FOI CHRÉTIENNE
hier et aujourd'hui
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1V. LE SYMBOLE, EXPRESSION DE LA STRUCTURE DE LA FOI
Il nous faut encore examiner deux points qui ressortent également du texte et de l'histoire du symbole.
a) Foi et parole
Notre formule du Credo est un reste du dialogue primitif: “Crois‑tu ‑ Je crois ». Ce dialogue, à son tour, renvoie au «Nous croyons » où le « Je » du « Je crois » n'est pas absorbé mais incorporé.
Ainsi à travers l'origine et la forme primitive du symbole transparaît toute la structure anthropologique de la foi. De toute évidence, la foi n'est pas le résultat d'élucubrations du Moi solitaire, qui se forgerait des idées et qui, détaché de tout, rêverait tout seul à la vérité.
Elle est plutôt le fruit d'un dialogue, l'expression d'une audition, d'un accueil et d'une réponse, par laquelle l'homme, grâce à l'échange entre le « Je » et le « Tu», s'insère dans le « Nous» de ceux qui partagent la même foi.
Paul le dit dans la lettre aux Romains : « La foi naît de la prédication » (Rm 10, 17). Mais, dira‑t‑on, cette affirmation est peut-être conditionnée par telle époque, dont les conditions sont précisément susceptibles de changer.
L'on sera tenté d'y voir un effet d'une situation sociologique donnée. Et peut‑être un jour dira‑t‑on: « La foi naît de la lecture” ou « de la réflexion ». Non, cette affirmation de Paul n'est pas le reflet d'une heure historique, cette formule exprime une structure permanente de la foi.
En elle apparaît manifestement la différence radicale entre foi et simple philosophie, différence qui, du reste, n'empêche pas la foi, en son fond, de relancer la recherche philosophique de la vérité.
En fait, la foi naît de la « prédication », et non de la «réflexion” comme la philosophie. De sa nature, elle ne vise pas à concevoir ce qui est concevable, au point de constituer finalement un fruit de ma pensée.
Sa caractéristique, c'est de naître vraiment de la prédication; elle est accueil d'une donnée, non un produit personnel. L'exercice de ma pensée sur l'objet de la foi est toujours «re‑pensée» ----- , ré‑flexion sur ce que j'ai entendu et reçu.
En d'autres termes, dans la foi, il y a priorité de la parole sur la pensée, priorité qui la différencie d'avec la philosophie. Chez le philosophe, la pensée précède la parole.
La philosophie est le
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produit de la réflexion, que l'on essaye ensuite de traduire en paroles, du reste toujours secondaires par rapport à la pensée et, en principe, susceptibles d'être remplacées.
La foi, au contraire, se présente à l'homme de l'extérieur; c'est là sa marque caractéristique. Elle n'est pas ‑ répétons‑le ‑ une idée personnelle, de moi, mais la parole d'un autre; elle n'est ni conçue ni pleinement concevable par moi; à ce titre précisément elle m'atteint, m'interpelle et m'engage.
La double structure : une interpellation venant du dehors «Crois‑tu ? » et ma réponse « Je crois », lui est essentielle. Rien d'anormal donc, si l'on est amené, sauf des cas rares et exceptionnels, à dire: ce n'est pas à la suite d'une recherche privée que j'ai trouvé la foi, mais je l'ai reçue, elle m'a pour ainsi dire devancé.
La foi ne peut pas et ne doit pas être le fruit de la réflexion. L'idée que la foi devrait jaillir de nos réflexions personnelles, qu'on devrait la trouver par le moyen d'une recherche privée, manifeste un certain idéal, une certaine attitude de pensée qui méconnaît le caractère propre de la foi.
Sa particularité propre consiste précisément dans l'accueil d'un donné impossible à concevoir pleinement, un accueil pourtant qui engage ma responsabilité; car même si le don reçu n'est jamais entièrement ma propriété, même si je ne puis jamais combler mon retard par rapport à lui et réduire sa priorité, je dois cependant chercher à me l'assimiler de plus en plus, en me livrant à lui comme à plus grand que moi.
Puisqu'il en est ainsi, puisque la foi n'est pas de mon cru, mais qu'elle se présente à moi venant du dehors, la parole de foi n'est pas adaptable à loisir, n'est pas interchangeable; elle m'est imposée déjà toute préparée, devançant toujours ma pensée.
La positivité de ce donné se présentant à moi, sans être de moi, et qui me procure ce que je ne saurais me donner à moi‑même, cette positivité caractérise le processus de la foi.
De là découle la priorité de la parole sur la pensée. Ce n'est pas la pensée qui crée les paroles, mais la parole déjà constituée qui trace la voie à la pensée spéculative.
A cette priorité de la parole et à la « positivité» de la foi qu'elle implique, se rattache le caractère social de la foi. C'est là une deuxième différence de structure par rapport à la pensée philosophique qui est essentiellement individualiste.
La philosophie, en effet, de sa nature, est l'ouvre d'un particulier, qui médite comme tel sur la vérité. La pensée, ce que j'ai conçu, m'appartient, du moins apparemment, puisqu'elle vient de moi, encore qu'elle
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n'ait pas une vie autonome et qu'elle dépende, consciemment ou non de beaucoup de facteurs.
La sphère où elle s'élabore est le domaine intérieur de l'esprit; de ce fait, elle se limite pratiquement à moi, elle a une structure individualiste.
Dans la suite seulement, elle devient communicable par le truchement de la parole, d'ailleurs la plupart du temps de façon très approximative.
Pour la foi, nous l'avons vu, c'est juste le contraire: ce qui est premier c'est la parole proclamée. Alors que la pensée reste intérieure, purement spirituelle, la parole est facteur de relation.
Grâce à la parole, la communication s'établit au niveau du spirituel; grâce à elle, l'esprit devient pour ainsi dire humain, c'est‑à‑dire corporel et social. Le primat de la parole implique donc que la foi vise à la communion de l'esprit par une démarche très différente de celle de la pensée philosophique.
Le philosophe se met d'abord en quête d'une vérité personnelle et après seulement il cherchera à la communiquer à d'autres. La foi, au contraire, est d'abord appel à une communion, appel à l'unité de l'esprit par l'unité de la parole. Dès le départ, elle a un sens social: créer l'unité de l'esprit par l'unité de la parole. En deuxième lieu seulement, elle ouvre la voie à chacun pour son aventure personnelle vers la vérité.