Darras tome 35 p. 191
102. Lorsqu'un historien veut faire apprécier, à son lecteur, le côté délicat ou tragique des faits qu'il raconte, il dit volontiers : Je marche sur des charbons ardents : Incedo per ignes. Pour moi, en racontant cette horrible persécution d'Elisabeth, je pourrais dire : Incedo per sanguinem: je traverse une mer de sang, une mer de sang humain, une mer du sang le plus pur de la Grande-Bretagne. Cette série d'assassinats juridiques réveillent sans effort et sans artifice les plus pieuses sympathies, mais les enseignements surpassent l'indignation. Ces entrailles arrachées, ces cœurs jetés aux flammes, ces membres séparés par la hache, ces têtes qui
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tombent, c'est l'aristocratie intellectuelle et morale de l'Angleterre qui les offre à Dieu et qui les sacrifie pour la confession de la Papauté. Le bourreau est une femme, une reine, une prostituée et une scélérate. L'amas de têtes coupées sur son ordre, ce sont les trophées du libre examen, ce sont les monuments d'un prosélytisme qui se vante de faire appel aux libres convictions, mais qui, pour propager la religion nouvelle, ne sait qu'égorger et égorge avec une espèce de rage. Rien ne peut assouvir Elisabeth : ceux qui appellent Marie la sanglante, parce qu'elle envoya au supplice des hommes qui, sous tous les régimes, auraient mérité la corde, quel nom donneront-ils à sa sœur, à cette hyène, à cette tigresse, qui se baigne dans le sang et qui paraît moins vouloir s'en repaître qu'en teindre son diadème. Cette persécution a créé un nouveau martyrologe. Guillaume Lacy avait cru pouvoir suivre les assemblées protestantes ; il s'en éloigne, on le met à l'amende ; il passe le détroit pour recevoir la prêtrise et revient prêcher. On le prend, on le pend. Richard Kirkeman portait avec un compagnon, les consolations de son ministère; on le prend, on le pend. Jacques Thomson est emprisonné et condamné parce qu'il ne reconnaît pas la suprématie religieuse de la reine. A la vue de la claie qui doit le conduire au supplice, il ne peut contenir sa joie: « — Jamais, dit-il, je n'ai été si heureux. » Thomson est pendu. Guillaume Hart était un intrépide soldat du Christ; il avait, comme Campian, longtemps bravé les limiers d'Elisabeth ; il est pris en 1382, en même temps que Thomson, Kirkeman et Lacy. « —Pour quelles raisons, lui demandent les juges, avez-vous quitté votre pays ? » « — Pour aucune, répond le confesseur, si ce n'est afin d'acquérir la science et la sainteté. J'ai reçu les saints ordres, parce qu'il me semblait que Dieu m'y appelait, et afin que, renonçant entièrement au monde, je fusse plus libre de servir le Divin Maitre. «— A quoi avez-vous employé votre temps depuis votre retour?» «— A instruir les ignorants et à administrer les sacrements pour le plus grand bien spirituel de nos compatriotes. » « — Vous vous êtes rendu coupable de trahison. » «—Ma sortie d'Angleterre ne peut être une trahison, puisque je n'ai eu d'autre intention que celle de me former à la
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science
et à la sainteté. Quant à mon obéissance au Pape dans les choses spirituelles,
elle n'a rien d'incompatible avec l'obéissance qui est due à la reine. » On le
condamne à mort : « Le Seigneur m'a donné la vie, le Seigneur me l'a ôtée : que
le nom du Seigneur soit béni. » Hart, avant d'aller à l'échafaud, écrivit à sa
mère une lettre qui est un chef-d'œuvre. Sur l'échafaud, deux ministres anglicans
vinrent le harceler ; il protesta de son innocence et pria ces misérables de le
laisser en paix. — Un vieux
prêtre, Thirkill, arrêté au moment où il allait, de nuit, visiter des
catholiques, confessa ingénuement qui il était. Dans la prison, il s'estimait trop heureux d'être séparé du
monde et tout à Jésus-Christ. Devant le tribunal, il fut condamné pour avoir conféré les sacrements. Le
lendemain, on prit toutes les
précautions imaginables pour empêcher le peuple d'assister à son exécution.
Avant la fin de cette année 1583, Jean Slades et Jean Body, expirent encore
dans les villes de Winchester et d'Andover, tous meurent en confessant la principauté
du prince des Apôtres. « Si la haine des sectaires, dit l'abbé Destombes,
semblait croître avec leurs violences, le zèle des catholiques se développait
aussi de plus en plus devant l'acharnement dont ils étaient l'objet. On n'entendait parler de toutes parts
que de témoignages d'attachement et de dévouement donnés à la vieille religion
catholique. Au milieu des familles et au fond des prisons, dans le cœur des
enfants, des vieillards et des mères, comme dans celui des missionnaires,
éclatait un courage vraiment héroïque. Pour rester fidèles à la foi de leurs
ancêtres, des jeunes hommes se soumettaient à toutes sortes de fatigues et de
privations, et des personnes délicates suivaient leurs parents dans des lieux
inaccessibles, où ils cherchaient un abri contre la persécution. C'étaient
chaque jour des faits dignes des plus beaux siècles de l'Église. On apprenait
qu'une noble veuve, dépouillée par trois sentences successives et, en peu de temps, des deux tiers de
ses biens, en rendait chaque fois grâce à Dieu, comme d'autant de témoignages
de sa bonté. Une autre dame exprimait le regret que les sommes qu'on lui
enlevait ne fussent pas plus considérables,
afin de pouvoir offrir à Dieu un sacrifice plus pénible à la
nature,
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On rapportait encore qu'un gentilhomme, entendant prononcer la sentence qui confisquait tous ses biens, s'était écrié en présence du tribunal : « Périssent ces biens, qui auraient peut-être perdu leur maître, si eux-mêmes n'avaient point péri. » L'hérésie, au milieu de ses excès, était contrainte de s'avouer à elle-même que s'il était en son pouvoir d'arracher à ses victimes des larmes et du sang, jamais elle ne leur ravirait les saintes joies de la persécution pour la cause de Dieu (1).
103. Pendant que ses disciples moissonnaient les lauriers du martyre, Allen était obligé de se défendre. Elisabeth ne se contentait pas d'égorger, elle voulait encore déshonorer ses victimes ; et par ses actes publics ainsi que par les rapports de ses ambassadeurs, elle essayait d'alléguer, pour elle, le cas de légitime défense. A ces mensonges descendus du trône, Allen répondit par l'Apologie des séminaires anglais. Dans cet écrit, le controversiste expose son point de départ, son objet, ses moyens, son but. Son point de départ, c'est de recueillir ces jeunes Anglais qui passent la Manche, de leur offrir un cours régulier d'études, des conférences publiques, une méthode exacte qui obvie aux inconvénients d'études arbitraires et sans règle. Son objet, c'est de consacrer le temps de cette jeunesse aux lettres, à la philosophie, à la théologie, à l'éducation de la conscience et au noviciat du sacerdoce. Le moyen qu'il a cru devoir adopter, c'est la constitution de séminaires dont la discipline s'adapte heureusement aux exigences de l'éducation et de l'instruction cléricales. Son but, c'est de donner, à ces jeunes gens, les connaissances nécessaires pour soutenir les controverses soulevées par l'hérésie; c'est d'entretenir dans leurs âmes, le feu du zèle sacerdotal, en un temps où ils n'ont à espérer que la persécution et les supplices. Dans ces conditions, ils ne peuvent qu'intercéder en faveur de l'Angleterre et, s'ils affrontent la rigueur de ses lois, c'est uniquement pour conserver, dans les âmes, la lumière et la grâce de Dieu. Et tout cela, ils l'ont fait simplement par l'autorité inhérente au sacerdoce, d'une
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(1) La persécution religieuse sous Elisabeth, p. 325. L'auteur, supérieur de-l'Institution Saint-Jean, à Douai, a puisé à la source même, toute l'histoire de ces admirables confesseurs et martyrs de la foi.
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manière silencieuse, sans excès, sans agitations, sans bruits. A l'exemple des Apôtres, on les a vus dans les voyages, dans les veilles, dans les jeûnes et au milieu de toutes sortes de périls: périls au port, périls sur mer, périls sur terre, périls parmi les ennemis déclarés, périls parmi les frères, dans la crainte des lois, dans la crainte de nuire aux âmes, dans la crainte de scandaliser les faibles, dans les mépris, les disgrâces, la pauvreté, la captivité, les chaînes, le cachot, les tortures, et la mort (1). Tandis qu'Allen maniait la plume de la controverse, Persons venait en France, pour, avec l'éloquence du sang répandu, fortifier les âmes et décupler les courages. D'autre part, il envoyait en Ecosse, à la noblesse et au roi Jacques VI, William Waytes, pour implorer ou au moins proposer une intervention en faveur des catholiques anglais. Le roi était trop faible de cœur et d'esprit pour comprendre la grandeur d'un pareil rôle ; il était de ces âmes basses, pour qui l'intérêt est une boussole et qui ne voient guère d'autres intérêts que l'exaltation de leur personne. Les nobles se montrèrent plus généreux ; ils promirent, aux jésuites qui se réfugieraient en Ecosse, un abri sûr. On crut avancer les affaires de l’Église en proposant le mariage de Jacques VI avec une infante d'Espagne; Elisabeth sut traverser ce dessein.
104. Ces incidents amenèrent de nouvelles controverses. En 1568, le docteur Grégoire Alartyn avait publié un traité du schisme. Dans cet écrit, l'auteur voulait détourner les catholiques anglais de toute participation aux pratiques du schisme ; et pour en prêcher le devoir moral, il citait les exemples bibliques de Tobie, d'Éléazar, de Judith et de plusieurs autres. Pendant dix-sept ans, les dévots d'Elisabeth n'avaient vu là qu'une thèse de théologie morale ; en 1585, ils s'imaginèrent découvrir un procès de conspiration devant aboutir à l'assassinat d'Elisabeth. Pour le prouver, ils envoyèrent l'imprimeur à la potence. Lingard, qui a lu attentivement ce livre, dit n'y avoir rien trouvé qui motive les ombrages des ministres d'Elisabeth. Ces ministres sentaient bien, du reste, où le bât les blessait. La voix faible et souvent étouffée de tant de victimes trouvait
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(1) Dodd's, Church's history, t. II, p. ISO.
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encore assez d'écho chez les nations chrétiennes pour importuner les bourreaux, et leur inspirer, sinon le remords, du moins la honte. Pour se défendre devant les nations chrétiennes, l'instigateur de tous ces meurtres abominables, Cécil prit la plume, et de la main qui avait versé des flots de sang, il écrivit la Justitia Britannica. Ce livre, à peine publié, fut traduit dans toutes les langues et répandu dans toutes les contrées. Ce n'était qu'un solennel mensonge. Cécil prétendait qu'il n'avait fait qu'appliquer les lois ; la vérité est qu'il n'avait édicté ces lois que pour perpétrer des crimes. Elisabeth, sûre du silence de ses victimes, crut que ses calomnies obtiendraient les mêmes succès que ses tyrannies : elle se trompait. Il y a, dans les gouvernements, un degré de scélératesse, que ne peut couvrir aucune justification, que ne peut amnistier aucune indulgence. Le confident de tant de douleurs, le consolateur de tant d'infortunes, le père de tant d'exilés, de prisonniers et de martyrs, Allen reprit la plume. D'une main courageuse, il dissipa, déchira tous les artifices, toutes les allégations mensongères de Cécil. Le meurtrier osait dire qu'on n'avait tourmenté personne, si ce n'est pour le fait de trahison ; que la pratique de la religion catholique n'avait rencontré aucun obstacle. Allen demande si ce n'est pas entraver la pratique religieuse que de rechercher « où, dans quelles maisons, quels jours et à quels temps nous dirons ou entendrons la messe, combien de personnes nous avons réconciliées, ce que nous avons entendu en confession, quels sont ceux qui assistent à nos sermons, ceux qui entretiennent des catholiques ou des prêtres, dans quels lieux on pourrait trouver tels prêtres ou tels jésuites, où sont imprimés les livres catholiques, etc. » A la négation des supplices, il oppose les aiguilles enfoncées sous les ongles de Brian, le chevalet appliqué à Campian et à Sherwine, les accusations élevées contre Sherwood, la faim et l'insalubrité du cachot de Hart, les menaces faites à Osburne ; il évoque toutes ces têtes coupées en haine de l'orthodoxie et pour faire triompher le schisme. « Biens, honneurs, liberté, combien de catholiques n'ont point tout perdu ? Et pour quels motifs ? Parce qu'ils ont reçu des prêtres catholiques dans leur maison, parce qu'ils ont assisté
à la messe, parce qu'ils ont retenu des
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précepteurs catholiques pour leurs enfants ou qu'ils gardent à leur service des personnes attachées à la religion catholique. Déjà condamnés à payer une amende de vingt livres par mois, les catholiques ont encore la douleur de voir leurs bien-aimés enfants arrachés par la force et conduits aux écoles protestantes. Que de prêtres à qui les hérétiques ont fait brûler ou couper les oreilles ! Combien d'autres qu'ils ont traînés dans les rues avec leurs habits sacerdotaux pour les livrer aux outrages de la populace ! Combien de vierges consacrées à Dieu ont été exposées à des traitements plus pénibles
que les plus cruels supplices ! Ils ont laissé languir et mourir dans les cachots infects trente ministres prélats, près de quarante personnages distingués par leur position et leur savoir, et un grand nombre de nobles, de gentilshommes et de dames : martyrs aussi glorieux devant Dieu que s'ils avaient péri de mort violente! Tous les cachots, toutes les prisons malsaines de l'Angleterre, sont remplies de nos prêtres et de nos frères, pendant que tous les pays et tous les princes de la chrétienté sont témoins de notre bannissement (1). »
104bis. Cette réfutation triomphante ne put qu'exaspérer les bourreaux. Le 12 février, Georges Haddock, Jacques Feun, Thomas Hemesford, Jean Nutter et Jean Mundon furent envoyés à la potence. Tous les cinq étaient prêtres ; la plupart avait étudié à Oxford et fait quelque temps profession d'hérésie; puis ils s'étaient convertis ; avaient étudié en France ou à Rome et étaient revenus missionnaires; successivement pris et enfermés dans les prisons, ils avaient été exténués par les privations, les tortures et les maladies; l'un d'eux avait été soumis à l'exposition publique, puis livré à toutes les injures de la populace ; tous avaient été fatigués par les questions insidieuses des juges instructeurs et par les frivoles controverses des ministres anglicans. Le prétexte allégué pour leur condamnation, c'était toujours ce fameux complot ourdi à Rome et à Reims, complot dont il n'y a pas trace même dans les archives
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(1) J'emprunte cette citation décisive à l'excellent ouvrage de M. Destombes, vicaire général de Cambrai.
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des tribunaux anglais. Le motif réel, c'était le refus de reconnaître la suprématie religieuse de la reine et la mort était le martyre, ou, comme parle l'Église, la naissance au ciel, Natalitium. Sur le chef de trahison, après avoir pris Dieu à témoin de la vérité de sa parole, Feun parla ainsi : « On m'accuse d'avoir conspiré à Rome, et je ne suis jamais allé à Rome ni en Italie; on m'accuse d'avoir conspiré avec Georges Haddock, et jamais je n'ai rencontré ce missionnaire, si ce n'est en ce moment ou nous sommes conduits ensemble à la barre ; on a fixé l'époque où aurait été formée à Rome cette conspiration, et à cette époque, j'étais en Angleterre et déjà en prison. Au reste, je n'ai jamais eu la moindre pensée de trahison contre la reine, et je ne voudrais pas, pour tout le royaume d'Angleterre, alors même que je pourrais espérer l'impunité, lui faire le moindre mal. » Le juge se contenta de dire qu'il pouvait exister erreur sur le temps, le lieu et les circonstances et les condamna. De retour en prison, Feun se prit à prêcher les malfaiteurs ; en allant à l'échafaud il bénit sa fille en pleurs, une des deux enfants qu'il avait, après la mort de son épouse, confiée à une famille catholique. Haddock mourut le premier; puis Feun ; puis Hemesford et Nutter, enfin Munden. Tous furent attachés à la potence, puis éventrés, coupés en morceaux, décapités et exposés. — Un dernier martyr paraît encore à la fin de cette sanglante tragédie : c'est Jacques Bell. Prêtre sous Marie Tudor, il avait apostasié, puis était venu à résipiscence. Au juge qui le condamnait à mort, il demanda d'ajouter que ses lèvres et les extrémités de ses doigts seraient coupées pour avoir prêté le serment et transcrit les articles hérétiques, contrairement à sa conscience et à la vérité de Dieu.
105. A ces martyrs dont le sang coule, s'ajoutent d'autres victimes, beaucoup plus nombreuses, qui expirent lentement dans les cachots. Les arrestations étaient si multipliées, qu'il fallait construire partout de nouvelles prisons. Sous prétexte de chercher les missionnaires, on vit au comté de Lancastre, en une seule nuit, cinquante maisons de gentilshommes envahies par des espions et des soldats. Les agents se retiraient rarement sans arrêter quelqu'un. Les personnes mises en état d'arrestation, étaient traînées
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au prêche malgré leur résistance; d'autres, après y avoir été traînées dans ces conditions, étaient traduites au tribunal pour avoir troublé l'office. Au nombre de ces derniers fut un ancien étudiant de Cambridge, Richard White, mis à mort en 1585. Au commencement de l'année suivante; il y eut, dans les persécutions, un certain relâche. L'assassinat juridique fut remplacé par la proscription. Dès le 15 janvier furent expulsés d'Angleterre, au nom du libre examen, Gasper Haywood, Jacques Bosgrave, Jean Hart, Edouard Rishton, Jean Colleton, Arthur Pitts, Samuel Conyôre, Guillaume Geddor, Guillaume Warmington, Richard Slack, Guillaume Harley, Robert Rutter, Guillaume Déan, Guillaume Bishop, Thomas Worthington, Richard Norris, Thomas Stevenson, Christophe Thomson, Jean Barns, Guillaume Smither, Orton. On les tira de prison et on les embarqua sur la Tamise, sans raison, sans crime, sans condamnation, ni jugement, simplement par un coup de force. Tous protestèrent qu'ils préféraient le martyre à l'exil, qu'ils n'abandonneraient jamais leur foi, ni leur patrie. Plusieurs demandèrent à voir au moins le décret de la reine, qui les frappait sans les entendre. Pour Elisabeth, comme pour Raoul Rigault, être prêtre catholique, c'était le crime. On jeta ces prêtres, dépouillés de tout, sur les côtes de France, pendant que le favori d'Elisabeth Leiscester, débarquait six mille hommes sur les côtes des Pays-Bas.
106. Elisabeth poursuivait donc le dessein d'anéantir le catholicisme en Angleterre et sur le continent. Désormais elle s'arrogeait une sorte de papauté protestante, soutenant partout la cause de l'hérésie et affectait de la soutenir en se couvrant des dehors d'une menteuse légalité. A propos des conspirations vraies ou prétendues, d'Arden et de Throckmorton, elle afficha une grande crainte et, soi-disant pour défendre sa vie, elle édicta cette loi, qu'on croirait libellée par l'enfer même : 1° Tout jésuite et prêtre qui seront trouvés en Angleterre après quarante jours, seront déclarés coupables de haute trahison ; 2° Toute personne qui leur aura prêté aide sera poursuivie comme coupable de félonie ; 3° Toute personne qui, connaissant leur présence, ne l'aura pas dénoncée, sera mise à l'amende ou en prison, selon le bon plaisir de la reine ; 4° Les étu-
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diants laïques des séminaires catholiques, qui ne rentreront pas immédiatement, seront exécutés comme traîtres ; 5° Les personnes qui enverront de l'argent à ces séminaires, seront soumises aux peines du Prœmunire ; 6° Les parents qui enverront sans permission, leurs enfants au dehors, seront condamnés à une amende de cent livres ; 7° Les personnes, qui se soumettront à cet acte, en perdront néanmoins le bénéfice, si, dans l'espace de dix ans, ils s'écartent de trois lieues sans permission de la reine. En présence de cette loi scélérate, les catholiques présentèrent à la reine, une humble supplique ; ils protestèrent de leur loyauté et dévouement (1). Pour toute réponse, la reine fit mettre en prison, où elle le laissa mourir, celui qui lui avait présenté cette adresse. Les premiers qui furent atteints par la nouvelle loi furent le prêtre Hugues Taylor, qui subit l'horrible supplice des traîtres, et lord Bowes qui, pour lui avoir prêté secours, fut attaché à la potence, ayant encore aux pieds ses bottes à l'écuyère. Gécil, dans sa Justitia Britannica, avait fait l'apologie des bourreaux ; Allen lui avait victorieusement répondu. Dans l'impossibilité de frapper Allen, deux catholiques, propagateurs de son écrit, Thomas Alfield et Thomas Webley, furent frappés à mort. Cette même année vit encore expirer dans les prisons, Thomas Crowther, Edouard Poole, Laurent Vaux, Jean Tetter, tous prêtres et ce vénérable abbé de Westminster, Peckenham, incarcéré depuis vingt-cinq ans, pour avoir défendu l'Église. De quelque côté que les yeux se tournent, ils ne rencontrent que potences ou cachots ; ils ne voient que des victimes souffrant ou mourant pour la cause de Dieu(2).
107. A cette date les puritains s'insurgent pour la première fois contre la royauté anglaise ; la reine n'y prend pas garde ; ils couperont la tête à son second successeur. Pour le moment, elle n'a souci que de défendre sa couronne, et, dans la réalité, ce qu'elle veut, c'est noyer dans le sang le catholicisme romain. Sur toute la surface de l'Angleterre, il n'y a pas de vexations qui ne soient prodiguées aux catholiques ; les chrétiens fidèles au Saint-Siège, sont
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(1) Cambdex. Annales Elisabeth, p. 432.
(2) Chaloxner. Mémoire of missionary priests, 1.1, p. 172.
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traités en esclaves, en ilotes, en misérables que ne protège plus aucune loi divine et humaine. Depuis que l'Evangile éclaire le monde, il n'y a pas d'exemple d'une pareille cruauté : Elisabeth succède, en histoire, à Néron et à tous les monstres sanguinaires, avachis sous la pourpre des Césars. En 1586, Transham et Whéler à Tyburn ; quatre autres missionnaires près de l'île de "Wight ; à York, les prêtres Ingolby, Finglow, Sandys, Lowe, Adams, Dibdale et deux gentilshommes, sont lâchement égorgés. Une femme même, Marguerite Clitheroé, épouse d'un riche habitant de York, ouvrit la série des femmes qu'Elisabeth devait envoyer à l'échafaud. Pour répondre aux intentions des juges, les bourreaux l'écrasèrent sous une porte : Marguerite mourut en femme héroïque. Après Marguerite, Thomas Pilchard fut exécuté pour avoir réconcilié avec l'Église catholique, des sujets de la reine ; Sykes et Sulton, pour avoir exercé en Angleterre les fonctions sacerdotales. Une autre victime suivit de près, c'était Steven Rousham, ministre anglican converti : Walsingham s'étudia à la tourmenter avant de la faire mourir. Enfin après Jean Hambley, disciple d'Allen et Georges Douglas, prêtre écossais, mis à mort à York, paraît la dernière victime de cette année sanglante, Alexandre Grow. L'année 1587, qui suivit, ressembla, pour la férocité antichrétienne, à 1586. Le 24 juillet, trois prêtres étaient condamnes à mort, Nicolas Garlick, Robert Ludion et Richard Sympson. Au mois d'août, vingt-sept victimes, seize prêtres et onze laïques. Jamais l'enfer n'avait mis en œuvre, avec plus de fureur, tous les ressorts de sa malice ; on procède par masses. Au milieu de ces glorieux morts, il y en eut une qui s'échappa au prix d'une faiblesse; un prêtre catholique, Richard Watson, avait cédé aux tourments ; il promit d'aller au prêche, mais dès qu'il y fut, l'esprit de Dieu se saisit de lui et il se mit à lancer l'anathème contre l'anglicanisme. Il fut bientôt rejetté en prison, d'où il s'échappa, grâce au concours de Marguerite Ward; cette femme courageuse, pour avoir délivré un innocent agneau, de la dent des loups sanguinaires, fut exécutée le 30 août 1588. Peu après, sont pendus et mis en quartiers : à Kington, Guillaume Way; à Cantorbery, Robert Wilcox, Edouard
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p202 PONTIFICAT DE SAINT PIE V (1566-1572).
Campian et Christophe Buxton, tous prêtres catholiques. A côté d'eux, Robert Widmerpool, autrefois tuteur du comte de Northum-berland, condamné à mort pour avoir introduit un prêtre dans la maison de la veuve de son pupille, mourut martyr de la vérité et de la foi, dans ces mêmes lieux ou saint Thomas de Cantorhery avait répandu son sang pour sa gloire. Le même jour, expirent à Chichester, Raphaël Crockett et Edouard James ; leurs membres sont ensuite attachés aux portes de la ville. Dans les premiers jours d'octobre, tombe sous la hache du bourreau, Jean Robinson, homme simple et droit, qui ne recherchait en toutes choses, que le salut des âmes et la gloire de Dieu. Quatre jours plus tard, Guillaume Hartley meurt à Londres, sous les yeux de sa mère heureuse d'avoir pour fils un martyr. Jean Watson à Londres; deux autres prêtres à Holloway et à York ; à Londres encore un maître d'école qui refuse de reconnaître la suprématie spirituelle de la reine ; trois dernières victimes enfin, Hewet et Burden prêtres, et Guillaume Lampley laïque, complètent le nombre effrayant de trente-deux martyrs mis à mort dans une seule année. — Le 16 mars 1589, deux nouveaux disciples d'Allen, Amyas et Dalby, subissent le supplice des traîtres aux portes d'York. George Nicole et Richard Yaxley leur succèdent sous la hache ; Jean Yaxley les accompagne ; la veuve chez laquelle ils ont été pris, regrette de ne pas mourir avec eux ; un gentilhomme, Thomas Belson, est associé à leur sacrifice. Un autre laïque, conduit à l'échafaud, s'écrie : « Je vous prends à témoins, en présence de Dieu et des anges, que je suis catholique, que je suis condamné à mort pour la foi catholique et que je meurs volontiers pour la foi catholique. » Comme si la hache ne suffisait pas au fanatisme sanguinaire d'Elisabeth, dans les différents comtés du royaume, sont établies des commissions de vingt-six personnes, sorte de comité de salut public chargé de traquer les fidèles enfants de la sainte Église. Un réseau d'espionnage enveloppe la pauvre Angleterre; la hache fonctionne partout à la fois au nom du libre examen ; on tue partout pour la plus grande gloire des trente-neuf articles. (1)
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(1) Chaloxner. Mémoirs of missionar priest, deuxième partie, p. 11.