Darras tome 11 p. 523
p523 CHAP. IV. — CONCILIABULE DU CHÊNE.
VIII. « D'avoir
publiquement blasphémé en affirmant dans un de ses discours que si Jésus-Christ
n'avait pas été exaucé lorsque
sur la croix il invoquait son Père, c'est qu'alors le Christ ne priait pas
comme il faut.»
IX. « D'avoir excité le peuple à la révolte contre l'empereur et même contre l'autorité du synode actuellement réuni. »
X. « D'avoir admis à l'Église et de patroner d'anciens idolâtres qui avaient autrefois persécuté les fidèles. »
XI. « D'avoir empiété sur la juridiction des autres évêques et d'avoir fait des ordinations hors de sa province. »
XII. « D'avoir fait chasser de sa demeure des évêqnes auxquels il donnait l'épithète d’expidadgatous 1. »
XIII. « D'outrager les clercs et de les calomnier à plaisir. »
XIV. « De s'être approprié par la violence les dépôts confiés à d'autres mains que les siennes. »
XV.« De conférer les ordinations sans assemblée préalable du clergé, et contre le gré de celui-ci. »
XVI. « D'avoir admis à la communion des origénistes notoires, tandis qu'il la refusait à des ecclésiastiques munis de lettres com-mendatices 1, régulièrement délivrées par leurs évêques. D'avoir fait jeter en prison ces ecclésiastiques et de les avoir laissé mourir sans même daigner les visiter. »
XVII. « D'avoir
conféré l'ordination à des esclaves qui n'avaient pas reçu de leurs maîtres la
lettre de manumission (affranchis-
sement) 3. »
XVIII. « D'avoir notamment maltraité à plusieurs reprises Isaac le plaignant. »
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1. Aucun des commentateurs jusqu'ici connus n'a encore déchiffré le sens de ce mot grec employé par Photius. Nous n'avons pu nous--même en deviner le sens et nous le reproduisons tel qu'il nous a été transmis soit dans son originalité maintenant inconnue , soit dans la forma vicieuse qu'une négligence de copiste lui aurait pu donner.
2. Nous avons précédemment expliqué ce que l'antiquité ecclésiastique entendait par ce terme de lettres commendatices, équivalant à ce qu'on nomme aujourd'hui lettres de communion ou celebret.
3. Photius, Alyriobiblon, loc. cit.
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41. Cette fois l'accusation avait un corps; elle se tenait debout. Grâce à l'Isaac, véritable Iscariote, qui avait prêté son nom au patriarche pour rédiger ce mémoire, Chrysostome pouvait être avec quelque vraisemblance jugé canoniquement. L'origénisme était une hérésie formelle et condamnée. Chrysostome était accusé d'origénisme. Il mangeait seul, parce qu'il ne voulait pas déceler aux clairvoyants regards d'un convive l'erreur qu'il professait. Cette explication valait mieux que celle des fameuses orgies de cyclope. Il avait déposé des diacres et même des évêques; mais c'était uniquement parce que ces diacres et ces évêques avaient l'origénisme en horreur. Il flétrissait les débauches et les excès de tout genre par un rigorisme emprunté à Origène. Il affectait de se plaindre qu'on l'accusât d'être seul de son parti, preuve évidente qu'il était origéniste. Il avait emprunté à Origène cette doctrine de la grâce surabondante qui dépassait sans mesure toutes les faiblesses et toutes les fautes de l'humanité. C'était encore à cette école qu'il avait appris que Dieu ne refuse rien à la prière. Et comme il est certain que Notre-Seigneur Jésus-Christ dans sa passion prononça la touchante parole : Eli Eli lamma sabactani, sans que pour cela Dieu le Père fût venu le délivrer, on imaginait cette ridicule assertion par laquelle Chrysostome aurait déclaré publiquement que, si le Christ n'avait pas été exaucé, c'est qu'il n'avait pas prié comme il faut. Le plus hypocritement conçu de tous ces griefs imaginaires était celui qui accusait Chrysostome d'avoir soulevé le peuple de Byzance contre l'autorité de ses souverains légitimes et même contre celle du concile actuellement assemblé. Le seul énoncé de cette charge rendait solidaires pour une commune vengeance l'impératrice Eudoxia et les évêques du synode. Contre un métropolitain à la fois ennemi de l'Église et de l'État tous les efforts devaient se réunir. Le nom même d'Eudoxia n'était pas prononcé, mais on le devinait d'autant mieux qu'il paraissait moins. C'est une tactique toujours habile, quoique percée à jour depuis des siècles. En laissant quelque chose à deviner aux esprits, en leur présentant sous la formule la plus vague et comme dans l'interligne les faits qui les préoccupent
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le plus, on est certain de les enflammer mille fois davantage. Chacun des membres du conciliabule avait entendu dire que Cbrysos-tome outrageait publiquement l'impératrice dans ses discours, qu'il la désignait sous le surnom de Jézabel. Le mémoire accusateur se gardait bien de rappeler ces expressions choquantes. Théophile portait trop haut le sentiment du respect qu'on doit aux pouvoirs souverains pour se commettre dans de pareils détails. Il se contenta d'une litote qui est à elle seule un vrai chef-d'œuvre ; Sn xoT; Xaoî; CiTToSiW.Ei a-*<j:i%ï.\i : quod ad seditionem populos concitarit 1. Nous ne doutons pas que le patriarche d'Alexandrie, après avoir dicté à son complice Isaac cette rédaction triomphante, ne se soit applaudi d'un pareil trait de génie. II ne songeait pas que les Juifs avaient dit exactement la même chose de Notre-Seigneur Jésus-Christ au tribunal de Pilate : Hunc inventimus subvertentem gentem nostram et prohibentem tributa dare Cœsari 2. Les deux accusations étaient aussi vraies l'une que l'autre.
42. « Cependant, dit Théodore de Trimithunte, après la lecture du libelle, le questeur Aquilinus prit la parole. Il serait illégal, dit-il de procéder à l'examen des charges articulées contre Chrystome en l'absence de cet accusé. Il faut qu'il soit entendu, et pour cela il est nécessaire de lui adresser une citation juridique. ~— La proposition d'Aquilinus fut accueillie et l'on députa immédiatement deux jeunes évêques près de Chrysostome 3. » — « Or, dit Palladius, nous étions quarante réunis dans le triclinium du palais épiscopal et assis autour du bienheureux Jean, Il venait de nous dire que son heure était proche et que bientôt il serait immolé. Saisis d’une extrême douleur à ces paroles, les uns fondaient en larmes, les autres se levant pour sortir baisaient les yeux du pontife, sa tête sacrée et cette bienheureuse bouche si éloquente. Nul d'entre nous ne pouvait retenir ses sanglots. Jean fît un signe de la main et pria tous les assistants de se rasseoir. Cessez de pleurer, dit-il, bien-aimés frères. Le spectacle de votre affliction
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1 Photius, Myrioliblon, loc. citât. — 2. Luc, xxin, %. —3. TheoflCf. Triffilt De vila S. Chrysost., u" 20 ; Pair, grœc, tom. XLVJI, col. 73.
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ne pourrait qu'affaiblir mon courage. « Jésus-Christ est ma vie, et mourir m'est un gain. » — Il parlait ainsi parce que le bruit s'était répandu qu'on devait lui trancher la tête, à cause de la noble indépendance de ses discours. — Rappelez-vous, poursuivit-il, les paroles que je vous ai redites tant de fois. La vie présente est une course rapide à travers des joies ou des peines qui passent avec la même vitesse. C'est un marché. On y achète, on y vend, et l'on passe. Sommes-nous de meilleure condition que les patriarches, les prophètes et les apôtres? Ils sont morts et nous mourrons comme eux. — Un des assistants s'écria: Vénérable père, laissez-nous pleurer, car nous allons être orphelins. Qui ne verserait des torrents de larmes, en voyant l'Église veuve, les lois méprisées, l'ambition triomphante, les pauvres abandonnés et le troupeau frappé dans son pasteur? — Jean, frappant alors de l'index de la main droite la paume de sa main gauche, geste qui lui était familier quand il était préoccupé de quelque pensée profonde, arrêta l'interlocuteur. Assez, mon frère, dit-il. N'insistez pas davantage. Mais vous tous qui m'écoutez. je vous en conjure, retenez bien et surtout mettez en pratique le conseil que je vais vous donner. Quand j'aurai disparu du milieu de vous, n'abandonnez pas vos églises. La prédication n'a pas commencé et ne finira point non plus avec moi. Est-ce que Josué n'est pas venu après Moïse, David après Samuel, Baruch après Jérémie, Elisée après Élie, Timothée après saint Paul? — En ce moment Eulysius, évêque d'Apamée en Bithynie, lui fit cette observation: Si nous continuons à garder nos églises, après qu'on vous aura injustement frappé, on nous forcera de communiquer avec vos persécuteurs et de souscrire à la sentence qu'ils vont porter contre vous. — En ce cas, répondit l'homme de Dieu, vous pourrez communiquer avec eux pour ne pas diviser davantage l'Église. Mais ne souscrivez pas au décret qu'ils porteront contre moi, car ma conscience ne me reproche aucun des crimes pour lesquels ils veulent me déposer 1. »
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1. Pallad., loc. citât., col. 28.
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43. « Comme il parlait ainsi, on vint annoncer les envoyés du conciliabule. Faites-les entrer, dit le saint. — Quand ils furent introduits, Jean leur demanda quel était leur rang dans la hiérarchie ecclésiastique. Nous sommes évêques, déclarèrent-ils. Sur cette réponse, il les pria de s'asseoir et de faire connaître l'objet de leur message. Notre mission, dirent-ils, se borne à vous transmettre une assignation canonique et à vous en donner lecture. Permettez-vous que cette lecture ait lieu?—Oui, répondit Jean. —Un serviteur de Théophile, qui les avait accompagnés, lut donc la cédule conçue en ces termes : Le saint synode réuni au Chêne, à Jean. (Telle était la suscription. Elle débutait par une grossière injure, puisqu'on refusait à l'homme de Dieu son titre d'évêque.) — L'outrageant billet ne portait d'ailleurs que ces mots : Il nous a été remis contre vous des mémoires contenant un nombre infini d'accusations graves. Venez donc et amenez avec vous les prêtres Sérapion et Tigrius. On aura besoin de leur présence. — Après cette lecture, les deux envoyés qui étaient Dioscore et Paul, jeunes évêques de Lybie, récemment ordonnés par Théophile, déclarèrent que la citation était bien celle que le synode les avait chargés de transmettre. Nous délibérâmes alors sur la réponse qu'il y avait à faire. Elle fut bientôt rédigée et on la fit porter par les trois évêques Lupicinus, Démétrius et Eulysius, accompagnés des deux saints prêtres Germain et Sévère. La réponse adressée directement au patriarche d'Alexandrie portait ces mots : Ne bouleversez pas l'Église; ne livrez pas au schisme cette épouse de Jésus-Christ pour laquelle notre Dieu s'est fait chair. Si vous persistez dans votre aveuglement, si vous continuez à fouler aux pieds les canons de Nicée en vous arrogeant le droit de juger des causes ecclésiastiques hors de votre province, du moins ayez le courage de vos actes. Venez ici, dans cette capitale où la protection des lois est assurée à chacun, et n'attirez pas, à la façon de Caïn, un autre Abel dans la campagne. Nous entendrons ce que vous avez à dire. L'acte d'accusation qui nous a été remis contre vous porte soixante-dix articles dont chacun indique des attentats sacrilèges. Nous sommes ici en plus grand nombre que les évêques présents à votre synode.
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Nous sommes réunis pour rétablir la paix et non pour renverser, comme vous le faites, la discipline ecclésiastique. On ne compte que trente-six évêques dans votre assemblée et presque tous sont de la seule et même province. Nous sommes, nous, au nombre de quarante, venus des provinces les plus diverses. Il y a parmi nous sept métropolitains. En droit canonique la majorité des évêques, même comme nombre, suffirait seule pour nous donner de préférence le jugement définitif. Que sera-ce donc puisqu'outre le nombre, nous avons encore pour nous la dignité prépondérante? Enfin nous avons sous les yeux une lettre adressée jadis par vous-même à Jean Chrysostome. Dans cette lettre vous invoquiez le canon ecclésiastique qui défend à un évêque de s'arroger le droit de jugement hors des limites de sa province. Commencez donc par vous soumettre le premier à une règle que vous connaissez si bien, et invitez les prélats de votre faction à rentrer eux-mêmes dans le devoir1. »
44. « On lut cette lettre au bienheureux Jean. Vous êtes libres, dit-il, de faire en votre nom telle réponse que vous jugerez convenable. Mais comme il s'agit surtout de moi dans toute cette affaire, il me faut aussi répondre personnellement à la citation personnelle qui m'est adressée. —Il prit alors des tablettes et traça les lignes suivantes : Jusqu'à ce jour j'ignorais complètement qu'il se fût produit aucune accusation juridique contre moi. S'il en est survenu quelqu'une et si vous voulez que je comparaisse devant vous pour la discuter, commencez par exclure de votre assemblée un certain nombre de membres qui se sont déclarés mes ennemis personnels et dont j'ai le droit dès lors de récuser le jugement. Je ne veux point incidenter sur le local où il vous a plu de vous réunir. Cette capitale était de droit le lieu où une pareille assemblée devait se tenir. Mais je ferai bon marché de cette question incidente. Seulement je ne saurais accepter comme juges des hommes qui ont manifesté d'avance la résolution de me poursuivre jusqu'à la mort. J'ai donc le droit et le devoir de les récuser. En conséquence
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1. Pallad., loc. citât,, col. 28.
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je désigne nominativement Théophile comme ayant dit à son départ d'Alexandrie, et ayant répété plusieurs fois ce propos, notamment en Lycie : Je me rends à Constantinople pour déposer l'évêque Jean. Sa conduite ici n'a que trop justifié l'inconvenance d'un pareil langage, puisqu'il n'a pas daigné depuis son arrivée m'adresser une seule communication verbale ou écrite. Je récuse pareillement Acacius de Bérée, lequel a publiquement dit de moi: Je lui servirai un plat de ma façon. Je récuse de même Severianus de Gabala et Antiochus de Ptolémaïs, sans m'expliquer davantage à leur sujet. Ce que j'aurais à dire est de notoriété publique. Ou représente leurs exploits jusque sur les théâtres de cette ville, en attendant que la justice de Dieu leur en demande compte. Si donc vous souhaitez que je comparaisse devant vous, excluez d'abord ces quatre personnages du nombre de mes juges. Admettez-les, si vous voulez, comme mes accusateurs. Je suis prêt à réfuter toutes leurs calomnies. Vous serez juges entre eux et moi. J'accepte non-seulement le jugement de votre charité, mais celui de tout l'univers, à la condition que ces hommes qui se sont gratuitement faits mes ennemis ne soient point à la fois parties et juges dans une cause que leur inimitié seule a inventée. Telle est ma résolution définitive. Dussiez-vous réitérer mille fois votre citation, vous n'obtiendrez jamais de moi une autre réponse 1. »
45. « A peine les députés du conciliabule étaient sortis, continue Palladius, lorsque survint un notaire impérial, chargé d'un ordre signé d'Arcadius. Il exhiba en premier lieu une requête adressée à l'empereur par Théophile et ses adhérents afin qu'usant de son autorité souveraine, le prince daignât contraindre même par la force l'archevêque Jean à comparaître au synode. Arcadius s'était borné à signer cette requête et il l'envoyait au bienheureux. La réponse fut exactement la même que celle déjà expédiée à Théophile. Le notaire impérial se retira, et nous vîmes arriver deux prêtres de Byzance, Isaac, celui-là même dont la complicité venait d'être achetée par la promesse de l'évêché de Cysique, et Euge-
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1. Palia/i., loc. cit., col. 29.
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nius, également vendu à la faction moyennant l'évêché d'Héraclès. Ils se présentèrent devant l'homme de Dieu et lui dirent : Le synode vous mande l'ordre suivant : Comparaissez à notre tribunal pour vous justifier des charges qui pèsent sur vous. — Chrysostome ne daigna point leur adresser la parole. II fit transmettre par quelques évêques la réponse suivante, adressée au synode lui-même : Quel ordre prétendez-vous donc observer dans cette étrange procédure? Vous persistez à me donner pour juges des hommes que j'ai récusés comme mes ennemis personnels, et vous me faites citer par mes propres clercs! —Les deux évêques envoyés par Chrysostome en arrivant au synode furent accablés d'outrages. On leur arracha leurs vêtements, on les flagella. Puis chargés de fers, ils furent jetés sur un navire qui les conduisit en exil. A l'heure où je parle, je ne sais encore ce qu'ils sont devenus 1. »
26. Tel est le récit de Palladius. Cet évêque, renfermé alors, avec les autres prélats fidèles, dans le triclinium du palais épiscopal de Constantinople, ne pouvait savoir ce qui se passait au faubourg de Chalcédoine, dans le conciliabule du Chêne. La nouvelle chronique de Théodore de Trimithunte nous présente la contrepartie très-exacte de la narration de l'évêque d'Hélénopolis et ne nous laisse rien ignorer des divers incidents qui se produisirent au sein de l'assemblée. Le parallélisme entre les deux hagiographes se soutient avec une telle précision que la véracité de l'un se contrôle par celle de l'autre, et réciproquement. « Après que le questeur impérial eut fait observer que la présence de Chrysostome était nécessaire, dit Théodore de Trimithunte, le concile députa à l'archevêque de Constantinople deux des clercs qu'il avait lui-même déposés précédemment et chassés de l'Église. Ils lui signifièrent d'avoir à se présenter au synedrium1. Mais Jean transmit cette réponse: Vous agissez en opposition avec toutes les règles cano-
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1. Pallad., Soe. cit., col. 29.
2. Nous reproduisons le terme même du chroniqueur. Dans sa pensée, ce mot était l’équitalent du Sanhédrin, ou synagogue, de la passion évangélique.
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p531 CHAP. IV. — CONCILIABULE DO CEËNE.
niques. Vous prétendez me donner pour juges des hommes qui se sont notoirement déclarés mes ennemis, et qui ont réuni toute une faction contre moi. — Les évêques du parti de Jean refusèrent de même de se rendre au conciliabule, en disant: Quel scandale de voir ainsi diviser par un schisme l'Eglise pour laquelle Jésus-Christ a versé son sang! C'était à Théophile de venir avec les prélats de son parti se joindre au concile légitimement assemblé, sous la protection des lois, dans cette capitale, et non d'essayer, comme autrefois Caïn, d'attirer traîtreusement un autre Abel dans la campagne. Théophile n'est entouré en majeure partie que d'évêques d'une seule province, la sienne propre, tandis que nous sommes assemblés ici de toutes les provinces de l'Orient, et que nous comptons sept métropolitains, outre les quarante évêques dont notre synode est composé. II serait donc de toute justice que le plus grand nombre entraînât le plus faible, quand même nous n'aurions pas la supériorité avouée du rang hiérarchique et de la provenance différente de chacun de nous, laquelle établit clairement notre impartialité dans le débat. Nous vous disons donc à vous, patriarche d'Alexandrie : Si vous ignorez ces choses, prenez la peine de les apprendre. Si, les connaissant, vous persistez dans votre conduite tyrannique, sachez que la justice divine vous atteindra et, que vous expierez cruellement un jour ces violences infernales1.»
47. Évidemment Théodore de Trimithunte avait sous les yeux, au moment où il écrivait, les pièces authentiques dont il faisait une analyse si fidèle. Un siècle et demi après la mort de Cnrysostome, il tenait exactement le même langage que Palladius, témoin oculaire de ce drame fameux. Une telle concordance à travers les âges est pour nous la garantie de l'irrécusable véracité du nouveau chroniqueur. Théodore de Trimithunte avait donc entre les mains les actes aujourd'hui perdus de cette inique assemblée du Chêne. Le cardinal Maï1, avec le sens exquis de l'antiquité dont il a donné
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1. Theodor. Trimithuut., De vita S. Chrysost., a" 20; Patr. greee, tom. XLVIIj,
. 7i.
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tant de preuves, n'en doutait pas, et il estimait que la découverte de ce précieux manuscrit jetait un jour tout nouveau sur le conciliabule du Chêne dont nous n'avons plus que les extraits conservés par Photius 1. Nous sommes complètement de cet avis et nous n'hésitons pas à accepter les indications du nouveau chroniqueur, même lorsqu'elles sembleraient contredire en quelque point celles de Palladius. Ainsi, ce dernier affirme que Chrysostome refusa péremptoirement de se rendre de sa personne au sanhédrin de ses ennemis. Trois fois de suite, l'illustre archevêque repoussa les instances qui lui furent faites à ce sujet, d'abord par les deux évêques lybiens Paul et Dioscore, puis par un notaire impérial et enfin par les deux clercs de Byzance Eugenius et Isaac, sur la tête desquels cette trahison devait poser une mitre, il est donc certain pour nous que Chrysostome ne mit pas le pied au conciliabule du Chêne et qu'il ne sortit point de son triclinium durant ces lamentables débats. Cependant Théodore de Trimithunte, avec la même simplicité de style, la même ingénuité, la même bonne foi candide et intègre dont sa narration nous a déjà fourni tant d'exemples, affirme que Chrysostome comparut devant l'assemblée, qu'il y fut confronté avec Théophile et qu'on les y interrogea l'un et l'autre. Ainsi que le lecteur en jugera bientôt, cette partie très-importante de la nouvelle chronique ne laisse pas soupçonner la moindre trace de légende ni d'interpolation faite à plaisir. On y reconnaît à première vue des citations prises sur les procès-verbaux et reproduites telles que le chroniqueur les a trouvées dans le document original qu'il analysait. Mais, chose remarquable et que le lecteur pourra aussi constater, c'est que, dans cette prétendue comparution de Chrysostome au sanhédrin du Chêne, on ne cite aucune réponse de Chrysostome. Tous les autres interlocuteurs parlent : ils tiennent exactement le langage qui convenait à leur situation ou à leur rôle. Seul Chrysostome garde le silence. Le seul mot qu'on lui fait prononcer est une protestation qu'il ne veut pas se défendre. Interpellé directement, il devrait formuler un
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1. Maï, Monitum in opuscul. Iheoclor. Trimithunt. ; ibid., col. 58.
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oui ou un non, faire du moins un geste soit de dénégation soit d'assentiment, mais on a soin de faire couvrir sa voix par des acclamations parties du sein de l'assemblée. Cette attitude est déjà singulièrement caractéristique. Une autre particularité ne l'est pas moins. A l'approche du prétendu Chrysostome comparaissant devant l'assemblée, la séance cesse d'être publique. L'inlerrogation se fait à huis clos par les commissaires d'Arcadius. Cinq évêques de chaque parti sont seuls admis avec les officiers impériaux à cette délibération secrète. Un tel luxe de précautions pourrait mettre sur la voie d'une fraude jusqu'ici inédite, mais parfaitement vraisemblable et conforme au génie connu de l'intrigant Théophile. On se rappelle que Palladius indique positivement que cinq députés, les évêques Lupianus, Démétrius, Eulysius, et deux prêtres, Germain et Sévère, portèrent le message collectif du triclinium épiscopal de Byzance et la lettre personnelle de Chrysostome au conciliabule du Chêne. Évidemment ces personnages officiels ne franchirent pas le détroit qui séparait la ville du faubourg de Chalcédoine sans éveiller autour d'eux l'attention publique déjà si profondément surexcitée. La foule dut les suivre, comme au temps de la Passion, ut videret finem. Ce fut donc un cortège imposant qui dut se présenter à la porte du monastère du Chêne, et les évêques qui y étaient réunis purent croire que Jean Chrysostorae arrivait en personne. La foule surtout put le croire. Or, pour Théophile, il importait que non-seulement la plèbe byzantine, mais le monde catholique tout entier le crût. C'est qu'en effet aucun jugement canonique ne pouvait être rendu contre un accusé, évêque ou clerc, sans débat contradictoire. Cette règle était absolue et l'est encore aujourd'hui, car le droit ecclésiastique n'a pas varié sur ce point. En matière de doctrine, le livre incriminé peut paraître seul, parce que seul il constitue le corps du délit et qu'il porte en soi-même ou son apologie ou sa condamnation. Mais dans une question de fait, soulevée du vivant d'un accusé, l'accusé lui-même doit paraître soit en personne, soit par délégués, soit par des mémoires justificatifs. Telle est la législation canonique. Nos civilisations modernes l'ont adoptée en matière civile et c'est un
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des nombreux emprunts qu'on a faits à l'Église, sans se soucier de lui en témoigner nulle reconnaissance. Quoi qu'il en soit, pour condamner Chrysostome avec une apparence quelconque de légalité, le conciliabule du Chêne devait dire dans ses procès-verbaux que Chrysostome avait été personnellement entendu. Il le fallait, sous peine d'encourir les protestations non pas seulement de tout le clergé catholique, mais des légistes impériaux eux-mêmes, des commissaires d'Arcadius qui savaient aussi bien les canons que les textes du code Théodosien. Nous croyons douc qu'on se servit de la présence des évêques délégués par Chrysostome afin de simuler cette comédie d'un débat contradictoire et qu'on ne rougit pas dans les procès-verbaux de poser carrément le nom du grand archevêque, comme si Chrysostome eût comparu en personne. Enfin nous croyons que Théodore de Trimithunte a reproduit ce passage des actes du conciliabule sans se douter lui-même de la fraude. Telle est notre appréciation individuelle. Nous regrettons d'être le premier à signaler aux critiques français la nouvelle chronique découverte par le savant cardinal romain. Mais puisqu'il en est ainsi, force nous est bien d'ouvrir la voie et de soumettre humblement nos conjectures à l'appréciation du public. Voici du reste la narration de Théodore.