Darras tome 34 p. 399
80. Une chose que la reine avait encore plus à coeur que son mariage, c'était le rétablissement de cette antique religion qui, pendant tant de siècles, dit Cobbett, avait fait le bonheur et la puissance de l'Angleterre, religion dont la destruction avait été le signal
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de l'invasion, de la discorde, de la guerre civile et de tous les genres de calamités. Les deux chambres lui donnent, sur ce point, entière satisfaction. « Le même parlement, dit encore Cobbett, qui avait légalisé le divorce de Catherine, prononcé par Cranmer et qui avait bâtardisé Marie, la reconnut de la manière la plus solennelle pour légitime héritier du trône d'Angleterre. Après avoir prescrit la religion catholique pour élever sur ses débris le culte protestant, cette assemblée brisa son propre ouvrage et consacra de nouveau la foi catholique en la rendant obligatoire pour tous les sujets anglais. Tant de versatilité d'un corps délibérant surprendrait à coup sûr, si l'on n'avait soin de remarquer que, dans cette circonstance, il lui était impossible de suivre une autre règle de conduite ; il avait, en effet, tout à craindre du peuple, qui se prononçait d'une manière décidée sur cette importante matière et secondait puissamment les intentions de la reine. Au reste, rien de plus admirable que la promptitude et la célérité que l'on déplore dans cette circonstance. Edouard était mort dans le courant de juillet ; à cette époque, la révolution religieuse commencée par son père et ses ministres avait atteint son plus haut degré de force, et cependant il suffit de moins de cinq mois pour renverser ce frêle échafaudage élevé par l'esprit de révolte et de mensonge. Le mois de novembre de la même année n'était pas encore entièrement écoulé, que déjà les actes de procédure du procès de divorce intenté par Cranmer à la vertueuse Catherine étaient annulés, et que le culte imposé à la nation n'existait plus que pour mémoire. Quoique le parlement eut dans le temps sanctionné ces mesures politiques, il s'empressa de les rapporter par deux bills dont l'un légitimait de nouveau le mariage de Henri VIII avec Catherine, sa première femme, et déversait tout l'odieux du divorce sur Cranmer, en le désignant même personnellement comme le principal auteur de cette intrigue. L'autre bill déclarait que l'église établie par la loi n'était qu'une innovation produite par les bizarres opinions de quelques individus isolés, sans s'embarrasser le moins du monde de l'étrange contradiction que présentait cette déclaration avec celle par laquelle, quelques années auparavant, le parlement avait re-
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connu que la nouvelle église provenait directement du Saint-Esprit. Cranmer, dont le génie sublime avait conçu et créé cette grande institution, n'eut pas du moins la douleur d'être témoin de la ruine de son propre ouvrage. Lorsque les deux lois, dont nous venons de parler, furent promulguées, il se trouvait renfermé à la Tour de Londres, par suite d'une déclaration incendiaire qu'il avait publiée, en apprenant, du fond de son palais de Lambeth, que le sacrifice expiatoire de l'agneau sans tâche avait été de nouveau célébré dans son église cathédrale. Observons, au reste, qu'il n'était nullement besoin d'un acte législatif pour détruire la nouvelle église, puisque, depuis longtemps, l'opinion publique avait fait tacitement justice de cette monstrueuse création. On l'avait imposée à la nation, la nation la repoussa ; elle tomba d'elle-même et de son propre poids, tandis que, pour en opérer le rétablissement, il fallut, sous le règne d'Elisabeth, verser des flots de sang1.
90. Après la révocation des lois schismatiques, la reine ne désirait rien tant que la réconciliation avec Rome. Pour l'effectuer pleine et entière, il y avait un gros embarras dans la question des biens ecclésiastiques. Si les principes du protestantisme avaient peu pénétré dans les masses, il y avait une telle tourbe de pillards, que presque toutes les grandes familles, comptaient dans leur sein quelques grands voleurs. Effacer l'œuvre de Cranmer, n'était, en comparaison, qu'un jeu ; faire rendre gorge, paraissait impossible. Le roi et la reine firent part au légat de leur impression ; Polus comprit qu'il fallait fléchir devant la dure loi de la nécessité ; une bulle du Souverain Pontife l'autorisa à transiger, autant que besoin serait, dans l'intérêt même du Saint-Siège. Les deux chambres rapportèrent les lois de la proscription portée contre le cardinal ; l'unique cause de cette proscription devait être attribuée à son refus de consentement dans l'affaire du divorce de Henri VIII; en cela il était guidé par un principe de conscience ; c'était donc justice de révoquer l'arrêt d'une si injuste condamnation. Ces formalités remplies, le cardinal aborda à Douvre et se rendit par eau à
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1. CrtiDLTT, lettre VIII.
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Westminster. Ce fut un spectacle tout nouveau pour le peuple de Londres, lorsqu'à la proue du bateau portant le prélat, il vit briller la croix d'argent, emblème de la dignité des légats, proscrite depuis depuis si longtemps dans le royaume. Le chancelier et les membres les plus influents de la noblesse, assistèrent le cardinal à son débarquement. Durant trois jours de suite, on lui rendit tous les honneurs imaginables ; rien ne fut oublié pour célébrer avec magnificence un retour si ardemment souhaité par la reine. Polus venait, en effet, combler le plus cher vœu de Marie et l'aider à anéantir un schisme odieux, qui lui rappelait trop les malheurs de sa famille. Il arrivait muni de pleins pouvoirs. Le 27 novembre, les chambres furent mandées à la cour par un message royal. Polus exposa le but de sa mission : « Vous m'avez rétabli, dit-il, dans la possession des biens terrestres : je viens, au nom du pasteur universel de la chrétienté, vous ouvrir les portes du ciel et vous recevoir dans le sein de l'Eglise hors de laquelle il n'y a point de salut. » Ensuite, il les exhorta à déchirer tous les statuts contraires à l'infaillible autorité des Pontifes Romains. Puis les chambres se séparèrent pour délibérer. Dans celle des lords, on accueillit la réconciliation avec Rome, par une acclamation unanime ; dans la chambre des communes, sur trois cents, il y eut deux voix contraires. De part et d'autre on nomma des commissaires chargés de présenter au roi et à la reine une requête, par laquelle les représentants de la nation témoignaient de leur repentir et demandaient la grâce de rentrer dans le sein de l'Eglise. En la fête de S. André, il y eut séance royale au parlement. Les commissaires présentèrent à genoux la requête des chambres ; le chancelier en donna lecture à haute voix, Polus prononça alors un grand discours.. « Le Souverain Pontife, dit-il en substance, a toujours été animé d'une grande tendresse pour les îles britanniques, dont les habitants ont été les premiers jadis à embrasser la foi chrétienne. Quelques-uns de nos rois n'ont pas reculé devant de grandes fatigues pour se rendre en pèlerinage à Jérusalem, et visiter cette terre sacrée des Apôtres. Ce fut un pape de race anglaise qui, en témoignage de son affection, fit présent du royaume d'Irlande aux rois d'Angleterre, et les pon-
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tifes romains n'ont jamais manqué de donner à nos souverains de nombreuses marques de leur sincère amitié. N'est-ce pas du Saint-Siège que Henri VIII a obtenu le titre glorieux de défenseur de la foi! Le bonheur des peuples et la force des églises particulières dépendent absolument de leur union intime avec l'Église universelle de Rome, el les Grecs, pour s'en être séparés, ont été abandonnés par Dieu à la fureur des infidèles. Les misères de l'Allemagne viennent du schisme qui a divisé ce malheureux pays, et c'est également au schisme que vous devez attribuer les calamités auxquelles, dans ces derniers temps, l'Angleterre a été en proie. La cour de Rome n'a pas voulu se servir du bras d'un prince étranger pour châtier des sujets insoumis ; elle a préféré s'en remettre à Dieu, et attendre patiemment le jour heureux auquel nous sommes arrivés. » Quand le cardinal eut cessé de parler, les membres des deux chambres et tous les assistants se mirent à genoux. Polus, au nom du Souverain Pontife, prononça l'absolution de toutes hérésies et schisme en faveur des personnes présentes et de la nation entière ; en même temps, il leva toutes les censures et pénalités portées contre l'Angleterre ; puis, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, il déclara que le royaume d'Angleterre était rentré dans la communion romaine. A la suite de cette réconciliation solennelle, le roi, la reine, le légat, les ministres, tous les membres du parlement se rendirent à la chapelle où l'on chanta un Te Deum d'actions de grâce. Ce fut un grand jour pour l'Angleterre. Quand Jules III apprit à Rome, le succès de la mission de son légat, il ne put s'empêcher de s'écrier : «Mon bonheur est grand de recevoir les remerciements du peuple anglais, quand c'est moi, au contraire, qui lui devrais des actions de grâce pour s'être replacé sous ma loi. »
91. Pendant que s'effectuait cette réconciliation, l'épiscopal anglais offrait un triste spectacle. Sur tous les sièges, des apostats ou des intrus. Citons tout d'abord le chef de cette prélature dégradée, Cranmer, l'indigne successeur de saints prélats sur le siège de Cantorbéry. Après lui, c'est Robert Holgate archevêque, intru d'York, qui pousse le scandale jusqu'à l'infamie. Religieux, prêtre,
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il contracte une alliance sacrilège, et se fait bientôt après poursuivre devant les tribunaux par un étranger dont il a enlevé l'épouse. Il fallut que le gouvernement donnât des arbitres dans cet ignoble débat, qui fut, dit un protestant lui-même, un scandale pour la réformation. C'est Poynet, que la cupidité des grands a fait placer sur le siège de Winchester pour arracher à sa servile complaisance les biens de son évêché ; Poynet, qui enlève publiquement la femme d'un boucher et paraît, peu de temps après, au milieu des révoltés que Wyatt conduit contre sa souveraine. C'est Ridley, qui sous les ordres de Northumberland prêche l'insurrection dans sa cathédrale de Saint-Paul et sur les places publiques de la capitale ; c'est Barlow et Scory, qu'Elisabeth elle-même dédaignera plus tard de remettre en dignité, tant leur nom est devenu méprisable. C'est Coverdale d'Exeter, qui, avec Tyndal, fait une traduction anglaise de la Bible dans laquelle le nouveau testament seul présente plus de deux mille erreurs ou falsifications reconnues. C'est l'opiniâtre Hooper, que le Dr Heylin appelle le premier non conformiste d'Angleterre ; c'est Farrar de Saint-David, homme insatiable et entêté, dit encore Heylin. Accablé sous le poids des accusations dont son clergé le charge, il est, par les ordres de Somerset lui-même, renfermé dans une prison. C'est enfin Jean Bird, de Chester ; Paul Bush, de Bristol ; Goodrick, d'Ely, et tous les autres mercenaires à qui le schisme et l'hérésie ont confié le gouvernement des âmes dans la malheureuse Angleterre. Ce clergé sacrilège, sur lequel les foudres de l'Eglise auraient pu tomber, si justement, fut traité avec une modération que l'on serait presque tenté d'appeler excessive. Les religieux apostats furent appelés à reprendre leurs engagements sacrés et à expier par une vie pénitente de trop lamentables égarements. On autorisa les prêtres infidèles à garder leur épouse, à la condition qu'ils n'exerceraient plus de fonctions sacrées, qu'ils ne prétendraient plus à aucun bénéfice et qu'il serait interdit aux deux conjoints de se remarier après la mort de l'un ou de l’autre. La justice devait avoir ses droits ; la charité ne pouvait taire ses inspirations : la prudence admirable de l'Église sut les réunir dans une sage mesure.
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92. La mansuétude ne devait pas désarmer la justice ; il y avait de grands coupables à frapper. Ici, les protestante, si prompts aux excès et si faciles aux cruautés, se récrient et clament à la persécution, au martyre. Il faut s'entendre d'abord sur ces récriminations. Rohrbacher les a véritablement coulées a fond par quelques remarques presque naïves, mais décisives dans l'espèce. « Persécution et martyr, dit-il, sont deux mots dont il est bon de se rappeler le sens, surtout quand on écrit l'histoire, quand on se pose en témoin, juré et juge des faits et des personnages historiques. Persécution veut dire poursuite injuste et violente : injuste pour le fond, violente pour le mode. Les gendarmes, les officiers de justice qui poursuivent un voleur, un assassin, ne le persécutent pas ; le créancier qui poursuit un débiteur pour le payement d'une dette ne le persécute pas, si ce n'est qu'il excède dans le mode. Ainsi le Sauveur a-t-il dit : Bienheureux ceux qui sont poursuivie à cause de la justice, car le royaume des deux est à eux. Il ne dit pas généralement : Bienheureux ceux qui sont poursuivis ; encore moins : Bienheureux ceux qui sont poursuivis à cause de l'injustice ; mais : Bienheureux ceux qui sont poursuivis à cause de la justice, de la justice véritable qu'ils pratiquent. Saint-Pierre, le premier Pape, dit en conséquence dans sa première encyclique à tous les fidèles de l'univers : Que personne d'entre nous n'ait à souffrir comme homicide, ou voleur ou malfaiteur, ou convoitant le bien d'autrui. Si c'est comme Chrétien, qu'il n'en rougisse pas; mais qu’il glorifie Dieu en ce nom. Ainsi un Chrétien même, s'il est poursuivi pour le mal, n'est pas persécuté, mais seulement s'il est poursuivi pour le bien. C'est dans ce dernier cas seulement qu'il est appelé bienheureux par le Sauveur. Martyr veut dire témoin. Jésus-Christ est le témoin ou martyr par excellence : il est venu du ciel sur la terre pour rendre témoignage à la vérité et la faire connaître. II a établi son Église, Pierre et les apôtres, le Pape et les évêques, pour être ses martyrs, ses témoins, pour prêcher la vérité, et lui rendre témoignage jusqu'aux extrémités de la terre, jusqu'à la fin du monde. Ceux qui meurent pour ce témoignage, voila les vrais martyrs. Aussi le principal martyr de l'Afrique, saint Cyprien, dit-il :
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Ce n'est pas la peine, mais la cause, qui fait les martyrs ; hors de l'Église, on peut être tué, on ne saurait être couronné. En effet, voyez les Juifs. A la vérité divine, attestée par Jésus-Christ à son Eglise, ils préfèrent leurs pensées humaines ; ils meurent pour ces pensées sous les débris fumants de Jérusalem et du temple : au lieu de martyrs, on les appelle pécheurs impénitents, aveugles volontaires, coupables endurcis, comme les démons. Et de vrai, les démons sont les premiers hérétiques, les premiers apostats, les premiers qui à la vérité, manifestée de Dieu par son Verbe et sa milice fidèle, ont préféré leurs propres pensées. Aussi leur punition, leurs flammes, leur enfer ne s'appelle-t-il pas un martyre : ce n'est que le supplice infamant et éternel de la première hérésie, de la première apostasie1.» — Marie, pendant la durée de son règne, laissa la justice suivre son cours et la justice envoya, au bûcher, Rogers, Hooper, Taylor, Sanders, Ferrar, Ridley, Latimer, plus cent ou deux cents autres sectaires. En recourant à ces exécutions, elle agit, non comme catholique, mais comme souveraine. Le Pape n'avait même pas fait allusion à ce moyen brutal d'étouffer la révolte hérétique ; Polus aurait incliné à l'indulgence et le confesseur du roi, Alphonse de Castro, blâma ces rigueurs. L'Angleterre faisait alors contre les hérétiques indigènes, ce qu'elle fait aujourd'hui contre les fénians, pour se défendre contre les attaques souterraines, ici de la révolution, là du protestantisme. Si les circonstances n'excusent pas complètement, elles expliquent du moins, l'exagération de ces sévérités. Insultée dans son honneur par des écrits anonymes, insultée dans sa religion, qu'elle avait gardée si fidèlement dans sa jeunesse, exposée plusieurs fois à se voir enlever la couronne, menacée enfin dans sa vie, elle crut pouvoir recourir aux lois et à la répression, pour faire rentrer dans l'ordre des sujets rebelles. Qui ne comprend qu'en présence d'une conspiration permanente, prônée par des hommes violents, Marie eut cédé à la tentation bien naturelle de se défendre avec une fermeté terrible. On était sous l'empire de la
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1 Hist. univ. de l'Eglise catholique, t. XI, p. 418 de l'édition Vives.
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législation anglaise, implacable envers les traîtres : ont était en présence des leçons et des exemples des chefs de la réforme, qui tous, enseignent et pratiquent la répression par le fer et le feu ; en présence de sectaires enfermés dans la Tour sous l'accusation prouvée d'une double conspiration ; à la vue de pamphlets incendiaires, d'appels à la révolte, d'attaques multipliées contre le monstrueux gouvernement des femmes. Marie se défendit comme elle avait été attaquée ; elle se conforma aux pratiques de tous les sages de son temps.
93. Le plus célèbre de ces suppliciés fut Cranmer. C'est lui qui avait fourni à Henri VIII les moyens de se passer du Pape pour ré-pudier Catherine d'Aragon ; c'est lui qui, pendant les deux règnes précédents, avait perpétré ou amnistié tous les forfaits de la réforme anglicane ; depuis il s'était fait conspirateur contre la reine et insulteur public du christianisme. Jeté dans les prisons de la tour au début du règne de Marie, il avait été plus lard, transféré à Oxford, pour prendre part aux controverses publiques ; depuis dix-huit mois il végétait en prison, quand, le 12 septembre 1555, il fut cité devant l'évêque de Glocester, jugé, condamné au feu et exécuté. Par crainte des tourments et amour de la vie, avant d'aller au supplice, il avait abjuré sept fois ses erreurs ; quand il vit que ces lâchetés ne lui servaient de rien, il se rétracta et brûla, dit-on, d'abord la main qui avait signé ces palinodies. Les protestants, à défaut d'autres, ont voulu en faire un martyr. Son nom figure avec honneur dans les martyrologes de Fox et de Strype, où les anglicans ont réuni, avec les soi-disant victimes de Marie la sanglante, — c'est ainsi qu'ils l'appellent : — 1° les anabaptistes, ariens et autres exécutés sous Cranmer, 2° les coupables d'insurrection et de félonie, 3° les idiots et les fous, 4e les coupables de droit commun. Cranmer est là bien à sa place, comme coupable de tous ces crimes réunis. Quoi ! on s'apitoierait sur ce Cranmer, qui, étudiant à Cambridge viole les règlements de l'université et épouse une servante d'auberge ; sur ce Cranmer qui, recrutant en Allemagne des adhésions au divorce, se marie, étant prêtre, avec une nièce d'Oriandre; ce sacrilège parjure qui dissimule, au Pape et au roi, ces deux
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alliances sacrilèges ; puis, quand Henri l'appelle au siège de la métropole, accepte tout en protestant au sacre contre son serment public d'obéissance au Saint-Siège ; ce prélat qui prononce le divorce avec Catherine après avoir assisté au mariage avec Anne de Boulen ; ce lâche complaisant qui, trois ans plus tard, déclare ce mariage nul et de nul effet ; qui, le lendemain du supplice d'Anne, unit Henri avec Jeanne Seymour, puis avec Anne de Clèves, déclarant qu'il ne trouve aucun empêchement à ce mariage qu'il dissoudra cinq mois après, pour satisfaire un nouveau caprice du roi. Toutes les hontes s'accumulent sur la tête de Cranmer. Souscrire les six articles du statut de sang, quand il n'y croit pas et persécuter des malheureux comme lui hérétiques ; souscrire aux bills qu'impose le célibat après l'avoir deux fois violé ; dire, pour François Ier, une messe à laquelle il ne croit pas : Cranmer ne recule devant aucune lâcheté. Sous Edouard, il est le complice de tous en pillage et dans le bûcher pour Jeanne de Kent. Cet homme qui mit à son nouveau symbole, un titre menteur et s'excuse par un mensonge ; ce conspirateur qui signe le testament d'Edouard pour frustrer ses deux sœurs ; qui encourage la révolte, contre sa souveraine, pour céder à l'usurpation et qui, pour justifier sa trahison, argue de l'impossibilité : cet homme ne méritait qu'un monument, et ce monument ne pouvait être que celui qu'on lui érigea, par la main du bourreau.
94. Marie mourut en 1558. Si quelqu'un peut être excusé d'avoir trahi l'anglicanisme, c'est sans doute cette princesse. « Elle le considérait, dit Southey, comme tirant son origine dans le royaume des outrages faits à sa mère, et, après avoir aggravé encore ces outrages, comme ayant mis le roi en état de couronner un divorce injuste et cruel. La réformation l'avait exposée elle-même à des dangers sous le règne de son père, à des vexations, à des contraintes sous le règne de son frère. Puis quand elle a été déclarée bâtarde par cette même réformation, au moment où elle a de nouveau recouvré ses droits et doit paisiblement monter sur son trône, on organise une tentative pour l'empêcher de prendre possession de son héritage, parce qu'elle continue de professer la foi catholique ro-
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maine1. » En suivant celle parole de justice et de réparation que la force de la vérité arrache à une plume hérétique, on pourrait dire que le règne de Marie a donné, dans l'incontestable modération de ses commencements et dans les sévérités, peut-être excessives de ses dernières années, une représentation exacte du caractère de cette reine et des dispositions analogues, mais en sens contraire, des hommes qui s'étaient faits les ennemis de sa personne, parce qu'ils l'étaient de ses croyances. Etrangers pour la plupart ou flétris aux yeux de la multitude pour leurs vices et leurs bassesses, ces hommes seraient tombés sous le mépris, s'ils n'avaient eu l'art de rallier tous les égoïsmes au drapeau de l'hérésie: Que si leur déloyale hétérodoxie sut se concilier l'appui des passions, elle ne fera pas fléchir la justice de l'histoire : Cette princesse, que l'hérésie a poursuivie dans sa vie et dans sa mort, défie ses accusations. « Sans parler, dit l'abbé Destombes, des connaissances variées qu’elle avait acquises par de longues et fortes études, de son admirable soumission envers son père, Henri VIII, la reine Marie repré-entait son pays comme une des princesses les plus accomplies de son temps. » Elle eut fait le bonheur du peuple anglais, si ce peuple n'avait été jeté par l'hérésie hors des voies de la vérité et de la justice. « Jamais, dit Camden lui-même, l'annaliste officiel et le protégé de la reine Elisabeth, jamais la princesse Marie ne sera suffisamment louée de tous les hommes pour sa conduite pieuse et pleine de religion, pour sa commisération envers les pauvres, sa munificence et sa libéralité envers la noblesse et le clergé.» A ses yeux, continue le protestant Collier, c'est la religion qui l'emportait dans la balance, les affaires temporelles lui étaient subordonnées et elle mettait sa conscience au-dessus de sa couronne. La fermeté comme la modération ne lui firent presque jamais défaut. Elle sut comprendre les besoins de la nation et travailler à les satisfaire par les actes mêmes qu'un esprit de parti a malicieusement incriminés, et, à part la restriction de Godwin, qui devient elle-même un nouvel éloge, l'histoire impartiale dira toujours avec cet évêque anglican
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' I)' SoLiiinr, Livre de l'k'gtim, l. II, f. 147.
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« qu'assurément Marie était une princesse pieuse, clémente par nature, de mœurs irréprochables, et, si l'on excepte sa religion, digne de louanges sous tous rapports1. » A ces témoignages protestants cités par Destombes, j'ajoute le témoignage non moins précieux de Cobbett : « Scrupuleusement fidèle à sa parole, sincère dans ses relations, patiente et résignée dans les contrariétés et l'adversité, généreuse et magnifique dans la prospérité, reconnaissante envers tous ceux qui l'obligeaient, elle léguait à sa sœur Elisabeth, avec le trône, un admirable exemple de pureté d'action, d'intentions et de paroles, que celle-ci se garda bien d'imiter2. »