Darras tome 17 p. 65
31. Quand la tyrannie d'Ébroïn eut fait place au gouvernement sage et pacifique de Pépin d'Héristal, le cleigé et les fidèles de à Trajectum réclamèrent leur saint évêque. L'intrus Pharamond se vit honteusement expulsé, et le duc d'Austrasie donna des ordres pour que Lambert fût ramené en pompe dans sa ville épiscopale. Ce retour, en effet, fut un véritable triomphe. Toutes les populations de Flandre et du Brabant voulurent y prendre part. « L'un des douze apôtres du Christ n'aurait pas été accueilli avec plus d'enthousiasme, » disent les actes (681). Dix-huit ans s'écoulèrent depuis, pour Lambert, dans les travaux et un fécond apostolat. «La ferveur de l'esprit, dit l'hagiographe, se traduisait dans ses œuvres par une infatigable sollicitude; il était le trait d'union entre les riches et les pauvres 3; il réglait son estime pour les personnes non sur leur fortune, mais sur leur conduite, mesurant les honneurs qu'il rendait au degré de sainteté de chacun. Il nourrissait les pauvres, implorant pour eux les secours du ciel et ceux de la terre. Quand il visitait les monastères, la prédication qu'il adressait d'abord à la communauté était toujours suivie d'une aumône. Sa devise était : Beati misericor-des, quoniam ipsi misericordiam consequentur. Bien qu'il eût tous les avantages physiques, taille élancée, physionomie remarquablement noble, belle chevelure, regard perçant, mains élégantes, doigts allongés, peau délicate et blanche4,
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1. II Cor., xi, 27. — 2. Rolland., Act. S. Lambert., 17 sept., pag. 575. '
3.Inter flivites et pnuperes rneilius.
4. Eivt nvtem I.anrleherius pnntifex statura proeerus, facie decorus, cœsarie for-nwsa, inelylus oaitis, manibus honestis, digiiis tnnyis, carne enndida; a planta pedis usque ad verticem capitis fuit irreprehensibilis. (Bollaud., toc. cit., pag. 573).
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il ne voulait porter que d'humbles vêtements; jamais il ne souffrit que dans sa demeure on ornât le siège dont il se servait. Lorsque, selon l'usage, on lui préparait pour les cérémonies pontificales les ornements les plus riches, il demandait au contraire les plus délabrés, cherchant l'humiliation là où d'ordinaire on affecte la magnificence. Il parcourut les cités, municipes et villages confiés à sa juridiction, portant à tous le flambeau de l'Évangile, ravivant la foi des chrétiens, convertissant les idolâtres. Il pénétra jusque dans la Toxandrie et au pays des Frisons, détruisant sur son passage les temples et les statues idolâtriques, multipliant de toutes parts les adorateurs de Jésus-Christ. » Les fondations religieuses étaient le corollaire obligé de ses prédications. Sainte Landrade élevait sous sa direction, à Bellisia, le monastère connu depuis sous le nom de Munster-Dihen. Une princesse d'Aquitaine, Oda (sainte Odette), dont nous parlerons bientôt plus en détail, érigeait une communauté de femmes dans la villa d'Amay, pris d'Huy, sur la rive gauche de la Meuse.
32. « Cependant, reprennent les actes, Pépin d'Héristal, ce prince des Francs dont la famille avait produit tant de fleurs de sainteté, gouvernait alors avec gloire. Rien ne manquait à l'éclat de sa puissance, à la mesure de sa félicité, d'autant qu'on pouvait dire de lui que son génie était encore supérieur à sa fortune 1. Plectrude, sa légitime épouse, lui avait donné deux fils, Drogo (Dreux) duc de Champagne - et Grimoald qui, jeune encore,
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1. Cum Pippino nihil gloriœ, nihil potentiœ, nihil felicilatis deessel, nunquam ei super induslriam foriuna fuit. (Boit., toc. cit., pag. 597).
2. « Drogo ou Dreux, l'aîné des fils de Pépin d'Héristal, dit M. d'Arbois de Jubainville, fut investi par son père, vers l'an 695, du duché de Champagne, il épousa Adaltrude ou Austrude, fille de Bertaire, aucien maire du palais de Neustrie, et mourut prématurément de la fièvre, au printemps de l'année 708 ; il fut enterré près de Metz dans la basilique de Saint-Arnoul. » (Histoire des ducs et comtes de Champagne, tom. 1, pag. 50). Le savant auteur ajoute les ligues suivantes : « Dreux laissait un fils, nommé Hugues, qui fut à la fois archevêque de Rouen, évêque de Paris et de Bayeux, abbé de Saint-Vandrille et de Jumièges. Mais Hugues ne succéda pas au duché de Champagne. Dreux est le dernier duc de Champagne que nous connaissions. » M. d'Arbois nous pardonnera de lui soumettre ici deux observations qui peut-être ont
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formait un rejeton de plus à la famille princière 1. Mais le héros qui avait su remporter tant d'autres victoires ne put se vaincre lui-même. Sous sa cuirasse de fer, Pépin se laissa toucher le cœur par une noble et belle jeune fille, nommée Alpaïde. Il ne rougit pas de lui donner un rang supérieur à celui de Plectrude 2; il eut d'elle, entre autres fils, le fameux Charles, que sa bravoure indomptée fit surnommer plus tard Tudites, c'est-à-dire Martel. Alpaïde était sœur de l'intendant Dodo, l'un des leudes les plus riches, les plus puissants, les mieux apparentés de la cour austrasienne. Les clients de ce leude formaient une véritable armée ; nulle influence ne pouvait lutter contre la sienne. Les évêques eux-mêmes se renfermaient dans le silence ; seul, Lambert eut
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échappé à ses consciencieuses recherches. II ne parait pas que Drogo ait été le dernier duc de Champagne. Ce prince laissa en mouraut deux fils : Hugues, dont parle M. d'Arbois de Jubainville, et Arnulfus ou Arnoul, qui prit à la mort de sou père le litre de duc. Le fait résulte d'un diplôme publié par tes Bollandistes (tom. I, april., pag. 844), et daté du « VIII des calendes de juillet, année Ve du règne du seigneur roi Dagobert » (24 juin 715). Il s'agit d'une donation faite à la basilique des Saints-Apôtres, plus tard Saint-Arnoul de Metz, où les deux fils de Drogo avaient donné la sépulture à leur père. Ils se nomment l'un et l'autre en ces termes : Nos in Dei nomine Hugo sacerdos humilis et ger-mtmus meus iliuster vir Arnulfus dux. D'après ce texte, dont les Bollandistes n'ont pas mis en doute l'authenticité, il semble que le nom d'Arnoul devrait être ajouté à la liste des ducs de Champagne. La seconde observation tombe sur la personnalité de Hugues lui-même. M. d'Arbois de Jubainville énumère très-exactement tous les titres anticanoniques que Charles Martel imposa à sou neveu, en vertu du déplorable système de commende militaire imaginé par le héros austrasien. Mais au-dessus de tous ces titres et malgré eux, Hugues en conquit un autre, celui de saint, dont l'omission nous a paru regrettable dans l'Histoire des ducs et comtes de Champagne. (Cf. Bolland., Act. S. Hugonis, 9 april.) Nous parlerons plus loin des vertus qui rendirent le nom de saint Hugues populaire dans l'ancienne France, et le firent inscrire au livre d'or des élus.
1. Grimoaldus hereditarimn patiis principalum expectabat. Nous croyons devoir interpréter de la sorte le passage des actes. Grimoald était le plus jeune des deux frères. Les états héréditaires de Pépin d'Héristal se composaient des provinces d'Austrasie ; mais à leur possession étaient attachés le titre et le pouvoir presque royal de maire du palais. Cette part, la plus brillante de l'héritage, devait être réservée à l'aîné des deux frères, c'est-A-dire à Dreux ou Drogo, déjà pourvu du duché de Champagne, et qu'une mort prématurée enleva à ces légitimes espérances.
2. Superduxit légitima: conjugi suœ Plictrudi.
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le courage de se poser comme le rempart d'Israël, prêt à combattre les combats du Seigneur. Il prodiguait à Pépin d'Héristal ses remontrances, n'omettant jamais l'occasion de faire entendre, opportune importune, le langage du droit et de la vérité. Comme jadis Élie ou Jean-Baptiste, il ne craignit pas d'affronter la vengeance d'une autre Jésabel, d'une nouvelle Hérodiade. Cependant Pépin d'Héristal avait la plus haute estime pour l'homme de Dieu ; il l'appelait à ses conseils et goûtait fort ses avis. Le seul point sur lequel il ne voulut jamais lui céder était précisément la question de l'alliance adultère. Alpaïde se plaignit amèrement à son frère Dodo de la conduite du saint évêque; elle craignait qu'un jour, touché de ses avertissements, Pépin ne la réduisît à la honte d'un divorce. C'est le nom qu'elle donnait à une mesure qui n'eût été, de la part du duc austrasien, que la cessation d'un horrible scandale. Dans son arrogance, le leude crut pouvoir emporter de haute lutte le désistement de l'évêque. Il alla le trouver avec une formidable escorte, et lui intima la défense de parler jamais d'Alpaïde, ni de ses rapports avec le duc d'Austrasie. Lambert demeura inflexible ; il était de ces natures que l'injustice peut briser, mais qu'elle ne saurait soumettre. Le frère d'Alpaïde comprit alors qu'un crime seul pouvait le débarrasser de Lambert ; il aposta deux de ses parents, Gallus et Rioldus, avec ordre de tuer l'évêque. Mais les sicaires de Dodo trouvèrent une résistance inattendue ; leurs hommes d'armes furent vigoureusement chargés par Pierre et Audolecus, neveux de Lambert, lesquels s'étaient mis à la tête des défenseurs du pontife. La lutte fut acharnée et sanglante : enfin Gallus et Rioldus, mortellement frappés, restèrent sur le champ de bataille, et leur bande se dispersa 1. » Cet échec ne fit qu'exaspérer la rage d'Alpaïde et de son frère. Ils durent cependant la dissimuler, grâce à une circonstance qui rapprocha Pépin d'Héristal du théâtre des événements. Personnellement en effet le duc d'Austrasie était jusque-là resté étranger à l'infâme complot; les divers hagiographes sont unanimes à lui rendre cette justice.
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1 Bolland., Act. S. Lambert., toc. cit., pag. 597..
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L'intrigue s'était poursuivie exclusivement entre Dodo et sa sœur, avec d'autant plus de mystère qu'Alpaïde avait le plus grand intérêt à se réserver, pour l'avenir, la possibilité de nier toute participation au complot.
33. « Or, disent les actes, en ce temps, Pépin vint habiter sa villa de Jopilium (Jupille), voisine de Legia (Liège). Lambert fut invité aux conseils qui s'y réunissaient pour traiter les affaires du royaume. Le prince et sa concubine (pellex) lui firent le plus gracieux accueil ; parmi les courtisans, les uns dissimulaient leurs sentiments de vengeance, les autres affichaient un air de joie, chacun selon ses impressions ou ses intérêts particuliers prenait une attitude diverse. Alpaïde cherchait un intermédiaire qui pût agir sur l'esprit du saint évêque, et le déterminer, sinon à se réconcilier avec elle, du moins à s'abstenir près de Pépin d'Héristal de tous reproches importuns. Durant un grand festin où toute la cour semblait heureuse de voir assister l'évêque, l'échanson apporta au prince sa coupe pleine. Pépin, agissant comme autrefois à Trêves l'empereur Maxime pour saint Martin de Tours, commanda qu'on présentât d'abord la coupe à Lambert, afin qu'il daignât la bénir et la lui remettre de sa main consacrée. L'évêque le fit; il offrit au duc la coupe qu'il venait de bénir. L'exemple du prince fut imité par les leudes et les autres convives : tous se pressèrent autour de l'homme de Dieu pour en recevoir une coupe bénie. Alpaïde se glissa dans le groupe et tendit la main, espérant échapper à l'attention du pontife, et recevoir par inadvertance un gage subreptice de communion avec lui. Mais l'homme de Dieu la remarqua : s'adressant à Pépin d'Héristal, il déclara hautement qu'un ministre du Seigneur ne pouvait se prêter à l'artifice sacrilège d'une femme qui avait encouru les censures de l'Église, et il quitta la salle du festin. Ce fut un coup de foudre, une consternation générale. Pépin se précipita pour rejoindre l'évêque, le conjurant de ne pas quitter Jopilium sans avoir salué du moins Alpaïde. Grand prince, répondit Lambert, au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur, l'espérance de notre vie, ouvrez donc enfin votre cœur à la vérité et à la religion. Saint Paul nous a donné ce précepte : Ne commisceamini
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fornicariis ' : je ne puis donc communiquer avec Alpaïde ; je ne dois pas même la saluer. Saint Jean, l'ami de notre Dieu, le défend en ces termes : Si quis non permanet in doctrina Chrhti, non eum recipialis, nec ave et dixeritis; qui enim dicit illi ave, commumeat ope-ribus itlius malignis2. Je souffre cruellement de vous voir engagé dans de tels liens, car je vous respecte et vous aime ; mais je crains Dieu, et je dois obéir à sa loi sainte. — Ayant ainsi parlé, il prit congé de Pépin d'Héristal et retourna à Leodium. Il y passa la première partie de la nuit en prières, récita avec ses clercs l'office des matines, et allait vers l'aurore prendre un peu de repos, lorsque ses serviteurs accoururent, disant que la villa était cernée de tous côtés par des hommes d'armes. Dans l'intérieur de la maison épiscopale, chacun s'armait pour se défendre. Lambert lui-même, se souvenant de son ancien métier de soldat, prit en main une épée. Mais il la rejeta bientôt, demandant pardon à Dieu de ce mouvement irréfléchi. Puis il s'agenouilla et fit cette prière : Seigneur, vous avez dit : Mihi vindicta, ego rétribuam 3. Je vous en supplie, faites-moi la grâce de ne pas perdre ma véritable victoire. Il vaut mieux mourir pour vous, que de repousser mes ennemis les armes à la main. — En ce moment, les barrières extérieures de la villa étaient franchies par les envahisseurs, les portes de la maison enfoncées à coups de lances. Pierre et Audolecus, les neveux de l’évêque, furent tués en essayant de le défendre. Dodo , frère d'Alpaïde, car il commandait en personne cette barbare expédition, fit massacrer tous les clercs qui lui tombèrent sous la main. L'un des meurtriers parvint jusqu'au saint évêque, et lui enfonça un poignard dans le cœur. Le crime fut bientôt connu. Une multitude immense se pressa autour du corps sanglant de Lambert. Les assassins s'étaient hâtés de disparaître, pour échapper à la vengeance du peuple. Un cri d'horreur contre Alpaïde retentit de la conscience indignée de la foule. «On raconte, dit l'hagiographe, que, parmi la multitude qui venait baiser les pieds de la sainte victime, quelques femmes de mauvaise vie cherchèrent à s'approcher du lit funèbre ; mais elles se sentirent intérieurement repoussées
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1. I Cor., v, 9. — 2. II Joan., u. — 3. nom., xu, 19.
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par une force surnaturelle et invincible. Le Seigneur attestait de la sorte la sainteté de son martyr, et la férocité de l'odieuse concubine qui venait de souiller la France et l'Église par ce meurtre effroyable. Cependant la terreur inspirée par Alpaïde et son frère fut telle, que les habitants de Trajectum, après avoir transporté chez eux les reliques de l'évêque martyr, n'osèrent pas ériger un monument en son honneur. Ils déposèrent le corps de Lambert, dans le tombeau de sa famille. Mais les miracles qui éclatèrent sur cette tombe sacrée la rendirent bientôt l'objet d'un culte universel. Une jeune fille, aveugle de naissance, nommée Oda, y reçut la lumière du jour. Dodo fut saisi, quelques semaines après, d'une maladie inconnue ; il rejetait par la bouche ses entrailles putréfiées. Tous ceux qui avaient participé à la criminelle expédition de Leodium moururent dans l'année même (708). » Lambert fut dès lors choisi pour patron par une infinité d'églises et de paroisses des Ardennes, de la Burgondie, de l'Aquitaine, de la Provence même. Son culte devint national, comme ceux de saint Léger d'Autun, de saint Germain d'Auxerre, de saint Martin de Tours. A l'heure actuelle, ce patronage céleste n'a pas cessé dans notre patrie, bien que l'histoire même du martyr y soit si peu connue que, pour la plupart des lecteurs, elle paraîtra complètement nouvelle.
34. On comprend qu'avec la renommée croissante de la sainteté de Lambert pénétrât dans toute la Gaule un sentiment d'horreur contre Alpaïde, et par conséquent contre les fils de cette concubine, Hildebrand et Charles, son frère aîné, celui qui devait plus tard conquérir à Poitiers le surnom de Martel. Tant il est vrai que les familles princières expient cruellement les fautes d'immoralité qu'elles se permettent, hélas ! si facilement, et pour lesquelles les adulateurs de cour leur prodiguent de si honteuses complaisances. La vénération qui entourait déjà la mémoire de Lambert ne fit que s'accroître sous le pontificat de son successeur. « Le nouvel évêque de Trajectum, dit l'historien récent du Royaume d'Austrasie, ordonna que les restes du martyr seraient solennellement transférés à Legia (Liège). Au jour fixé, un immense cortège
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se mit en route, suivant le feretrum sur lequel ils étaient placés. De distance en distance, des chœurs de prêtres, de clercs et de religieux chantaient la psalmodie sainte, avec accompagnement d'orgues portatifs et de cymbales1. Le corps fut déposé provisoirement dans un oratoire que saint Lambert avait élevé lui-même à Liège, on l'honneur des saints Cosme et Damien. Mais on entreprit immédiatement, dans la villa où il avait élé tué, la construction d'une superbe basilique, où il fut transféré plus tard. On conserva précieusement la chambre dans laquelle il avait rendu le dernier soupir, et l'on y montrait comme une relique le peigne dont il se servait, selon l'usage liturgique de cette époque, pour arranger ses cheveux avant de monter à l'autel 2. On éleva également des églises en l'honneur de saint Lambert à Nivialla et Hérimala, bourgades où la procession avait fait halte, entre Trajectum et Liège. On voulut que la vie du martyr fût écrite avec détails. Le fidèle Audoenus, qui avait accompagné saint Lambert dans son exil à l'abbaye de Stavelo, fournit les principaux renseignements, et Godescalcus, diacre de l'église de Trajectum, se chargea de la rédaction 3. Enfin on décida que le siège épiscopal de Trajectum serait définitivement transféré à Liège, et telle fut l'origine d'une cité si célèbre durant tout le moyen âge et aujourd'hui encore florissante. Pépin d'Héristal ne vivait plus, lors de cette translation qui eut lieu en 721, six ans après sa mort. Le duc d'Aus-trasic avait pu croire que le crime dont il était resté lâchement
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1. Chori psallentium, cum eimnnnx oTyuruvquv sunvissimn modulalione sonnnti-bus. (Bolland., loc. cit., Liherde Miracul. S. Lambert., n° C). Note de M. Digot.
2. « Ce peigne, ajoute M. Digot, était d'un travail magnifique, dont nous pouvons avoir une idée en examinant celui de saint Lupus, métropolitain de Sens, que l'on garde encore aujourd'hui dans le trésor de cette église, et qui a été récemment décrit dans un recueil archéologique. » (Cf. Quelques recherches sur les peignes liturgiques, par M. Bretagne, dans les Mémoires d'archéologie Lorraine, tom. 11.)
3. Le diacre n'osa cependant, dans un ouvrage écrit du vivant de Charles Martel, raconter en détail la véritable cause du martyre de saint Lambert. Ce fut seulement après la chute de la dynastie carlovingienne que la vérité tout entière fut publiée par Etienne évêque de Liège, et par Sigebert de Gemblours.
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spectateur impassible n'aurait pas d'autres suites. Il se trompait, et Dieu lui réservait un châtiment exemplaire. Son fils aîné, Drogo ou Dreux duc de Champagne, mourut à la fleur de l'âge, emporté par une fièvre maligne, au printemps de l'année 708. L'un des fils de Dreux, Hugo (saint Hugues), annonçait déjà la résolution d'abandonner le monde et de se consacrer exclusivement au service du Seigneur. Grimoald, frère puîné de Drogo, semblait devoir hériter du duché d'Autrasie. Mais Grimoald ne voyait pas sans une profonde irritation le crédit d'Alpaïde et des enfants illégitimes dont elle était mère. Il se proposait de les éloigner, quand il serait parvenu au pouvoir, perspective que la vieillesse et les infirmités de Pépin d'Héristal rapprochaient de jour en jour. Vers la fin de mars 714, Grimoald se rendit à Jopilium pour y visiter le vieux duc, déjà souffrant de la maladie à laquelle il devait succomber. Rempli de vénération pour la mémoire de saint Lambert, il annonça l'intention de visiter sou tombeau. Cette détermination parut une menace à la famille d'Alpaïde : les scélérats qui la composaient résolurent de se défaire du jeune prince. L'un d'eux, nommé Rantgarius, s'embusqua dans la basilique et assassina Grimoald, pendant qu'agenouillé il priait sur la tombe du martyr 1. » Cette fois Alpaïde venait de combler la mesure de ses forfaits. Le nouvel évêque de Trajectum qui n'avait, pas plus que son prédécesseur, ménagé les avertissements à Pépin d'Héristal sans réussir davantage à se faire écouter, n'eut qu'à montrer au malheureux père le cadavre du dernier de ses fils légitimes égorgé par l'ordre d'une concubine. Alpaïde fut reléguée au monastère d'Orp, où, dit-on, elle termina ses jours dans une pénitence sincère. Voulant donner une marque posthume de son repentir, elle légua une partie de ses richesses à l'église de Liège, comme pour honorer la mémoire d'un martyr dont elle avait jadis fait répandre le sang. Les autres complices du meurtre de Grimoald furent mis à mort ; l'aveuglement et la faiblesse de Pépin d'Héristal coûtaient cher à ce duc infortuné. Il ne lui restait pour héritiers légitimes que deux enfants
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1. Digot, Hist. du royaume d’Austrasie, lom. IV, pag. 115-116.
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p74 PONTIFICAT DE SAINT CRÉGOIIIE III (731-741).
en bas âge, Théodoald fils du prince assassiné, et Arnulf, fils de Drogo duc de Champagne et frère de saint Hugues. Ce fut à eux qu'en mourant, le 10 décembre 714, il laissa le pouvoir, sous la tutelle de Plectrude leur aïeule. Ils en furent bientôt dépossédés , comme on l'a vu1, par l'ambitieux génie de Charles Martel. Plectrude mourut dans une condition privée à Cologne. Théodoald succomba à la fleur de l'âge. Les « Annales de Metz » disent qu'il fut assassiné. Arnulf disparut aussi sans laisser de trace dans l'histoire. Mais Charles Martel n'imposa définitivement son autorité aux Neustriens qu'après des dissensions et des guerres 2 dont le souvenir néfaste arrachait, cent cinquante ans après, à l'évoque Hincmar, cette exclamation : Imo plusquam civilia, quia parricidalia bella 3.