La Trinité 7

Daras tome 27

 

p208 QUINZE LIVRES SUR LA TRINIT .

 

CHAPITRE IX.

 

Contre la pensée qu'il n'y a que le Père d'immortel et d’invisible.

 

15. Ceux qui veulent que ces paroles soient entendues, non point du Fils ou du Saint‑Esprit, mais du Père seulement, disent que le Fils est visible, non point dans la chair qu'il a prise dans le sein d'une vierge mais en lui‑même avant cela. C'est lui, en effet, disent‑ils, qui est apparu aux patriarches. Leur répond‑on, si le Fils est visible par lui‑même, il faut qu'il soit aussi mortel par lui‑même, pour qu'il soit établi selon votre sens que ces mots : « Il a seul l'immortalité, » (I Tim., VI, 16) ne doivent s'entendre que du Père, comme vous le voulez; car si le Fils n'est mortel qu'à cause du corps qu'il a pris, vous devez permettre qu'il ne soit visible que pour la même raison ? ils répliquent que, selon eux, ce n'est point à cause de ce corps qu'il est mortel, mais que de même qu'il était visible ainsi il était mortel avant de l'avoir pris. En effet, si ce n'est qu'à cause de son corps qu'il est mortel, il s'ensuivra que le Père n'a plus seul et sans le Fils l'immortalité, puisque son Verbe par qui tout a été fait a l'immortalité. Il n'a point perdu son immortalité pour avoir pris une chair mortelle, puisqu'il n'en est pas ainsi même pour l'âme de l'homme qui ne meurt point avec son corps, selon ce mot du Seigneur : «Ne craignez point ceux qui font mourir le corps et ne peuvent donner la mort à l'âme. » (Matth., X, 28.) Bien plus il faut dire encore, que le Saint-Esprit a pris aussi un corps, ce qui ne laisse point de mettre mon contradicteur dans l'embarras, car si le Fils n'est mortel que parce qu'il a pris un corps, ils ne peuvent soutenir qu'il n'y a que le Père, sans le Fils et sans le Saint-Esprit, d'immortel, puisque le Saint‑Esprit n'a point pris de corps. Or, si le Saint‑Esprit n'a point l'immortalité, il s'ensuit que ce n'est pas à cause de son corps que le Fils est mortel; si au contraire le Saint‑Esprit possède aussi l'immortalité, ce n'est point du Père seul qu'il a été dit : « Il a seul l'immortalité. » Aussi nos adversaires se flattent‑ils de prouver que le Fils fut mortel par lui‑même avant l'incarnation, attendu que mutabilité peut assez bien se prendre pour synonyme de mortalité, et que c'est en ce sens qu'on dit de l'âme même qu'elle meurt; non parce qu'elle se change et se convertit en un corps ou en quelque autre substance, mais parce que tout ce qui est maintenant dans la substance d'une autre manière qu'auparavant, est réputé mort en tant qu'ayant cessé d'être ce qu'il était. Aussi, comme avant même d'être né de la vierge Marie, le Fils de Dieu est apparu aux patriarches, non sous une seule et même

=================================

 

p209 LIVRE Il. ‑ CHAPITRE X.

 

forme, mais de bien des manières différentes, tantôt d'une façon, tantôt de l'autre, et était visible par lui‑même, puisque n'ayant pas encore pris un corps, sa substance s'est manifestée clairement aux yeux des hommes, nos adversaires concluent qu'il était mortel parce qu'il était muable. Il en est de même du Saint‑Esprit, qui apparut tantôt sous la forme d'une colombe, tantôt sous celle du feu. Aussi continuent‑ils, n'est‑ce point à la Trinité, mais uniquement et proprement au Père que conviennent ces paroles : « Au seul Dieu immortel invisible. » De même que celles‑ci : « Seul il possède l'immortalité, et habite une lumière inaccessible. Nul homme ne l'a vu et nul ne peut le voir. »

 

16. Laissant donc de côté ceux qui ne pouvant connaître la substance invisible de l'âme, sont bien éloignés par conséquent de savoir que la substance du seul et unique Dieu, c'est‑à‑dire du Père, du Fils et du Saint‑Esprit demeure non‑seulement invisible, mais encore immuable, et par conséquent se trouve en possession de la vraie et pure immortalité; convaincues que jamais Dieu Père, Fils ou Saint‑Esprit, n'est apparu aux yeux des hommes, sinon par le moyen d'une créature corporelle soumise à sa puissance, nous rechercherons, dans la paix catholique et avec un zèle tout pacifique, sans laisser d'être prêts à nous corriger, si on nous répond avec raison et en frères, et à nous amender si même nous sommes mordus par un ennemi, pourvu qu'il ait la vérité pour lui, nous rechercherons, dis‑je, si Dieu sans distinction de personnes, ou si quelqu'une des personnes de la Trinité seulement, ou enfin si chacune d'elles à son tour, si je puis parler ainsi, est apparue à nos pères, avant que le Christ vînt dans la chair.

 

CHAPITRE X.

 

Est‑ce la Trinité tout entière, ou seulement l'une de personnes divines qui apparut aux patriarches.

 

17. Et d'abord, pour commencer par l'endroit de la Genèse où il est écrit que Dieu s'est entretenu avec l'homme formé par lui du limon de la terre, si, mettant de côté ce qui est représenté par cette figure, nous traitons ce fait de telle sorte que la foi s'en tienne à la lettre du récit, il semble que Dieu s'est entretenu alors avec l'homme sous une apparence d'homme. Sans doute, cela n'est pas expressément dans la Genèse, mais le contexte le fait comprendre surtout à l'endroit où il est rapporté que Adam, entendant la voix de Dieu qui se promenait dans le paradis terrestre, vers le soir, se cacha dans le bosquet situé au milieu du paradis terrestre, et, à cette question de Dieu : «Adam où es‑tu ? » répondit : « J'ai entendu votre voix et je me suis caché devant votre face, parce que j'étais nu. » Or, je ne vois point comment

=================================

 

p210 QUINZE LIVRES SUR LA TRINITÉ.

 

prendre à la lettre cette promenade du Seigneur et son entretien avec Adam, s'il ne s'est montré sous une apparence d'homme. On ne peut pas dire, en effet, qu'il ne se produisit qu'une voix, puisque l'Ecriture dit que Dieu se promenait; on ne peut pas dire non plus que celui qui se promenait dans le paradis terrestre était invisible; car Adam répond qu'il s'est caché pour éviter la présence de Dieu. Quel était donc ce Dieu, était‑ce le Père, ou le Fils, ou le Saint‑Esprit? Ou bien était‑ce Dieu sans aucune distinction de personnes, c'est‑à‑dire la Trinité même qui parlait à l'homme sous une apparence d'homme? Mais la manière de parler de l'Ecriture ne permet nulle part de passer d'une personne à une personne. Il semble en effet que celui qui parlait au premier homme est le même qui a dit : «Que la lumière soit, » et encore : « Que le firmament soit, » (Gen., 1, 3) et le reste selon chacun des jours de la création. Or, nous tenons ordinairement que c'est Dieu le Père qui a dit que tout ce qu'il voulait faire fût. Or, il a tout fait par le moyen de son Verbe que d'après la règle de la vraie foi nous tenons pour son Fils unique. Si donc c'est Dieu le Père qui a parlé au premier homme et s'est promené dans le paradis terrestre, vers le soir, si c'est de lui que voulait se cacher le pécheur, quand il se dérobait au milieu d'un bosquet du paradis terrestre, pourquoi ne point admettre que c'est lui aussi qui apparut à Abraham, à Moïse, et à tous ceux à qui il a voulu et de la manière qu'il a voulu, par le moyen d'une créature muable et visible, soumise à sa volonté, bien qu'il ne laisse point, quant à lui, de demeurer immuable et invisible dans sa propre substance? Mais il se peut que, sans l'indiquer, l'Ecriture eût passé d'une personne divine à l'autre, et qu'après avoir dit en parlant du Père qu'il a prononcé ces mots : « Que la lumière soit faite, » et le reste qu'il fit, selon l'Ecriture, par le moyen de son Verbe, elle ait voulu faire comprendre que c'est le Fils en cet endroit qui parle au premier homme, sinon en le disant ouvertement, du moins en le donnant à entendre aux lecteurs capables de le comprendre.

 

18. Que ceux qui se sentent de force à pénétrer par les yeux de l'esprit ce secret, et à voir clairement que le Père, ou le Fils, ou le Saint-Esprit ont pu seuls, au moyen de créatures visibles, apparaitre aux yeux des hommes, persévèrent à scruter ces mystères, s'ils peuvent en même temps les expliquer et les traduire en paroles ; mais pour le texte de l'Ecriture qui nous occupe en ce moment, et dans lequel on lit que Dieu s'est entretenu avec l'homme, le sens précis en est, ce me semble, impénétrable, d'autant plus qu'on ne voit pas clairement non plus, si Adam apercevait habituellement Dieu des yeux

=================================

 

p211 LIVRE Il. ‑ CRAPITRE X.

 

du corps, et que d'ailleurs c'est une grande question de savoir de quelle manière les yeux de nos premiers parents s'ouvrirent après qu'ils eurent goûté du fruit défendu, puisqu'il est dit qu'ils étaient fermés avant qu'ils en eussent mangé. Serais‑je téméraire si je disais que puisque l'Ecriture nous représente le paradis terrestre comme un lieu corporel, Dieu n'a pu s'y promener que dans une forme corporelle? En effet, peut‑être peut‑on dire qu'il s'est produit seulement des paroles que le premier homme a pu entendre, mais qu'il n'y a point eu de formes qu'il pût voir, et s'il est dit « qu'Adam se cacha pour se dérober à la face de Dieu, » (Gen., III, 8) il ne s'ensuit pas qu'il vit ordinairement sa face. En effet, ne peut‑on pas dire que tout en ne pouvant voir lui‑même, il avait néanmoins peur d'être vu par celui dont il avait entendu la voix et dont il sentait la présence et la promenade dans le jardin ? En effet, Cain ne dit‑il point à Dieu : « Je me déroberai à votre face? » (Gen., IV, 14.) Or, cela ne nous oblige point à dire qu'il voyait Dieu habituellement des yeux du corps, dans une forme visible, bien qu'il eût entendu sa voix quand il l'interrogeait sur son crime et qu'il s'entretenait avec lui. De quelle nature était la parole dont Dieu se servait alors pour frapper les oreilles extérieures des hommes, particulièrement quand il s'adressait au premier de tous? c'est une chose bien difficile à savoir, et je n'entreprendrai point de la rechercher dans ce discours. Toutefois, s'il n'y avait que des sons et des paroles de produits, par lesquels une certaine présence sensible de Dieu était donnée à nos premiers parents, je ne sais pourquoi, dans le cas présent, je n'entendrais point la personne de Dieu le Père, d'autant plus que, c'est cette personne qui nous est montrée ailleurs quand une voix se fit entendre au moment où Jésus apparut à ses trois disciples, sur la montagne, brillant de clarté, puis une autre fois quand la colombe descendit sur lui au sortir du baptême, et enfin lorsqu'il lui fut répondu quand il priait son Père de le glorifier : « Je vous ai glorifié et je vous glorifierai encore. » (Jean, XII, 28.) Non que cette voix ait pu se produire sans l'opération du Fils et du Saint‑Esprit; car la Trinité est inséparable dans son opération ; mais elle s'est produite de manière à ne montrer que la personne du Père; de même, si la Trinité tout entière a opéré la forme humaine née de la Vierge Marie, cependant cette forme n'est que la personne du Fils, attendu que l'invisible Trinité n'a opéré que la personne visible de ce dernier. Rien ne nous empêche non‑seulement de comprendre que ces paroles, adressées à Adam, ont été produites par la Trinité, mais encore de les prendre comme nous indiquant une des personnes de cette même Trinité. En effet, nous sommes bien contraints de n'entendre

=================================

 

p212 QUINZE LIVRES SUR LA TRINITÉ.

 

que la voix du Père, quand il est dit: «Celui‑ci est mon Fils bien‑aimé;» (Matth., III, 17) car on ne peut ni croire ni entendre que Jésus soit le Fils du Saint‑Esprit, non plus que son propre Fils à lui‑même. Et quand on a entendu ces autres paroles: « Je vous ai glorifié et je vous glorifierai encore, » (Jean, XII, 28) on ne peut reconnaître que la voix du Père, car c'était une réponse à cette parole du Seigneur : «Mon Père, glorifiez votre Fils, » qu'il ne pouvait adresser qu'au Père, non point au Saint‑Esprit, dont il n'était point le Fils. Mais dans le passage où il est écrit : «Le Seigneur Dieu dit à Adam, » on ne peut dire pourquoi ce ne serait point la Trinité même qui aurait parlé.

 

19. Il en est de même de cet autre passage de l'Ecriture : « Et le Seigneur dit à Abraham: Sortez de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père. » (Gen., XII, 1) on ne voit pas clairement s'il ne se produisit alors qu'une parole qui frappa les oreilles d'Abraham, où s'il apparut quelque chose à ses yeux. Il est vrai qu'un peu plus loin il est dit un peu plus clairement: « Et le Seigneur apparut à Abraham et lui dit: Je donnerai ce pays à votre race; » mais en cet endroit il n'est pas dit sous quelle forme le Seigneur lui apparut, ni si c'était le Père, le Fils ou le Saint‑Esprit qui lui apparut. À moins peut‑être qu'on ne croie que c'est le Fils qui se fit voir à lui, parce qu'il n'est pas dit : Et Dieu lui apparut, mais : « Le Seigneur lui apparut; » comme si le nom de Seigneur était proprement celui du Fils, d'après ce passage de l'Apôtre : « Car encore qu'il y en aient qui soient appelés dieux, soit dans le ciel soit sur la terre, et qu’ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, il n'y a néanmoins, pour nous, qu'un seul Dieu qui est le Père, de qui toutes choses tirent leur être et qui nous a faits en lui, et il n'y a aussi qu'un seul Seigneur, qui est Jésus‑Christ, par qui tout a été fait, comme c'est également par lui que nous sommes ce que nous sommes. » (1 Cor., VIII, 5, 6.) Mais comme, en bien des endroits, le Père se trouve aussi appelé Seigneur, par exemple dans ce passage : « Le Seigneur me dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui, » (Ps.II, 7) et dans cet autre : «Le Seigneur dit à mon Seigneur: Asseyez‑vous à ma droite, » (Ps. CIX, 1) et que le Saint‑Esprit est également appelé Seigneur, par l'Apôtre disant: « Or, le Seigneur c’est l'Esprit, » (Il Cor., III , 17) et pour empêcher qu'on ne crût qu'il parlait du Fils et qu'il ne l'appelait esprit qu'à cause de sa substance incorporelle, poursuivant en ces termes : « Et là où est l'Esprit du Seigneur, là est aussi la liberté, » personne ne doute que l'Esprit du Seigneur ne soit le Saint‑Esprit. Mais là encore on ne voit pas d'une manière évidente si c'est l'une des personnes de la Trinité ou Dieu même,

=================================

 

p213 LIVRE Il. ‑ CHAPITRE XI.

 

c'est‑à‑dire de la Trinité, dont il a été dit: «Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et ne servirez que lui, » (Deut., VI, 43) qui apparut à Abraham. Ce patriarche vit en effet trois hommes sous le chêne de Mambré, les invita à entrer chez lui, leur donna l'hospitalité et les servit à table. Toutefois l'Ecriture, en commençant le récit de ce fait, ne dit point: Il lui apparut trois hommes, mais: « Le Seigneur lui apparut; » puis passant au récit de la manière dont le Seigneur lui était apparu, elle parle des trois hommes à qui Abraham adresse son invitation au pluriel, afin de leur rendre les devoirs de l'hospitalité, après cela il leur parle au singulier, comme s'il ne s'adressait qu'à une seule personne, de même il n'y en a qu'un qui promet à Abraham un fils de Sara, c'est celui à qui l'Ecriture donne le nom de Seigneur, comme au commencement de son récit quand elle dit: « Le Seigneur apparut à Abraham. » (Gen. , XVIII, 1.) Le patriarche les invite donc, et leur lave les pieds, puis il les accompagne à leur départ, comme si c'eussent été des hommes, mais il leur parle comme au Seigneur Dieu, soit quand un fils lui est promis, soit lorsqu'il apprend la destruction imminente de Sodome.

 

CHAPITRE XI.

 

Sur la même vision.

 

20. Ce passage de l'Ecriture ne demande point une petite attention ni une attention d’un moment. En effet, s'il n'était apparu qu'un seul homme, ceux qui prétendent que le Fils fut visible par le moyen de sa substance, longtemps avant de naître de la Vierge, ne manqueraient point de crier que c'était lui qui se montrait alors, attendu, disaient‑ils, que ce n'est que du Père qu'il est dit : « Au seul Dieu invisible. » (I Tim., I, 17.) Cependant, je pourrais leur demander comment il se fait qu'avant de s'être uni un corps, il s'est trouvé homme par tout ce qui paraissait de lui o(a)u dehors (Philipp., II, 7), puisqu'on lui lava les pieds et qu'on lui servit des aliments préparés pour un homme. Comment cela pouvait‑il se passer ainsi dans un temps où il n'était encore que dans sa forme de Dieu, et qu'il ne regardait point comme une usurpation de se faire égal à Dieu? S'était‑il donc déjà anéanti lui‑même, en prenant la forme d'un esclave, en se rendant semblable à l'homme et en se trouvant homme par tout ce qui paraissait de lui au dehors? Mais, nous savons qu'il n'en a été ainsi pour lui que par sa naissance d'une Vierge. Comment donc avant cette naissance est‑il apparu comme homme à Abraham? N'était‑ce point une forme véritable ? je pourrais me le demander, s'il n'était apparu qu'un seul homme à Abraham, et si on croyait que cet homme fût le Fils de Dieu; mais comme il est apparu trois hommes et qu'il n'est point dit que

=================================

 

p214 QUINZE LIVRES SUR LA TRINITÉ.

 

l'un d'eux l'emportât sur les autres par la taille, l'âge ou la puissance, pourquoi ne pas croire que dans ce cas, l'Ecriture nous a insinué par le moyen d'une créature visible l'égalité de la Trinité et l'unité, l'identité de substances en trois personnes?

 

21. En effet, de peur qu'on ne vînt à croire que l'Ecriture nous indiquait, en parlant comme elle l'a fait, que l'un des trois personnages était plus grand que les deux autres, et qu'on devait tenir celui‑là pour le Seigneur Fils de Dieu, et les deux autres pour ses anges, vu que s'il est apparu trois personnages, Abraham n'adresse la parole qu'à un seul, la sainte Ecriture va contre cette pensée et une telle opinion qui devaient se produire un jour, en rapportant un peu plus loin qu'il se présenta à Loth deux anges, et que ce juste qui mérita d'échapper à l'incendie de Sodome, n'adresse alors la parole qu'à un seul Seigneur. En effet, voici en quels termes s'exprime l'Ecriture : «Lorsque le Seigneur eut cessé de parler à Abraham, il se retira et Abraham retourna chez lui. » (Gen., XVIII, 33.)

 

CHAPITRE XII.

 

Examen de la vision de Loth.

 

« Or, sur le soir deux anges vinrent à So­dome. » (Gen., XIX, 12.) Il faut remarquer ici avec la plus grande attention ce que je me suis proposé de montrer. Il est certain que c'était aux trois personnages que s'adressait Abraham, et il les appelait seigneur au singulier. Peut‑être, dira‑t‑on, en reconnaissait‑il un des trois pour le Seigneur, et ne voyait‑il que des anges dans les deux autres. Mais alors, que signifie ce que l'Ecriture ajoute par forme de conséquence, en disant : « Lorsque le Seigneur eut cessé de parler avec Abraham, il se retira et Abraham retourna chez lui. Or, sur le soir deux anges vinrent à Sodome? .» (Gen., XVIII, 33.) Est‑ce que par hasard, il n'y eut que celui des trois qui était reconnu pour le Seigneur, qui s'en alla, et envoya‑t‑il les deux anges qui étaient avec lui, à Sodome, pour la détruire ? Voyons donc la suite du récit : « Sur le soir, » dit donc l'Ecriture, « deux anges vinrent à Sodome. Or, Loth était assis à la porte de la ville; en les apercevant il se leva, alla au‑devant d'eux, et les salua en s'inclinant jusqu'à terre, puis il leur dit : Mes Seigneurs, venez, je vous prie, dans la maison de votre serviteur. » (Gen., XIX, 1, 2.) Il est manifeste que c’étaient deux anges, qu'ils furent invités, au pluriel, à accepter l'hospitalité, et que c’est par honneur que Loth les appela seigneurs, bien que peut‑être il les prit pour des hommes.

=================================

 

p215 LIVRE II.- CHAPITRE Xiii.                 

 

 

22. Mais ce qui fait encore une difficulté, c'est que si Loth, n'avait point reconnu en eux des anges de Dieu, il ne les aurait point adorés en s'inclinant jusqu'à terre. Pourquoi donc leur offre‑t‑il, comme à des hommes qui ont besoin de tels services, l'hospitalité et de la nourriture? Quelque secret qu'il y ait là‑dessous, poursuivons ce qui est présentement l'objet de notre recherche. Deux personnages apparaissent, tous deux sont appelés anges, ils sont invités, au pluriel, par Loth s'adressant à eux comme s'ils étaient deux, jusqu'au moment où il sort de Sodome. Alors l'Ecriture poursuit en ces termes: « L'ayant donc fait sortir, ils le conduisirent hors de la ville et lui dirent: Sauvez votre vie, ne regardez point derrière vous, et ne vous arrêtez point dans les pays d'alentour, mais sauvez‑vous sur la montagne, de peur que vous ne périssiez aussi vous‑même avec les autres. Loth leur répondit : Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé miséricorde devant vous, je vous prie, etc. » (Gen., XIX, 17,18.) Que signifie ce langage : « Seigneur, je vous prie, » si déjà celui qui était le Seigneur était parti et avait envoyé ses anges? Pourquoi cette parole: «Seigneur, je vous prie, » au lieu de mes seigneurs, au pluriel? Ou bien s'il ne voulait s'adresser qu'à l'un des deux, pourquoi l'Ecriture lui fait-elle tenir ce langage : «Loth leur dit : Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé miséricorde devant vous ? » Est‑ce que dans cet endroit l'emploi du pluriel désigne pour nous deux per­sonnes, quand ces deux personnages interpellés comme ne faisant qu'un, ne nous donnent à entendre qu'un seul Seigneur Dieu, d'une seule et même substance? Mais quelles sont les deux personnes que nous comprenons d'après ce passage? Sont‑ce celles du Père et du Fils, ou celles du Fils et du Saint-Esprit? Peut‑être bien sont‑ce ces dernières. En effet, ces deux personnages se donnent pour envoyés, ce qui convient comme nous l'avons dit, au Fils et au Saint-Esprit; attendu que nulle part dans les Ecritures, nous ne voyons que le Père ait été envoyé.

 

CHAPITRE XIII.

 

La vision de Moise dans le buisson ardent

 

23. Voici en quels termes est rapportée l'apparition du Seigneur à Moïse, quand ce dernier fut envoyé pour tirer le peuple d'Israël de la terre d'Egypte: « Cependant Moise faisait paître les brebis de Jéthro, son beau‑père, prêtre de Madian, et ayant un jour mené son troupeau dans le désert, il arriva à la montagne de Dieu appelée Choreb. Or, l'ange du Seigneur lui ap­parut dans une flamme de feu qui sortait d'un buisson. Il voyait le buisson brûler sans se consumer. Moise dit donc : il faut que j'aille recon­naître quelle est cette merveille que je vois, et

=================================

 

p216 QUINZE LIVRES SUR LA TRINITÉ.

 

pourquoi ce buisson ne se consume point. Mais le Seigneur le voyant venir pour considérer ce qu'il voyait, l'appela du milieu du buisson, et lui dit : Je suis le Dieu de votre père, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob.» (Exod., III, 1 à 6.) Ainsi, dans cet endroit, le même personnage est d'abord appelé ange du Seigneur, puis Dieu. Est‑ce que le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob n'est qu'un ange? On peut donc fort bien entendre par là le Sauveur même dont l'Apôtre parle en ces termes « De qui les patriarches sont les pères, et de qui est sorti, selon la chair, le Christ qui est Dieu au‑dessus de tout, et béni dans tous les siècles.» (Rom., IX, 5.) Il n'y a donc pas d'absurdité à entendre ici par le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, le Dieu qui est au‑dessus de tout et béni dans tous les siècles des siècles. Mais pourquoi a‑t‑il d'abord été appelé ange du Seigneur, quand il apparut dans la flamme de feu qui s'élevait du buisson ? Est‑ce parce que tout en étant un d'entre les anges, il remplissait par dispensation le rôle du Seigneur? Ou bien n'était‑ce qu'un emprunt fait à la créature, pour apparaître d'une manière visible dans cette circonstance et pour faire entendre des paroles accessibles à l'ouïe, et indiquer, comme il fallait, aux sens corporels de l'homme, la présence du Seigneur, par le moyen d'une créature soumise à sa volonté? En effet, si c'était un ange, qui pourrait facilement affirmer que sa mission était d'annoncer la personne du Fils, ou celle du Saint‑Esprit; celle du Père ou celle de la Trinité même, qui n'est autre qu'un seul et même Dieu, en sorte qu'il pût s'écrier : « Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ? » (Exod., III, 6.) Car nous ne pouvons dire que le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob soit le Fils de Dieu et ne soit point le Père. Ou bien osera‑t‑on prétendre que le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob, n'est point ou le Saint‑Esprit, ou la Trinité même en qui nous croyons, et comprenons le seul Dieu? En effet, le Dieu qui n'est pas un Dieu n'est point le Dieu de ces patriarches; or, si non‑seulement le Père est Dieu, comme les hérétiques même font profession de le croire, mais si le Fils l'est également, ainsi que les hérétiques, bon gré mal gré, sont contraints de le confesser, en entendant ce mot de l'Apôtre : «Il est Dieu au‑dessus de tout et béni dans les siècles des sièeles, » (Rom., IX, 5) s'il en est de même du Saint‑Esprit, toujours d'après le même Apôtre nous disant: «Glorifiez donc Dieu dans votre coeur, » (I Cor., VI, 20) après avoir dit un peu plus haut: «Ne savez‑vous point que vos corps sont en vous le temple du Saint‑Es-

=================================

 

p217 LIVRE Il. ‑ CHAPITRE XV

 

prit que vous tenez de Dieu, » (Ibid., 49) et si ces trois personnes sont un seul Dieu, ainsi que le croit la saine foi des catholiques; on ne voit pas très‑bien quelle personne de la Trinité représentait cet ange, dans l'hypothèse où c'était un ange, ni s'il en représentait une, ni même s'il tenait la place de la Trinité, mais si c'était une créature empruntée pour l'usage d'une chose présente, pouvant apparaître aux yeux des hommes, parler à leurs oreilles, qui fût appelée ange du Seigneur, Seigneur et Dieu, on ne peut entendre par là non Dieu le Père, mais seulement le Fils ou le Saint‑Esprit. Il est vrai que je n'ai pas souvenance d'avoir jamais vu, dans aucun endroit, le Saint ‑Esprit appelé ange, mais on pourrait comprendre qu'il fut tel en vertu de son œuvre, car il est dit de lui « Il vous annoncera les choses à venir; ». (Jean, XVI, 13) or, le mot ange, en grec, veut dire annonceur, en latin. Quant au Seigneur Jésus‑Christ, nous lisons très‑clairement dans un Prophète qu'il a été appelé « l'Ange du grand conseil, » (Isa., IX, 6) bien que le Saint‑Esprit ainsi que le Fils de Dieu soit le Dieu et le Seigneur des anges.

 

CHAPITRE XIV.

 

Vision de Dieu dans la colonne de nuée et de feu.

 

24. De même quand Israël sortit de la terre

d'Egypte, il est dit: « Or, le Seigneur marchait devant eux, le jour dans une colonne de nuée, et leur montrait le chemin ; la nuit dans une colonne de feu; jamais la colonne de nuée ne cessa de paraître pendant le jour ni la colonne de feu pendant la nuit. » (Exod., XIII, 21 et 22.) Qui doute, en cet endroit, que c'est par une créature et même par une créature corporelle soumise à sa volonté, non point dans sa propre substance, que Dieu est apparu aux yeux des hommes? Mais il n'est pas aussi évident que ç'ait été le Père, ou le Fils, ou le Saint‑Esprit, ou la Trinité même qui est un seul Dieu. On ne saurait non plus, je pense, le voir dans ce passage : «Et la majesté du Seigneur apparut dans la nuée, et le Seigneur parla à Moïse en ces termes: J'ai entendu les murmures des enfants d'Israël, etc. » (Exod., XVI, 10.)

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon