Charlemagne 4

Darras tome 17 p. 449


   3. « Les deux légats en arrivant à Pérouse reçurent avis que Didier, au mépris de tous ses serments, venait d'envahir la cité de Faenza, le duché de Ferrare et le castrum de Comacchio du duché de Ravenne, toutes possessions offertes et concédées au bienheu­reux Pierre par le prince de sainte mémoire Pépin et ses fils Charles et Carloman, rois des Francs et patrices des Romains. Deux mois ne s'étaient pas écoulés depuis l'avènement du très-saint pontife, et déjà le roi lombard avait consommé cette usurpa­tion. Son armée resserrait alors la ville de Ravenne, tenait toute la campagne, emportait d'assaut les forteresses, pillait les villages, traînant en captivité des familles entières. Léon archevêque de Ravenne avec tous les habitants de ce pays étaient au désespoir. La famine d'un côté, le glaive de l'autre, les menaçaient. Ils firent partir pour Rome les tribuns Julien, Pierre et Vitalien, qui sup­plièrent avec larmes le très-saint pontife de venir à leur aide par tous les moyens en son pouvoir, l'assurant que s'il n'obtenait le désistement de Didier, tout un peuple allait périr. Le sacellaire
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Étienne et le cubiculaire Paul furent donc envoyés au roi lomhard avec des lettres apostoliques où le pape le suppliait de renoncer àcette entreprise sacrilège. Il lui rappelait les promesses faites en son nom quelques jours auparavant, lui demandant pour quel motif il avait changé de conduite, et pourquoi, loin de restituer ce qu'il promettait alors, il envahissait maintenant des cités que les très-bienheureux pontifes Etienne III, Paul I et Etienne IV avaient légitimement possédées. A cette admonition solennelle, Didier répondit laconiquement qu'il ne rendrait rien avant d'avoir eu une conférence avec le pontife en personne. »


    4. « Le roi lombard souhaitait ardemment, à cette époque, une entrevue avec le pontife. Il venait de recevoir à sa cour la veuve et les deux fils de Carloman,  escortés par le duc Autchaire et d’autres leudes neustriens. Son dessein était de contraindre le pape à conférer l'onction royale aux deux jeunes princes; Didier aurait ainsi obtenu d'un seul coup les trois résultats qu'il avait le plus à cœur, une rupture du siège apostolique avec le très-excellent Charles roi des Francs, une guerre civile dans les Gaules, et pour lui-même toute liberté de soumettre Rome et l'Italie à sa domination. Mais par la grâce de Dieu aucun de ses projets ne se réalisa. Le pontife Adrien opposa à toutes les séductions et à toutes les intrigues la résistante fermeté du diamant. Le cubiculaire Paul , c'était toujours ce même Afiarta dont les crimes n'avaient point encore été découverts ni punis, entrait dans le complot, il assurait le roi lombard qu'il amènerait le pontife à une entrevue, dût-il l'y traîner la corde au cou.»


   5. « Pendant que le scélérat tenait ce langage à Pavie, on eut a Rome les premiers indices du meurtre qu’il avait commis naguère sur la personne du malheureux nomenclator Sergius , étranglé par ses ordres dans la prison où il l'avait jeté après lui avoir fait crever les yeux. Bientôt des révélations plus complètes apprirent le forfait dans toute son horreur, et la ville entière en fut informée. Craignant que la nouvelle ne fût transmise au cubicu­laire Afiarta qui devait alors être en route pour revenir à Rome, et ne le déterminât soit à prendre la fuite, soit à retourner près du

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roi lombard avec lequel on connaissait maintenant ses coupables intelligences, le pape fit partir dans le plus grand secret le tribun Julien pour Ravenne, avec ordre de mettre l'archevêque Léon dans la confidence et de tout concerter avec lui pour arrêter le cubiculaire s'il passait soit a Rimini, soit à Ravenne. La mesure eut un plein succès : le traître arriva en effet sans défiance à Rimini, où il fut appréhendé au corps et incarcéré. Adrien poursuivit alors activement l'instruction du procès relatif au meurtre de Sergius. II interrogea lui-même tous les gardiens du Latran; leur réponse fut celle-ci : Huit jours avant la mort du seigneur pape Etienne, un soir à la première heure de la nuit (neuf heures), le cubiculaire Calventinus se présenta à la cellule de Sergius. Il était accompa­gné du prêtre Tunisso et du tribun Leonatius, tous deux habitants d'Anagni, entre les mains desquels il remit le prisonnier. — Cal­ventinus reconnut l'exactitude de cette déposition, et déclara qu'en ce qui le concernait il avait agi par les ordres formels du cubicu­laire Afiarta, du defensor régionnaire Grégoire, du duc Jean frère du défunt pape Etienne, et du cubiculaire Calvulus. En vertu d'ordres expédiés sur le champ à Anagni, le prêtre Tunisso et le tribun Leonatius furent saisis et amenés à Rome. Ils comparurent devant le pontife, et forcés par l'évidence des témoignages, ils finirent par confesser leur crime, disant que le cubiculaire Afiarta, le duc Jean frère du défunt pape, et les autres inculpés leur avaient donné l'ordre d'enlever Sergius et de le mettre à mort. Ils indi­quèrent le lieu où le meurtre avait été commis dans le champ de Merula, près de «l'arcade peinte, » sur le chemin de la basilique de Sainte-Marie-ad-Praesepe . Conduits sous bonne garde à l'endroit désigné, ils montrèrent, près de « l'arcade peinte, » la place où ils avaient enfoui le cadavre. On y retrouva en effet le corps de Ser­gius couvert de blessures et ayant au cou la corde dont il avait dû être étranglé. Cette découverte produisit à Rome une sensation immense. Tous les primats de l'église, les juges de la milice, la population entière se rendirent au palais patriarcal de Latran, suppliant le pontife de sévir sans miséricorde contre les cou­pables. Uu tel forfait, inouï dans notre histoire, disaient-ils, doit

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être expié par un châtiment exemplaire. Autrement la perversité des méchants ne connaîtrait plus de bornes et ne reculerait devant aucun attentat. — Le très-saint pape voulait lui-même que justice fût faite, il donna ordre de livrer les coupables au préfet de Rome, afin que leur procès se poursuivît publiquement dans la forme usitée contre les assassins. Tunisso, Leonatius et le cubiculaire Galvulus furent donc transférés de la prison de Latran dans la geôle publique, puis jugés en présence de tout le peuple 1. Tunisso
et Leonatius renouvelèrent leurs aveux ; ils montrèrent un tel repentir qu'ils échappèrent au dernier supplice : condamnés à un exil perpétuel, ils furent déportés en Orient. Calvulus au contraire afficha une telle arrogance et un tel endurcissement, qu'il fut con­damné à mort et exécuté. Après le châtiment des meurtriers, le pape fit procéder à la translation solennelle des corps de Chris­tophe et de Sergius à la basilique Saint-Pierre, où ils fuient inhumés avec honneur.

   6. « En même temps, le pontife adressait à l'archevêque Léon de Ravenne les actes du procès intenté à Rome, avec ordre de les lire au cubiculaire Afiarta et de recueillir ses interrogatoires. Mais au lieu de se conformer à ces instructions, Léon remit immé­diatement les pièces du procès et Afiarta lui-même au tribunal du « consulaire » de Ravenne. Les procédures se firent donc publi­quement, et Afiarta confessa son crime. L'archevêque Léon n'in­forma point le pape de ce qui se passait, et le très-bienheureux Adrien apprit par une voie indirecte le repentir d'Afiarta. Désireux de lui laisser le temps de faire pénitence, le très-miséricordieux pontife s'empressa d'expédier à Ravenne une lettre apostolique adressée aux empereurs Constantin et Léon pour les informer du crime d'Afiarta, et les prier de permettre que le coupable fût déporté en Orient2. L'archevêque de Ravenne reçut ordre de faire

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1 Les deux antres personnages compromis dans cette lugubre affaire, le defensor régionnaire Grégoire et le duc Jean frère d'Etienne IV, avaient probablement pris la fuite pour se soustraire au châtiment. Il ne parait pas que Calventinus, lequel n'avait fait qu'exécuter un ordre officiel, ait été ultérieurement inquiété.

2. Il est vraisemblable, malgré le silence du Liber Pontificalis sur ce point,

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parvenir cette lettre à Constantinople et de prendre des mesures pour qu'Afiarta fût dirigé au lieu de son exil soit par la province de Venise, soit par telle autre route qui serait jugée plus con­venable. Mais l'archevêque n'entra point dans ces clémentes dispositions. Il répondit au pape qu'il était impossible de faire prendre à l'exilé la route de Venise, parce que le doge (dux) Mau­rice, dont le fils était en ce moment captif du roi lombard, ne manquerait pas de garder Afiarta pour offrir l'échange à Didier et obtenir ainsi la liberté de son propre fils. Ne pouvant donc, disait Léon, exécuter les ordres du pontife, il lui retournait la lettre destinée aux empereurs de Byzance. — Sur les entrefaites, le sacellaire Grégoire se disposait à partir en ambassade à Pavie, pour réclamer de nouveau la restitution des territoires usurpés. Le très-saint pape lui prescrivit de passer par Ravenne et d'en­joindre à l'archevêque Léon de garder Afiarta jusqu'au retour du sacellaire, qui le ramènerait à Rome. Grégoire accomplit fidè­lement son mandat. En présence du cartulaire Anuald, citoyen romain et légat apostolique à Ravenne, il fit connaître à l'arche­vêque et aux juges les instructions du souverain pontife, leur recommandant de garder avec soin le cubiculaire Afiarta pour le remettre entre ses mains, à son retour de Pavie, afin qu'il pût, selon l'ordre du pape, conduire le captif à Rome et le présen­ter au tribunal apostolique. Grégoire rendit l'archevêque respon­sable de la vie du prisonnier, et continua sa route. Mais à peine avait-il quitté Ravenne  que Léon manda le consulaire 1 et lui

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que la cour de Byzance ne fut point étrangère au drame dont Afiarta, Je concert avec Didier, s'était fait l'agent à Rome. Ceci expliquerait les précau­tions prises par le pape pour dégager sa responsabilité dans le supplice, très-mérité d'ailleurs, que subit enfin le criminel. D'un autre côté, l'arcbevêque de Ravenue prit dans toute cette affaire une attitude d'indépendance que les événements ultérieurs accentueront encore davantage.

1 Accersito consulare Ravennatium civitatis. Nous retrouvons ainsi à Ravenue la même distinction qu'on a pu observer à Rome entre les tribunaux ecclé­siastiques et civils. A Rome, le chef du tribunal civil s'appelait prœfectus, à Ravenne consularis, mais ces deux fonctionnaires, à Rome et à Ravenne, obéissaient des lors soit au pape comme à leur souverain immédiat, soit à archevêque comme représentant du pape.

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ordonna de procéder immédiatement à l'exécution d'Afiarta. Le sacellaire Grégoire, à son retour de Pavic, ne retrouva donc plus le prisonnier. Il en fit à l'archevêque de vifs reproches, et lui demanda comment il avait osé enfreindre les ordres si formels du pape. Léon comprenant qu'en effet sa conduite était coupable se détermina, quelques jours après, à faire partir pour Rome le tribun Julien, le chargeant de plaider sa cause près du pontife et d'en obtenir des lettres de pardon. Il n'avait, disait-il, cru commettre aucune faute en vengeant par la mort d'Afiarta le meurtre de tant d'innocentes victimes. Le pape se borna à lui faire cette réponse : Vous demeurez responsable dans votre conscience et devant Dieu de votre conduite. Dès qu'Afiarta manifestait un sincère repentir, il fallait songer à son âme et lui laisser le temps de faire péni­tence. Telle était ma pensée en vous envoyant mon sacellaire Grégoire, chargé de ramener le prisonnier à Rome (772). »


7. « Les réclamations du pape n'avaient eu aucun succès près du roi Didier. En un même jour, ce prince fit envahir l'exarchat tout entier, les cités et territoires de Sinigaglia, Montefeltro, Urbin, Eugubium (Gubbio), multipliant partout le carnage et l'incendie. A Blera, quand les troupes lombardes survinrent, toute la population, hommes, femmes, vieillards et enfants, était occupée aux travaux de la moisson. Les soldats de Didier massa­crèrent tout, pillèrent la ville déserte, et y mirent le feu. Vainement le très-bienheureux pontife envoya messages sur messages au roi parjure, pour obtenir la cessation de ces horreurs. Les troupes dé­vastatrices continuèrent leur marche jusque sur les frontières de la province romaine. Le pape réunit alors, sous la présidence de l'abbé du monastère de la Sainte-Mère de Dieu, situé dans la Sabine, une légation composée de vingt des plus vénérables vieillards pris dans les abbayes voisines, et tous se rendirent au camp de Didier. Ces serviteurs de Dieu, dont l'Italie entière proclamait le mérite et les vertus, se jetèrent aux pieds du roi, les arrosant de larmes. Au nom du bienheureux Pierre prince des apôtres, ils le conjurèrent de mettre fin à tant de désastres et de cesser une guerre sacrilège. Plus dur qu'un rocher, le cœur du roi demeura

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inflexible, et les serviteurs de Dieu revinrent consternés. En même temps qu'eux, arrivaient à Rome deux envoyés lombards, le référendaire André et le duc Stabilis, chargés de proposer au pape une conférence personnelle avec leur maître. Si votre roi commence par donner en ma personne satisfaction au bienheu­reux Pierre, répondit Adrien, si vous me jurez en son nom, devant le Dieu tout-puissant qui nous voit et nous jugera un jour, que Didier est prêt à remettre entre mes mains les villes et territoires qu'il vient d'usurper, dites lui que je ne demande pas mieux d'avoir avec lui une entrevue soit à Pavie, soit à Pérouse ou même à Rome, en quelque lieu enfin qui puisse lui convenir. Qu'il commence par faire ces justes restitutions, et dans une confé­rence pacifique nous réglerons tout ce qui concerne les intérêts du peuple de Dieu dans nos états. S'il doute de ma parole, dites lui que je l'autorise, à réoccuper toutes les provinces usurpées, dans le cas où, après qu'il me les aurait fait rendre, je ne consentirais point à m'aboucher avec lui. Mais s'il refuse de faire cette resti­tution et de nous rendre justice, il ne verra jamais ma face. Je vais lui envoyer de nouveaux délégués entre les mains desquels il remettra les cités et les forteresses appartenant au saint-siége, et, cette restitution accomplie, j'irai le trouver en personne au lieu qu'il me désignera. »

 

   8. « Le très-bienheureux pape fit en effet suivre les ambassadeurs lombards d'une légation composée du religieux hegoumène   Pardus, préfet du monastère de Saint-Sabas, et du premier defensor Anastase. Les instances, les supplications, les larmes de ces deux vénérables légats furent inutiles. Didier avait l'inflexibilité du fer, il les renvoya sans leur avoir donné une seule parole de consola­tion ou d'espérance. Le très-miséricordieux pontife ne se décou­ragea cependant point encore. Il fit partir pour Pavie une nouvelle députation composée des représentants de tous les ordres du clergé et du peuple romain. Mais elle n'obtint pas un meilleur accueil. Le roi lombard, persistant dans son opiniâtreté, fit continuer les ravages et la dévastation sur tout le territoire romain. Après s'être emporté devant la dépulation en injures et en menaces

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contre le pontife, il déclara son intention de venir à la tête de ses armées faire le siège de Rome. A cette nouvelle, le très-saint pon­tife et son peuple invoquèrent avec larmes le secours du ciel; on prit toutes les mesures nécessaires à la défense, les portes de la ville furent fermées et les remparts soigneusement fortifiés. Du­rant ces jours d'angoisses, des nonces furent dirigés par la voie de mer au très-excellent Charles, roi des Francs et patrice des Romains. Dans les lettres apostoliques que le pape lui adressait, il conjurait sa royale excellence de marcher sur les traces de son père Pépin d'illustre mémoire, en secourant les provinces de Ravenne et de Rome, et en délivrant le saint-siége de la tyrannie lombarde. »

   9. « Didier, suivi d'Adalgise son fils, de la veuve de Carloman avec les deux princes ses enfants, et du duc Autchaire, se mit à la tête de son armée et marcha sur Rome, dans l'intention de forcer le pape à conférer l'onction royale aux neveux du très-chrétien roi Charlemagne. Chemin faisant, il envoya le référendaire André avec deux autres ambassadeurs prévenir le pape de sa pro­chaine arrivée. Le très-bienheureux Adrien renouvela aux députés lombards la réponse déjà faite une première fois, les assurant qu'il ne consentirait jamais à voir leur maître tant que celui-ci n'aurait pas rendu pleine et entière justice à l'église romaine. Didier n'en continua pas moins sa marche, et le pontife, après avoir réuni tous les guerriers de la Toscane, de la Campanie et du duché de Pérouse, leur fit jurer de défendre Rome jusqu'à la mort et de repousser héroïquement l'ennemi. Comme les deux basiliques de Saint-Pierre et de Saint-Paul se trouvaient en dehors des remparts, le pape les fit entièrement démeubler; tous leurs ornements, vases sacrés, richesses de tout genre, furent apportés dans l'intérieur de la ville et mis à l'abri d'un coup de main. A l'intérieur des deux églises, les portes furent munies de barres de fer et d'un système de défense tel, que pour y péné­trer Didier devrait employer la force et par conséquent en­courir l'anathème canonique. Trois évêques, Eustratius d'Albano, André de Préneste, Théodoso de Tibur, se rendirent au camp lombard et fulminèrent au roi une sentence apostolique portant

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excommunication nominative contre lui, son fils Adalgise, la veuve et les fils de Carloman, le duc Autchaire, si les uns ou les autres sans la permission du pontife osaient franchir la frontière romaine. Contre toute espérance, quand les trois évêques eurent accompli leur mission , Didier fît volte-face et retourna avec son armée à Pavie. »


   10. « Le véritable motif de cette brusque retraite cessa d'être  un secret, lorsqu'on vit arriver à Rome, envoyés par le très-excellent Charles roi des Francs, le très-saint évêque Georges, le religieux abbé Wulfard conseiller royal, et Albinus (Alcuin) « les délices du monarque, » Albinus delitiosus ipsius régis. Ils venaient de la part de leur maître s'assurer de la vérité des allégations de Didier, lequel se vantait en France d'avoir restitué entièrement au bienheu­reux Pierre tous les domaines usurpés. Ils purent facilement se con­vaincre des mensonges hypocrites du roi lombard. A leur retour, le pontife leur adjoignit des nonces apostoliques avec une lettre où il suppliait Charlemagne d'achever enfin l'œuvre de la rédemption de l'Église, en exécutant les promesses faites par lui au bienheureux Pierre de concert avec le roi Pépin son père de sainte mémoire. Les ambassadeurs francs et les nonces prirent leur chemin par la haute Italie et s'arrêtèrent à la cour de Didier. Ils supplièrent ce prince de consentir enfin aux restitutions exigées, mais le roi lom­bard refusa péremptoirement, et ils continuèrent leur route pour aller transmettre sa réponse à Charlemagne. Celui-ci voulant épuiser tous les moyens de conciliation fit partir une nouvelle ambassade chargée d'offrir à Didier une somme de quatorze mille solidi d'or, s'il consentait à terminer pacifiquement le débat et à satisfaire le pape. L'obstination du roi lombard l'emporta sur son avarice, il repoussa la proposition et les présents qu'on lui offrait. Charlemagne convoquant alors ses guerriers fran­chit à leur tête le mont Cenis, et parut aux pieds des remparts artificiels, élevés dans les défilés alpestres sur la frontière lombarde. Didier en personne, avec toute son armée, se préparait à les dé­fendre; il n'avait rien épargné pour les rendre imprenables. Le roi très-chrétien lui envoya encore, à deux reprises, des parlemen-

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taires chargés de renouveler les propositions précédentes. Pour éviter l'effusion du sang et les malheurs de la guerre, Charlemagne offrit de se contenter de trois otages choisis parmi les fils des nobles lombards. Didier rejeta toutes ces ouvertures. La position qu'il occupait était tellement formidable que les Francs songeaient à la retraite, lorsque, par un juste jugement de Dieu, une panique inexpliquée saisit toute l'armée lombarde; chefs et soldats s'en­fuirent en désordre sans que personne les poursuivît. Adalgise fut le premier à donner l'exemple, les guerriers le suivirent, abandon­nant durant la nuit le camp, les tentes, toutes leurs munitions. Au matin seulement, les Francs s'aperçurent qu'ils étaient vainqueurs sans combat; ils s'élancèrent sur la trace des fuyards et en tuè­rent un certain nombre. Didier avec quelques troupes fidèles se jeta dans Pavie, pendant qu'Adalgise avec le duc Autchaire, la veuve et les deux fils de Carloman, courut s'enfermer à Vérone, qui passait pour la plus forte de toutes les citadelles de Lombardie (773). »


   11. « Après la panique du mont Genis, une foule de soldats quittèrent les drapeaux de Didier et revinrent dans leurs provinces. Déjà auparavant, les habitants de Spolète et de Riéti avaient fait assurer le pape de leur soumission et de leur désir de reconnaître la domination du bienheureux Pierre et de la sainte église romaine. Délivrés de la terreur que Didier leur inspirait, ils vinrent déposer leurs hommages aux pieds du pontife. Dans une cérémonie solennelle, à Saint-Pierre, tous depuis le plus petit jus­qu'au plus grand prêtèrent serment de fidélité au prince des apôtres, à son vicaire le très-saint pontife Adrien et à tous ses successeurs légitimes, s'engageant pour eux-mêmes et pour les générations futures à perpétuité. L'acte de serment accompli, tous se firent couper les cheveux et la barbe à la manière des Romains. Le pape leur donna alors la faculté de se choisir entre eux un duc de leur nation, lequel devait les gouverner sous l'autorité du siège apos­tolique. Les suffrages se réunirent sur le très-noble Hildebrand dont le choix fut ratifié par le pontife, et qui prit dès lors le titre de duc de Spolète. Les guerriers de Fermo, Osimo, Ancône, imi-

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tèrent cet exemple; ils jurèrent également fidélité au pape et à ses successeurs. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon