des monastères ; les enfants des Angles étaient instruits par des maîtres Irlandais ; avec le progrès de l'enseignement se développait la foi dans une discipline régulière. La vie de saint AEdan était un miracle de mortification et de pureté. Il ne cessait de redire à ses clercs cette maxime : « Pour convertir les âmes, commencez par pratiquer les vertus que vous prêchez aux autres. » Tout ce qu'il recevait de la générosité du roi et des riches du siècle, il le distribuait aux milliers de pauvres qui entouraient sans cesse sa personne. II rachetait les prisonniers de guerre, les esclaves. Parmi ceux qui lui durent ainsi leur liberté, il compta bientôt de nombreux disciples, dont quelques-uns furent plus tard élevés au sacerdoce et même à l'épiscopat. Il parcourait les cités et les campagnes, toujours à pied, ne se servant de monture que pour quelques cas de nécessité urgente. Tous ceux qu'il rencontrait sur son chemin, riches ou pauvres, il les abordait, les entretenant, s'ils étaient païens, des magnificences de la foi; s'ils étaient chrétiens, de la sainteté de leur vocation, de la nécessité des bonnes œuvres, de l'aumône surtout, dont ses exemples non moins que ses discours recommandaient l'efficacité. Ses compagnons de voyage, clercs ou laïques, étaient toujours occupés soit à la méditation, soit à la lecture des livres saints, soit au chant des psaumes, en quelque lieu qu'ils se trouvassent, à toute heure du jour. Lui-même, lorsqu'il consentait, ce qui était fort rare, à manger à la table du roi, il s'asseyait quelques instants avec l'un de ses clercs, prenait en hâte une légère réfection et retournait près des siens, prier ou
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lire avec eux. A son exemple, une multitude d'hommes et de femmes du monde prirent la coutume de jeûner tous les mercredis et vendredis de l'année, à l'exception des cinquante jours entre Pâques et la Pentecôte 1.
23. Le pieux roi Oswald n'avait rien de plus cher en ce monde que les intérêts religieux. Sa dévotion fut récompensée. « Sous la direction de saint AEdan, dit le vénérable Bède, non-seulement il se fraya le chemin à la royauté du ciel, inconnue de ses aïeux, mais il obtint du Dieu qui a fait le ciel et la terre une puissance terrestre qu'aucun de ses ancêtres n'avait jamais possédée. Il étendit sa domination sur toutes les provinces de la Grande-Bretagne, divisées alors en quatre langues : les Bretons, les Pictes, les Scoti (Hiberniens ou Irlandais) et les Angles. Parvenu à ce faîte de gloire, il ne voulait briller que par son humilité, sa bienveillance, sa charité pour les pauvres et les pèlerins. On raconte qu'à une fête de Pâques, comme il allait s'asseoir à table avec le saint évêque AEdan, les serviteurs apportèrent un immense plat d'argent, chargé de viandes (discus argenteus regalibus epulis refertus 2). Déjà l'évêque et le roi étendaient la main pour la bénédiction de la table lorsque l'officier préposé à la réception des pauvres vint dire qu'une multitude d'entre eux, assis dans les rues de la ville, attendaient les distributions d'aumônes ordinaires. Oswald leur fit aussitôt porter tous les mets préparés pour sa table ; puis il ordonna que le plateau d'argent massif fût divisé en fragments égaux dont chaque pauvre recevrait sa part. Ému de cette royale charité, le saint évêque prit la main droite d'Oswald dans la sienne, en disant : Que jamais cette main ne se dessèche! — Ce vœu prophétique s'est réalisé, ajoute le vénérable Bède, car aujourd'hui encore, le bras droit de saint Oswald s'est conservé sans altération. Ce prince
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1 Bed., Hist. eccles. Angl., lib. III, cap. ni et v.
2 L'argenterie royale de ce temps se distinguait
surtout par son poids et sa
masse. Le discus argenteus d'Oswald
devait être une de ces pièces à compartiments dont il nous reste
quelques spécimens dans les musées de l'Europe, et dont une seule suffisait à garnir une table et à défrayer un repas
de cent couverts.
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p438 PONTIFICAT d'honorius I (623-638).
ayant trouvé la mort dans une bataille contre Penda (642), on détacha son bras du reste du corps, et on le déposa dans l'église de Saint-Pierre de Bamburgh, où les fidèles continuent à le vénérer 1. »
26 Le pape Honorius, de son côté, ne perdait pas un instant de vue les intérêts religieux de la Grande-Bretagne. Cette mission de saint Grégoire le Grand, son maître, était particulièrement chère à son cœur. En 634, pendant que le roi Oswald et le saint évêque AEdan travaillaient à évangéliser les païens du Northumberland, Honorius se préoccupait des tribus idolâtres de l'extrême nord de l'île, chez lesquelles aucun ministre de l'Évangile n'avait encore pénétré. Un prêtre irlandais, nommé Birin, élevé en Italie, lui parut propre à ce difficile apostolat. Birin promit au pontife de dévouer sa vie à la régénération des païens; il tint parole, il devint l'un des plus grands convertisseurs d'âmes, l'un des saints les plus vénérés de la Grande-Bretagne. Honorius lui fit conférer l'ordination épiscopale par les mains d'Asterius, évêque de Gênes, et le bénit avant son départ, comme autrefois Grégoire le Grand avait béni Augustin, le futur archevêque de Cantorbéry. Birin aborda sur les côtes du Sud, occupées par les Saxons Occidentaux du Wessex (Gevissœ), guerriers farouches qui n'avaient pas encore reçu la foi de Jésus-Christ. Trouvant au midi ce qu'il allait chercher au nord, des païens àconvertir, il ne poursuivit pas plus loin son voyage et se mit à l'œuvre. Une de ses premières conquêtes fut le roi Kinegils, qui goûta les paroles du missionnaire, et se fit instruire avec sa famille et ses principaux officiers. Le jour fut pris pour le baptême solennel, sans doute l'une des grandes fêtes catholiques, Noël, Pâques ou la Pentecôte. Le royal catéchumène eut à cette occasion une surprise aussi heureuse qu'inattendue. « Il arriva sur ces entrefaites, dit le vénérable Bède, que le très-saint et très-victorieux Oswald, roi des Northumbres, vint rendre visite à Kinegils. Il assista aux solennités du baptême,
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1 Bed., Hist. Ecoles., lib. III, cap. VI. La fête de saint Oswald, roi des Northutnbres, se célèbre le 5 août. Un autre saint Oswald, évêque de Worcester, mort en 992, est honoré le 28 février.
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et leva lui-même des fonts sacrés le nouveau chrétien dont il devint ainsi le père spirituel. Quelques jours après il en devenait le gendre, et épousait sa fille Kineburga 1. » Les deux rois donnèrent à saint Birin la ville de Dorcic (Dorchester) pour y établir le siège de son évêché. Durant une carrière qui fut longue, l'homme de Dieu acheva la conversion de ce peuple, érigea de nombreuses églises, et mourut, les mains pleines de bonnes œuvres, au milieu du troupeau qu'il avait gagné à Jésus-Christ.