Bysance 19

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 21. Déjà les violences de Porphyrogénète ne connaissaient plus de bornes. Un grand nombre d'évêques et d'abbés de monastères furent traités comme Platon et Théodore le Studite. Les iconoclastes triomphaient et se promettaient de voir bientôt rétablir leurs décrets impies. Mais ce n'était point une controverse dogmatique qui ar­mait le bras du nouvel empereur, c'était l'instinct brutal et l'aveu­glement des passions. A son exemple, une foule de sénateurs et de patriciens se crurent le droit de répudier leurs femmes. Une vraie contagion de débauches sévit dans la capitale de l'Orient. Au sein de ses honteux plaisirs, Porphyrogénète oublia de payer le tribut qu'il s'était engagé, après sa dernière défaite, à payer chaque année aux Bulgares. Le roi barbare son vainqueur l'en fit souvenir, lui mandant que si la somme n'était promptement versée, il viendrait en personne la chercher avec son armée aux portes de Constantinople. A cette menace, l'empereur répondit par une grossière insulte. Il lui envoya dans des sacs soigneusement scellés aux armes de l'empire, une voiture de fumier recueilli dans les écuries impériales, avec un message ainsi conçu : «Je vous envoie le tri­but qui vous convient. Par égard pour votre vieillesse, je veux bien vous épargner la fatigue du voyage. » Ce fut le dernier acte du règne de ce fou couronné. Les officiers de l'armée se saisirent de

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p31 CHAP'.   I. —  AMBASSADE   D'ANGILBERT  A   ROME.     

 

sa personne, lui crevèrent les yeux et rétablirent Irène dans tous les droits de la souveraineté (797). On a dit que, mère dénaturée, Irène prit elle-même l'initiative et commanda le supplice qui fut infligé à son fils. Cette accusation, inventée vraisemblablement par le parti iconoclaste, profondément hostile au parti d'Irène, est con­tredite par le témoignage formel de Théophane. Quoi qu'il en soit, le premier acte d'Irène fut de rappeler tous les confesseurs injuste­ment exilés. Le vénérable Platon et son neveu Théodore le Studite furent rendus à leur monastère. Le prêtre simoniaque Joseph fut privé de ses charges et dégradé canoniquement.

 

22. Telle était la situation de l'Orient quand Angilbert eut à en conférer par ordre de Charlemagne avec saint Léon III. La restauration de l'impératrice Irène était le triomphe de la foi catholique à Bysance. On pouvait tout espérer de la piété de cette princesse et de son dévouement éprouvé au siège apostolique. Un grand calme succédait dans le monde entier aux agitations précédentes. Le règne de Jésus-Christ s'étendait triomplant jusqu'aux extrémités de la Germanie; les Saxons convertis adoraient le vrai Dieu dont leurs pères avaient égorgé si longtemps les ministres, renversé les tem­ples et brûlé les autels. L'Europe centrale reposait en paix sous le sceptre d'un roi très-chrétien. La catholique Espagne était gouver­née par Alphonse le Chaste, grand prince et vaillant guerrier, digne de l'amitié dont l'honorait Charlemagne. Alphonse écrivait à Léon III et lui demandait d'implorer la protection du ciel pour le succès de ses armes contre les Maures. La prise de Lisbonne vint bientôt récompenser cet acte de foi et relever les espérances de la chrétienté des Asturies, si petite par le nombre, si grande par le courage, dont la puissance dans l'avenir devait triompher de tous les obstacles et rejeter les Sarrasins par delà le détroit de Gibraltar. Tout se préparait donc visiblement pour une ère nouvelle de pros­périté et de gloire. Angilbert, l'ambassadeur de Charlemagne, dut le comprendre lorsque le pape Léon III lui eut montré le monument qu'il faisait exécuter alors au triclinium du Latran. A la voûte de l'abside, une mosaïque à fond d'or représentait l'apparition de Notre-Seigneur tel qu'il se montra, éclatant de lumière, dans le

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p32 PONTIFICAT  DE  SAINT  LÉON   III  (795-811)).


cénacle de Jérusalem le jour de sa Résurrection. A ses pieds on lisait les paroles évangéliques :   «Allez et enseignez tous les peu­ples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. » Deux scènes parallèles placées de chaque côté de cette majestueuse représentation en retour de l'arcade principale montraient la réalisation historique de la promesse du Sauveur. Dans l'une, le Christ était assis sur un trône, le pape Sylvestre et l'empereur Constantin, agenouillés à ses pieds, recevaient l'un la clef apostolique, symbole du pouvoir suprême de l'apostolat, l'autre le fameux labarum sur­monté du monogramme traditionnel et portant à sa  hampe un étendard de pourpre. Comme pendant, sur l'autre côté de l'arcade, saint Pierre assis sur la chaire indéfectible remettait à Léon III un pallium et à Charlemagne un drapeau surmonté d'un fer de lance affectant la forme héraldique d'une fleur de lis. Sous les pieds de l'apôtre on lisait cette inscription : Beate Petre, dona vitam Leoni papœ et victoriam Carolo regi dona. Ce monument subsiste encore aujourd'hui sur la place de la basilique  patriarcale  de Latran, comme un témoignage de reconnaissance pour le passé et d'espé­rance pour l'avenir. Léon III en l'exécutant traduisait en un chef-d'œuvre de goût et d'art la parole de son prédécesseur Adrien I. «Un second empereur très-chrétien, un Constantin nouveau a paru de nos jours1. »

 

Darras tome 189 p. 104


§ II. Révolutions en Orient.

 

45. Pendant que Charlemagne était encore à Rome où il passa tout l'hiver de 781, des ambassadeurs furent envoyés de sa part à Constantinople. Il était de la plus haute importance de savoir com­ment la rénovation de l'empire d'Occident serait acceptée par Irène, impératrice d'Orient. On a vu que nos chroniqueurs natio­naux s'indignaient de voir le sceptre des Césars tomber en que­nouille à Byzance, et que cette considération n'avait pas été indif­férente dans le mouvement d'opinion populaire qui s'était pro­noncé en Italie et dans les Gaules en faveur du sacre de Charle­magne. L'Orient n'avait pas les mêmes idées; ce n'était pas la première fois qu'une femme y tenait glorieusement les rênes de

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1    « L'acte relatif à l'abbaye des Trois-Fontaines, dans lequel l'empereur
intervient après le pape (s05) énonce d'abord les années du règne poutilical,
puis celles du règne impérial . Auno Dominicœ incarnaiionis oclenyentesimo
quinio, indictione décima lertia, dom'mi Leonis summi papee terlii auno deeimo,
Caroli imperaloris auno quinio. {Bull. Rom.,
tom, I, p. 161.) Encore un l'ait
omis par les adversaires du pouvoir temporel des papes. » (Ibid.)

2 .   « DanS cet agencement des monnaies romaines, les adversaires ne voient
qu'une combinaison féodale exprimant très-bien la subordination du pape
envers l'empereur. Que répondraient-ils si on leur disait qu'elle exprime, au
contraire la subordinatiou de l'empereur envers le pape ? Les raisons seraient
aussi fortes d'un côté que de l'autre. Il est bien plus vraisemblable de supposer
que ces monnaies ont été frappées par l'ordre même du pape qui y a fait re­
présenter tout à la fois la figure de l'empereur et celle du pontife, soit pour
honorer l'empereur, soit pour exprimer le concert de la puissance impériale et
de la puissance pontificale dans le gouvernement de Rome. » (Ibid.)

3.    Cardinal Matthieu: Le pouvoir temporel des papes justifié par l'histoire,
p. ST-SS.

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p105 CHAP.   II.   —  RÉVOLUTIONS   EN   ORIENT. 

    

l'empire. Irène elle-même, durant la minorité de son fils Porphyrogénète avait fait preuve d'une habileté et d'une énergie vraiment viriles. Malgré tout son génie, elle ne devait pas tarder à succom­ber aux révolutions et aux émeutes don le Bas-Empire était pério­diquement la proie. Les députés que Charlemagne lui envoya furent Jessé, évêque d'Amiens, et le comte Hélingaud. « La chronographie de Théophane nous donne à ce sujet une indication qui fut répétée par les auteurs grecs Cedrenus et Zonaras, mais sur laquelle les annalistes francs sont restés complètement muets.» Après que Charles, roi des Francs, eut été couronné à Rome le 23 décembre indiction IXe (800) par les mains du pape Léon III, dit Théophane, ce prince eut un instant le projet d'attaquer la flotte et la garnison byzantines qui gardaient la Sicile. Mais il changea de dessin, et fit au contraire solliciter par ses ambassadeurs non-seulement l'alliance mais la main de l'impératrice Irène. Les apocrisiaires du souverain pontife accompagnaient la députation franque. Ils insistaient pour un mariage qui unirait les deux em­pires d'Orient et d'Occident, et établirait la paix du monde. Irène parut disposée à accepter cette offre et à épouser Charlemagne. Mais les intrigues de son premier ministre AEtius firent échouer ce grand dessein 1. » Ainsi parle Théophane. Muratori soupçonne avec raison, selon nous, que le prétendu projet de mariage entre Irène et Charlemagne ne fut qu'un faux bruit répandu en Orient par les ennemis de l'impératrice, afin de rendre celle-ci de plus en plus odieuse aux Grecs. Il n'est pas probable, en effet, après ce que nous ont appris Éginbard et le moine de Saint-Gall, des appré­hensions de Charlemagne en acceptant la couronne impériale, et des difficultés qu'il eut à vaincre ensuite pour se faire pardonner ce que la cour byzantine regardait comme une usurpation qu'il eût débuté par une proposition semblable. Un projet de mariage suppose des relations antérieurement établies sur un pied de con­fiance et d'amitié réciproques. Or Théophane lui-même nous donne la preuve que les relations précédentes étaient loin d'avoir

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1 Theophan. Chronograph. Pair, grœc , tom. CVIII, col. 95E-9J7.

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p106      PONTIFICAT  DE   SAINT  LÉON  III   (798-816).

 

ce caractère, puisqu'il insinue que Charlemagne avait d'abord songé à s'emparer de la Sicile. Dans le fait, c'était là une calomnie toute gratuit; mais en l'enregistrant dans sa chronique, Théophane nous fournit la preuve que cette calomnie circulait alors en Orient, ce qui permet de conclure que l'opinion publique se préoc­cupait d'un dissentiment entre la politique de Byzance et celle du roi des Francs.


   16. En tout cas, chargés ou non d'engager la 

négociation  sur le terrain que Théophane a supposé, les apocrisiaires de Léon III et les ambassadeurs de Charlemagne furent témoins de la révolution inattendue qui précipita du trône l'impératrice Irène. Le premier ministre AEtius, favori de cette princesse, était un de ces eunuques dont les Césars du Bas-Empire peuplaient leurs palais. Ambitieux comme tous ses pareils, AEtius avait-il quelque valeur et quelque capacité personnelle? L'histoire ne le dit pas; elle constate seu­lement que son crédit, son faste, son arrogance soulevèrent l'indi­gnation universelle. Il avait un frère, nommé Léon, auquel il donna le gouvernement de la Thrace et de la Macédoine. On lui prêta l'intention de préparer à ce frère l'accès au trône après la mort d'Irène. Théophane articule nettement ce grief et dit qu'en s'opposant au mariage d'Irène avec Charlemagne, AEtius n'avait d'autre but que de ménager à son frère Léon la couronne impériale qu'il rêvait pour lui. Personnellement, l'impératrice cherchait par sa charité et ses largesses à gagner le cœur du peuple. Elle répan­dait à pleines mains les aumônes dans le sein des malheureux; elle fondait des hôpitaux pour les vieillards, pour les étrangers, pour les pauvres, et dans le courant de l'année 800, elle fit remise d'un tiers des impôts. «Le peuple, ajoute Théophane, lui rendit à cette occasion de solennelles actions de grâces. Malheureusement les qualités d'Irène ne suffirent point à la protéger contre l'impopu­larité d'AEtius. Sept autres eunuques de la domesticité du palais conspirèrent contre l'orgueilleux favori. On vit cette race abjecte disposer encore une fois du trône, et les Byzantins purent répéter leur proverbe de prédilection : « Si vous avez un eunuque, tuez-le; si vous n'en avez pas, achetez-en un pour le tuer. » Le 31 oc-

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p107 CHAP.   II.   —   RÉVOLUTIONS   EN   ORIENT.     

 

tobre 801, à dix heures du soir, Irène, malade, était au lit, quand les conjurés se présentèrent à la porte d'airain du grand palais, ayant à leur tête le logothète ou grand trésorier Nicéphore, qu'ils introduisirent aux cris de « Nicéphore Auguste, longue vie à l'em­pereur Nicéphore. » Irène fut immédiatement arrêtée et conduite captive au palais d'Eleuthère. Des émissaires parcouraient toute la ville en répétant les mêmes acclamations. La foule un instant hésitante finit par s'y associer. Au matin l'émeute était devenue une révolution. Des soldats, l'épée nue au poing, et obéissant peut-être à leurs ressentiments iconoclastes, se précipitèrent dans le palais patriarcal, se saisirent de la personne du vénérable Taraise, l'entraînèrent à Sainte-Sophie et le forcèrent de déposer une cou­ronne sur la tête de Nicéphore. Pendant ce simulacre de cérémonie religieuse, les visages de l'assistance témoignaient plus de surprise et d'étonnement que d'enthousiasme. Mais l'air farouche, les cris et les menaces  de  la  soldatesque, tenaient en bride toutes les résistances. Le lendemain, Nicéphore, suivi d'un cortège de patrices, se rendit au palais où Irène était prisonnière. Il affecta de se présenter devant sa  souveraine dans le costume d'un simple particulier, et il en prit texte pour simuler d'hypocrites regrets. « Voilà, disait-il, les seuls vêtements qui me plaisent ; je déteste le faste de la majesté impériale. » Il parla quelque temps sur ce ton, exhortant Irène à prendre confiance, lui jurant par les serments les plus solennels qu'elle pouvait compter sur son dévouement et sa fidélité. Il ne lui demandait qu'une chose, qu'elle voulût bien lui indiquer où elle avait déposé le trésor impérial. Trompée par ses promesses, Irène lui fournit cette indication, et ajouta : « Je n'ai point oublié ma première fortune. J'étais une pauvre orpheline ; Dieu m'a élevée sur un trône que je ne méritais pas. Mes péchés sans doute ont attiré sur moi la disgrâce actuelle. Que le nom du Seigneur soit béni, je me soumets à sa main puissante ; c'est elle qui m'enlève la couronne pour la placer sur votre tête. Je n'igno­rais pas vos complots; on m'en a fréquemment avertie. Si j'y avais ajouté foi, rien ne pouvait m'empêcher de vous perdre. J'ai préféré en croire vos serments ; je voulais vous trouver innocent pour

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p108      PONTIFICAT DE  SAINT LÉON   III  (793-81G).

 

m'épargner la triste nécessité de vous punir. Dieu peut maintenant disposer de ma vie. S'il me la conserve, je vous demande de me laisser ce palais où je terminerai mes jours dans la prière et la retraite. » Nicéphore le lui promit, et se hâta d'aller prendre pos­session du trésor impérial. Le lendemain matin, par un orage épouvantable, Irène était embarquée sur un navire qui la déporta dans l'île de Lesbos. Là, cette impératrice découronnée fut laissée dans un tel dénûment qu'elle fut réduite à filer pour gagner le pain dont elle se nourrissait. Le chagrin l'emporta ; elle mourut le 9 août 803.


   17. Nicéphore que la trahison et le parjure venaient d'élever sur le trône des Césars était un intrigant de basse extraction, né à Séleucie, introduit à la cour sous le règne de Copronyme, et parvenu  à force de bassesse, au rang de logothètes. Le trait dominant de son caractère était l'avarice. Tous ses autres défauts étaient au service de celui-là. Théophane l'appelle un «dévoreur de trésors toujours affamé pamfagos ». Il vendait les emplois, les arrêts, les grâces. Son premier acte fut d'instituer à Magnaura un tribunal dit de justice, dans le but apparent de châtier les concussionnaires et de les forcer à rendre ce qu'ils avaient dérobé. Mais ce tribunal ne poursuivit d'autre crime que la richesse et dépouilla de leurs biens la plus grande partie des propriétaires. Un patricien opulent, nommé Triphyllius, dont l'innocence était connue de toute la ville, fut cité à ce tribunal. Malgré leur vénalité, les juges hésitaient à prononcer la sentence de confiscation. Nicéphore leva tous leurs scrupules. Il fit empoisonner Triphyllius et s'empara de tout son héritage. Le malheureux Constantin Porphyrogénète, fils d'Irène, vivait encore. Privé de la vue, cet empereur détrôné passait pour avoir sauvé dans sa chute quelques débris de fortune. Ces bribes d'une splendeur déchue tentèrent la cupidité de Nicéphore. Il fit venir le prince aveugle, l'accabla de caresses, et obtint de lui, comme pour Irène, l'indication du lieu où il avait déposé ses richesses. Le malheureux Constantin eut la faiblesse de parler. Ses richesses lui furent enlevées à l'heure même ; Nicéphore congédia sa victime dépouillée, réduite à l'indigence, et l'envoya mourir en

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p109 .   II.   —   ItÉYOMJTIONS   EN  01UENÏ.     

 

exil. Quelques mois du règne de Nicephore avaient appris à ses sujets la valeur morale de ce Plutus couronné. Mais comme les Etats n'ont jamais que les gouvernements qu'ils méritent, Dieu laissa près de neuf ans Nicephore sur le trône, afin sans doute qu'il apportât son contingent à la décadence du Bas-Empire. On peut constater, sous le règne de cet indigne parvenu, l'application d'une loi trop peu observée qui s'applique généralement aux époques de dissolution sociale. Dans ces crises violentes, le triomphe est d'a­vance acquis à toutes les tentatives anarchiques, pendant que tous les efforts des honnêtes gens sont voués à l'impuissance. Loin de nous, certes, la pensée de rattacher ce fait au prétendu fatalisme qu'une certaine école historique a voulu de nos jours remettre en honneur. Non, le fatalisme, ce principe musulman, comme le serf arbitre est celui de Calvin, est une absurdité en histoire comme en théologie, ou en simple morale. Mais ce qui est certain, c'est que d'une part les époques de décadence sont celles où les honnêtes gens sont en minorité, et que de l'autre les honnêtes gens sont toujours beaucoup moins entreprenants et audacieux que les scélé­rats. Jamais on ne vit mieux caractérisée cette impuissance des honnêtes gens que dans l'insolente fortune dont Nicephore jouit trop longtemps. Ceux-mêmes qui l'avaient porté sur le trône déplo­raient amèrement leur œuvre ; il s'en vengea en faisant empoi­sonner leur chef, l'eunuque Nicetas (802). Ce nouveau crime ne fit qu'exciter les esprits. L'armée surtout rougissait d'avoir à sa tête moins un empereur qu'un coffre-fort. Le patrice Bardanès, le meilleur guerrier qu'eut alors l'empire, s'était illustré dans la guerre contre les Sarrasins. Il gouvernait les cinq provinces fron­tières qui séparaient les possessions byzantines de celles du califat de Bagdad. Aussi probe et vertueux que brave, ce général était chéri non-seulement des légions qu'il commandait mais des habi­tants qui vivaient sous son administration. Il fut proclamé empereur par ses propres troupes (4 mai 803). Vainement il se défendit d'ac­cepter la couronne, on le menaça de mort s'il n consentait à rem­placer un tyran et, malgré ses répugnances, malgré les prédictions d'un saint anachorète qui lui annonçait des revers terribles, il se

 

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p110 PONTIFICAT  DE  SAINT LÉON   III  (79o-816).

 

vit contraint d'accepter. A la tête de son armée, il s'avança sans obstacle jusqu'à Chrysopolis dont les portes se fermèrent à son approche. Nicéphore déconsidéré n'avait pour lui que ses trésors, fruits de rapines, de confiscations et de vols. Ses trésors lui suf­firent. Il acheta la défection des principaux lieutenants de Bardanès. Il envoya à celui-ci une lettre authentique, portant la signature impériale, celle du patriarche Tamise et des principaux patrices. A cette missive se trouvait jointe une petite croix d'or, garnie de reliques, gage sacré par lequel Nicéphore promettait d'accorder au général et à ses soldats pleine et entière amnistie s'ils mettaient bas les armes. En vertu de cette promesse, Bardanès fit sa soumission ; mais Nicéphore lui fit crever les yeux, confisqua tous ses biens. Le même traitement fut appliqué à tous ceux des chefs militaires et des principaux personnages qui avaient de près ou de loin été compromis dans cette affaire.

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