Darras tome 15 p.556
III. Ecthèse d’Héraclius.
13. Un empereur hydropique, à demi fou, renfermé dans son palais et cloué sur un lit de douleur, voilà ce que trouvèrent, à la fin de l'an 639, les apocrisiaires romains chargés de notifier l'élection d'un nouveau pape en la personne de Severinus, et d'obtenir selon la coutume l'agrément de la cour byzantine. Le patriarche Sergius avait mis le temps et les circonstances à profit. Aussitôt que la nouvelle de la mort d'Honorius lui était parvenue, il avait réuni en concile les évêques ses partisans, pour aviser au moyen de faire triompher l'erreur monothélite, démasquée à Rome par Etienne de Dor, combattue en Orient par Sophronius, compromise des deux côtés par l'insolence triomphante des jacobites et autres eutychéens. «Ces derniers, écrit Théophane, célébraient sur tous les tons leur victoire. Ils la chantaient jusque dans les tavernes et les bains publics. Ce n'est pas nous qui allons au concile de Chalcédoine, disaient-ils; c'est le concile de Chalcédoine qui vient à nous. Dès que les catholiques admettent une opération unique dans le Christ, ils reconnaissent implicitement avec nous l'unité de nature 1. » Telle était en effet la conséquence nécessaire de la doctrine de Sergius. « Ce patriarche, syrien de naissance, et issu de parents jacobites, ajoute Théophane, professait qu'il n'y a en Jésus-Christ qu'une seule opération naturelle, une seule volonté miam fusikèn télèsis xai miam énergeian en Kristô omologèses2. » Dans cette
=================================
p557 CHAP. VIII. — L’ECTHESE D’HÉRACLIUS.
parole de l'annaliste, nous trouvons le terme technique, l'expression vraiment spécifique de l'erreur monothélite: une seule opération naturelle, une seule volonté naturelle en Jésus-Christ. Ainsi qu'on l'a vu précédemment, les lettres d'Honorius ne contenaient rien de semblable ; elles déclaraient seulement que la volonté humaine en Jésus-Christ n'était point, comme dans la descendance déchue d'Adam, soumise au dualisme de la chair et de l'esprit. Sergius renonça donc à s'étayer des lettres pontificales ; il les passa complètement sous silence; et c'est là une nouvelle preuve de la parfaite orthodoxie des lettres d'Honorius.
14.Ce qui lui manquait du côté du pape, Sergius espéra le trouver sous le couvert de l'empereur. Au lieu d'une constitution apostolique, il imagina un édit de César qui imposerait le nouvel article de foi. Vraisemblablement il lui fut facile d'obtenir l'agrément et la signature d'Héraclius. Ce qui est certain, c'est que plus tard ce malheureux prince déclara avoir été complètement étranger à la rédaction de cette pièce. Elle porta le nom d'Ecthèse (ëxtèsis, exposition), et Sergius en fit lecture à son conciliabule en ces termes : « Exposition de la foi orthodoxe, faite par notre très-pieux seigneur que Dieu conserve, le grand empereur Héraclius, pour mettre fin à la controverse engagée sur le terme de une ou deux opérations, pour maintenir la doctrine des grands conciles généraux, et pour rendre la paix à l'Église 1. — Nous attribuons toutes les opérations de Jésus-Christ, divines et humaines, au Verbe incarné, et ne permettons aucunement de dire ou d'enseigner une ou deux opérations ; mais plutôt, suivant la doctrine des conciles œcuméniques, nous disons que c'est un seul et même Jésus-Christ qui opère les choses divines et les choses humaines ; que les unes et les autres opérations procèdent du
=================================
p558 synchronisme (622-640).
même Verbe incarné, sans division ni confusion. Le terme d'une seule opération, bien qu'employé par quelques pères, paraît étrange à certaines personnes, qui craindraient qu'on ne s'en servît pour détruire le dogme des deux natures dans la personne du Verbe. D'un autre côté, le terme de deux opérations est pour plusieurs un objet de scandale; on ne le trouve dans les écrits d'aucun des pères ni des docteurs : il entraînerait d'ailleurs à reconnaître en Jésus-Christ deux volontés contraires, l'une par laquelle le Verbe comme Dieu aurait voulu l'accomplissement de sa passion, l'autre par laquelle l'humanité incarnée s'y fût opposée : en sorte qu'il y aurait en Jésus-Christ deux principes contradictoires, ce qui serait une croyance impie et complètement étrangère au dogme chrétien. Nestorius lui-même, lorsque, dans son délire, il scindait l'unité du Verbe incarné, et proclamait en Jésus-Christ deux personnes, n'a cependant jamais osé dire qu'il y eût en lui deux volontés. Il soutenait au contraire que les deux personnes qu'il imaginait follement n'avaient qu'une seule volonté concordante. Comment donc ceux qui veulent rester catholiques et qui adorent le vrai Dieu Jésus-Christ Notre-Seigneur, dans l'unité de sa personne divine, pourraient-ils admettre en lui deux volontés, et qui plus est, deux volontés contraires? Voilà pourquoi, conformément à la doctrine de tous les pères, nous confessons en Jésus-Christ Notre-Seigneur et Dieu véritable une seule volonté : nous croyons et déclarons que sa chair animée d'une âme raisonnable, n'a jamais fait aucun mouvement naturel séparément et d'elle-même, contraire ou indépendant du Verbe à qui elle était hypostatiquement unie ; mais que ses mouvements ont été, comme temps, comme objet, comme intensité, exactement ceux que Dieu le Verbe avait voulus. » Après cet exposé où Sergius commençait par interdire l'emploi des termes une ou deux opérations, pour finir par imposer la croyance à une seule volonté naturelle en Jésus-Christ, le patriarche énumérait comme autorités les cinq précédents conciles œcuméniques de Nicée, Constantinople, Ephèse, Chalcédoine, et IIe de Constantinople, sans toutefois citer une seule de leurs paroles. Il ne prononçait pas davantage le nom d'Honorius,
=================================
p559 CHAP. VII.. — l'ecthêSE d'iiéraclius.
il ne faisait pas la plus légère allusion à ce pape, et se contentait de rendre obligatoire la croyance au monothélisme, dont la formule venait d'être pour la première fois nettement exprimée dans l'ecthèse, en la faisant suivre de la signature impériale : « Héraclius, prince fidèle à Jésus-Christ notre Dieu 1. »
15. Les évêques courtisans qui entendirent, dans l'assemblée de Constantinople, la lecture de cette élucubration attribuée à un théologien couronné, se confondirent en éloges et jurèrent que l'Esprit-Saint lui-même avait parlé par la bouche de l'empereur. Sergius résuma leurs sentiments en ces termes : « Le saint synode, après avoir pris connaissance de l'ecthèse de notre grand et très-pieux empereur, ne peut s'empêcher d'admirer la science de ce prince magnanime. C'est la sagesse elle-même qui l'inspire. » Tous les évêques s'écrièrent alors : « Les paroles de notre grand et très-sage empereur sont conformes à la vérité et à l'enseignement apostolique. Telle est la doctrine de nos pères, le fondement de l'Église, la base de la foi orthodoxe. Voilà ce que nous ont appris les symboles des conciles œcuméniques, source de toute vérité, de toute grâce, de toute concorde parmi le peuple fidèle. C'est cette foi qui assure le salut du genre humain2-. » On prononçait ensuite l'anathème contre quiconque refuserait son acquiescement au nouveau dogme impérial, et l'ecthèse devint ainsi une loi de l'État.
16. Il s'agissait de la faire exécuter. Sergius trouva une occasion qu'il crut merveilleuse dans la présence à Constantinople des apocrisiaires romains, chargés d'obtenir la ratification officielle pour l'élection du nouveau pape. « Vous ne l'obtiendrez, leur dit-il, qu'autant que vous prendrez l'engagement de faire souscrire l'ecthèse par le pontife élu. — Il nous est impossible, répondirent les légats, de prendre un tel engagement. Nos instructions ne s'étendent point à un acte de ce genre; nous ne sommes pas venus ici pour faire une profession de foi. Nous vous promettons bien volontiers de faire connaître à Rome vos prétentions, de remettre même au pontife élu votre profession de foi. S'il la trouve ortho-
=================================
p560 SYNCHRONISME (622-640).
doxe et s'il l'agrée, nous le prierons de la souscrire. N'en exigez pas davantage, ne profitez point de ce prétexte pour traîner en longueur notre mission et nous retenir ici. La violence est toujours odieuse, mais en matière de foi, outre qu'elle est sacrilège, elle se retourne contre ceux qui l'exercent. Dans ce cas, le faible devient fort; le plus pacifique se transforme en héros. Il puise dans la parole divine une indomptable énergie ; l'oppression ne fait que redoubler sa constance. Si cela est vrai de chaque fidèle, combien plus quand il s'agit du clergé et de l'église de Rome, cette église la plus ancienne de toutes celles que le soleil éclaire, leur maîtresse et leur guide? Canoniquement investie de ce privilège par les apôtres et par leur chef suprême, tous les conciles le lui ont reconnu. Elle n'est soumise, dans l'élection de ses pontifes, à aucune charte synodale, à aucune prescription étrangère, tandis que, d'après le droit sacerdotal, toutes les autres églises ont à remplir cette obligation vis-à-vis d'elle 1. » Cette noble réponse, qui nous a été transmise par saint Maxime, ne découragea point Sergius. En envoyant l'ecthèse au patriarche d'Alexandrie, Cyrus, sa créature et son adhérent, il lui laissait entendre que les légats avaient au contraire promis de la faire souscrire par le futur pape. Cette mensongère nouvelle fit oublier à Cyrus la honteuse flagellation qu'il avait récemment subie à Constantinople. Les épaules couvertes encore de meurtrissures, il éprouva le besoin de bénir le prince hydropique qui avait commandé les verges. «Je reçois, répondit-il, des mains d'Eustathius, le glorieux maître de la milice, un exemplaire de l'ecthèse, si opportune et si prudente, dressée par notre très-pieux seigneur et grand prince, l'empereur Héraclius, chéri de Dieu. Je suis heureux d'apprendre que notre commun frère le très-saint Severinus, élu pape de Rome, doit la souscrire avant son ordination, et que l'exarque de Ravenne, le très-excellent patrice Isaac, est chargé d'enregistrer sa souscription 2. » C'était en effet le biais que Sergius venait d'imaginer……………….
=================================
Darras tome 15 p.563
PONTIFICAT DE SEVERINUS.
18. Cette notice du Liber Pontificalis renferme à peu près tout ce que nous savons du pontificat de Severinus. Elle suffirait à elle seule pour attester que ce pape, trompant les espérances des deux patriarches monothélites de Constantinople et d'Alexandrie, refusa énergiquement de souscrire l'ecthèse impériale. Le pillage du Latran par une soldatesque effrénée, les menaces de l'exarque Isaac et du cartulaire Maurice, la dévastation des églises de Rome et de la basilique de saint Pierre, l'exil, la mort même, Severinus brava tous les périls, subit tous les outrages, plutôt que de trahir le dépôt sacré de la foi. Le Liber Diurnus nous apprend en outre, qu'après sa consécration et dans les deux mois qu'il passa sur le siège apostolique, Severinus « de sainte mémoire, » promulgua un décret condamnant les scandaleuses erreurs importées de Constantinople. Il déclarait que «de même qu'il y a deux natures en Jésus-Christ, il y a aussi en lui deux volontés naturelles et deux opérations naturelles2. » Cette formule était précisément le terminus technicus de l'orthodoxie, opposé à celui du monothélisme inscrit par Sergius dans l'ecthèse. Et maintenant s'il était vrai qu'Honorius eût professé par une définition ex cathedra l'erreur monothélite dans sa fameuse correspondance avec le patriarche de Constantinople, nous demanderions en premier lieu pourquoi l'ecthèse ne s'autorisait pas d'une décision qui terminait tout? En second lieu, pourquoi les apocrisiaires romains refusaient de s'engager à
=================================
p564 PONTIFICAT DE JEAN IV (640-642).
faire souscrire l'ecthèse par le pape élu? En troisième lieu pourquoi Severinus opposait lui-même une résistance si héroïque? Car enfin une décision dogmatique ex cathedra prononcée par Honorius eût fixé, pour Rome du moins, la croyance et la foi. Nous livrons ces points d'interrogation à la conscience du lecteur. Sous le rapport purement historique, nous nous trouvons en face d'un empereur byzantin, de deux patriarches monothélites, d'un exarque et d'un chancelier de Ravenne qui venaient de porter une main sacrilège sur un pape. Or, nous avons vu jusqu'ici que la Providence, par une exception unique aux lois qui président à son gouvernement temporel, ne laisse jamais impunis en ce monde les attentats contre le vicaire de Jésus-Christ. Sergius, Cyrus et Héraclius devaient bientôt l'apprendre à leurs dépens. Quant à l’exarque Isaac et à son complice, le cartulaire Maurice, le châtiment fut différé de trois années, et nous aurons en 644 à enregistrer leur mort tragique……..
Darras tome 15 p.566
21. Pendant que le vieux levain du pélagianisme fermentait en Occident, le monothélisme continuait ses ravages en Orient, où il devenait l'erreur à la mode. Les révolutions dont la ville de Constantinople allait être le théâtre, ne firent qu'enraciner davantage cette détestable hérésie. Le patriarche Sergius n'avait survécu que quelques mois au fameux conciliabule où il avait fait triompher l'ecthèse. Sa mort précédait de quelques jours à peine celle de Cyrus d'Alexandrie. En même temps, l'orthodoxie perdait son plus illustre défenseur, saint Sophronius, dont la mort laissait inconsolable la chrétienté captive de Jérusalem. Le choix d'un nouveau patriarche de Constantinople, s'il eût été inspiré par un sentiment de véritable amour pour la foi et de dévouement pour l'Église, aurait pu sauver la situation. Malheureusement il fut imposé par une intrigue politique. «C'est une carrière assez curieuse à étudier, dit M. Drapeyron, que celle du moine Pyrrhus. II dut sa fortune au patriarche
=================================
p567
Sergius, dont il était, comme Georges Pisidès, le compatriote, le commensal et l'ami. Son esprit intrigant et délié lui concilia la faveur impériale. Héraclius ne l'appelait que « son frère. » Il avait levé des fonts baptismaux (comme on disait alors) la sœur du souverain, et cette circonstance augmentait encore son crédit. La vieillesse d'Héraclius et de Sergius le mit au comble. Le moine Pyrrhus se trouva chargé de suppléer l'empereur et le patriarche; il assuma la double responsabilité du gouvernement politique et du gouvernement spirituel, trancha les questions d'état et celles de théologie. Un homme de cette espèce était bien fait pour cabaler avec l'impératrice Martina, dans le but de faire couronner Héracléonas, fils de cette dernière. L'intrigue réussit. Dès lors Pyrrhus n'avait plus qu'à attendre la mort du vieux patriarche pour voir récompenser ses lâches complaisances et couronner son ambition. Héraclius, ou plutôt Martina, choisit en effet «le frère Pyrrhus, » pour recueillir la succession vacante. L'amitié dont Sergius l'avait honoré de son vivant servit de passeport à cet hypocrite, qui échangea joyeusement le froc contre la mître 1. » (640.) Le premier soin du nouveau patriarche fut de confirmer l'ecthèse, et d'en ordonner la signature à tous les évêques et prêtres de sa juridiction, sous peine d'être déposés de leurs dignités et fonctions ecclésiastiques. Moins circonspect que Sergius, et comptant davantage sur la crédulité publique, il osa, dans ses lettres synodiques adressées au pape Jean IV lui-même, soutenir que la doctrine monothélite de l'ecthèse avait été textuellement empruntée à la correspondance officielle d'Honorius. Cette calomnie devait soulever d'indignation tout le clergé romain. Pyrrhus le prévoyait; mais en attendant elle aurait fait sans obstacle son chemin dans les diverses églises orientales, et c'était là ce que voulait surtout le schismatique patriarche.
22. Déjà cependant, se manifestaient, au sein même de la cour, des symptômes de mécontenfement contre son omnipotence. Le premier chancelier, ou notaire impérial, Maxime, déclara ne pouvoir
=================================
p568 PONTIFICAT DE JEAN IV (640-642).
supporter plus longtemps le spectacle des intrigues de Pyrrhus et des monothélites; il quitta brusquement le monde et courut s'enfermer dans le monastère de Chrysopolis. Sa retraite fit grand bruit. Elle coïncidait avec la nouvelle des violences exercées à Rome contre Severinus par l'exarque de Ravenne; en même temps arrivait au malheureux Héraclius les lettres de ce pape condamnant l'ecthèse et anathématisant ses auteurs. Le prince hydropique sembla profondément affligé. «L'ecthèse n'est point de moi, répondit-il aux envoyés de Rome. Je ne l'ai ni dictée, ni commandée. Cinq ans avant mon retour d'Orient, elle avait été composée par le patriarche Sergius. Revenu à Constantinople, il me pria de la publier en mon nom et de la revêtir de ma signature. J'eus le tort de céder à ses instances. Maintenant que cette pièce apocryphe cause tant de scandales, je déclare devant Dieu et devant les hommes que je n'en suis point l'auteur 1. » Malgré ce désaveu enregistré par saint Maxime, l'ecthèse est restée dans l'histoire accolée au nom d'Héraclius. Ce malheureux prince en était arrivé à un tel point d'hydropisie, que le ventre prodigieusement gonflé lui couvrait presque entièrement le visage. Il mourut en proie à d'atroces souffrances le 11 mars 641, dans la soixante-sixième année de son âge et la trentième de son règne.
23. Son fils aîné Constantin III, né de l'impératrice Eudoxie, avait vingt-huit ans; le second, Héracléonas, fils de Martina, n'en avait que dix-neuf. Associés tous deux à l'empire du vivant de leur père, ils devaient, aux termes du testament impérial, régner ensemble sous la direction suprême de Martina. Le peuple de Byzance fut convoqué pour entendre lecture de cet arrangement de famille, et le ratifier par ses acclamations. Martina s'attendait à une explosion d'enthousiasme ; elle ne recueillit que des murmures et des outrages. Quoi! disait-on. Est-ce toujours cette même femme, avec son enfant incestueux 2, qu'on prétend imposer à l'empire?
=================================
p569 CHAP. VIII. — PONTIFICAT DE JEAN IV.
Assez de malheurs nous sont venus par elle. C'est un général, non une courtisane, qu'il nous faut pour résister à l'invasion des Arabes. — Constantin III fut donc proclamé seul empereur. Il ne régna que trois mois, assez pour faire rendre gorge au patriarche Pyrrhus et lui arracher les sommes énormes que, durant la maladie d'Héraclius, l'impératrice Martina avait mises en dépôt entre ses mains. Cette mesure enrichit le nouvel empereur, mais lui coûta la vie. Martina le fit empoisonner (22 juin 641). Une seconde fois le trône était vacant. Constantin laissait deux fils en bas âge, Constant et Théodore. Ces deux jeunes princes, dont l'aîné n'avait que onze ans, étaient incapables de lutter contre l'influence de Martina, ostensiblement aidée dans toutes ses manœuvres par le concours intéressé de Pyrrhus. Héracléonas fut porté sur le trône et essaya de gagner le peuple par ses largesses. Cependant le capitaine des gardes, Valentin, rappelait aux armées les droits des petits-fils d'Héraclius, indignement spoliés par une marâtre. Un complot militaire fut organisé, la multitude y prêta la main, et une foule immense courut au palais, demandant à grands cris qu'on restituât la couronne au jeune Constant, son légitime héritier. Les gardes d'Héracléonas voulurent résister ; l'émeute se rua alors sur la basilique de Sainte-Sophie, poussant contre Pyrrhus des cris de mort. Le patriarche jeta son pallium sur l'autel en disant : « Je quitte un peuple indocile, mais je ne renonce point à mon siège patriarcal.» Il fut assez heureux pour gagner le port, où un navire l'attendait et le conduisit en Afrique. Débarrassé du patriarche, le peuple assouvit un instant sa fureur en pillant l'église et la maison épiscopale, puis il revint au palais, décidé à poursuivre jusqu'au bout sa vengeance. Martina épouvantée consentait à couronner le jeune Constant, et à le donner pour collègue à son fils Héracléonas. Mais il était trop tard. Valentin, à la tête des troupes, s'empara de l'impératrice, et lui fit couper la langue. Un coup de sabre fit tomber le nez d'Héracléonas. Après cette horrible mutilation, le fils et la mère furent chassés de Constantinople, et allèrent tous deux mourir obscurément en exil. Constant II fut proclamé empereur, et Valentin prit la régence avec le titre de César (octobre 641). Le
=================================
p570 PONTIFICAT DE JEAN IV (640-642].
patriarche fugitif n'eut garde de rentrer dans une ville où son nom était exécré. Sans se préoccuper des droits dont il avait solennellement fait réserve à son profit, on lui donna pour successeur le prêtre Paul, économe de l'église des Douze-Apôtres. C'était un monothélite remplaçant un autre monothélite.