Darras tome 36 p. 299
91. En janvier 1612, Richer mit en vente les exemplaires de son controverse Libellus. Dès qu'il se montra en plein jour, il fut reconnu pour ce qu'il était, hétérodoxe. Il y eut de toutes parts une explosion de plaintes, de murmures et d'indignation. Le premier qui ouvrit le feu, fut un converti, Pelletier. « Dieu qui embrasse la défense des Jésuites, dit-il, a permis qu'un de leurs plus violents ennemis ait enfin vomi sur le théâtre tout le levain qu'il couvait dès longtemps en son cœur. Le masque ainsi levé fait connaître ce qu'il est. Et quoiqu'il lui reste encore sur les épaules la robe et le chaperon de docteur de l'Eglise, ne le peut-on tenir que pour un insigne prévaricateur. » L'abbé Bonju de Beaulieu, conseiller et aumônier ordinaire du roi, continua la chasse avec la même énergie. L'épître dédicatoire à la reine est d'un homme d'Etat ; elle signale, en un ferme langage, les raisons qui obligent le pouvoir civil à maintenir l'unité religieuse. Théologien savant et entendu dans les controverses sur la hiérarchie, il perce à jour, d'un style rude, les
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sophismes de Richer. Un théologien de Sorbonne, Arnaud, suit de près Bonju ; celui-ci est un maître ; sa doctrine est saine, forte et nourrie ; les erreurs de Richer sont signalées avec précision et combattues par de bons arguments. Mais celui qui accabla Richer, fut le docteur André Duval. C'était un saint prêtre; il était l'oracle de la Sorbonne ; il était, de plus, ami de Richer. Depuis quarante années, Duval professait assidûment, sans consentir à s'éloigner de sa chaire pour être revêtu de dignités ecclésiastiques. Duval, pour dégager la responsabilité de la faculté de théologie, publia une critique des doctrines de Richer. Son travail dissipa tous les doutes. Le cardinal Duperron disait que depuis cinquante ans, il ne s'était pas publié un livre de théologie d'une si grande valeur. L'éloge n'est pas exagéré. Richer se sentit frappé à l'endroit sensible. En vain il se tord et essaie d'arracher le trait lancé d'une main sûre. L'œuvre de Duval résiste à toutes les réfutations, et si l'on veut connaître en détail la vanité des erreurs de Richer, il faut se porter à la critique de Duval. Joachim Forgemont acheva l'adversaire par son résumé de la discussion : c'est le résumé du président en attendant la sentence du juge. Ce n'est, il est vrai, qu'une lettre, mais pleine de traits et très intéressante à lire. Ce qui caractérise toutes ces réfutations de Richer, c'est qu'elles sont franchement ultramontaines et pleines d'horreur pour le schisme. On y trouve toutes les lumières et toutes les piétés de l'orthodoxie. Hi viri misericordiœ sunt quorum pietates non defuerunt.
92. Pendant que les théologiens écrivaient, le nonce du Pape agissait. Dans le cours de janvier 1612, il représentait à la reine et aux ministres, que le Libellus de Richer n'était «qu'une apologie de l'abominable doctrine de Marsile de Paloue, d'Illyrian, de Fra Paolo, de tous les hérésiarques qui ont écrit contre la suprématie de S. Pierre ; une répétition des passages des Pères et de l'Écriture que ces hérésiarques avaient détournés de leur sens, pour les amener à leurs opinions ; une attaque audacieuse, non seulement contre le temporel, mais encore contre la pure autorité spirituelle et la primauté du Saint-Siège ». En conséquence, il demandait un châtiment contre ce fauteur d'hérésies. Son auditeur, Scoppi,
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visita les docteurs, en majorité favorables au Saint-Siège ; Richer para le coup en faisant défendre, à la Sorbonne, par le Parlement, de porter contre le livret une condamnation. La Faculté, d'ailleurs, désirait garder, comme corps, la liberté des théories ; elle comptait, dans son sein, des partisans de toutes les opinions ; il ne paraissait pas bon d'atteindre leurs franchises. Le 3 février, à la prima mensis, la Sorbonne ne put toucher au Libellus; mais piquée au jeu, par l'intervention malvenue du Parlement, elle trouva le moyen d'atteindre indirectement Richer. Le syndic avait publié tout ce qu'il avait pu trouver de décisions conformes à ses prétentions : 1. Un décret contre Jean de Gorello ; 2° Une censure des erreurs de Jean Sarrazin ; 3° Quelques articles contre Luther ; 4° Une réponse de la Faculté à Charles VIII, en 1497. Sur un rapport de Filesac, il fut ordonné qu'à l'avenir, les livres des conclusions de la Faculté seraient renfermés sous trois diverses clefs, et qu'on ne pourrait jamais publier ni communiquer aucune chose appartenant à la Faculté, sans avoir eu auparavant permission d'icelle. Richer sentit le coup, mais il avait dérobé habilement, quoique malhonnêtement, son livret aux censures de la Sorbonne.
93. Tandis que la Sorbonne trouvait, pour marquer sa désapprobation, cet expédient ingénieux, le conseil du roi avisait aux mesures à prendre pour donner satisfaction au nonce. Le cardinal Duperron reprochait à Richer : 1° D'être poussé par quelques factieux ; 2° De mettre en avant, sur les élections, une doctrine injurieuse à la papauté et au pouvoir royal ; 3° De renverser l'autorité des rois, en même temps que celle des papes ; 4° De continuer les traditions factieuses de la Sorbonne ; 50 De citer les censures qui ne prouvaient rien ; 6° De pousser au schisme ; 7° D'abuser des paroles de Gerson ; 8° De citer des livres de Cusa, rétractés par l'auteur ; 9° De réjouir les huguenots par ses entreprises. Ces reproches étaient justes, mais la timidité de la régence empêcha d'aboutir les délibérations du conseil. Cependant, la cour autorisa la censure du Libellus par les gens d'Église. Du Perron réunissait, en son hôtel, les archevêques et évêques de France, toujours nom-
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breux à Paris, et examinait, dans des assemblées préparatoires, le système du syndic. Les conférences furent multipliées et sérieuses. L'archevêque de Sens lisait l'écrit ; Duperron discourait sur chaque période ; la discussion s'établissait ensuite entre les prélats. Quand la discussion fut épuisée, quand l'archevêque de Sens, métropolitain de Paris, eut rangé à son sentiment, les évêques et les seigneurs de la cour, il convoqua son concile. Sur ces entrefaites arrivèrent, aux prélats du royaume, des lettres du Pape, pour les exhorter à remédier aux entreprises « des hommes qui s'étudient à jeter des semences desquelles, à bon droit, l'on peut craindre que les malheurs et impiétés, qui ont donné sujet et origine aux troubles, lesquelles ont ci-devant extrêmement travaillé la France, ne renaissent (1). Le livret fut sommairement discuté dans l'assemblée conciliaire ; la censure fut signée par les huit évêques de la province ecclésiastique, le 19 mars 1612. Cette censure portait que le Libellus, « lu et examiné avec soin, avait été jugé et déclaré digne de censure et de condamnation ; qu'on l'avait noté et condamné, par ce qu'il contenait beaucoup de propositions, expositions et allégations fausses, erronées, scandaleuses, schismatiques et, selon leur sens propre, hérétiques ; en portant cette sentence, on n'entendait cependant pas toucher aux droits du roi et aux immunités et libertés de l'Église gallicane ». Le 24 mai 1612, le synode provincial d'Aix portait une condamnation semblable, en termes presque identiques. Enfin, le 10 mai 1613, la congrégation de l'Index inscrivait, parmi les livres défendus, le Libellus de Richer. En présence de ces condamnations, Richer se raidit. Ses juges, à l'entendre, étaient prévenus et ignorants. La défense n'avait pas été entendue ; les prélats n'avaient pas saisi la pensée de Richer. La teneur du jugement était pleine de contradictions. L'Index était une congrégation, non un concile. A tous ces vains prétextes, mis en avant par un théologien opiniâtre, qui ne voulait ni renoncer à ses doctrines ni rompre avec l'Eglise, il n'y avait qu'à répondre que l'Église avait décidé par la voix des évêques approuvés par le souverain pontife ; que Richer, en ne se soumet-
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(1) D'Argestré, Collectio judiciorum, t. III, part. 2, p. 187.
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lant pas, n'était plus un vrai fidèle ; et que les faux catholiques sont plus dangereux que les hérétiques avérés. Mais Richer était trop épris de lui-même et trop porté à la dissension pour rien comprendre au jugement de l'opinion. Dans l'Histoire de son Syndicat, il se borne à dire froidement « qu'il ne dormit pas moins, assuré du rempart de sa conscience et d'une droite intention, qu'il n'avait jamais viciés d'aucune mauvaise circonstance. »
94. Richer fit encore plus ; il interjeta appel, devant les juges séculiers, contre le jugement de deux conciles et la sentence de l'Index. A l'appui de son appel, Richer opposait : 1° Que la censure avait été faite en un moment ; 2° Qu'elle était faite sans convocation du clergé de la province ; 3° Que l'assemblée avait un autre objet ; 4° Que le concile n'avait pas été célébré en bonne et due forme ; 5° Que la censure n'avait été prononcée que par huit prélats ; 6° Que l'inculpé, n'avait pas été entendu ; 7° Que la censure était contre l'autorité du roi et du Parlement ; 8° Que les évêques signataires n'avaient pas assisté à l'examen du livre ; 9° Que la censure ne montrait pas les propositions blâmables. Ces arguties ne devaient pas plaire au conseil du roi. Le fait d'appel impliquait une plus grave question. Un homme d'église demandait, à un tribunal séculier, de casser une sentence portée sur des points de foi, par un tribunal souverain ; sa démarche était positivement schismatique. L'appel comme d'abus ne fut pas accepté ; on défendit même à Richer de rien écrire pour la justification du Libellus. Ubaldini, en présence de ces excès, pensa que la paix religieuse serait compromise, tant que Richer serait à la tête de la faculté de théologie ; il s'assura donc du concours de Filesac et proposa à la cour la révocation de Richer. Le syndic, disait le nonce, s'était rendu coupable d'attaques audacieuses contre l'autorité spirituelle et la principauté du pontife romain. Pouvait-on moins faire que de punir l'auteur ? Coupable au premier chef, il n'avait pas d'excuse, étant ecclésiastique, théologien et premier officier de la Sorbonne. Paul V soutenait le nonce et affirmait qu'on ne pouvait faire moins que de déposséder le syndic. Avec l'agrément de la cour, des doc-
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teurs promirent de demander sa révocation. L'affaire fut renvoyée à l'assemblée de la Sorbonne et posée une première fois à la réunion de juin. Sur le chiffre total, il se trouva vingt-cinq docteurs pour Richer et quarante-trois contre. Au moment où la majorité semblait devoir l'emporter, Richer fit entrer deux notaires et déclara, par leur organe, qu'il appelait comme d'abus de tout ce qui serait décidé contre son opposition, et qu'il récusait la plus grande partie des docteurs qui voulaient le priver du syndicat. Richer était obstiné et habile ; il était à craindre que, dans le conflit, il ne surgit cause de comparution au Parlement, ce qu'il fallait éviter à tout prix. En attendant le retour de la reine, les choses restèrent en l'état. Le 1er septembre, la Faculté étant assemblée en session ordinaire, deux huissiers du conseil privé présentèrent des lettres patentes qui ordonnaient à la Faculté de nommer un nouveau syndic. Lecture faite de cette ordonnance, Richer lut un panégyrique de sa conduite, protesta contre la violence dont il était l'objet, demanda qu'il lui fût donné acte de ses paroles, et s'emporta en injures contre le docteur Filesac, qu'il croyait appelé à sa succession. Mais les docteurs, même amis de Richer, n'en étaient pas encore venus à ne tenir aucun compte de la volonté royale. A l'unanimité des suffrages, Filesac fut élu syndic pour deux ans. De plus, l'assemblée décida que les syndics ne rédigeraient plus seuls les conclusions ; que Richer était remercié de ses services, mais non de son livre ; qu'il lui était ordonné sous peine d'expulsion de rien publier; enfin qu'il devait remettre toutes les archives de la Sorbonne. «Que ces conclusions durent être pénibles à Richer, dit son historien. C'était la Faculté elle-même qui désavouait d'une manière détournée, mais claire, les doctrines de Richer. La Faculté blâmait ses protestations, le menaçait d'expulsion, lui donnait pour successeur son principal adversaire ; elle n'hésitait pas à adopter des résolutions qui impliquaient une condamnation formelle de sa gestion. L'un des rares, peut-être le seul, et certainement le premier objet des affections de Richer, c'était la faculté de théologie, et la faculté de théologie le frappait sans pitié ! Il y aurait eu de quoi abattre une âme moins fortement trempée. Ce nouveau déboire ne
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fit que rendre Richer plus âpre à la lutte. Quel sentiment doit-on éprouver en présence de ces caractères indomptables que la défaite rend plus altiers et qui ne savent pas se résigner? Faut-il admirer leur indéfectible vigueur? Faut-il redouter leur obstination qui remet sans cesse toutes choses en question ? Nous n'avons ici qu'à déplorer une opiniâtreté qui rendait Richer sourd à tous les conseils de soumission et qui faisait de ce prêtre un danger pour l'Église, et de ce docteur de Sorbonne, un scandale pour ses frères (1).»
95. L'affaire n'était point terminée. Parmi les adversaires de Richer, un certain nombre, après l'avoir réduit à l'impuissance, travaillèrent à lui infliger un châtiment rigoureux. C'était le droit alors de punir, par des peines coercitives, les erreurs de doctrine; on épargna ces rigueurs à Richer ; mais on ne laissa pas que de poursuivre, dans ses sectateurs, les erreurs du maître ! L'évêque de Paris, cardinal Gondi, était plein de zèle. Dès que la censure du Libellus eut été prononcée, il travailla à lui faire produire ses effets pratiques. Sa première résolution fut de ne plus nommer, aux bénéfices de son diocèse, les ecclésiastiques convaincus de Ri-chérisme. Il se trouva que Richer fut un des premiers atteints. Depuis 1602, il s'était fait inscrire pour un canonicat à Notre-Dame; en juillet 1612, une stalle étant vacante, il devait, de plein droit, en être pourvu. Richer étant sous le coup d'une condamnation doctrinale, l'évêque avait raison suffisante de lui refuser l'investiture canonique ; au lieu d'invoquer le cas d'indignité, il allégua le défaut de droit. Quelques pièces de papier timbré furent échangées; mais à bon rat bon chat. Richer ne fut pas chanoine. En même temps qu'il écartait le chef, Gondi n'épargnait pas les disciples. Le docteur Fursi, curé de Saint-Leu, s'était signalé parmi les chauds partisans de Richer : on procéda contre lui, il passa la frontière et se fit huguenot. Palma-Cayet quittant, au collège de France, sa chaire d'hébreu, on lui donnait pour successeur un richériste : Gondi et Duperron le firent écarter. « Les mêmes inconvénients sont arrivés, dit Richer, à une infinité d'autres docteurs et bache-
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(I) Pujoi., Edmond Richer, t. I, p. 402.
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liers, lesquels on disait que Duval contraignait d'abjurer le richérisme, terme diabolique de division et de dissension, lequel il a malheureusement inventé et publié. Et, de plus, il défendait à tous docteurs et bacheliers de voir Richer, ni fréquenter les richéristes, s'ils désiraient avoir les bonnes grâces des prélats pour être employés ; ce que plusieurs, par ambition ou nécessité, étaient contraints de faire. Et beaucoup de personnes gémissaient voyant que la liberté ancienne de la Sorbonne était gênée, changée en une geôle de l'Inquisition par les factions de Filesac et de Duval ; celui-là ayant promis de faire que ci-après aucune ne suivrait l'opinion de Richer. » On voulait donc épurer la faculté de théologie; il fut même question de la supprimer ; mais le zèle de Duval et de ses amis suffirent à l'épuration.
96. Chose extraordinaire ! le novateur qui excita une si grande tempête contre son système sur la constitution ecclésiastique, ne souleva que de rares protestations quand il exposa sa doctrine sur les rapports de l'Église et de l'État. Or, la politique de Richer est bien plus hardie et plus subversive que sa théologie ; c'est le gallicanisme parlementaire, hérétique, schismatique, persécuteur, dans toute sa crudité et avec une précision qu'il n'avait pas eue jusque-là. Il est enfermé dans ces quatre termes : le droit divin des rois, l'indépendance absolue du pouvoir civil, l'autorité purement spirituelle de l'Église, la puissance du souverain sur l'Église. Le droit divin des rois était entendu par plusieurs comme un droit d'institution divine immédiate, comme si chaque souverain recevait du ciel une bulle d'institution : prétention fausse, mais fût-elle vraie, elle ne déroberait pas les princes au devoir de la soumission, puisque les évêques, dont le pouvoir est certainement d'institution divine, ne sont pas moins subordonnés au Pape. Richer était trop bon scolastique pour donner de la tête dans ces billevesées ; il proclame, lui, le droit divin de la société et de la royauté; et si Marca, Baluse et autres régalistes à outrance, exagèrent le droit de la personne sacrée des princes, l'ensemble des publicistes gallicans se tiendra aux opinions de Richer. Pour mettre le roi hors de page, Richer appuie beaucoup plus sur l'indépendance absolue du pou-
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voir temporel ; il la prouve par une multitude de textes qui ne vont pas tous à la question ; puis, la supposant démontrée, il en tire inexorablement toutes les conséquences. De l'indépendance absolue, il résulte que personne sur la terre, ni peuple, ni pape, n'a le droit de demander compte au souverain temporel de sa conduite, que personne n'a le droit de la déposer, quelque oppresseur ou inepte qu'il soit. Richer soutient dans toute sa force la doctrine gallicane de l'irresponsabilité des rois. Après avoir exagéré les droits de l'Etat, il se préoccupe d'affaiblir le pouvoir de l'Eglise. L'Eglise, à ses yeux, est une société spirituelle, il le prouve par des raisons vraiment frivoles et les emploie avec peu d'intelligence. Ses arguments sont que l'Eglise ne peut devoir ses succès aux moyens humains, qu'elle ne possède que des biens surnaturels et que les richesses abrutissent le clergé. Comme elles abrutissent aussi probablement les fidèles, nous voilà en plein stoïcisme révolutionnaire. De cette thèse mal faite, Richer conclut contre l'immunité ecclésiastique. Si les clercs ont quelques privilèges de fait, ils les tiennent de la concession des princes. L'Église n'ayant aucun pouvoir temporel ne peut communiquer aucun droit temporel. C'est pourquoi l'exemption des biens et l'immunité des personnes n'ont d'autre origine que le droit civil. En quelque circonstance, Richer semble faire une restriction en faveur des actes du culte public et des biens absolument nécessaires à l'Église ; mais avec une distinction entre le nécessaire et le surperflu, il trouve moyen de confirmer ses conclusions. C'est ainsi que Richer refuse à l'Église tout droit temporel, mais tout droit de coaction ; pour conduire à la béatitude, elle n'a que la persuasion et la direction. La puissance des rois sur l'Église s'impose, suivant Richer, à double titre : d'abord parce que l'Église est dans l'État et lui reste soumise, ensuite parce que le souverain est l'évêque du dehors, il peut comme tel, porter des lois et tirer le glaive. On objectera que s'il est dehors, il n'entre pas dans le sanctuaire ; que s'il a les affaires de police extérieure , il est sans droit sur les questions intérieures. Richer se contenta de répondre que si le prince est sans qualité sur les matières de foi, à lui appartient tout l'ordre de la discipline. Par sa discipline,
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l'Église relève du roi. Ainsi l'État s'émancipe des obligations que l'Église lui avaient imposées d'être l'exécuteur de ses volontés, et proclame son indépendance absolue. En apparence, rien n'est changé, puisque l'État continue de se dire chrétien et protecteur de l'Église ; mais, au fond, la révolution est considérable. Précédemment l'Église indiquait, au besoin, inspirait les mesures propres à sauvegarder les intérêts de la foi ; désormais, l'État, hors tutelle, ne veut concourir au succès religieux que suivant qu'il le jugeait possible et convenable dans la plénitude de son indépendance. On décidera que la politique, dans ses rapports avec les intérêts religieux, devra être remise aux laïques et ne peut plus être déterminée par les clercs. Le régulateur dans la conduite des affaires de l'Église, n'est plus dans l'Église, mais dans l'État. Le roi se substitue au Pape.