Lamennais et le Catholicisme libéral 1

Darras tome 40 p. 559

 

SUPPLEMENT


LAMENNAIS ET  LA PREMIÈRE  FORMULATION DU CATHOLICISME LIBÉRAL

 

   La première formulation des idées catholiques libérales date de 1830 ; elle fut l'œuvre d'un grand apologiste de la religion, La­mennais; elle ne visait point, dans sa pensée, à une conciliation effective entre le libéralisme et l'orthodoxie ; elle tendait plutôt à lui assurer un poste favorable pour le combat ; toutefois, par la force des choses, pour les besoins de la discussion et les nécessités de l'apologie, une porte fut ouverte sur une perspective d'accord entre l'Église et ce qu'ils appelaient la liberté. Quant à lui, Lamen­nais était l'adversaire acharné des libéraux ; ils les traitait en con­tinuateurs de Rousseau et de Marat ; leur rendait, avec avantage, guerre pour guerre. Au lieu de songer à leur tendre la main, il professait contre eux des doctrines de séparation. Très hostile au gallicanisme, qu'il avait vu, depuis 1814, ressusciter avec un sur­croît d'aveuglement et de malveillance, il n'avait pas seulement défendu le Saint-Siège contre ce regain empoisonné du vieux galli­canisme, mais combattu, dans le premier article de 1682, l'idée fausse et funeste de l'indépendance absolue de l'Etat. Un de ses ouvrages avait eu pour objet d'établir l'union nécessaire des deux ordres, la nécessité sociale de la religion et de l'Église, jusque-là qu'il se flattait, si l'on se dérobait à son argumentation, de réduire ses adversaires à l'athéisme et au néant. Dans un autre ouvrage, il découvrait, dans la guerre à l'Église, autant d'avances à la révolu-

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tion et n'hésitait pas à pronostiquer, dans les coups qu'on lui por­tait, autant de principes de ruine pour la Restauration. Avant 1830, Lamennais était le porte-étendard des saines doctrines, le pionnier perspicace et vigoureux qui, d'une main, abattait les erreurs du passé, de l'autre, conjurait les périls de l'avenir.

 

A cette époque, du reste, l'idée d'un accord quelconque entre le libéralisme et l'Eglise n'eût pris qu'une monstruosité. Depuis que le libéralisme révolutionnaire avait pris, dans le gouvernement de la France, la place de l'absolutisme de l'ancien régime, il avait été constamment persécuteur. De 1789 à 1800, il avait détruit entière­ment la vieille organisation des églises, préconisé le schisme, pros­crit le culte et tué les prêtres. De 1800 à 1813, abdiquant aux mains de Napoléon, il avait renoncé aux formes politiques de ses préférences, à condition que le despotisme impérial continuerait son œuvre en Europe et l'achèverait à Rome. De 1815 à 1830, devenu opposition dans le régime constitutionnel, il fit la guerre à la légitimité des Bourbons parce qu'il les croyait sympathiques à l'Église ; demanda et obtint d'eux des preuves de libéralisme par des actes de persécution contre les ordres religieux et les séminai­res. En 1830, si Louis-Philippe, quoique Bourbon, avait obtenu les faveurs des libéraux, c'est qu'ils le savaient voltairien et espé­raient le trouver obstiné, contre l'Église, dans l'injustice. Si Lamen­nais eût pu songer à conciliation avec Louis-Philippe et ses bandes libérales, il n'eût été qu'un sot et se fût acheminé à la trahison. Malgré ses illusions postérieures, on ne peut croire qu'il se fût abusé, dès les premiers jours, sur une œuvre qui, d'ailleurs, n'of­frait aucune chance de succès.

 

Il est remarquable, en effet, que toutes les conceptions fausses en matière de foi visent à la séparation. L'hérésie est, dès les pre­miers temps de l'Église, la préparation du schisme. Les fabricateurs de systèmes hétérodoxes ne songent jamais à rester dans l'Église, mais toujours à en sortir, pour s'en attribuer le divin mandat. Les jansénistes les premiers changèrent cette vieille tac­tique de scission. Au lieu de se proclamer défectionnaires, ils se disent obstinément fidèles ; lorsque l'Église les frappa d'excommu-

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nication, ils dirent qu'ils n'existaient pas et que loin de nourrir une pensée étrangère, ils étaient les plus fidèles enfants de la mère Église, les poursuivants généreux des vertus antiques. Les erreurs condamnées ne se trouvaient pas dans Jansénius ; si elles s'y trou­vaient, ce n'était pas dans le sens condamné ; si l'Église prétendait le contraire, au lieu d'acquiescer à ses prétentions, il fallait s'en­fermer dans un silence respectueux et la servir quand même. La négation de l'erreur professée, la distinction du fait et du droit, le silence respectueux, la promesse d'obéissance aux décisions futu­res, pourvu qu'on ait licence de rejeter les décisions passées : telle fut leur programme, et telle fut aussi, depuis, la stratégie des gal­licans et des catholiques libéraux. Désormais les hérétiques pré­tendent être l'Église, former du moins sa meilleure partie, la por­tion intelligente, vertueuse et dévouée. A elle le monopole des talents, de la perspicacité, des vertus et des sacrifices. Et c'est là qu'est le péril de l'heure présente ; il est dans ce mélange du bien et du mal, dans cette promiscuité des doctrines, dans cette hypo­crisie qui promet des conversions en corrompant les bons chré­tiens et qui prédit une ère de gloire en nous menant aux plus misé­rables prévarications.

 

L'abbé de Lamennais ne put entrevoir qu'obscurément ces mal­heurs ; c'était une âme candide et pure, trop confiante à sa sagesse, mais convaincu que cette sagesse ne pouvait produire que d'heu­reux fruits. Son exemple cependant suffit à prouver le contraire. Non seulement sa tactique ne lui procura aucun avantage, mais elle ne sut pas même garder sa foi. Prêtre, libéral d'occasion et seulement pour le combat, il aboutit, par le libéralisme, à l'apos­tasie. Les catholiques libéraux ont compté depuis de nombreuses victimes ; ils ont empêché toutes les conversions qu'ils avaient pro­mises ; ils ont occasionné toutes les perversions auxquelles ils ne s'attendaient pas ; mais aucune chute n'est plus lamentable que celle de Lamennais. Nous verrons dans ce prêtre toutes les extré­mités des choses de foi : une piété d'ange et une impiété de dé­mon; des convictions d'une foi intransigeante et toutes les folies de l'incrédulité radicale ; les ascensions au ciel et une chute fou-

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droyante au plus profond des abîmes. C'est un phénomène qu'il faut étudier et se dire qu'il n'est point si étrange, mais qu'il offre, dans ses contradictions mêmes, le plus bel échantillon des incohé­rences de la libre pensée s'inspirant du libéralisme. Si les Français avaient eu le sens commun, l'exemple seul de Lamennais eût dû les préserver de tout songe catholique-libéral.

 

I. Il y a, dans l'action ou l'influence des hommes qui agissent sur leurs contemporains par la pensée, une puissance qui tient à leur caractère. Prêtres et laïques sont également prévenus des dons de Dieu ; les prêtres ne se recommandent pas toujours par la supériorité du talent, par leur éducation plus religieuse et par la méthode de leur instruction cléricale, par l'objet de leurs études et de leurs fonctions ; ils sont cependant plus aptes à agir sur leurs semblables. De S. Jean Chrysotome à Balmès, tous les grands esprits du christianisme voient dans la profession monastique une sorte de prédestination à l'habileté dans le gouvernement ; le prince de Talleyrand n'hésitait pas à saluer dans la théologie la meilleure préparation aux négociations diplomatiques. Pour nous, en étu­diant des écrivains ecclésiastiques d'un siècle qui se prétend sécu­larisé et qui ne prête, en effet, à la parole apostolique qu'une oreille distraite ou malveillante, nous aurons plus d'une fois occa­sion de constater, dans le prêtre, une action plus précise, plus étendue, plus profonde, soit par les livres, soit par le discours; à quelques exceptions près, les hommes qui se sont fait le mieux entendre et dont la parole a gardé de plus fidèles échos, ce sont des prêtres. Nous allons le voir d'abord dans l'abbé de Lamennais, que son éducation et ses études préparaient mal à un si grand rôle, mais dont le caractère décupla le génie, sans lui donner autrement, malgré tout son génie, aucun crédit pour le mal.

 

L'homme qui, à l'aurore de ce siècle avait, le premier, réveillé, par un livre, la foi religieuse et inauguré la réaction contre les erreurs de l'encyclopédisme et les crimes de la révolution, était né à Saint-Malo ; c'est à Saint-Malo, le 19 juin 1782, que naquit encore l'homme qui devait pousser plus à fond et plus avant cette réac­tion chrétienne, qui devait en quelque sorte soulever son siècle

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par la puissance qu'il  devait donner à l'expression de la vérité catholique : j'ai nommé Hugues-Félicité Robert de Lamennais. La famille Robert était une famille d'armateur anoblie par Louis XIV et dont la fortune avait subi, par suite d'événements fâcheux, une sensible diminution, qui pourtant n'était pas la ruine. Le grand père de l'enfant avait acheté, à deux lieues de Dinan, la terre de la Chesnaye, où Félicité passera une grande part de sa vie. Un tem­pérament bilieux et hypocondriaque prédisposait l'enfant à la tris­tesse. La Chesnaye avec ses landes, son petit étang et ses vieux chê­nes devait aggraver les prédispositions du tempérament. A sept ans, Lamennais perdit sa mère : ce malheur le priva de cette édu­cation du cœur dont l'absence  exercera sur sa  carrière une si fâcheuse influence. La première éducation de l'enfant fut confiée à son oncle, Robert de la Saudrais, traducteur d'Horace et de Job, grand ennemi des philosophes et des jacobins. Entre le vieillard et l'enfant il y avait une différence d'âge qui eût pu, en d'autres cli­mats, suppléer aux tendresses de la défunte mère et donner, au jeune Télémaque, un excellent Mentor : l'obstination bretonne ne devait pas aider   à l'accomplissement de ces pronostics.   Pour dompter le caractère rétif de son petit neveu, l'oncle l'enfermait dans sa bibliothèque. Féli, qui ne voulait rien apprendre, une fois en prison, se mit à lire avec passion tous les livres qui lui tom­baient sous la main. Une imagination de feu, une curiosité sans direc­tion ni frein lui ingérèrent ainsi une multitude de connaissances mal ordonnées, qui  troublèrent son cœur encore plus que son esprit et lui firent, de bonne heure, perdre la foi. A douze ans, le neveu de l'ennemi des philosophes s'était passionné pour Rous­seau et, quand on parla de première communion, en présence de cette incrédulité précoce, il fallut y renoncer. Le futur défenseur du catholicisme ne fit sa première communion qu'à vingt-deux ans.

 

On devine combien de tempêtes avaient dû, depuis dix ans, agi­ter cette jeune âme. La première communion fit passer Lamennais des sophismes de l'impiété à tous les élans d'une exaltation mys­tique. A cette époque il était professeur de mathématiques à Saint-

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Malo, obligé de travailler pour vivre. Tout à coup, en 1809, il se décide à entrer dans la cléricature ; ce pas fait, il hésite pendant six ans, ne sachant s'il doit avancer ou reculer. En 1814, nous le trouvons à Paris luttant contre la pauvreté dans une mansarde de la rue Saint-Jacques. Dans l'enthousiasme de la délivrance, il acclame les Bourbons ; compromis pour eux, il passe au retour de l'île d'Elbe en Angleterre. L'abbé Garron, le grand aumônier de l'émigration outre-Manche, le recommande comme précepteur à une grande dame; l'Anglaise, loin de lui confier ses enfants, ne lui offre pas même une chaise, parce qu'il avait l'air trop bête. En 1815, la nature indépendante du nouveau séminariste se prête mal aux exigences de Saint-Sulpice ; les directeurs, le jugeant comme l'Anglaise, lui font une réputation d'imbécillité et presque de folie. En 1816, l'abbé de Lamennais est promu au sacerdoce. Il avait trente-quatre ans, de l'étude, du génie, mais une volonté toujours incertaine et facilement découragée. Dans ces grands hommes, le développement extraordinaire de certaines facultés de l'esprit paraît souvent rompre l'équilibre et mal préparer la sagesse de leur conduite.

 

A partir de sa promotion au sacerdoce et même avant qu'il n'eût usé quelques bouteilles d'encre à Saint-Sulpice, la biographie de Lamennais ne peut plus être que l'histoire de ses ouvrages.

 

II. Sous la douce influence de l'amitié et de la science de son frère Jean, Lamennais avait retrouvé la foi et s'était engagé au service de l'Église. A partir de ce moment, les études sacrées absorbèrent son activité dévorante : il se familiarisa avec le latin, le grec, l'hébreu, afin de posséder comme la sienne toutes les langues de l'Église ; il y joignit l'anglais et l'allemand, pour être en mesure de répondre à tous les sectaires et à tous les systèmes. Pendant trois années, les deux frères ne se quittent plus, vivent ensemble, prient ensemble, travaillent ensemble. La Chesnaie, alors si inconnue, allait recevoir, de ces hôtes, une glorieuse immortalité.

 

Le premier fruit de leur collaboration, ce fut l'opuscule publié en 1808 sous ce titre: Réflexions sur l'état de l'Eglise en France

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pendant le XVIIIe siècle et sur la situation actuelle. Dans un style un peu travaillé, mais qui présage les grands ouvrages qui suivront, les deux frères jettent un regard sur la série des maux qui affli­gent l'Europe et l'Église depuis trois siècles. En présence de ces maux, ils cherchent le remède, et, en hommes de foi, ils veulent le prendre uniquement dans la force divine de l'Église. Pour assu­rer à l'Église toute la puissance de son institution, ils proposent d'écarter les obstacles à l'épanouissement de sa force et d'amener des réformes qui assurent la surnaturelle énergie de la grâce. Ainsi ils gémissent hautement sur l’insuffisance des études dans le clergé quant à l'exégèse biblique et les langues orientales ; ils déplorent surtout la négligence du travail dans le clergé des cam­pagnes. Quand on voit cette masse d'intelligences qui pourrait remuer l'univers et qui, faute d'action, demeure inutile, on pense involontairement au levier d'Archimède, qui aurait pu soulever le monde, mais qui ne soulevait rien, parce qu'il manquait de point d'appui. Le point d'appui, voilà ce qui nous manque. Le remède est dans une bonne organisation du travail ecclésiastique. Quand pourrons-nous l'obtenir? Les ouvriers abondent et le travail fait défaut, j'entends le travail utile, sérieux, ayant un but déterminé ; cette dernière condition surtout est essentielle; sans elle, on ne travaille pas et l'oisiveté devient un grand péril. Qui donc nous donnera un organisateur du travail, un point d'appui et nous sou­lèverons le monde ?

 

Les solitaires de la Chesnaie proposent une foule de réformes : conciles provinciaux, synodes diocésains, retraites ecclésiastiques, conférences décanales, vie commune dans les presbytères, restau­ration de l'instruction cléricale par des congrégations enseignan­tes, l'évangélisation des paroisses par les missionnaires, l'éduca­tion des enfants confiés à des instituts religieux, le retour aux prescriptions du droit canonique, le rétablissement des officialités destinées à garantir les intérêts des prêtres contre les dénonciations qui peuvent surprendre la bonne foi de l'évêque. Il y a un épiscopat en France, il n'y a pas de clergé, parce que le prêtre n'a pas de personnalité juridique. Le régime qui vient d'être inauguré en

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France par les articles organiques, ne laissant plus substituer de paroisses acquises au concours, supprime tout travail et anéantit toute dignité de caractère ; on ne voit plus que des hommes trem­blants devant l'arbitraire qui peut les déplacer sans cause ou serviles devant le bon plaisir qui peut les récompenser sans mérite. L'obéissance sacerdotale ne consiste pas à renoncer au bénéfice des lois ecclésiastiques et à se taire quand on vous fait tort ; elle consiste à remplir exactement son devoir et à vivre sous la protec­tion du droit. Voilà ce que dirent, dès 1808, les frères Lamennais : vraiment ils voyaient clair.

 

Le second ouvrage des frères Lamennais parut en 1811 sous ce titre : Tradition de l'Eglise sur l'institution des évêques ; le premier n'était qu'un opuscule, le second est un traité en trois volumes in-8°. Le César des articles organiques, en guerre ouverte avec le souve­rain pontife, voulait se passer de lui dans l'institution canonique des évêques. Pour s'autoriser à cet attentat, qui eût supprimé virtuellement l'Église, le rusé Corse s'appuyait sur la déclaration de 1682 ; il ne raisonnait point mal, car cette déclaration n'a, en effet, pour but que de subalterniser le Pape, ce qui est bien une façon de l'anéantir. Le Concordat de Fontainebleau avait un instant réa­lisé le rêve despotique de l'empereur. Pendant leurs promenades, les deux frères s'entretenaient des maux de l'Église, des efforts que faisaient Napoléon et ses évêques de cour pour affaiblir l'autorité du Pape. Le plus jeune disait, comme d'inspiration : « Telle ne peut pas être la tradition de l'Église ; il faut chercher dans les conciles et dans les Pères. Du retour à la maison, ils consultaient leurs livres et trouvaient qu'ils avaient bien deviné : depuis deux siècles, en effet, les gallicans et les jansénistes avaient, sur le chef de l'au­torité pontificale, fait mentir toute la tradition. Les deux frères rédi­geaient leurs découvertes, puis en cachaient soigneusement les feuil­lets, de peur que la police impériale ne vînt mettre les mains dessus. Si l'ouvrage avait paru en 1811, c'eût été plus qu'un livre, mais bien un acte d'héroïsme. On y établit, par l'autorité de l'Évangile et de la tradition, que la juridiction spirituelle a été donnée immé­diate à Pierre seul, pour la communiquer aux autres pasteurs. De

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siècle en siècle, on entend la même voix s'élever de toutes les égli­ses de l'univers. La première partie de l'ouvrage, digne des Béné­dictins des grands siècles, commence par l'histoire des patriar­cats , tous institués par l'autorité de S. Pierre , et dont les privilèges, parmi lesquels on compte le pouvoir de confirmer les évêques, n'étaient qu'une émanation de la primauté du Siège apos­tolique. La seconde et la troisième partie sont consacrées à prouver que la doctrine de l'Église d'Occident n'a jamais différé sur ce point de celle des Églises d'Orient. L'histoire des conciles de Cons­tance et de Bâle, de la Pragmatique-Sanction et du Concile de Trente établit qu'en France, moins qu'ailleurs, on n'a mis en doute le droit des Pontifes romains sur la confirmation des évêques, droit que l'Église gallicane s'est plu à proclamer jusque dans ces derniers temps avec une fermeté et une constance aussi honorable pour elle que désespérante pour les novateurs. Ces novateurs, la Tradition les réfute vigoureusement depuis l'apostat Marc-Antoine de Dominis et Richer, jusqu'à Van Espen, Ellies Dupin,Tabaraud et autres. Dans son ensemble, l'ouvrage est très orthodoxe, très savant, tout à fait à propos contre les erreurs, toujours persistantes, en pratique, du vieux gallicanisme. De nos jours, il a été imité heureusement, pour la défense de l'infaillibilité, par l'archevêque de Bourges, Charles-Amable de la Tour d'Auvergne.

 

En 1818, Félicité de Lamennais entre de plein pied dans la gloire par la publication du premier volume de l’ Essai sur l'indifférence. Considérations sur laL'enseignement faux et corrupteur des misérables qui, au XVIIIe siècle, s'intitulaient philosophes, n'avait atteint que les classes éle­vées ; les enthousiasmes, les folies et les crimes de la révolution, avaient exercé plus bas leurs ravages, mais n'avaient entamé que les esprits faibles et les faibles cœurs. Malgré toutes les excitations du philosophisme incrédule, malgré les sanglantes persécutions de la Terreur, le peuple français était resté profondément attaché à ses vieilles croyances. Non seulement la foi n'était pas morte ; mais, dès son réveil, elle devait avoir assez de vigueur pour trans­porter les montagnes. Trois laïques lui avaient ouvert déjà une issue : le comte de Maistre, en 1796 par ses

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France ; le vicomte de Bonald, en 1799, par la Théorie du pouvoir et de l'éducation sociale; Chateaubriand par le Génie du christia­nisme en 1801. Le premier avait été peu lu ; le second, pas du tout, puisque l'ouvrage avait été mis au pilon ; le troisième avait eu beaucoup de lecteurs dans la classe lettrée, là où l'impiété avait le plus exercé ses ravages. C'était une impulsion, sans doute, mais pas décisive ; ce n'était pas encore la lumière complète, mais comme ces élancements de rayons lumineux qui précèdent le lever du soleil. A côté et parallèlement s'était formée une école de phi­losophie spiritualiste représentée par Royer-Collard et par Cousin, qui rendit, contre le matérialisme, d'incontestables services. Tou­tefois ni les écrivains religieux ni les philosophies n'eurent par le fait et ne pouvaient avoir, sur la société, cette influence maîtresse qui retourne la société sur elle-même, et lui fait reprendre la voie du salut. Pour guérir cette paralytique, qui s'appelait la France, il fallait faire avouer aux classes prépondérantes qu'elles s'étaient égarées, leur faire toucher l'erreur du doigt, et les entraîner, à coups de génie, loin des sentiers de perdition.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon