Darras tome 13 p. 12
8. A la date où cette lettre fut écrite, Nestorius avait publiquement arboré le drapeau de sa propre hérésie. On voit que Cœlestius était sympathique au nestorianisme, de même que Nestorius l'avait été jusque-là pour la doctrine de Pélage. C'est qu'en effet les deux hérésies étaient sœurs : ou plutôt, suivant la belle expression de saint Prosper : « l'hérésie de Nestorius était réellement la mère de celle de Pélage, et, pour cette fois, la fille était née avant la mère 3. » On se rappelle en effet que Pélage n'avait pris du sys-
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1 On remarquera cette affectation de l'hérésiarque à donner ici le premier rang à l'apôtre saint Paul : Sic Paulus hoc modo quoque et Petrus sunt interfectû ! Nestor., EpUt. ad Cœlest.; Patr. lot., tom. XLV11I, col. S15. s Voici le texte même de saint Prosper, intitulé : Epitaphium Nestortanœ et Pelagianœ hasrescon. [Ncsloriana hœresis loquiiur.) Nestoriana lues successi Pelagianœ, Quœ tamen est utero prœgenerata meo.
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p13 CHAP. I. — NESTORIUS.
tème de Théodore de Mopsueste que la seconde moitié et comme la résultante définitive, laissant de côté la première partie qui était réellement la base. Théodore de Mopsueste, véritable génie de l'erreur, avait étayé sa négation de la grâce et de la prédestination gratuite dans l'homme sur une fausse donnée de l'Incarnation. II disait que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même n'avait pas reçu la perfection dès l'instant de sa conception au sein virginal de Marie, parce qu'une grâce de ce genre, pas plus d'ailleurs que toutes les autres, ne saurait être obtenue sans mérites préalables. C'était donc par ses vertus extraordinaires que plus tard le Sauveur avait conquis le degré de perfection divine que nous admirons en lui. Dès lors, en Jésus-Christ il y avait eu deux personnes distinctes, l'une le Verbe éternel, l'autre l'homme parfait auquel le Verbe pour récompenser cette perfection avait daigné s'unir. Telle était la visée de Théodore de Mopsueste. Nestorius la lui emprunta, la fit sienne, et la baptisa de son nom. Dans un pareil système, il est évident que la sainte Vierge ne saurait être appelée
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Infelix miserœ genitrix et filia natœ,
Prodivi ex ipso gerrnine quod peperi. Nam fundare arcem meritis prior orsa superbis
De capite ad corpus duccre opus volui. Sed mea dum proies in summa urmalur ab irai?
Congrua bellandi iempora non habui. Et consanguincœ post tristia vaincra p'audis,
Aspera consenti prœlia fine pari. Me tamen vna dcdit victam sententia letho :
llla volcns iierum surgere bis cecidit. Mecum oritur, mecum moritvr, mecumque sepulcrum
Intrat, et inferni carceris ima subit. Quo nos prœcipites insana supcrbia mersit,
Exulas donis, et iumidas meritis? Nam Christum pietale operum et mercede volentm
Esse Deum, in capitis fœdere non stetimus; Sperantesque animi de libettate coronam,
Perdidimus quant dat gratia justitiam. Quique igitur geminœ miserons busia ruinas,
Ne nostro exitio consociare cave. Nam si quœ Domini data munera sero fatemur
Hœc homini credis débita, noster eris.
(S. Piosp. Aquit., Pair, lat., tom. LI., col. 153.)
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mère de Dieu, puisque le Fils qu'elle conçut du Saint-Esprit n'aurait été uni que longtemps après à la divinité. Cette conséquene se présentait la première dans la pratique, parce qu'alors comme aujourd'hui l'expression de Marie mère de Dieu (Théotoxos) était familière aux chrétiens, et qu'on l'employait à Constantinople sous Théodose le Jeune comme on l'emploie en ce moment dans toutes les églises catholiques de l’univers.
9. Nestorius avait amené avec lui d'Antioche, en qualité de syncelle1 (secrétaire), un prêtre nomme Anastase, son confident et son favori. Il le comblait d'honneurs et prenait en tout ses conseils. Réciproquement Anastase entrait dans toutes les vues de son maître et partageait ses doctrines. Ce fut lui qui se chargea de mettre en évidence le système erroné du patriarche. Une homélie, rédigée avec le plus grand soin par Nestorius, fut apprise de mémoire et publiquement prêchée par le syncelle. La nouveauté d'un pareil enseignement surprit les auditeurs. On écoutait avec un étonnement mêlé de crainte, quand l'orateur dévoilant toute sa pensée s'écria : « Qu'on cesse désormais d'appeler Marie mère de Dieu : Gc.o-z6y.o-i ty.v Nap(av v.aW.™ ^.rfiv.%. Marie n'était qu'une femme, et une femme ne saurait avoir Dieu pour fils ! » Aussitôt Eusèbe, un sckolasticus (avocat) de l'impératrice, se leva du milieu de l'assemblée et protesta contre ce blasphème. « Le clergé et le peuple, dit Socrate, manifestaient hautement leur indignation. Tous savaient que le Christ est Dieu et qu'il serait impie de le séparer en deux personnes, l'une divine, l'autre humaine, conjointes seulement pour l'œuvre de la rédemption. La foi catholique qui leur avait été enseignée ne s'accordait point avec ces blasphèmes. Le tumulte fut au comble 3. » Nestorius vint au secours de son
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1. C'est la première fois que nous rencontrons dans la langue
ecclésiastique
cette expression qui deviendra plus tard très-commune en Orient. Voici le
texte même de Théophane : Hbmiliam quippe de fide prolulit, syncel/n suo
pracipiensut hnnccoram ecclesiaprœdicaret, habentem ita: Deigetiitricem Mnriam
vocet nemo. (Theophan., Hist. eccles.; Patr. grac-, tom. CVIII, col.
1225.)
2. Euscbius scholasticus impératrices. (Tbeophan., Hist. eccles.; Patr. grœc, tom. CVIII, col. 1225.) Eusèbe devint plus tard évêque de Dorylée, et il siégea en cette qualité au concile œcuménique de Chalcédoine (451).
3. Soerat., Hist. eccles., lib. VII, cap. xxsn; Patr. grœc, tom. LXV11, col. 809.
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malencontreux syncelle. Le jour de Noël (428), il prit la parole dans l'église, au milieu d'une foule avide d'entendre sa profession de foi. « L'humanité déjà gratifiée dans l'ordre naturel de privilèges si magnifiques et si nombreux, dit-il, en a reçu un véritablement divin dans l'ordre surnaturel, par l'incarnation de Notre-Seigneur. L'homme, image de la nature divine, avait été corrompu et perverti par le diable. Le Roi des siècles s'émut de compassion pour son image dégradée. Il en forma une nouvelle, pure comme la première, sortie directement de ses mains comme Adam. Il la fit naître du sein d'une vierge, afin de réparer par un seul homme la chute du genre humain produite par un seul homme. Il fallait, selon le mot de l'Apôtre, « que la résurrection des morts fût l'œuvre d'un seul homme, de même que la mort avait été l'œuvre du péché d'un seul homme 1. » Qu'ils veuillent donc comprendre cette économie de l'incarnation du Seigneur, les esprits aveugles qui n'entendent « ni ce qu'ils disent, ni le véritable objet de leur foi 2 » Depuis quelques jours, on nous assiège de questions frivoles. On nous demande s'il est permis de donner à la vierge Marie le titre de mère de Dieu (Oeotoxos), ou s'il ne faut pas simplement l'appeler mère de l'homme (andropotoxos). Est-ce que Dieu a une mère? Dans ce cas, les païens avaient raison d'adorer Cybèle la mère des dieux, et le grand apôtre Paul aurait menti en disant que la divinité du Christ n'a eu « ni père, ni mère, ni généalogie3 ! » — A ces mots, le scholasticus Eusèbe, qui se trouvait dans l'auditoire, se leva et dit : « Vous renouvelez l'erreur de Paul de Samosate. Il distinguait, comme vous, la personne du Verbe de la personne du Christ : il disait : Marie n'est pas mère de Dieu 4 ! » — Sans tenir compte de cette judicieuse observation, Nestorius reprit avec un sourire de dédain : « Non, non, n'en déplaise à mon excellent interrupteur, Marie n'a pas enfanté Dieu. «Ce qui est né de la chair est chair; ce qui est de l'esprit est esprit5. » La créature n'a point enfanté l'incréé; Dieu le Père n'a pas engendré un Verbe récent dans le
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1 1 Cor., xv. 12. — 2 Non intelligentes ncque quœ loquuntur, neque de quibut affirmant. (I Tim., i, 7.) — 3. Ilebr., vil, 5. — 4 Labbe, Concil. Ep/ws., I» pars, cap. xm. {Collect. Concil., tom. 111, pag. 337.) — 5. Joan., m, 6.
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sein de la Vierge, car, selon la parole de saint Jean, « au commencement était le Verbe1. » La créature n'a pas enfanté le créateur, elle a donné le jour à un homme, instrument de la divinité. L'Esprit-Saint, «par l'opération duquel naquit le fils de Marie2, » n'avait pas créé le Verbe Dieu, mais il avait préparé au Dieu Verbe un temple dans le sein de la Vierge. Dans l'incarnation, Dieu a revêtu notre chair, mais il n'en a pas contracté la mortalité; il s'est abaissé pour relever ce qui était déchu, mais il n'est pas tombé lui-même. Dieu vit la nature humaine en ruine, il la prit par la main et la redressa. Vous faites de même, quand vous aidez un homme à se relever. Est-ce que, pour y mieux réussir, vous vous jetez à terre avec lui? Cependant, me direz-vous, vous adorez le Christ? Oui, je l'adore, mais comme le vêtement de Dieu : j'adore en lui le Verbe qui y est caché. Je sépare les deux natures, tout en les unissant dans mon hommage et mes adorations, et je dis avec Paul : « Jésus était hier, il est aujourd'hui; il demeure dans les siècles des siècles3. Amen.»
10. On le voit, la science théologique de Nestorius était fort superficielle. Tous les catholiques savaient depuis cinq siècles que le Verbe coéternel au Père et «consubstantiel, » ainsi qu'avait dit le concile de Nicée, n'avait pas commencé à exister le jour de son incarnation dans le sein virginal de Marie. Ils savaient qu'il y a en Jésus-Christ deux natures, la nature divine et la nature humaine, la première sans commencement en Dieu, la seconde ayant commencé par l'opération du Saint-Esprit en Marie. C'était pour la défense de cette vérité qu'Athanase et tant d'autres docteurs avaient lutté contre l'arianisme. Nestorius confondait les natures avec les personnes : de la qualité des premières il concluait à celle des secondes. Au fond, son erreur était celle de Cérinthe et des Ébionites. Paul de Samosate l'avait expressément professée et Théodore de Mopsueste l'avait prise à ce dernier pour la communiquer au nouveau patriarche de Constantinople. « En lisant avec soin les livres de Nestorius, dit le novatien Socrate, je
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1. Joan., i, 1. — 2. Matth.j i, 20. — 3. Hebr., xni, 8, Nestor., Sera. I; Pair, lat.t tom. XLV1II, col. 758-763.
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p17 CHAP. I. — NESTOIUUS.
me suis convaincu de la profonde ignorance de cet homme, et je vais en dire franchement ma pensée, sans qu'on puisse me soupçonner à son égard ni de partialité ni de haine. Il est évident pour moi qu'il ne crut pas avoir emprunté sa doctrine à Photin ou à Paul de Samosate, car il n'avait pas lu les œuvres de ces hérétiques. Le titre seul de Oeotôxos donné à Marie était pour lui une sorte de cauchemar (ûs Ta (j.op[jioXOxia neçô&riiai). Là se révèle sa profonde ignorance, en dépit de la réputation d'érudit que lui valut sa faconde mais qu'il ne prenait nullement la peine de justifier par l'étude, au point qu'il affectait de ne pas vouloir lire les anciens exégètes. Sa facilité d'élocution lui tenait lieu de science, et il prétendait à lui seul surpasser tous les docteurs. Personne n'ignore qu'en Jésus-Christ l'humanité est unie à la divinité, de façon qu'on ne les puisse disjoindre. Ce sont deux substances en une seule personne. Voilà pourquoi les anciens n'ont jamais fait difficulté de donner à Marie le titre de mère de Dieu. Eusèbe Pamphile, au IIIe livre de la « Vie de Constantin » s'exprime ainsi: «L'Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous, daigna naître à Bethléem. La très-bienheureuse impératrice Hélène avait pour la grotte de la Nativité un culte filial ; elle décora magnifiquement ce lieu témoin de la naissance du Sauveur et de l'enfantement de la Vierge mère de Dieu. » Origène, dans le premier volume de son «Commentaire sur l'Épître aux Romains, » emploie de même ce titre d'honneur, et il explique longuement la raison théologique pour laquelle nous le donnons à la sainte Vierge. Nestorius n'avait donc pas lu ces ouvrages, et dès lors il ne faut pas s'étonner s'il rejetait une doctrine qu'il n'avait jamais approfondie 1. » Ce passage de Socrate est important. II prouve péremptoirement que le culte de la mère de Dieu était en honneur non-seulement chez les catholiques du Ve siècle, mais parmi les hérétiques eux-mêmes, tels que les novatiens dont l'auteur partageait la croyance erronée.
14. Le soir même de Noël, le scholasticus Eusèbe affichait à la porte de la basilique une protestation dont il fit distribuer ensuite des exem-
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1 Socrat., Hist. eecles., Ub. VII, cap. xxxn.
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plaires parmi le clergé et le peuple. « Au nom de l'auguste et sainte Trinité, disait-il, j'adjure ceux qui liront cet écrit de le communiquer à tous les évêques, prêtres, diacres, lecteurs ou simples fidèles qui se trouvent en ce moment à Constantinople. Je déclare que Nestorius professe l'erreur de Paul de Samosate. Or cette erreur a été frappée d'anathème, il y a cent soixante ans, par tous les évêques catholiques. Paul de Samosate disait : « Marie n'a pu enfanter le Verbe; » Nestorius dit : « Marie n'a pas donné le jour à la divinité. » Paul de Samosate disait : « Marie n'était pas avant les siècles; » Nestorius dit: « C'est Dieu qui a créé les siècles, il ne peut donc avoir pour mère une femme née dans le temps. » Paul de Samosate disait : « Marie a mis au monde un homme semblable à nous; » Nestorius dit: « Celui qui est né de la Vierge est un homme. » Entre l'hérétique Paul de Samosate et Nestorius, il n'y a donc aucune différence. Catholiques! demeurez fermes dans la foi véritable, cette foi qui nous vient directement d'Antioche où le nom chrétien a pris naissance. Cette foi ne distingue pas deux personnes en Jésus-Christ; elle ne sépare point le Verbe éternel et consubstantiel au Père du Verbe incarné qui naquit de la vierge Marie sous l'empire de César Auguste. Si donc quelqu'un ose dire que le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, est différent de celui qui naquit de la vierge Marie et que ce n'est pas le même et unique Seigneur Jésus-Christ, qu'il soit anathème 1 ! »
12. Cette protestation bientôt connue de toute la ville fut suivie d'un tumulte extraordinaire. Les religieux, les prêtres, les clercs, les simples laïques se divisèrent en deux partis, les uns soutenant l'hérésiarque, les autres l'anathématisant. Nous avons encore une requête adressée en ce temps par le diacre et archimandrite Basile et le lecteur Thalassius à l'empereur Théodose le Jeune. Ce monument nous peint au vif l'agitation de la cité et les violences de Nestorius contre ses adversaires. « Le plus grand bienfait de la
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1 Labbe, ConcU. Ephes. Contestatio publkata in ecclesia Constantinopolitana, tom. III, col. 331-340.
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miséricorde divine envers les hommes, écrivaient les deux plaignantes, est sans contredit le don de la foi telle que l’ont enseignée les apôtres, les martyrs, les confesseurs, telle que l'ont maintenue les évêques catholiques et les empereurs chrétiens. Or le fondement de cette foi repose sur la parole divinement inspirée à Pierre, prince des apôtres, lequel a dit au Sauveur : « "Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant. » Tel est le titre qu'ont donné à Notre-Seigneur Jésus-Christ tous les évangélistes, tout le collège apostolique, tous les martyrs, les docteurs, les évêques, depuis Irénée, Basile le Grand, Grégoire, Athanase, Ephrem, Ambroise, jusqu'à Atticus le dernier évêque de Constantinople. Tous affirment avec le concile de Nicée que le Christ est Dieu. Tous avec le concile d'Antioche anathématisent Paul de Samosate qui voulait distinguer en Jésus-Christ deux personnes. Cependant Nestorius, qui vient de s'asseoir sur la chaire épiscopale de cette cité, prétend que le Christ, en tant que Christ, n'est pas Dieu, et que la vierge Marie ne saurait être appelée mère de Dieu. Quand il osa pour la première fois publier ces blasphèmes, les auditeurs protestèrent; un grand nombre d'entre eux se séparèrent de sa communion, les uns en silence, d'autres ouvertement. Parmi ces derniers, les prêtres de l'église Eirènè (la Paix), au bord de la mer, se firent remarquer par leur zèle. Nestorius les frappa d'interdit et les fit chasser de l'église. Le peuple indigné cria dans les rues de la ville : « Ce n'est pas un évêque, c'est un despote ! » Les malheureux qui se permirent cette acclamation en furent cruellement punis. Arrêtés par les soldats et traînés au tribunal, on les battit de verges avec un acharnement qui tenait de la fureur. Un saint religieux, ayant dit tout haut dans l'église que Nestorius était un hérétique, eut le corps déchiré à coups de fouet plombé, et on le jeta mourant sur un navire qui l'emporta en exil. Ce que nous avons souffert nous-mêmes dépasse toute croyance. Au fond de notre monastère, il nous était impossible de savoir ce qu'il y avait de fondé dans les reproches faits à Nestorius. Nous lui écrivîmes pour lui demander une audience. Il nous en assigna l'heure. Arrivés à son palais épiscopal, il nous remit au lendemain, et le jour suivant il fit la même chose. Enfin le
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troisième jour, il nous reçut. Que me voulez-vous? dit-il. Exposez en peu de mots l'objet de votre visite. — Nous lui demandâmes s'il était vrai qu'il eût enseigné que le Fils de Marie était un homme, une mère ne pouvant donner le jour qu'à un être de même substance qu'elle. — A ces mots, sans répondre ni vouloir nous écouter davantage, il nous fit saisir par une horde de satellites qui nous traînèrent au tribunal ecclésiastique. Là, nous fûmes dépouillés de nos vêtements, attachés à un poteau et battus de verges comme des scélérats. On nous jeta ensuite dans un cachot, où nous restâmes plusieurs jours sans aliments. La fureur de Nestorius n'était pas encore satisfaite. Sur un faux rapport, il nous fit saisir par le préfet du prétoire : on nous mit les fers aux pieds et aux mains et l'on nous transféra dans les prisons de la ville. Le jour où nous devions comparaître au tribunal du prétoire arriva. Aucune charge ne fut produite contre nous, cependant on nous reconduisit en prison. Nestorius y est venu en personne insulter à notre misère; il s’est emporté jusqu'à nous frapper au visage. Cependant, comme s'il eût rougi lui-même de sa violence, il s'adoucit peu à peu et finit par nous dire : En un certain sens, on peut dire que Marie est mère de Dieu, parce qu'il y a un Fils de Dieu éternel et un autre mortel. — Sur cette belle définition, il nous remit en liberté1. »
13. Le iour de l'Annonciation de l'an 429, dans la grande basilique de Sainte-Sophie, Proclus évêque nommé de Cysique devait prêcher le sermon de la fête. L'auditoire était immense ; Nestorius présidait la solennité. Proclus parla ainsi : « Tout est fêle pour nous en ce jour de fête virginale. La terre, la mer et les cieux semblent d'accord pour célébrer la gloire de leur souveraine. La mer calme ses flots en cette saison printanière et se fait douce aux voyageurs ; la nature s'éveille et se pare de sa première verdure ; l'allégresse est partout ; réunissons donc nos cœurs et nos voix pour saluer la vierge Marie mère de Dieu. Elle est le trésor de virginité immaculée, le paradis spirituel de l'Adam nouveau, le théâtre de l'union entre les deux natures divine et humaine, le gage
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1 J,abbe, Concil. Ephes,, col. 425-432,
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de paix entre le ciel et la terre, le lit nuptial où le Verbe épousa notre chair, le véritable buisson ardent que la flamme d'un entan-tement divin embrasa sans le consumer, la nuée légère qui porta celui dont le trône est assis sur l'aile des chérubins, la toison pure dont le pasteur revêt la brebis. Marie, servante et mère de Dieu; Marie, vierge ; Marie, ciel vivant, trait d'union entre Dieu et l'homme, instrument céleste où fut tissée, dans l'admirable mystère de l'incarnation, la trame indissoluble de l'union des deux natures! L'Esprit-Saint accomplit cette œuvre divine; la vertu du Très-Haut en protégea le mystère ; l'antique toison d'Adam servit de laine ; la chair immaculée de la Vierge fut la trame, la grâce dont elle était remplie en fut le nœud, et enfin le Verbe incarné l'artisan immortel. Quel œil a vu, quelle oreille a jamais entendu de semblables prodiges? Le Dieu incommensurable a voulu reposer dans le sein d'une femme ; une vierge a porté celui que l'immensité des cieux ne suffit pas à contenir. Il est né d'une femme; il est né non pas Dieu seulement ni seulement homme, mais homme-Dieu. Il ne rougit pas, ce grand Dieu, de naître d'une femme, parce que c'était la vie qu'il apportait au monde ; il ne contracta aucune souillure d'un sein qui resta vierge après comme avant l'enfantement. Et voilà par où il se révèle Dieu, c'est par la virginité de sa mère. Prodige ineffable, qui faisait naître sans corruption celui qui devait plus tard entrer au cénacle les portes fermées ; celui dont l'apôtre Thomas contemplant les deux natures conjointes s'écriait : « Mon Seigneur et mon Dieu 1 ! » 0 homme, ne te scandalise pas d'une telle naissance, car, si tu es sauvé, ce sera par elle ! Si Dieu n'était pas né d'une femme, il n'aurait pas subi la mort ; et s'il n'eût pas subi la mort, il n'aurait pas détruit l'empire de la mort. 0 sein virginal, dans lequel fut écrit l'acte de liberté du genre humain ; arsenal où furent amassés les traits qui ont vaincu Satan; champ fertile où le maître de la nature a fait germer l'épi sans semence ; temple dans lequel Dieu s'est fait prêtre sans changer sa nature, mais en revêtant par amour
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1 Joan., xx, 28.
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pour nous celle du véritable Melchisédech ! Oui « le Verbe s'est fait chair 1. » Les juifs refusent en vain de le reconnaître. Oui, Dieu a revêtu la chair de l'homme. Les païens ont beau tourner en dérision ce grand mystère, et comme le dit saint Paul : Judœis quidem scandulum, gentibus vero stultitiam1. Celui qui par nature était impassible, par miséricorde s'est assujetti à la souffrance. Le Christ n'a point eu de progrès à faire pour s'élever graduellement à la divinité. Loin de nous un pareil blasphème ! Il était Dieu ; la foi nous l'enseigne : plein de compassion pour nous, il s'est fait homme. Ce n'est pas un homme déifié que nous prêchons, mais un Dieu incarné. Il a choisi sa servante pour en faire sa mère, lui qui par nature n'a point de mère, et qui même dans l'économie de son incarnation n'eut point de père ici-bas. Voilà le vrai sens des paroles de l'Apôtre : Sine patre, sine matre 3. Autrement et si le Christ était simplement homme, il aurait évidemment une mère ; s'il était simplement Dieu, il a son Père au ciel. Mais le Christ, comme Dieu, n'a point de mère ; comme homme il n'a point de père terrestre. 0 hérétique, ne dis plus : Autre est le Christ, autre est le Verbe, car alors il ne faudrait plus dire la Trinité, mais la quaternité! Ne déchire pas la tunique indivisible de l'incarnation. Cesse de marcher sur les traces impies d'Arius. Il voulait disjoindre les substances divines"; toi, ne sépare pas le Christ en deux personnes, de peur d'être séparé toi-même et rejeté de Dieu ! N'est-ce pas le Christ qui « a illuminé les ténèbres de ceux qui étaient assis dans les ombres de la mort 4? » Donc le Christ n'était pas un homme. Autrement, il eût été lui-même plongé dans les ténèbres et les ombres à « la puissance desquelles, selon le mot de l'apôtre, il venait nous arracher5. » « Le Verbe s'est fait chair 6. » Les deux natures se sont alliées sans confusion dans l'unité de personne. 0 mystère ! ô prodige ! J'adore la divinité et je reconnais la faiblesse humaine. L'Emmanuel, comme homme, s'est ouvert les portes de notre nature ; comme Dieu, il a traversé les barrières virginales sans les briser ni les rompre. Il est sorti
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1 Joan., î, 14. — 2. I Car., i, 23. — 3. Hebr., vu, 3. — 4. Luc, î, 79. — 5. Co-loss., î, 13. — 6.Joan., î, 14.
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comme il était entré ; sa naissance fut semblable à sa conception. C'était la prophétie faite à Ézéchiel : « Fils de l'homme, cette porte sera close et nul ne l'ouvrira, nul n'en franchira le seuil, sinon le Seigneur Dieu d'Israël. «Lui seul y entrera, il en sortira; et la porte demeurera fermée 1. » Voilà, mes frères, en quels termes l'Écriture nous enseigne que Marie est vraiment mère de Dieu. Que toutes les contestations cessent maintenant devant la lumière de la divine parole qui nous ouvre le royaume des cieux, par Jésus-Christ auquel appartient la gloire dans les siècles des siècles. Amen 1! »