CHAPITRE II
1. Julien écrit quatre livres contre Augustin et quelques lettres en faveur des pélagiens. - 2. Augustin réfute les sentences du premier livre de Julien, adresse le second à Valère, et écrit quatre livres à Boniface en réponse à deux lettres des pélagiens. - 3. Alype porte en Italie tous ces travaux d'Augustin.- 4. Augustin publie six autres livres contre Julien. - 5. L'empereur Constance promulgue un rescrit contre les pélagiens; il fait raser le temple de la déesse Céleste.
1. Nous avons vu l'année précédente, qu'Augustin avait adressé au comte Valère son livre sur le Mariage et la concupiscence. Cette œuvre à peine parue, Julien, de la secte des pélagiens, et évêque d'Eclane, y répondit par quatre livres, où il se contentait d'attaquer les passages les plus faibles à son avis et n'allait même que jusqu'au quart de l'écrit de son adversaire, pensant bien que personne ne lirait les deux ouvrages en entier (6). Du reste sa méthode était celle de tous les hérétiques; ne pouvant dire la vérité, il avait recours à la médisance. Il appellait les catholiques du nom injurieux de manichéens, et avant tous, Augustin, que, par mépris, il nommait le Discoureur carthaginois (7) ; il attaquait aussi quelques autres personnes qui, après avoir abjuré l'hérésie de Pélage, étaient revenues à la foi orthodoxe, et si Augustin atteste en avoir connu plusieurs qui menaient une vie très chaste, il garde sur les autres un silence prudent (8). Pour le comte Valère, Julien le traitait avec bien plus de convenance (9). Il s'épuisait en vains efforts (10) pour s'appliquer
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(1) Contre le niens. 11. 1. (2) Let., cxix, n. 6. (à) Id., ri. 1. (4) Lettre c~x, n. 1. (6) Lettre ccxxxvii. (6) CMre Juhen liv. i, n. 2. (7) Id. liv. iii, n. 32. (8) Id., liv. vi, ri. 35. (9) CEuvres inaehevées, liv. Il eh. x. (to) Id., Ch. LXVIL
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ces célèbres paroles de l'Apôtre: « Qui me délivrera de ce corps mortel (Rom.,-vi, 124). Il avançait plusieurs passages de saint Basile et de saint Jean Chrysostome qu'il voulait appliquer en faveur de son hérésie (1). Enfin il promettait de répondre à tous les arguments qu'apportaient les catholiques pour prouver le péché originel (2). Julien dédia ces quatre livres à Turbantius évêque de la secte, qu'il proclamait un homme remarquable par ses vertus dans un autre ouvrage adressé à Florus. Mais aussitôt après la publication de cette dernière oeuvre, après ces éloges donnés à Turbantius, Dieu touché des prières de l'Église en faveur de ce dernier, le ramena de l'erreur pélagienne, et par sa miséricordieuse assistance le convertit à la foi catholique, au moyen même de ce livre par lequel l'évêque d'Eclane avait cru le confirmer dans son hérésie (3). « Oui, dit Augustin, c'est par la lecture du livre que vous dites vous-même lui avoir adressé, que Turbantius est revenu à la foi catholique, en vous voyant vous appuyer sur de si faibles raisons (4). » Julien, après sa publication, écrivit aussitôt à Rome une lettre, par laquelle il voulait, dit le saint docteur, reconnaître ceux de son parti ou gagner de nouveaux partisans (5), et où il parlait aussi d'un colloque, c'est-à-dire d'un synode que les pélagiens réclamaient à grands cris (6). Augustin ayant réfuté cette lettre dans son premier livre à Boniface, Julien, sur une raison peu plausible, se hâta de la renier, comme nous le voyons par ces paroles du saint prélat : «Si vous ne voulez pas la reconnaître, soit, elle n'est pas de vous (7). » Mais quoi qu'il en soit, cet écrit, comme celui adressé à l'évêque de Thessalonique par les dix-huit prélats donatistes, se plaignait hautement que les paroles d'Augustin eussent été reçues par leurs ennemis en haine de la vérité (8). D'après ce passage, on peut conjecturer que ces deux lettres furent écrites vers la même époque ; mais ce dont on ne peut douter, c'est qu'elles ne tardèrent pas à être publiées.
2. Lorsque, grâce à l'active vigilance des catholiques, le pape Bonifice les eut en sa possession (9), il les fit parvenir à Augustin par saint Alype, qui, nous ignorons pourquoi, se trouvait alors à Ravenne. Le comte Valère lui en remit une autre de son côté, dans laquelle il remerciait le saint docteur du livre qu'il lui avait envoyé, et l'avertissait qu'Alype lui raconterait lui-même ce que disaient les hérétiques aux certains passages (10). Puis au départ d'Alype pour Rome, le même officier lui remit un opuscule qui contenait les sentences du premier livre de Julien. Quelqu'un les avait recueillies avec quelques changements et les avait envoyées au comte, afin qu'il eût une réponse courte et prompte au livre d'Augustin (11). Il les faisait donc remettre à Augustin, avec prière de les réfuter le plus promptement possible. Le pape Boniface reçut Alype à Rome, avec une grande bienveillance, ils vécurent ensemble peu de temps, il est vrai, mais unis par une douce affection ; et Alype le lia également d'une étroite amitié avec son ami Augustin (12). Aussi Boniface lui remit-il, comme nous l'avons déjà dit, la lettre de Julien envoyée à Rome et celle des dix-huit évêques à Rufus de Thessalonique, où le saint docteur était indignement calomnié (43). Alype revint en Afrique porteur de ces écrits et de l'opuscule contenant les sentences. La lecture inspira à Augustin la pensée de faire une réfutation complète de l'ouvrage, mais pressé de satisfaire le comte Valère (14), il composa au plus vite pour lui un deuxième livre, qu'il intitula comme le premier: Du mariage et de la concupiscence. Après avoir démontré les calomnies de Julien, il prouvait que le dogme catholique diffère essentiellement de l'hérésie des manichéens au sujet de la faute originelle. Consacrant ensuite quatre livres à la réfutation directe des deux lettres, il répondait dans le pre-
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(1) Contre Mien,Aiv. vi, n. 69. (2) Ouvr. inach. liv. i, n. 1. (3) Id., liv, II, eli. M. et liv. v, n. 4. (4) Id., liv. iv, n. 30. (5) Contre les deux lettres Pélaq. liv. i, n. 3. (61 Id., n, 12. (7) Ouvr. inacli. liv. i. n. 18 * (8) Confre les deux leffi-es Pélag. liv. i, n. 9, liv. iv, 11, 20. (9)'Id., liv. I, n. 3. (10) Da mariape et de la conc. liv. ii, ii. 1. (11) Ouv, inacli. préf. (12) Contre'1es dem lettres péjOg. liv. I, n. I. (ffi Id.. lív. ii, n. 3. (14) Du piar. et CIC 1(1 CO)W, HV- TI> n. 3.
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mier à celle imputée à Julien et dans les trois autres à celle des dix-huit évêques. Les ennemis de la grâce trouvaient en effet toujours de nouvelles argumentations pour tenter les esprits des plus faibles, et Augustin croyait de son devoir d'employer une égale constance à les combattre, tant afin d'empêcher les catholiques de tomber dans leurs pièges que pour ne pas les laisser s'affermir eux et les leurs dans leur erreur; et l'ouvrage terminé, il résolut de l'envoyer à Boniface, non pas pour son instruction, mais afin qu'il l'examinât et qu'il corrigeât les passages qu'il n'approuverait pas entièrement : « J'espère du Seigneur Notre Dieu, disait-il en rappelant les injures des Pélagiens, que ce ne sera pas sans récompense pour moi dans le ciel que leur dent calomnieuse m'aura déchiré. Je m'expose à ces mauvais traitements pour les faibles, afin de ne pas les laisser se perdre par les louanges trompeuses des pélagiens, et afin de les offrir, pour leur salut, au Christ notre véritable Sauveur (1). »
3. Vers la fin de la même année 420 ou au commencement de l'année suivante, Alype fit de nouveau la traversée et apporta en Italie ces nouveaux ouvrages d'Augustin contre les pélagiens, c'est-à-dire les quatre livres adressés à Boniface (2), et le second livre à Valère (3). Il était alors nécessaire de s'opposer aux ennemis acharnés de la grâce, au moment où ils mettaient tous leurs efforts, surtout en cette contrée, à sauver leur hérésie de son anéantissement. Persuadés en effet que c'était la seule ou du moins la principale cause de son nouveau voyage, ils en prirent occasion d'attaquer les catholiques en se servant avec la dernière violence des écrits de leur chef. Julien accusait Alype d'avoir amené avec lui plus de 80 chevaux, les plus beaux de toute l'Afrique, pour en faire don aux tribuns (4). Et plein de complaisance pour lui-même, il osait écrire ces mots : « Votre frayeur, aussi bien que la considération et le prix des doctrines dont nous sommes les défenseurs, montrent assez toute la dignité de notre entreprise. Vous, par vos largesses, par vos concessions d'héritages, par vos transports de chevaux, vous en soulevant les peuples, en corrompant les autorités, en cherchant à nous ôter la vie, vous rougissez d'avouer la foi que nous attaquons (5). » « Pourquoi donc, s'écrie-t-il plus loin, avez-vous bouleversé l'Italie par vos séditions? Pourquoi avez-vous, dans toute l'Afrique, engraissé aux dépens des pauvres des troupeaux de chevaux, pour les envoyer par Alype aux tribuns et aux centurions? Pourquoi avez-vous corrompu les puissances du siècle en leur offrant les héritages des matrones, et excité contre nous la colère publique? Pourquoi avez-vous troublé le repos de l'Église ? Pourquoi avez-vous ensanglanté les temps d'un prince religieux par vos odieuses persécutions (6) ? » Mais Augustin mit à nu tous les vains efforts et l'insigne impudence de cet homme par ces paroles : « Ou vous calomniez, ou vous ne savez pas ce que vous dites: et vos paroles sont celles d'un imposteur ou d'un ignorant. Quoi de plus méchant que vous si vous avez inventé ces calomnies ? Quoi de plus insensé si vous les avez crues? Comment avez-vous pu écrire, comment n'avez-vous pas craint de voir parvenir dans les lieux qui ont reçu mon collègue Alype, sur terre et sur mer, ces livres mensongers que l'on ne peut lire sans se moquer de vous, ou plutôt sans vous détester ? Quel est l'homme que l'on pourrait vous comparer, je ne dis pas en impudence, mais en folie (7)? » Puis renversant tout le méchant verbiage de Julien, il ajoute : " Les crimes que vous nous imputez, sont aussi faux que le sont les dogmes que vous professez (8,). »
4. Augustin n'avait pas encore vu les quatre livres de Julien lorsqu'il en réfuta les extraits. Mais on comprend qu'il dut les recevoir peu après, puisqu'il plaça leur réfutation après ses livres à Boniface (9). Un évêque du nom de Claude les lui envoya même avant qu'il en fît la demande. Le saint docteur s'empressa de les examiner, et il les trouva tels qu'il les avait jugés avant de les recevoir, c'est-à-dire infec-
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(1) Contre deux lettres Pélag. liv. i, n. 2-3. (2) Ouvraeli 74 3 8 t) > par V03 . inach. liv. . i, n. 85. (3) M., n. 7. (4) Id., n. 42. (5) Ouvi,.in . n. - (6) N., liv. zii, n. 35. (7) Id., liv. 1, eh. XLII. (8) Id., liv. zii, n. 35. (9) Retract 1iV- 11, Ch. Mi.
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tés d'erreurs et de mensonges; et il n'en pouvait être autrement, car on ne peut attaquer la vérité qu'avec de pareilles armes. Néanmoins cette lecture fit voir à Augustin que les extraits des livres de Julien par Valère n'étaient pas toujours conformes au véritable texte. Aussi craignit-il de se voir accuser d'imposture par le sectaire ou par quelque autre, s'ils venaient à examiner sa réfutation (1). Julien en effet ne manqua pas cette belle occasion pour faire peser sur lui une accusation odieuse, malgré les rétractations que le saint docteur avait déjà faites publiquement ; il alla même jusqu'à l'accuser d'être l'auteur des extraits auxquels il avait répondu (2). La prudence et la crainte de la calomnie engagèrent donc Augustin à réfuter, avec les autres, cet ouvrage textuel : ce qu'il fit en six livres admirables. À l'accusation de suivre les dogmes impies des manichéens, que Julien portait contre ceux qui disaient que le péché originel a sa source dans Adam, il répondait que cette calomnie atteint les plus illustres saints pères ; il citait à ce sujet les témoignages des pères latins et des pères grecs, et prouvait que tout au contraire les pernicieux préceptes de Julien étaient un appui de plus pour les manichéens. Le second livre ne présentait que l'enseignement des saints pères dont il opposait la doctrine aux subtilités et aux sophismes de Julien. Mais ce n'était pas assez; Augustin redoutait encore de voir Julien méconnaître l'autorité de tant de saints et de docteurs érudits, et dire que tous s'étaient trompés sur ce sujet. Aussi, pour ne rien laisser de douteux et d'incertain dans cette oeuvre d'erreur, il réfuta les quatre livres de Julien par quatre autres livres, dans lesquels il prouva, par des arguments irréfutables, que la doctrine catholique est la seule vraie, et que l'hérésie des manichéens repose en partie sur les dogmes des pélagiens (3). Dès le début de son ouvrage, il avoue qu'il n'est pas sans craindre entièrement les injures de Julien; mais, chose admirable dans les défenseurs de l'Église, en butte aux attaques des ennemis de la grâce de Dieu, il déclare qu'elles ne l'émeuvent que parce qu'elles lui donnent l'occasion de se réjouir et de se féliciter dans l'espoir d'une plus grande récompense au ciel, et en même temps de s'attrister sur le péril de Julien, dont sa charité déplore l'erreur et celle de tous ceux qu'il a entraînés (4). Quant au combat singulier que lui propose Julien, il ne croit pas devoir l'accepter : « Loin de moi, s'écrie-t-il, la pensée de m'arroger auprès des catholiques un droit que vous osez prendre auprès des pélagiens. Je ne suis qu'un seul homme parmi tant d'autres qui combattent vos funestes doctrines, comme ils le peuvent, et selon la mesure de foi et de courage que le Seigneur a donnée à chacun d'eux (5). Loin de moi la pensée de vous provoquer un combat singulier; car partout où vous apparaîtrez, sera toujours l'armée militante du Christ. Celle-là même est celle qui a attaqué Célestin à Carthage quand je n'y étais pas; qui l'a combattu à Constantinople, ville bien éloignée des rives africaines; et qui a poursuivi Pélage en Palestine, où lui-même par crainte de sa propre condamnation a anathématisé votre cause (6). » Dans le premier livre, il est question de Jérôme comme n'existant plus à cette époque (7). Or comme ce saint prêtre mourut en 420, la veille des calendes d'octobre, nous pouvons rapporter ces livres à l'année 421.
5. Tous les chroniqueurs s'accordent à placer la mort de l'empereur Constance, beau-père d'Honorius en 421, après six mois de règne, et, d'après Olympiodore, au commencement du septième. Entre autres monuments qu'il a laissés comme preuve de son attachement à l'Église, on a conservé un rescrit adressé à Volusien, préfet de Rome, dans lequel il ordonne de chasser Célestins de cette ville. Fidèle à cet ordre, Volusien ordonna à Célestius qu’il qualifie du nom de perturbateur de la foi divine et du repos public, de quitter Rome et les pays voisins, lui, et tous ceux qui croiraient en sa parole. Sous ce même empereur, un tribun du nom d'Ursus, détruisit à Carthage le fameux
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~1 ~ReIra«., liv. 11, eh. LXIL (2) Ouvr. inach. liv. i,
(5 ìa., liv. v[, n. 22. (6) Id., liv. ni, n. 4. (7) Id., n.
n. 19. (3) Contre Aken, liv. ili, n. 1. (4) Id., liv. i, n. I.
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temple de la déesse Céleste dont l'emplacement servit désormais de lieu de sépulture pour les morts (1). Depuis quelque temps déjà ce temple avait été remis aux chrétiens, et Aurèle en avait fait la dédicace. Néanmoins, les infidèles, sur la vaine promesse d'un de leurs devins, espéraient toujours voir rétablir dans ce superbe édifice toutes leurs superstitieuses cérémonies; il fallait donc que Dieu renversât d'un seul coup toutes leurs espérances
CHAPITRE III
Découverte de quelques manichéens à Carthage. - 2. Augustin chasse le manichéen Victorin. - 3. Il compose son Enchiridion pour Laurentius. - 4. Sur la demande de Paulin, il écrit un livre sur les devoirs à remplir envers les morts. - 5. Il répond à huit questions de Dulcitius.
1. Le passage de Prosper rapporté plus haut, où il nous dit qu'Ursus remplissait alors en Afrique la charge de tribun, nous engage à rapporter ici ce qui eut lieu grâce à ses soins contre les manichéens. Cet homme, qui fut (2) non seulement tribun, mais encore préfet du palais de l'empereur, était très attaché à la foi catholique. Il fit un jour arrêter quelques personnes que les manichéens appelaient élus ou élues, parmi lesquelles se trouvait une jeune fille nommée Marguerite, à peine âgée de douze ans, et une certaine Eusébie qui se disait religieuse. On les amena dans l'église de Carthage, où quelques évêques les interrogèrent. Augustin, qui connaissait particulièrement et mieux que les autres cette secte exécrable, et qui avait démontré tous leurs blasphèmes d'après leurs propres livres, engagea les évêques à presser de questions ces femmes, et apprit de la bouche même de ces élues l'aveu des monstruosités que ces frénétiques commettaient entre eux et dont la plus légère était la corruption des vierges. Marguerite la première confessa toutes ces turpitudes, et Eusébie, qui se disait vierge, contrainte par elle d'avouer son déshonneur et son infamie, dévoila tous les autres crimes exécrables. Pendant l'interrogatoire, on écrivit tous les aveux dans les actes ecclésiastiques; ce qui nous explique sans doute la parole de Possidius, qu'on avait entendu les manichéens auprès des tables. Cet écrivain ajoute que le soin et l'empressement des évêques, en cette affaire donnèrent à l’Église une nouvelle force et de nouvelles armes pour la défendre contre les voleurs et les ravisseurs. Dans la suite, un autre manichéen, du nom de Viator, révéla à ces évêques, non pas les mystères, mais pour parler comme Augustin, les horreurs de cette secte. Quodvultdeus, diacre de Carthage, fit parvenir à Augustin tous les actes de cette affaire (3), et c’est probablement à eux que le prélat fait allusion dans une lettre à ce même diacre en 487 où il lui demande de l'informer des dispositions de Théodore, par lequel les manichéens avaient été découverts, et s'il persévérait avec ceux qu'il disait avoir ramené de l'erreur, dans la foi catholique (4). Il nous reste un fragment d'actes de ce genre, où il était question de la poursuite et de la recherche des manichéens (5). Félix qui avait abjuré cette erreur, s'engagea par serment à dénoncer tous ceux qu'il saurait appartenir à cette secte; et en effet il nomma deux hommes et plusieurs femmes qui habitaient les uns dans la province de Césarée, les autres à Hippone-la-Royale. Un commentaire, écrit par Augustin à la suite de cette dénonciation, exposa la conduite à tenir envers les manichéens qui reviendraient à l'Église (6). Avant tout, y était-il dit, les hérétiques devront présenter un libelle renfermant toutes leurs anciennes erreurs, dont ils demandent humblement pardon; puis, d'après la formule indiquée dans l'instruction, ils doivent rejeter Manès et toutes ses folles doctrines. Si l'évêque approuve leur abjuration, il leur délivrera, mais seulement à ceux qui n'étaient qu'auditeurs, une lettre indiquant le jour et l'année de leur retour à l'Église. Cette mesure avait pour but d'empêcher toute poursuite devant les
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(1) PROSPER, de la préd. liv, III, eh. xxxviii. (2) POSSID., Ch. xvi, AuGUST. des hérésies-, eh. XLVI. (3) P0SSTD-~ me d'AuQust. livre des hérésies. ch. xLvi. (4) Leitre ccxxii, n. 3; (5) Avertiss. sur le livre des actes avec Fél,x, L VIII. (6) TomèVIII, append.
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tribunaux ecclésiastiques ou les magistrats laïques, pour leur attachement à une hérésie, que les lois civiles portées par Dioclétien lui-même, punissaient très sévèrement. Pour ceux qui retomberont dans leurs erreurs, l'instruction ordonne de les punir comme ils le méritent: les fidèles éviteront avec eux tout rapport, toute amitié, toute liaison. Quant aux autres, après qu'ils auront reçu leur certificat de l'évêque, on devra les confier à quelques hommes pieux, clercs ou laïques, qui habiteront avec eux, ou auprès, les pousseront à venir écouter fréquemment la parole divine, et rendront compte de leur conduite afin que l'on sache à quoi sen tenir sur leur admission au baptême, s'ils ne l'avaient déjà reçu (car les manichéens regardaient ce sacrement comme inutile), ou à la réconciliation, s'ils étaient au nombre des pénitents; mais, en général, on ne devra leur accorder facilement ni l'une ni l'autre de ces faveurs, hormis le cas de nécessité à l'heure de la mort. Enfin pour ce qui est des élus, les évêques ne leur accorderont que très difficilement le certificat d'admission, dans la crainte qu'ils ne quittent trop tôt les lieux, monastères ou hôpitaux, où on les place pour les éprouver, et où ils doivent rester jusqu'au jour où l'on ne jugera plus à propos de leur refuser le baptême ou l'absolution.
2. Il y avait un certain Victorin, de la secte des manichéens, qui, feignant la foi catholique, s'était fait recevoir sons-diacre de l'église de Malliana dans la Mauritanie césarienne. Il était venu à Hippone, où il avait enseigné ses erreurs à bon nombre d'habitants, qu'il avait vus se grouper autour de lui, et qu'il avait crus désireux d'embrasser sa doctrine. Mais bientôt il fut découvert par Augustin. Interrogé sur sa doctrine, et comprenant qu'il avait parlé devant trop de monde pour essayer des dénégations, il avoua aussitôt qu'il était manichéen; et se déclara auditeur et non point élu. Il osa même prier l'évêque de l'instruire et de le ramener dans la voie de la vérité catholique. Mais sa dissimulation sous le voile de la cléricature fit horreur au saint prélat qui le fit chasser de la ville. Dans la crainte de le voir infecter de ses erreurs la Mauritanie, il le dénonça à Deutérius, métropolitain de cette province, afin qu'averti il pût s'opposer au mal. Il l'engageait à ne point admettre Victorin à la pénitence, jusqu'à ce qu'il eût dénoncé tous les manichéens qu'il savait être cachés à Malliana et dans toute la province, à le fuir, à le dépouiller de sa dignité et enfin à publier son renvoi d'Hippone (1). Il exposait en même temps les doctrines blasphématoires et la règle que suivaient les auditeurs parmi les manichéens(2).
3. Augustin n'écrivit point son Enchiridion ou Manuel avant l'an du Christ 421, car il y fait l'éloge de Jérôme, de sainte mémoire (3). Cet ouvrage fut composé pour Laurent, père de Dulcitius (4), qui avait demandé par une lettre à Augustin, de lui écrire un livre sous forme d'Enchiridion ou de manuel, qu'il pourrait avoir toujours avec lui. Il y exposerait, à cause des différentes hérésies de ce temps, ce qu'il nous faut croire et ce qu'il nous faut rejeter; dans quels articles la raison suit et confirme la foi ; dans quels autres au contraire, elle doit s'abaisser devant la foi, comme incapable de sonder les mystères profonds de sa doctrine ; dans quelles bornes doit se renfermer notre espérance ; quel est l'abrégé de la doctrine chrétienne, et la base inébranlable et inévitable de la foi catholique. Et toutes ces questions si longues et si ardues, il priait Augustin de les exposer en quelques mots. Celui-ci, qui faisait grand cas de Dulcitius et désirait en conséquence de tout son coeur le voir au nombre des vrais sages, ne voulut point rejeter sa demande. Et comme toutes les questions se réduisaient à celles-ci : que faut-il croire? Que faut-il espérer? Que faut-il aimer? Le saint prélat ne parle dans son livre que de la foi, de l'espérance et de la charité; c'est le même titre qu'il lui donne en différents endroits (5), bien qu'il s'en remette à Laurent, pour l'appeler, s'il le préfère Enchiridion. Il s'y préoccupe longuement du culte de Dieu, qui est la véritable
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(1) Des gc8fes avec Eméri~e ' n * 1. (2) Lettre ccxxxvi. (3) Efich. n. 25. (4) Des huit quest. de Dalcit. quest. 1, n. 16. (5) Retract., liV. II, Ch. LXiii ; Lettre ccxxxi ; Deq huit quest . deDulcit. quest. 1.
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sagesse de l'homme, et pour la question que lui posait alors Paul, si les cérémonies que l'Eglise a coutume de faire pour les morts n'étaient point contraires aux préceptes apostoliques, il affirme qu'elles servent à procurer aux âmes, si elles l'ont mérité pendant leur vie, ou la rémission complète de leurs péchés, ou au moins un soulagement à leur peine.
4. Après son Enchiridion, Augustin fit son livre intitulé Des devoirs dus aux morts (1). La composition de ce traité lui avait été inspirée par Paulin, qui, sans aucun doute, jouissait de l'amitié d'Augustin, bien que nous remontions bien haut sans trouver des preuves de cette liaison. Une noble dame, en effet, du nom de Flore, veuve, et vivant en Afrique, avait demandé à Paulin de faire enterrer dans la chapelle d'un saint, son fils mort, probablement, dans les environs de Nole. Il lui répondit, pour la consoler, que le corps de son jeune enfant Cynegius, serait déposé, selon son pieux désir de mère, dans la basilique du bienheureux confesseur Félix, bâtie par lui-même, qui renfermait plusieurs cellules ou chapelles destinées à la prière et à la sépulture des morts. En répondant à Flore, Paulin profita de cette occasion pour envoyer une lettre à Augustin. Il lui demandait s'il croyait que la sépulture auprès d'un saint pût être utile aux hommes; pour lui, il pensait que les pieux sentiments des fidèles, recherchant pour les leurs une pareille sépulture, ne devaient pas être inutiles. Du reste, les prières de l'Église universelle pour les défunts ne pouvaient pas être sans efficacité ; et l'on pouvait croire, par conséquent, que les hommes, après leur mort, quand les parents leur procuraient une pareille sépulture, devaient retirer quelque avantage de reposer auprès du corps d'un saint (2). Mais d'un autre côté, disait-il, son esprit restait dans le doute, car le texte de saint Paul: Chacun recevra selon ce qu'il aura fait pendant sa vie (11, Cor., v, 10), semblait contredire cette opinion. Cette demande modeste d'un évêque si illustre et si versé dans les livres saints, était d'autant plus admirable qu'elle différait davantage de l'assurance de ces hommes qui, dans leur doute, rejetaient les prières de l'Église pour le repos des morts. Comprenant la difficulté de cette question, Paulin s'humilia profondément : il n'osait condamner ni Paul ni l'Église, et il attendit paisiblement que Dieu lui révélât la vérité, alors qu'il la cherchait avec la foi; enfin, grâce à Augustin, ses vœux furent comblés. Ce saint docteur tarda assez longtemps à lui répondre, et peut-être l'eût-il oublié complètement, accablé qu'il était d'affaires toujours nouvelles et toujours renaissantes, si le prêtre Candidien ne lui eût rappelé, sans s'en douter, ce devoir. Il composa alors son traité (3) où il résolut la difficulté occasionnée pas le texte de saint Paul, au sujet des prières. Pour ce qui est de la sépulture auprès du tombeau des martyrs, il pense que le défunt n'en retire que cet avantage, de voir les prières adressées pour lui, accrues de celles du saint sous la protection duquel on l'a placé (4). «Une pieuse mère, dit-il, désire faire exposer le corps de son enfant dans la basilique d'un martyr, avec l'espérance que les mérites du saint viendront en aide à l'âme de son fils. Or, cette croyance est en quelque sorte une prière, et elle sera utile à son enfant. De plus, comme son esprit se reporte toujours vers ce tombeau, elle ne cesse de prier pour son fils; en sorte que ce n'est pas le lieu de la sépulture qui profite au défunt, mais bien le sentiment qui(e) réveille sans cesse cet endroit béni. » À la suite de ces pages si pieuses, il raconte plusieurs apparitions de morts et de saints à des personnes vivantes, et termine en exposant d'une manière admirable un sentiment sur ces difficultés dont il n'avait point encore l'explication (5)
5. Dulcitius, nous l'avons vu, se trouvait en Afrique en 420, pour mettre à exécution, d'après l'ordre de l'empereur, les lois portées contre les donatistes. Il s'y trouvait encore lorsqu'il envoya de Carthage à Augustin, une lettre, qui fut remise vers les fêtes de Pâques, pour lui demander l'explication de quelques questions (6).
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(1) Re~'ract., Lv. II, Ch. LXIV. (2) Des devoirs dus aux morts, n. 1. (3) Des devoirs du~ aux merts, n. 1-23. (4) lbid., n. 22. (5) Ibid.., n. 21. (6) Des huit questions de Dulcit. prélace.
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Il fut impossible à Augustin d'y répondre de suite, car après les fêtes, il lui fallut aussitôt se rendre à Carthage, d'où il ne revint que trois mois plus tard. On ne peut douter qu'il n'y fut accablé d'affaires de la dernière importance. Nous n'en avons cependant aucune preuve, sinon une lettre, dans laquelle Augustin lui-même raconte, qu'il eut dans cette ville, où il n'avait jamais manqué d'occupation, tant de choses à faire, qu'il ne put trouver un seul moment pour dicter quoi que ce soit. De retour à Hippone, il dut s'occuper pendant quinze jours des affaires de son diocèse qui n'étaient pas les moins pressantes. Celles-ci terminées, il trouva enfin un moment de loisir pour répondre sans retard à Dulcitius. Des huit questions proposées par ce dernier sur l'Écriture ou la doctrine ecclésiastique, toutes, excepté la cinquième, avaient été expliquées déjà, et Augustin n'eut qu'à les recopier, tant pour satisfaire au louable désir de Dulcitius que pour éviter de les traiter une seconde fois, travail aussi ennuyeux pour lui qu'inutile pour le tribun. Nous ne citerons de ce livre qu'un seul fait en nous servant des paroles mêmes de l'auteur: « Je vais, dit-il, vous raconter une histoire arrivée à Sétif en Mauritanie. Un jeune homme, nommé Celtichius, encore au nombre des catéchumènes, enleva, pour l'épouser, une veuve qui avait consacré à Dieu sa chasteté. Mais, avant de s'en approcher, effrayé par un songe qu'il eut pendant son sommeil, il la conduisit pure et intacte à l'évêque de Sétif qui faisait d'actives recherches pour la retrouver. Tous deux vivent encore. Le jeune homme, converti par ce miracle au Seigneur, reçut le baptême et est parvenu, par son insigne piété, à l'épiscopat ; et la femme a persisté dans son saint veuvage (1). Dans la lettre du concile de Carthage, à Célestin, Celtichius est nommé le onzième parmi les évêques. Un contexte attaché à cet écrit, nous affirme que le dimanche de Pâques tombait dans l'année qu'il fut composé, le 3 des calendes d'avril, ce qui, pendant l'épiscopat d'Augustin, n'arriva que deux fois, en 419 et en 430. On ne peut prendre cette dernière date, car le grand livre des Rétractations qui parle de cet ouvrage ne va pas jusqu'à cette époque. Il nous faudrait donc prendre l'année 419, dans laquelle, à la fin de mai, le saint prélat se trouvait à Carthage. Et cependant, bien qu'appuyé d'une raison aussi plausible, nous ne pouvons admettre cette opinion. Ce traité, parle en effet de l'Enchiridion (2), qui n’a pu être composé avant l'année 421, puisqu'il fait mention de Jérôme comme d'un homme de sainte mémoire. Or, Prosper rapporte que Jérôme ne mourut qu'en 420, la veille des calendes d'octobre. Augustin le place encore au nombre des vivants au mois de septembre de l'année 418, et nous avons vu qu'il avait écrit lui-même une lettre à Augustin en 419. Il faut donc admettre qu'une faute s'est glissée dans le texte d'Augustin, et qu'au lieu du 3 des calendes d'avril, il faut mettre ou bien le 7 des calendes d'avril, date de la Pâque en 422, ou bien le 10 des calendes d'avril, jour où, selon Buchenius, plusieurs pays latins auxquels devait être associée l'église d'Hippone, la célébraient en 425.
CHAPITRE IV
1. Augustin fait sacrer Antoine évêque de Fussale. - 2. Il est forcé de lui retirer l'administration de cette Eglise. - 3. Antoine trompe le primat de Numidie et le Pape Boniface pour se faire rétablir sur son siége.- 4. Augustin supplie Célestin de ne point révoquer la sentence portée contre Antoine, et de travailler avec lui-même à la paix de l'Eglise de Fussale. - 5 Le saint homme, pour avoir contribué imprudemment à la nomination de cet évêque, veut résigner sa propre dignité.
Selon Baronius, le pape Boniface mourut le 8 des calendes de novembre de l'année 433, et Célestin, son successeur, fut élu le 3 des nones du même mois. Il n'est point facile de vérifier la vérité de cette sorte ; il paraît cependant plus probable que Boniface cessa de vivre sur la fin de l'année 422, et que son successeur Célestin ne fut nommé qu'en 223. C'est ce qui
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(1) Des huit queshons de Duicit. quest. vii, n. 3. (2) Ibid., quest. 1, n. 1, et q1.1est. Il,
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nous engage à placer en 422 l'histoire d'Antoine de Fussale, un des événements les plus remarquables de la vie d'Augustin. Fussale était une forteresse ou une ville de guerre située sur les confins du territoire d'Hippone (1), dont elle était distante d'environ 40 milles, c'est-à-dire seize lieues. Elle avait toujours dépendu du diocèse d'Hippone, car jusqu'alors, il n'y avait eu d'évêque. Augustin a consigné plusieurs miracles arrivés dans cette ville pendant son administration et après la conversion de Maximin de Sinit, c'est-à-dire après l'année 405 (2). La population de Fussale et des environs était fort nombreuse, mais malheureusement tous étaient tombés dans le schisme (3). Il se trouvait encore dans la campagne quelques catholiques, mais dans la ville pas un seul n'avait persisté dans la vraie foi. Les premiers prêtres qu'y envoya Augustin furent dépouillés, battus, estropiés, aveuglés et même mis à mort. Mais leurs souffrances ne furent point inutiles ni stériles, et après des travaux et des dangers incroyables, tout ce pays, grâce à la miséricorde de Dieu, rentra dans l'unité de l'Eglise. Il ne resta plus que quelques donatistes qui, loin de penser à tourmenter les autres, ne songeaient plus qu'à se cacher. Le saint évêque d'Hippone, qui avait enfanté les uns à la foi par tant de craintes et de douleurs voulut aussi voir les autres se sauver dans le Christ. Mais comme l'éloignement ne lui permettait pas de gouverner ces populations et d'étendre sur eux toute la vigilance dont ils avaient besoin, il crut devoir y établir un évêque. Il chercha donc quelqu'un qui pût remplir dignement cette charge, et qui eût la connaissance de la langue punique, et désigna à cet effet un prêtre de ses clercs qui lui parut réunir toutes les qualités nécessaires. Il écrivit au primat de Numidie (c'était, à notre avis, Silvain, de Summa), dont le siège était très éloigné d'Hippone la Royale, et lui demanda, de venir pour l'ordonner. Le prélat était arrivé, tout était près pour le sacre, lorsque le prêtre qu'Augustin destinait à cette charge, refusa de se laisser ordonner. L'événement lui montra assez dans la suite, qu'il aurait dû différer plutôt que de précipiter une aussi grave affaire. Mais sur le moment, il ne voulut point que le saint et respectable vieillard se fût fatigué et eût fait inutilement un si long voyage. Il présenta donc aux habitants de Fussale, sans qu'ils l'eussent demandé, un jeune homme nommé Antoine qu'il avait, dès son premier âge, élevé dans son monastère, mais qui n'était pas encore éprouvé et dont l'âge ne donnait pas beaucoup de garanties; car, sauf les fonctions de lecteur, rien ne l'avait fait connaître dans les degrés de la cléricature. Les catholiques de Fussale s'en rapportèrent au choix de leur évêque, ne se doutant pas plus que lui de ce qui devait arriver; et, d'un commun accord, Antoine fut ordonné et placé sur le siège épiscopal. L'époque de cette ordination ne nous est pas exactement connue, bien qu'il paraisse raisonnable de la placer après la conférence de Carthage, où l'on ne voit pas figurer le nom d'Antoine. Mais, parait-il, il est compté parmi les derniers au synode de Milève, tenu en 416 ; et ainsi il demeure certain que Silvain de Summa lui imposa les mains.
2. Cette ordination fut pour Augustin une source de douleurs d'autant plus amères, qu'en voulant donner le bonheur à ceux qu'il regardait comme ses enfants, il ne travailla, à son insu, qu'à leur infortune. Dans sa lettre CCIX, il refuse sans doute de charger celui qu'il avait élevé près de lui, et cependant il est obligé d'avouer que sa conduite a été telle, qu'il a commis de si grandes fautes, qu'on a cru nécessaire d'établir un tribunal pour le juger (4). Antoine était accusé de meurtres et de crimes contre la pudeur par d'autres que ceux dont il était évêque, de tyrannie, de rapines, de violences par les gens de Fussale, qui déclarèrent ne pas consentir à demeurer sous son autorité; personne ne doutait même que leurs irritations légitime les porteraient à quelque crime.nMais le jeune prélat avait paru justifié des premières accusations, parce qu'on avait manqué de
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(1) Lettre ccix, ri. 2. (2) De la cité de Dieu, liv. XXII, eh. vin, n. 6. (3) Lettre ccix, ri. 2. (4) Id., ri. 4.
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preuves contre lui; et pour les autres griefs, l'ensemble ne parut pas suffisant pour le déposer (1). Il fut donc condamné seulement à la restitution de ce qu'il avait véritablement dérobé et privé de la communion jusqu'à ce que tout fût intégralement rendu (2). Antoine se soumit à la sentence et il conserva la dignité épiscopale (3), car, étant encore jeune, il pouvait se corriger et porter de bons fruits; on voulait même, dans le jugement, lui laisser l'administration de son église, et on en fit la proposition aux députés de Fussale ; mais ils la rejetèrent avec force, et déclarèrent que, plutôt que d'y consentir, ils en viendraient aux dernières extrémités ; qu'ils retourneraient à leur ancien schisme, ou qu'ils massacreraient celui qu'ils jugeaient coupable. Antoine cherchait à se défendre en accusant Céler, homme respectable, d'être son ennemi et d'avoir soulevé la population contre son autorité ; mais Céler n'avait alors aucune charge; et il était clair aux yeux de tous qu'il n'avait pu exciter la haine des habitants. Il fallut donc enlever au prévaricateur l'administration de son église; toutefois, il lui fut permis de rester dans la ville, de peur qu'on ne dit qu'il avait été transféré illicitement sur un autre siège, contre les règles des conciles. Après la sentence, tous les décrets du jugement furent consignés dans les registres; ce qui, personne n'en doute, était la coutume de l'Afrique entière (4), et nous entendons Augustin avouer que loin d'avoir agi avec toute la sévérité voulue, les juges, au contraire, usèrent beaucoup plus de miséricorde que de rigueur. Mais il ne dit pas si l'on nomma un autre évêque de Fussale par intérim, ou s'il la gouverna de nouveau lui-même. Cette dernière opinion est cependant plus raisonnable, sinon certaine ; car, comme on conservait à Antoine la dignité épiscopale, et qu'il restait sur son siège, si on eût nommé un autre évêque, cette église aurait été divisée en deux partis, et puis nous voyons Augustin lui-même, sur la fin de sa vie, recommander en ces termes un prêtre de Fussale : « Nous ne pouvons pas abandonner, dans leurs besoins, des hommes qui sont plus que des fermiers, mais des frères, et dont nous devons prendre soin dans la charité du Christ (5). » Ce ne fut qu'après la mort d'Antoine qu'on sacra un nouvel évêque, car on mentionne, dans l'histoire de l'Afrique, un prélat du nom de Mélin, qui occupa le siège de Fussale.
3. Le jugement rendu, on fit l'estimation de ce que devait rendre Antoine aux habitants, et il en déposa le montant pour que la communion lui fût rendue. Quant à la seconde partie du châtiment qu'on lui imposait, la miséricorde dont on avait usé à son égard, lui fournit un subterfuge; il pouvait, pensa-t-il, faire relever la sentence par le siège apostolique, en s'appuyant sur sa dignité ; si en effet on l'eût trouvé coupable, il aurait été déposé ; et comme le contraire avait eu lieu, on ne pouvait avec justice le priver de son siège (6). Il alla donc trouver le primat, Valentin de Baïana, successeur de Silvain de Summa. Malgré toute la dignité du saint et vénérable vieillard, il lui en imposa par sa fourberie et ses mensonges, ses discours pleins de vices, au point que celui-ci le recommanda au vénérable pape Boniface comme étant pleinement innocent. Boniface jugea une seconde fois Antoine, et ordonna de le rétablir dans toutes ses dignités, pourvu toutefois que, dans sa lettre, il eût exposé les faits avec vérité (7). Dès lors on ne vit plus dans Fussale que les tribunaux et la puissance des magistrats de l'empire. Il fallut employer la force armée pour contraindre les habitants à obéir au jugement du siège apostolique; et ce peuple infortuné, depuis peu catholique, redouta de la part d'un évêque plus de calamités, qu'il n'en avait jamais redouté des lois impériales, lorsqu'il était hérétique.
4. Sur ces entrefaites, mourut Boniface. Les habitants de Fussale demandèrent le secours de Célestin, son successeur, pour les arracher aux maux dont les menaçait et les accablait leur évêque (8). Ils reprochèrent même à Augustin de le leur avoir donné lui-même, et le saint
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(8) Id., cc~.v, n. 9. -e ccXLiv, n. 1-3. (1) N., D. 5. (2) Id., n. 4. (3) N., n. 6. (4) N., n. 7. (5) Letti (6) Id., CCIX, n. 7. (7) Id., n. 9.
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homme reconnut humblement la justice de leurs reproches. Mais loin de se regarder comme offensé, il se signala lui-même à Célestin, comme l'auteur de tous ces maux, lui envoya à ce sujet une lettre remarquable que nous avons encore, et que nous devons placer en 423, d'après l'ordre que nous suivons. Il paraît aussi que le Primat reconnut la fraude par laquelle Antoine l'avait trompé, et fit parvenir à Célestin tous les actes et preuves de ce jugement (1). Augustin, dès le commencement de sa lettre au pontife le félicite de ce qu'il a été établi sur le siége apostolique, sans aucune division de son peuple; puis il lui expose toute la douleur qu'il a éprouvée de l'affaire d'Antoine, lui demandant après avoir fait le récit de cet événement, de lire et d'examiner les actes que lui a fait remettre le Primat, de compatir à ses maux, de délivrer l'Elise de Fussale de l'homme qui la conduisait si mal, et de bien mériter de ce peuple et d'Antoine, en évitant à celui-ci de causer de grands malheurs, à celui-là de les supporter. Enfin, par le sang du Christ, par la mémoire de l'apôtre Pierre qui recommande aux pasteurs des peuples de ne pas dominer violemment sur leurs frères, il le conjure de ne pas permettre que la force contraigne les habitants de Fussale à obéir à leur évêque (9). Car à cette époque, dit-on, le siège apostolique envoya, ou du moins ceux qui étaient intéressés lui demandèrent d'envoyer des clercs romains en Afrique, pour être les exécuteurs de ses sentences et il était adjoint à ces légats de réclamer l'aide des puissances civiles, si besoin était. Notons bien qu'Augustin ne parla jamais d'Antoine qu'avec la plus grande modération et en le traitant comme un fils ; mais plus il avait d'amour pour lui, plus il s'attachait à faire condamner sa cupidité.
5. Augustin avouait en différents endroits de sa lettre l'imprudence qu'il avait commise en faisant placer Antoine sur le siège épiscopal. Mais rien ne peut nous donner l'idée du repentir et de la profonde humilité du saint homme comme les paroles qu'il adressait au souverain pontife : «Quant à moi, lui disait-il, je l'avouerai à votre béatitude, je suis torturé par la crainte et la douleur en présence de ce double péril. Tel est mon tourment, que je songe à renoncer à l'épiscopat pour passer le reste de mes jours à pleurer ma faute, si celui que mon imprudence a fait évêque vient à ravager l'Église de Dieu, et, ce qu'à Dieu ne plaise, si je la vois périr avec son dévastateur. Me souvenant des paroles où l'Apôtre nous dit de nous juger nous-mêmes, afin que le Seigneur ne nous juge point (1 Cor.,II, 31), je me jugerai pour que celui qui doit juger les morts et les vivants me pardonne. Mais si vous tirez de leurs angoisses les membres du Christ qui sont dans ce pays, et si vous consolez ma vieillesse par une justice miséricordieuse, celui qui par vous nous aura secouru dans cette tribulation et qui vous a établi sur ce siége, vous rendra le bien pour le bien dans la vie présente et dans la vie future (3). » Célestin fut vivement frappé de cette lettre, et ne consentit pas à priver l'Église de ce prélat dont il défendit la doctrine et la renommée ainsi que la haute autorité de sa parole. Aussi comme Augustin resta évêque de l'Eglise d'Hippone jusqu à la fin de sa vie, et qu'il gouverna celle de Fussale, jusqu'en 427 ou 428, il faut présumer que le pontife de Rome avait maintenu le décret qui privait Antoine de l'administration de ce siège, et nous trouvons cette opinion confirmée par l'estime et la vénération qu'il conserve toujours pour la mission d'Augustin. Et du reste quand bien même, dans une aussi louable demande, le saint prélat eût essuyé un refus de la part du pape, il eût pu encore revenir de cette injustice, grâce au décret des pères africains qui déclarait qu'à l'avenir, les évêques eux-mêmes ne pourraient plus en appeler au siége de Rome (4).
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(1) Id., n, 6. (2) N, n. g. (3) Lettre e<_,1x, il. 10. (4) Colc des conous d'Affique. cin. cxxxy111.
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