St Martin 2

Darras tome 10 p. 344


§ III. Saint Martin, évêque de ToUrs.

 

66. Au moment où la voix du peuple, qui était bien réellement en cette circonstance la voix de Dieu, appelait au siège métropolitain de Milan un patricien, gouverneur de la capitale civile de l'Occident, les Gaules présentaient un spectacle non moins touchant dans l'élection d'un pauvre moine, sans illustration de naissance, sans aucun éclat extérieur, sans rien de ce que les hommes admirent, ne devant sa réputation, sa gloire, sa popularité, qu'à la vertu efficace de son caractère de thaumaturge Nous éprouvons un douloureux plaisir à mettre en regard des négations absolues contre le surnaturel, qui se produisent dans notre France du XIXesiècle, la vie pleine de miracles du grand convertisseur des Gaules, saint Martin. Les rationalistes que nous avons jusqu'ici rencontrés sur notre chemin ne manquaient pas d'opposer à la vérité catholique sur l'apostolicité de nos églises, un texte fort laconique et très-mal compris de Sulpice-Sévère, élève et biographe de saint Martin. Sulpice-Sévère, disaient-ils, est le véritable Sal-

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1. t. Basil., Epist. XCTII; Patrol. grœc, tom. XXXII, col. 710-71*,

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Iuste de l'histoire ecclésiastique. Son témoignage est grave, sérieux irréfragable. Il ne dit que ce qui est vrai ; il ne rapporte que ce qu'il a vu lui-même, ou ce qu'il a constaté, par un examen sérieux dans les sources historiques dont il disposait. A notre tour, nous allons opposer aux rationalistes, ennemis du surnaturel, non point quelques mots isolés de Sulpice-Sévère sur un fait séparé de cet écrivain par trois siècles de distance, mais toute une histoire dont Sulpice-Sévère fut le témoin, le contemporain et l'admirateur. Les rationalistes se rendront-ils à ce témoignage? Nous ne l'espérons pas ; ils persisteront à dire que Sulpice-Sévère, infaillible pour tout ce qu'il n'a pas vu, est incroyable pour tout ce qu'il a vu. Mais la vérité historique demeure au-dessus de leurs négations comme de leurs sarcasmes. Or, c'est pour rendre hommage à la vérité que nous écrivons. « Depuis la mort d'Hilaire, le grand évêque de Poitiers, dit Sulpice-Sévère, Martin vivait humblement dans son monastère de Ligugé. Il n'en sortait que pour évangéliser les populations voisines et leur apprendre le nom et la doctrine de Jésus-Christ. Pendant une de ses absences, un inconnu se présenta au monastère, implorant la grâce d'être admis au nombre des disciples du saint homme. On lui fit place dans la pauvre et étroite communauté. Mais, trois jours après, le nouveau venu mourait subitement, sans avoir pu recevoir la grâce du baptême. Le corps fut déposé dans la grande salle du couvent; autour de lui les religieux en pleurs récitaient les prières de la psalmodie. Martin rentra, au milieu de cette scène de douleurs et de larmes. Il flt sortir tous les frères, referma sur lui la porte, et seul, comme jadis Elisée, il s'étendit sur le cadavre, suppliant le Seigneur de lui rendre cette victime. Les yeux fixés sur les yeux du mort, dans l'intrépidité d'une foi qui savait que l'Esprit-Saint ne lui ferait pas défaut, il prolongea pendant deux heures sa prière. A la fin, il sentit le cadavre s'agiter sous lui; il vit les paupières se soulever, puis se rouvrir à la lumière. Aussitôt Martin s'écria : « Gloire à Dieu! » Les frères, qui se tenaient à la porte, rentrèrent dans la salle et trouvèrent, au lieu du mort, un ressuscité ! L'échappé du tombeau fut baptisé sur-le-champ ; mais la vie qu'il

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venait de recouvrer par un miracle lui fut miraculeusement conservée de longues années encore. Je l'ai vu, reprend Sulpice-Sévère ; j'ai conversé nombre de fois avec lui. Il fut le premier et le plus illustre témoin des miracles opérés au milieu de nous par le grand thaumaturge. Il nous disait qu'après avoir rendu le dernier souffle, il s'était trouvé en face d'un tribunal suprême ; que le juge l'avait condamné à descendre dans les cavernes obscures, au milieu des tristes âmes du vulgus infidèle. Deux anges firent alors observer au juge que Martin intercédait pour moi, ajoutait-il. Le juge revint sur sa sentence et ordonna aux deux anges de me rendre à Martin. — Ce prodige fut bientôt connu dans toute la Gaule. On disait qu'un serviteur de Dieu, puissant en œuvres comme les apôtres, était apparu parmi nous. A quelque temps de là, Martin traversait un domaine appartenant à un personnage très-considérable selon le siècle, nommé Lupicinus. Des cris s'élevaient du milieu d'une foule tumultueuse. L'homme de Dieu s'approcha. On lui ouvrit une grange, où était déposé le cadavre d'un malheureux qui venait de s'étrangler. Martin, cette fois encore, fit sortir tout le monde, s'étendit sur le corps inanimé et pria. Bientôt le visage reprit quelque coloration, le mort ouvrit les yeux; puis, faisant effort pour se soulever, il prit la main droite de Martin et se jeta à ses genoux. L'homme de Dieu se vit alors entouré par la foule ivre de joie, et fut porté en triomphe jusqu'à la demeure de Lupicinus 1. »

 

67. Ainsi parle Sulpice-Sévère. Les rationalistes sont libres de répudier son récit, et de dire que les prétendus ressuscités étaient de faux morts, dont les Gallois nos aïeux avaient soudoyé la connivence. Ce système, déjà essayé pour expliquer naturellement la résurrection de Lazare, serait très-commode ; malheureusement il ne cadre nullement avec l'inflexible histoire. Si les Gaulois avaient voulu tromper quelqu'un par les pseudo-prodiges de saint Martin, ils ne se fussent certainement

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1. Sulpit. Se^er,, De vit. B. Martini, cap. va et ?HIJ Patrol. lat., tom. XX,-col. 161,163.

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pas trompés eux-mêmes. Or, ce furent précisément les miracles du grand thaumaturge qui déterminèrent les Gaulois à le choisir pour évêque. Lidorius, le titulaire des Turones (Tours), venait de mourir. Clergé et peuple, d'une voix unanime, demandèrent que Martin fût son successeur. « Mais, reprend Sulpice-Sévère, Martin s'était confiné, à cette nouvelle, dans son monastère de Ligugé et n'en voulait pas sortir. On désespérait de l'attirer à Tours. Un des habitants, nommé Ruricius, imagina un moyen de vaincre sa résistance. Il l'alla trouver, et, se jetant à ses genoux, lui raconta que sa femme était malade, qu'elle allait mourir : il le suppliait donc de venir près d'elle, afin qu'elle fût guérie. Martin se laissa fléchir et suivit Ruricius. Des gardes, apostés sur la route et dissimulés derrière quelques accidents de terrain, attendaient le résultat du stratagème. Ils laissèrent passer leur émissaire que le saint homme accompagnait, suivant eux-mêmes à distance, dans l'intention de barrer le passage au bienheureux Martin, si par une inspiration céleste, averti du piége qu'on lui tendait, il eût voulu s'y soustraire. On arriva ainsi à Tours. A la vue du solitaire, la multitude éclata en transports d'allégresse. Une seule volonté, un seul désir, un seul cri s'échappait de toutes les lèvres. Martin est digne de l'épiscopat ! Heureuse la cité qui l'aura pour évêque ! — Au bruit de ces acclamations, escorté par un peuple innombrable, l'homme de Dieu fut conduit à la basilique où les évêques étaient réunis pour l'élection. Parmi eux, il s'en trouvait qui ne partagaient nullement l'enthousiasme populaire. Ils disaient que Martin était un fort misérable personnage, complètement indigne de l'épiscopat; que sa tenue était dégoûtante, ses vêtements sordides et ses cheveux par trop incultes. Ils traitaient de démence l'idée de faire asseoir un tel sauvage sur le trône des évêques, et n'épargnaient aucune injure à l'illustre serviteur de Dieu. Celui qui manifestait le plus de répugnance, et se montrait le plus piquant dans ses sarcasmes, se nommait Defensor 1. Un in-

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1. Nous avons cherché à savoir de quel siège ce Defensor était alors titulaire. D'après la Gallia Christiana, il aurait été le premier évêque connu de l'église d'Angers.

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cident vraiment significatif, et qui fut universellement considéré comme une manifestation prophétique de la volonté divine, se produisit alors. Au milieu du tumulte causé par l'arrivée de Martin, le lecteur d'office n'avait pu rejoindre son pupitre. Un autre de ses collègues, pour ne pas laisser d'interruption dans la psalmodie, se trouvant par hasard à portée du suggestum, ouvrit le livre au hasard, et sans prendre le temps de chercher la leçon du jour, il se mit à chanter le premier verset de l'Écriture qui lui tomba sous les yeux. Ce verset était ainsi conçu : Ex ore infantium et lactentium perfecisti tandem propter inimicos tvos, ut destruas inimicum et defensorem1. — A ce mot scripturaire de defensorem qui rappelait le nom de Defensor, le plus acharné des opposants à l'élection de Martin, une immense clameur ébranla les voûtes de la basilique. Dieu nous apporte lui-même son témoignage ! disait-on de toutes parts. C'est par la bouche des enfants, des agneaux à la mamelle, du peuple entier, qu'il a nommé Martin, en dépit des injures de Defensor 1! »

 

68. Telle fut l'élection de saint Martin de Tours. Avec le baptême de Clovis, cet événement est le plus considérable de notre histoire nationale. A mesure que nous avancerons dans l'ordre chronologique, en suivant toujours le récit des auteurs contemporains, nous espérons mettre davantage en lumière la parole si vraie de Gibbon quoique si étonnante dans la bouche d'un protestant : «La nation française a été faite par les évêques, comme une ruche par les abeilles. » Pour ne signaler qu'un point fort secondaire dans ce récit, il est hors de doute que l'usage si fréquent, dans les premiers âges de notre histoire, du sort des saints, ou interrogation de la volonté divine par l'Ecriture sainte, a pris son origine dans

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1. Psalm.. vin, 3. Dans la Vulgate que nous lisons aujourd'hui, le mot defensorem est remplacé par ultorem. L'amphibologie sur le nom de Defensor qui eut dans la circonstance un tel succès ne pourrait donc plus se renouveler parmi nous. On sait qu'à cette époque la Vulgate, œuvre de S. Jérome, n'avait point encore paru, et que l'église des Gaules suivait alors pour la psalmodie une antique version laline faite sur les Septante, et dont on ne connait point l'auteur.

2. Sulpice Scver., lue. cil   '., i..i:>. IX.

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la manifestation, sinon surnaturelle au moins fort singulière, qui avait marqué l'élection de saint Martin. Quoi qu'il en soit «l'homme de Dieu, reprend Sulpice-Sévère, ne changea rien à sa vie, à son habillement, ni à ses mœurs. C'était toujours la même humilité de cœur, la même simplicité, ou pour mieux dire le même oubli de tous les soins extérieurs. La dignité d'évêque, qu'il savait porter cependant sans rien lui faire perdre, ne semblait qu'avoir ajouté encore à la modestie du moine. Il résida quelque temps dans une cellule attenant à l'église de Tours. Mais bientôt la multitude des visiteurs fut telle que cette modeste habitation devint insuffisante. Il établit alors, à deux milles de la cité, un monastère (Marmoutiers, Martini monasterium1). Le site répondait pleinement à tous ses goûts de solitude. D'un côté, la brusque élévation d'une montagne formait un rempart naturel ; de l'autre, le fleuve Liger (la Loire), resserrait dans ses replis une plaine solitaire où s'élevait le cloître. On ne pouvait communiquer avec la ville que par un seul chemin, étroit et raboteux. Là, Martin entrelaça lui-même des branchages pour se construire une cellule; les frères, en grand nombre, qui vinrent se mettre sous sa direction, firent de même. Quelques-uns pourtant entaillèrent les flancs de la montagne, afin de s'y creuser des retraites. Le nombre des disciples groupés autour de l'illustre maître était de quatre-vingts. Nul ne possédait rien en propre. Tout était commun entre eux; il ne leur était permis ni de vendre, ni d'acheter, ainsi qu'il se pratiquait dans les autres communautés religieuses. Le seul art qu'il leur fût loisible d'exercer était la copie des manuscrits, encore étaient-ce les plus jeunes seulement à qui l'on accordait cette distraction ; les autres vaquaient exclusivement à la prière. Rarement un moine sortait de sa cellule, autrement que pour venir prendre part à l'oraison, ou au repas, qui se faisaient l'un et l'autre

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1 Nous savons qu'en fait généralement dériver le nom de Marmoutiers de Majus monasterium ;  mais nous déclarons que cette étymologie nous parait contraire à toutes les règles de la linguistique. Jusqu'à preuve décisive nous persisterons à croire que la véritable leçon est Martini monasterium.

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en commun. Le jeûne était obligatoire pour tous jusqu'à l'heure indiquée ; on ne connaissait l'usage du vin que pour les malades. Les habits étaient tissus de poil de chameau, comme dans la Thébaïde ; c'eût été un crime de montrer, sous ce rapport, un goût plus délicat. Nul n'y songeait d'ailleurs, et le fait est d'autant plus remarquable que la plupart des religieux, appartenant à de nobles familles, avaient tenu dans le siècle un rang distingué. J'ai connu un grand nombre d'évêques qui sortirent de cette école fameuse. Quelle église en effet, quelle cité n'aspiraient alors au bonheur d'avoir pour évêque un disciple du bienheureux Martin 1 ! »

 

   69. « Non loin du monastère de Tours, continue Sulpice-Sévère, se trouvait un pèlerinage célèbre, où la superstition des populations voisines croyait que des martyrs inconnus avaient reçu la sépulture. Les évêques précédents avaient élevé, en ce lieu, un oratoire et un autel. Martin n'admettait pas facilement les traditions incertaines. Il chercha des renseignements exacts près des vieillards indigènes et consulta les plus anciens du clergé de sa ville épiscopale. Quel est le nom du martyr qu'on vénère en ce lieu? demandait-il. En quel temps a-t-il souffert la mort? —Nul ne pouvait lui répondre. Il s'abstint dès lors de paraître au pèlerinage, sans l'interdire pourtant, parce qu'il n'était pas encore fixé sur sa véritable valeur. Il se contentait par cette prudente réserve de ne pas encourager la dévotion populaire. Un jour, prenant avec lui quelques-uns des frères, il se rendit inopinément en ce lieu, et se mettant en prières sur le sépulcre, il supplia le Seigneur de lui révéler quels ossements y reposaient, et à qui ils avaient appartenu. Tout à coup, il vit se dresser à sa gauche une ombre sordide et effrayante. Qui es-tu? s'écria-t-il. Quelle fut ta vie sur la terre? — Le spectre déclina son nom : il confessa qu'il avait été jadis un brigand fameux, mis à mort pour ses crimes, et que l'erreur du vulgaire avait pris sa tombe pour celle d'un

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1. Sulpice  Seter., De vila B. Martin., cap. X.

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saint. Hélas! ajouta-t-il, je n'ai rien de commun avec les martyrs. Eux sont dans la gloire, moi dans les tourments ! — Les frères qui accompagnaient le bienheureux évêque entendirent la voix; mais ils ne virent point l'apparition surnaturel. « Martin leur raconta sa vision. Il fit transporter l'autel dans une église de la ville, et supprima le pèlerinage 1. »

                                                  

70. Les rationalistes modernes pardonneront peut-être assez volontiers à saint Martin d'avoir détruit une superstition populaire. Car les rationalistes se persuadent facilement que tous les pèlerinnages chrétiens sont des repaires de superstition, ils souhaiteraient les voir universellement détruits par l'autorité épiscopale. Mais ils sauront moins bon gré au thaumaturge du miracle suivant, que Sulpice-Sévère, témoin irréfragable, raconte avec la même autorité et la même bonne foi. « Quelques jours après, dit-il, le saint suivait une grande route. Il aperçut en face de lui une foule de peuple qui marchait à sa rencontre. C'était le convoi d'un riche païen, qu'on menait, avec les rites accoutumés, à sa funèbre demeure. L'évêque fut quelque temps à deviner ce dont il s'agissait. Il était encore à cinq cents pas de distance, et ne se rendait pas compte de l'incident. A la vue des banderolles flottantes qui dominaient le cortège rustique, il crut d'abord à une procession païenne en l'honneur de quelques divinités idolâtriques. C'était en effet la coutume des paysans gaulois de porter, à certaines époques, au milieu des campagnes, les statues de leurs dieux recouvertes de voiles blancs. Martin fit le signe de la croix, et ordonna à la foule de s'arrêter. A l'instant, ces malheureux furent fixés au sol comme des rochers. Ils faisaient effort pour mettre un pied en avant, mais ils ne réussissaient qu'à tourner sur eux-mêmes; en sorte qu'ils offraient le spectacle à la fois le plus ridicule et le plus extraordinaire. Quand l'homme de Dieu se fut approché, ils se tinrent silencieux, attendant ce qu'il daignerait ordonner. Le bienheureux, voyant qu'il s'agissait d'un convoi et non d'un sacrifice idolâtrique, leur permit de continuer, leur voyage.

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1. SulpiL Sever., De vita B. Martin., cap. XL'

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p352 FOKTIFICAT  DE  SAISI  DAMASE   (3C6-3S4).

 

Aussitôt, ils reprirent la liberté de leurs mouvements et s'éloignèrent pour achever leur funèbre cérémonie 1. »

 

71. Les rationalistes se plaindront peut-être que saint Martin n'ait pas ressuscité le mort que les idolâtres portaient en terre. Son biograpbe va les consoler : « Avant son épiscopat, reprend Sul-pice-Sévère, Martin avait ressuscité deux morts. Je fus témoin de la résurrection du troisième. Voici les circonstances dans lesquelles elle eut lieu. Le saint, je ne me rappelle plus pour quel motif, avait besoin de se transporter à l'oppidum des Carnutes (Chartres); je l'accompagnai dans ce voyage. Chemin faisant, nous traversâmes une grosse bourgade toute peuplée de païens. Le Christ n'y était pas même connu de nom. Cependant, à la nouvelle que Martin passait par la contrée, les habitants des villages voisins s'étaient réunis pour voir ce grand homme. Martin comprit que la vertu de Dieu se manifesterait là. Sous l'impression de l'Esprit-Saint qui se révélait à lui, je le vis frémir. Sans autre préambule, il parla de Jésus-Christ à la foule. Dans son discours, il témoignait, avec des gémissements vingt fois renouvelés , son désespoir que le nom du Sauveur fût encore ignoré dans ce pays. En ce moment, à travers les flots pressés de la multitude qui nous environnait de toutes parts, une femme, une mère, se fit jour : elle apportait au bienheureux le corps inanimé de son petit enfant qui venait de mourir. Elle déposa le cadavre aux pieds du saint, et tendant les deux bras, dans l'attitude d'une douleur et d'une supplication inexprimables, elle dit : Nous savons que vous êtes l'ami de Dieu; rendez-moi mon enfant; c'est mon fils unique ! — Toute la foule joignit ses prières à celles de la mère

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1. Noue reproduisons textuellement le récit de Sulpice-Sévère, sans nous permettre d'en retrancher un mot. C'est à force d’analyses,  de suppressions et de réticences arbitrairement infligées à ce texte si précieux pour nos origines, que les historiens précédents out fini par laisser à peu près inconnue en Francs la véritable histoire de S. Martin de Tours. Si ce grand évêque n'avait pas réalisé sur notre terre des prodiges aussi manifestes, aussi éclatants que nombreux et extraordinaires, est-ce que son nom aurait été, dans tous les siècles, si célèbre, si aimé, si populaire? Il est temps de revenir aux sources historiques, parce qu'il est temps de revenir à la vérité.

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éplorée. En voyant cette multitude dont un miracle pouvait obtenir la conversion, Martin sentit intérieurement que Dieu ne lui refuserait pas le salut de tant d âmes. II prit dans ses bras le petit cadavre, se mit à genoux, et pria avec ferveur. Puis, se levant, il rendit à la mère son enfant plein de vie. Une clameur partie de toute la multitude s'éleva alors jusqu'au ciel. Tous confessaient la divinité de Jésus-Christ. Ils se prosternèrent aux genoux du saint homme, lui demandant de les faire chrétiens. Étendant les mains, au milieu de cette campagne, à ciel ouvert, sur la foule prosternée, Martin leur donna la bénédiction des catéchumènes. Alors il se tourna vers moi, avec un sourire que je n'oublierai jamais, et me dit : Je puis bien faire des catéchumènes à ciel ouvert, puisque c'est en pleine campagne qu'on a fait tant de martyrs 1 ! »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon