La Cité de Dieu 53

tome 24 p. 181

 

CHAPITRE XIX.

 

Contre ceux qui ne croient pas que, sans le péché, nos premiers parents eussent été immortels.

 

Poursuivons maintenant les explications commencées sur les corps de nos premiers parents; prouvons que cette mort, bonne pour les bons, vérité connue non‑seulement d'un petit nombre d'hommes intelligents ou fidèles, mais de tous; prouvons, dis‑je, que cette mort, qui consiste dans la séparation de l'âme et du corps, dont la vie était aussi certaine que l'est à présent la mort, ne serait point arrivée, si le péché n'eut mérité ce châtiment. Car, bien que les âmes des justes défunts vivent dans la paix, ce qui est hors de doute, il est néanmoins si vrai qu'il serait plus avantageux pour elles de vivre avec leurs corps saints et vigoureux, que ceux qui placent l'éternelle béatitude en dehors du corps, se condamnent eux‑mêmes par leurs propres sentiments. En effet, qui donc parmi eux oserait préférer leurs sages aux dieux immortels? Cependant, selon Platon, le Dieu souverain leur promet, comme une faveur signalée, une vie indissoluble, c'est-à‑dire l'éternelle union avec leurs corps. Or, le même Platon considère comme un grand honneur pour les hommes, qu'après une vie pieuse et juste, ils puissent, sans leurs corps, être reçus dans le sein de ces dieux, qui ne quittent jamais le leur. « Afin qu'oublieux du passé, ils reviennent sur la terre, avec le désir de rentrer dans des corps, » (Enéid. VI) comme le dit très‑bien Virgile, s'inspirant du dogme platonique. En effet, ce philosophe pense que les âmes des mortels ne peuvent pas toujours habiter dans leurs corps, et qu'elles en sont nécessairement séparées par la mort, et d'un autre

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côté, qu'elles ne peuvent pas toujours demeurer sans corps, mais qu'elles le quittent et le reprennent, passant sans cesse de la vie à la mort et de la mort à la vie. D'où il suit qu'il y a cette différence entre les sages et les autres hommes : que les premiers sont portés dans le ciel après leur mort, pour y reposer un certain temps, dans l'astre qui convient à chacun, jusqu'à ce que, ne se souvenant plus des misères passées et vaincus par le désir d'avoir un corps, ils retournent aux travaux et aux souffrances de l'humanité; tandis que les autres qui ont mené une vie stupide, retournent aussi dans des corps d'hommes ou de bêtes, suivant leurs mérites. C'est donc à cette dure condition de ne pouvoir ni rester toujours dans leurs corps, ni demeurer sans eux dans une éternelle pureté, que Platon réduit les âmes justes et sages, en leur refusant des corps auxquels elles soient toujours unies. C'est de ce dogme platonique que rougissait Porphyre, au commencement de l'ère chrétienne, comme je l'ai dit plus haut, (liv. X, ch. xxx,) pour lui non‑seulement il exclut les âmes humaines du corps des brutes, mais il veut que délivrées des liens corporels et fuyant tout corps, les âmes des sages soient éternellement heureuses dans le sein du Père. Ainsi, dans la crainte d'être vaincu par le Christ qui promet la vie éternelle aux saints, lui aussi établit dans la félicité les âmes purifiées de leurs souillures, sans les faire retourner à leurs anciennes misères; et pour combattre Jésus‑Christ, il nie la résurrection des corps incorruptibles et assure que, sans leurs corps et même sans aucune espèce de corps, les âmes seront éternellement triomphantes. Et cependant, malgré cette opinion, il n'a pas interdit le culte des divinités corporelles. Pourquoi? Sinon parce qu'il ne croyait pas que ces âmes humaines non associées à un corps, fussent plus excellentes que les dieux. Et si ces philosophes n'osent pas et n'oseront jamais, je pense, préférer les âmes humaines aux dieux bienheureux, qui auront cependant toujours leurs corps, pourquoi donc la foi chrétienne leur paraît‑elle absurde, quand elle enseigne que, sans le péché, les hommes eussent été affranchis de toute mort du corps et, selon le mérite de leur obéissance, doués de l'immortalité pour vivre toujours avec leur corps; qu'enfin, à la résurrection, les saints reprendront les mêmes corps avec lesquels ils ont travaillé ici‑bas, sans que la corruption puisse jamais nuire à ces corps, ni que leur béatitude soit exposée à la douleur et à l'adversité?

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CHAPITRE XX.

 

La chair des saints, qui repose maintenant dans l'espérance de la résurrection, sera réparée et dans un état plus parlait, que celle de nos premiers Parents avant lepéché.

 

Ainsi, pour les âmes des fidèles trépassés, la séparation de leurs corps par la mort ne leur est point pénible, parce que leur chair repose dans la bienheureuse espérance, quelque outrage qu'elle ait reçu même après la mort. Car, ces âmes soupirent après leurs corps, non parce qu'elles ont oublié le passe, comme Platon l’imagine, mais parce qu'elles se souviennent des promesses de celui qui ne trompe personne, et qui leur assure que le moindre de leurs cheveux ne se perdra point (Luc. xxi, 18); aussi elles souhaitent et attendent avec patience la résurrection de leurs corps qui ont beaucoup souffert, et qui ne souffriront plus désormais. S'ils ne haissaient pas leur chair, malgré ses révoltes que l'esprit réprimait avec raison, combien ne doivent‑ils pas l'aimer maintenant qu'elle doit devenir toute spirituelle? (Ephés. v, 29.) Car, si l'esprit esclave de la chair peut bien s'appeler charnel, la chair soumise à l'esprit pourra bien être appelée spirituelle, non qu'elle se change en esprit, comme plusieurs le croient, à cause de ces paroles de la Sainte‑Écriture : « Le corps est semé animal, il ressuscitera spirituel : » (1. Cor. xv, 42) mais parce que soumise à l'esprit avec une souveraine et admirable obéissance qui s'étend même à l'immortalité indissoluble, elle ne ressent plus ni les douleurs, ni la corruption, ni la pesanteur du corps. Car alors elle ne sera pas seulement telle qu'elle est ici‑bas, quand elle jouit de la meilleure santé, mais même dans un meilleur état, qu'avant le péché de nos premiers parents. Et bien qu'en effet ils ne dussent pas mourir, s'ils n'eussent péché, toutefois ils avaient besoin d'aliments, parce qu'ils étaient hommes, n'ayant pas des corps spirituels mais une chair animale et terrestre. Il est vrai que le dépérissement de la vieillesse ne les conduisait pas nécessairement à la mort; (car, par une grâce admirable de la Providence ils puisaient la vie à cet arbre délicieux planté au milieu du Paradis avec l'arbre défendu ;) ce qui ne les empêchait pas de se nourrir de tous les autres fruits, à l'exception d'un seul, qui leur était interdit, non qu'il fût mauvais en lui‑même, mais à cause

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du préeepte salutaire de la pure et simple obéissance, qui est la vertu par excellence de la création raisonnable, à l'égard de son Créateur et Seigneur. Et puisque le fruit n'était pas un mal en lui‑même, mais bien l'infraction à la défense, on péchait seulement en désobéissant. Ils se nourrissaient donc des autres fruits, pour garantir le corps animal des tortures de la faim et de la soif, et ils goûtaient du fruit de l'arbre de vie, pour conjurer les progrès de la mort et de la vieillesse sur l'action du temps. Les autres fruits étaient une nourriture, celui‑ci, un mystère; si bien que ce fruit de vie était dans le paradis terrestre, ce qu'est dans le paradis spirituel la sagesse de Dieu, dont il est écrit : «C'est un arbre de vie pour ceux qui l'embrassént. » (Prov. 111, 18.)

 

CHAPITRE XXI.

 

On peut très‑bien donner un sens spirituel à ce qui est dit du paradis terrestre, séjour de nos premiers parents, pourvu que l'on conserve la vérité du récit historique.

 

De là vient que plusieurs entendent dans un sens spirituel tout le paradis, où la Sainte‑Écriture dit avec vérité que furent placés les premiers auteurs du genre humain; ces arbres et ces fruits ne sont pour eux que des symboles de vertus et de vie morale; comme si tout ce qui a été écrit était purement figuré, sans réalité visible. Est‑ce qu'il ne pourrait y avoir un paradis terrestre, parce qu'on peut entendre ce qui en est dit, dans un sens spirituel? Ainsi, Agar et Sara, ces deux femmes d'où sont nés deux enfants d'Abraham, l'un de l'esclave, l'autre de la femme libre, n'auront point existé; parce que l'Apôtre dit qu'elles figuraient les deux testaments (Gal. iv, 22.) : ou bien il ne sera point sorti d'eau de la pierre frappée par Moïse (Exod. xvii, 6; Nomb. xx, 11), parce que la pierre peut figurer le Christ, suivant cette parole du même Apôtre : « Or la pierre était le Christ. » (I. Cor. x, 4.) Rien n'empêche de voir dans le paradis terrestre, la vie des bienheureux; dans ses quatre fleuves, les quatre vertus, la prudence, la force, la tempérance et la justice ; dans ses arbres, toutes les sciences utiles; dans leurs fruits, les bonnes mœurs; dans l'arbre de vie, la sagesse, mère de tous les biens; dans l'arbre de la science du bien et du mal, l'expérience du commandement violé. Car la peine dont Dieu frappe le pécheur est bonne, parce qu'elle est juste, mais elle n'est pas un bien

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pour l'homme réduit à la subir. Tout cela peut aussi s'entendre de l'Église, et même nous comprendrons mieux ici prophétiquement ses destinées futures : ainsi, le paradis, c'est l'Église, suivant ce que nous lisons au Cantique des cantiques (Cantique, iv, 13); les quatre fleuves du paradis sont les quatre Evangiles; les arbres fruitiers, les saints; leurs fruits, les bonnes œuvres; l'arbre de vie, le saint des saints, le Christ lui‑même; l'arbre de la science du bien et du mal, le libre arbitre. Car l'homme qui a méprisé la volonté divine, ne saurait faire de ce libre arbitre qu'un usage funeste ; et il apprend ainsi quelle différence il y a à s'attacher au bien commun de tous, ou à se complaire en son propre bien. Celui qui s'aime lui‑même ne se donne qu'à lui‑même et il arrive de là, qu'accablé de craintes et de chagrins, il répète, si toutefois il sent ses maux, cette parole du prophète : (( Mon àme s'étant tournée vers elle‑même, est tombée dans le trouble ; » (Ps. XLI, 7.) puis ayant reconnu son erreur, il s'écrie bientôt : « Seigneur, c'est en vous que je placerai toute ma force. » (Ps. LVIII, 10.) Rien n'empêche qu'on ne fasse du paradis, ces applications ou d'autres semblables, dans le sens spirituel, pourvu qu'en même temps, on croie d'une foi sincère à la vérité de cette histoire, sur toutes les choses que l'Écriture rapporte.

 

CHAPITRE XXII.

 

Les corps des saints après la résurrection seront spirituels, et cependant leur chair ne sera pas changée en esprit.

 

Les corps des justes, après la résurrection, n'auront besoin d'aucun arbre pour les empêcher de mourir de vieillesse ou de maladie; ni d'aucun aliment corporel pour se garantir des douleurs causées par la faim et la soif : assurés de jouir toujours du privilége de l'immortalité, ils pourront se nourrir s'ils le veulent, la nécessité ne les y contraindra point. C'est ainsi que les anges apparaissant revêtus de corps sensibles, ont voulu se nourrir, non par besoin, mais par complaisance et pour se conformer aux nécessités humaines. Et il ne faut pas s'imaginer que les anges n'aient pas pris réellement de la nourriture, quand ils recevaient l'hospitalité des mortels; (Gen. xviii) bien que ceux‑ci, ne les connaissant point, aient pu croire qu'ils avaient les mêmes besoins que nous. Aussi l'ange dit à Tobie : « Vous me voyiez manger, mais vous le voyiez seulement de vos yeux; » (Tobie, xii, 19) c'est‑à‑dire, vous pensiez que, comme vous, je prenais de la nourriture pour réparer mes forces. Et si, au sujet des anges, on peut avoir une autre opinion qui

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paraisse plus probable, la foi chrétienne nous oblige à croire qu'après sa résurrection, le sauveur lui‑même a mangé et bu avec ses disciples (Luc, xxiii), bien qu'il eut dès lors une chair spirituelle et véritable. Car les corps ressuscités seront affranchis, non de la faculté, mais de la nécessité de manger et de boire. Et ils seront spirituels, non parce qu'ils cesseront d'être corps, mais parce qu'ils vivront de la vie de l'esprit.

 

CHAPITRE XXIII.

 

Ce qu'il faut entendre par le corps animal et le corps spirituel ; ou bien de ceux qui meurent en Adam et qui sont vivifiés en Jésus‑Christ.

 

1. Et de même que les corps qui ont une âme vivante, sans avoir déjà un esprit vivifiant, sont appelés corps animaux et ne sont pas des esprits, mais des corps; ainsi en est‑il des corps spirituels. Gardons‑nous de croire qu'ils seront de purs esprits, ils seront corps avec la substance de la chair, sans en ressentir la pesanteur et la corruption charnelle, dont ils seront délivrés par l'esprit vivifiant. Ce ne sera plus alors l'homme terrestre, mais l'homme céleste ; non que le corps tiré de la terre cesse d'être lui‑même, mais à cause du don divin qui le rendra capable d'habiter le ciel, en changeant ses qualités, sans perdre sa nature. Or le premier homme, terrestre par le limon dont il a été tiré, a été créé avec une âme vivante et non avec un esprit vivifiant, ce qui devait être la récompense de son obéissance. (I. Cor. xv, 47.) Aussi ce corps qui avait besoin de manger et de boire pour se garantir de la faim et de la soif, qui ne jouissait pas de l'immortalité absolue et indissoluble, que l'arbre de vie défendait contre la mort et conservait dans la vigueur de la jeunesse, ce corps n'était pas spirituel, mais animal, on ne saurait en douter ; et cependant il ne serait point mort, s'il n'eut encouru par son péché la peine dont Dieu l'avait menacé. Alors, l'homme éloigné de l'arbre de vie, fut livré à la destruction, sous les coups du temps et les ravages de la vieillesse, soutenant encore par les aliments, qui ne lui furent pas refusés, même en dehors du paradis, soutenant sa vie dans un corps animal, mais qui pouvait devenir spirituel par le mérite de l'obéissance, tandis que, sans le péché, il eût pu obtenir une vie sans fin dans le paradis. Et quand même nous entendrions aussi de cette mort, qui sépare le corps et l'âme, ces paroles du Seigneur:

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«Du jour où vous mangerez de ce fruit, vous mourrez de mort; » (Gen. il, 17) on ne doit pas trouver étrange que cette séparation n'eut pas lieu le jour même où l'homme mangea le fruit défendu et mortel. Car dès ce jour, la nature fut changée et corrompue, très‑justement séparés de l'arbre de vie, nos premiers parents furent réduits à la nécessité de la mort corpoporeIle, et nous naissons tous dans cet état. Aussi l'Apôtre ne dit pas que le corps doit mourir à cause du péché; mais il dit : « Le corps est mort à cause du péché et l'esprit est vie à cause de la justice. » Et il ajoute : « Si l'esprit de celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts, habite en nous, celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts, vivifiera aussi vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous.. » (Rom. viii, 10.) Le corps qui a maintenant une âme vivante, recevra donc alors un esprit vivifiant, cependant l'Apôtre l'appelle mort, parce qu'il est déjà forcé de mourir. Mais alors, au paradis, il avait tellement une âme vivante, quoique privé de l'Esprit vivifiant, qu'on ne pouvait justement l'appeler mort; car, n'ayant point commis de crime, il ne pouvait être soumis a la nécessité de mourir. Et puisque Dieu en disant : « Adam, où es‑tu? » (Gen. 111, 9) a fait connaître la mort de l'âme abandonnée de lui; et en disant : « Vous êtes terre et vous retournerez en terre, » (Ibid. 19) a prononcé la mort du corps, abandonné de l'âme, il faut croire qu'il a voulu rendre secrète la seconde mort dont il ne parle pas, pour en réserver la déclaration expresse au Nouveau Testament; afin que la première mort, commune à tous les hommes, parût plus clairement venir de ce péché qui, par un seul, est devenu commun à tous. Quant à la seconde mort, elle n'est pas commune à tous, à cause de ceux qui ont été appelés par le décret de Dieu, comme parle l'Apôtre : «qu'il a connus de toute éternité, et prédestinés à devenir conforme à fimage de son Fils, afin qu'il fut le premier‑né d'un grand nombre de frères; » (Rom. viii, 28 29) car pour ceux‑là la grâce de Dieu, par le médiateur, les a délivrés de la seconde mort.

 

2. Le premier homme a donc été créé dans un corps animal, l'Apôtre en fait foi, car voulant distinguer notre corps, animal maintenant, de ce même corps, qui sera spirituel dans la résurrection : « Il est semé dans la corruption, dit‑il, il ressuscitera incorruptible; il est semé dans

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l'ignominie, il ressuscitera dans la gloire; il est semé dans la débilité, et il ressuscitera dans la vigueur; il est semé corps animal, il ressuscitera corps spirituel. » (Cor. xv, 42, etc.) Il ajoute même : « S'il y a corps animal, il y a aussi corps spirituel. » Et pour montrer ce que c'est qu'un corps animal : « Il est écrit, dit‑il : le premier homme a été créé avec une âme vivante. » (Gen. 11, 7.) Ainsi, par ces paroles, l'Écriture a voulu nous faire connaître ce que c'est que le corps animal, bien qu'en parlant d'Adam, le premier homme, et de la création de son âme par le souffle divin, elle ne dise pas: L'homme a été créé avec un corps animal, mais : L'homme a été créé avec une âme vivante ; l'apôtre veut donc qu'on entende ces paroles de l'Écriture du corps animal de l'homme. Quant au corps spirituel, il le désigne suffisamment à notre intelligence, en ajoutant : mais le second d'Adam a été rempli de l'esprit vivifiant. Il est hors de doute que c'est le Christ, dont la résurrection est telle, qu'il ne peut plus mourir désormais. Il poursuit cependant et, dit: « Mais ce n'est pas le corps spirituel qui a été formé d'abord, c'est le corps animal et ensuite le corps spirituel. » Par là, il fait voir d'une manière plus évidente encore que c'est du corps animal dont il veut parler en disant : le premier homme a été créé avec une âme vivante, et du corps spirituel quand il dit : « le second Adam, avec un esprit vivifiant. » Ainsi, le premier, c'est le corps animal, tel qu'il fût en Adam, bien que, sans le péché, il ne dût pas mourir; tel que nous l'avons aussi nous‑mêmes, dans le changement et la corruption de notre nature avec la conséquence du péché, la nécessité de mourir; tel que le Christ lui‑même a daigné le prendre pour nous d'abord, non par nécessité, mais par puissance : le second est le corps spirituel, tel qu'il est déjà dans le Christ, comme dans notre chef et qu'il sera dans ses membres, en la dernière résurrection des morts.

 

3. L'Apôtre établit ensuite très‑clairement la différence de ces deux hommes. « Le premier homme, dit‑il, est l'homme terrestre, formé de terre, le second venu du ciel, est l'homme céleste. Tel est l'homme de la terre, tels aussi sont ses enfants ; tel est l'homme céleste, tels sont aussi ses enfants. Et si nous portons en nous l'image de l'homme terrestre, revêtons aussi l'image de l'homme céleste. » (I. Cor. m,, 47, etc.) Ainsi parle l'Apôtre, pour montrer dès maintenant en nous, l'œuvre du sacrement

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de la régénération; selon ce qu'il dit ailleurs : « Tous tant que vous êtes, baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu Jésus‑Christ. » (Gal. iii, 27.) Mais elle ne sera vraiment accomplie qu'au jour où ce qui en nous est animal par la naissance, deviendra spirituel par la résurrection. Et je me servirai encore des paroles de l'Apôtre : « Nous sommes sauvés par l'espérance. » (Rom. viii, 24.) Or, nous revêtons l'homme terrestre par la génération qui propage la désobéissance et la mort: mais nous revêtons l'image de l'homme céleste par la grâce du pardon et de la vie éternelle, bienfait de la régénération, qui nous vient du médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus‑Christ homme. Il est vraiment l'homme céleste, dont parle saint Paul (I. Tim. 11, 5), parce qu'il est venu du ciel, revêtu de notre corps terrestre et mortel, afin de le revêtir de l'immortalité. Et les autres corps, il les appelle aussi célestes, parce qu'ils deviennent ses membres par sa grâce, pour être avec eux un seul Christ, comme la tête et le corps ne font qu'un seul homme. C'est ce qu'il exprime encore plus clairement dans la même Épitre, lorsqu'il dit : « Par un seul homme la mort, et aussi par un seul homme, la résurrection des morts. De même que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront en Jésus‑Christ » (l. Cor. xv, 21 et 22); c'est‑à‑dire en un corps spirituel, qui sera un esprit vivifiant. Non pas que tous ceux qui meurent en Adam, soient les membres du Christ; car, parmi eux, le plus grand nombre sera puni éternellement de la seconde mort : mais l'Apôtre se sert du mot tous, pour montrer que si, dans ce corps animal, personne ne meurt qu'en Adam, ainsi, dans le corps spirituel, personne ne peut revivre qu'en Jésus-Christ. Aussi faut‑il se garder de croire qu'à la résurrection, nous aurons un corps semblable à celui du premier homme avant le péché. Et ces paroles citées plus haut . Tel est l'homme de la terre, tels sont aussi les enfants, ne sauraient s'entendre du corps devenu terrestre par le péché. Il ne faut pas croire qu'avant le péché, l'homme avait un corps spirituel et qu'en punition du péché, il fut changé en un corps animal. Pour penser ainsi, il faudrait faire bien peu d'attention aux paroles du grand docteur : « S'il y a corps animal, il y a aussi corps spirituel; selon ce qui est écrit : Adam le premier homme a été créé avec une âme vivante. » (I. Cor. xv, 44 et 45. Gen. 11, 7.) Peut‑on dire qu’il en a été ainsi, seulement après le péché, quand telle fut la première condition de 1'homme, d'après le bienheureux apôtre, qui apporte en témoignage le livre de la loi pour expliquer le corps animal?

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