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37. Au moment où Sabas faisait publiquement l'éloge du patriarche d'Alexandrie, Athanase expirait, plein de jours et de saintes œuvres, sans avoir vu le triomphe de l'Église. « Il mourut dans son lit, » dit la légende du bréviaire romain. Il trouvait dans la mort un repos qu'il avait longtemps demandé en vain aux grottes des montagnes et aux profondeurs du désert ; il pouvait mesurer de son regard défaillant l'étendue des mers qu'il avait parcourues 2. Sa mort fut un deuil universel pour les catholiques. Saint Grégoire de Nazianze prononça, à cette occasion, un panégyrique qui nous a été conservé. L'éloquence s'y élève à la hauteur d'une telle mémoire. « Louer Athanase, disait-il, c'est louer la vertu. Or la vertu par excellence n'est autre que Dieu lui-même : louer Athanase, c'est donc louer Dieu. Si jamais un homme s'élançant par delà les horizons mortels, se dégageant de l'enveloppe
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1. Theoilor., tii'tf., cap. xxvi. — * M. de Broglie, I'Eglùe it i'Emp, fsçss, tom. V, pag. 117.
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et comme du nuage de la chair, s'est mis en contact avec l'essence divine et s'est plongé, autant qu'il est permis à l'humaine nature, dans l'océan de la pure lumière, cet homme fut doublement heureux par l'élévation même de sa pensée et par l'espèce de déification résultant pour lui de son commerce avec l'auguste Trinité. Or cet homme a vécu ; il se nommait Athanase. En lui semblaient se personnifier les grandes figures patriarcales et prophétiques : Enoch, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Aaron, Josué, Samuel, David, Elie, Elisée. Égal à la plupart de ces héros du Testament antique, il fut supérieur à quelques-uns d'entre eux. On eût dit qu'il avait emprunté à chacun d'eux sa vertu dominante : à celui-ci l'éloquence et la force de la persuasion ; à celui-là l'énergie; aux uns la douceur; à d'autres le zèle et l'intrépidité. Il se montra sur le siège d'Alexandrie le véritable successeur de saint Marc. Je dis véritable, parce qu'il n'hérita point seulement du trône de l'Évangéliste, mais de sa piété et de sa foi. Ceux-là en effet ne sont pas les vrais successeurs des apôtres, qui envahissent leurs églises et répudient leur foi, qui usurpent leurs dignités et corrompent leur doctrine. Une pareille succession, c'est le triomphe des ténèbres sur la lumière, la peste remplaçant la santé, la tempête couvrant de nuages l'azur du ciel, l'impiété et la folie détrônant la sagesse et la vertu! Athanase, au contraire, a réalisé l'idéal du pontife tel que saint Paul nous l'a retracé quand il parle du « divin Prêtre qui a pénétré les cieux. » Oui, je vais jusque là, sans craindre d'être taxé d'exagération, puisque l'Écriture nous apprend que ceux qui vivent « selon le Christ sont véritablement d'autres Christs. » Cherchez une vertu qu'Athanase n'ait point pratiquée, une condition, un rang, un âge dont il n'ait été le modèle! Vous êtes en foule dans cet auditoire, hommes et femmes, jeunes gens et vierges, enfants et vieillards, prêtres et peuple, moines et époux simples et grands, riches et pauvres, travailleurs ou contemplatifs. Tous vous pouvez reconnaître dans Athanase la vertu propre à votre condition. Un cénobite admirera les prodiges de mortification par lesquels il s'était affranchi des liens du corps, des servitudes matérielles, pour vaquer au jeune et à la prière? Un
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autre célébrera cette voix angélique qui ne se lassait point de chanter notre divine psalmodie? Celui-ci sera touché de son amour pour les pauvres et de son infatigable charité ; celui-là contemplera, avec un respectueux étonnement, ce caractère intrépide qui opposait aux puissants un front d'airain et déployait des trésors de tendresse pour les petits et les humbles. Les vierges trouveront en lui un modèle de virginité ; les époux, le plus sage des directeurs ; les solitaires, un patriarche de la solitude ; les cénobites, un législateur ; les simples, un guide ; les savants, un docteur ; les emportés, un frein ; les malheureux, un consolateur ; les cheveux blancs, un bâton de vieillesse ; les jeunes gens, un pédagogue; les pauvres, un aumônier; les riches, un dispensateur; les veuves, un appui ; les orphelins, un père ; les étrangers, un hôte ; les malades, un médecin. Enfin il s'était fait tout à tous. Eh bien ! qu'on admire tant qu'on voudra ces mérites si divers, ils ne sont que le petit côté de la gloire d'Athanase ! Je les abandonne pour m'attacher à ce qui fait véritablement son héroïsme exceptionnel. Il y eut un temps, hélas ! trop court, où l'Église était florissante. On ne songeait point alors à dissimuler sous des formules captieuses une doctrine empoisonnée; on ignorait l'art des circonlocutions et des subtilités théologiques ; nul n'aurait osé se faire une doctrine appropriée aux circonstances, ni consulter les grands de la terre pour savoir comment il fallait parler de Dieu. Le langage de l'Église était simple comme la vérité même. Arius parut, avec ses fureurs impies, remplaçant par le blasphème l'antique majesté de l'Évangile. Qui dira jamais les calamités dont son hérésie fut le signal? Il faudrait Jérémie en personne pour égaler ici les lamentations aux douleurs ! Athanase fut vraiment la trompette de la foi, en un temps où la vérité était opprimée de toutes parts. Dans l'auguste réunion des trois cent dix-huit confesseurs de Nicée, Athanase, encore simple prêtre, eut l'honneur d'exercer, par son mérite seul, l'influence prépondérante. Désigné des lors aux vengeances des sectaires, il devint le but de toutes leurs attaques, et dans une lutte qui embrassait l'univers entier, ou eût dit qu'il ne s'agissait pour les ariens que d'abattre une
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seule tête. Vous connaissez les forfaits du cappadocien Georges, cet intrus dont la cruauté ensanglanta l'Egypte. Athanase proscrit alla demander un asile aux rochers des solitudes. Les pieux habitants du désert s'étonnaient de le trouver plus exercé qu'eux-mêmes aux mortifications, à la pénitence, aux jeûnes et aux veilles saintes. Ils lui fient un rempart de leur corps. Combien d'entre eux subirent la mort, pour ne point révéler la retraite du patriarche! Georges faisait parcourir l'Egypte, fouiller la Syrie, l'Orient tout entier, dans l'espoir d'atteindre Athanase. N'y pouvant réussir, il eut recours à un moyen plus sûr, à des calomnies plus dangereuses que le poignard. Ce fut sous son influence et sous la direction des eunuques de la cour que se tinrent, je ne dirai pas des conciles, à Dieu ne plaise que je profane ici un nom sacré! mais des conseils de Caïphe où l'on soudoyait de nouveaux Iscariotes; où l'on recueillait la déposition de faux témoins; où l'on condamnait encore une fois Jésus ! Rien ne put faire fléchir le courage d'Athanase, cette colonne de l'Église. Nouveau Samson, il renversa sur ses auteurs l'échafaudage de tant de calomnies savamment amoncelées. Dieu lui-même prit en main la cause de son défenseur. On vit tomber d'abord Constance, prince misérable, dont la vie avait été un tissu de cruautés, dont la mort fut manifestement l'œuvre de la vengeance divine. En expirant, il articula, dit-on, un triple regret : celui d'avoir fait massacrer son neveu Gallus; d'avoir donné la pourpre au César apostat Julien; enfin d'avoir soutenu le parti de l'erreur. L'intrus cappadocien Georges fut, quelque temps après, immolé par une population furieuse ; Athanase rentra triomphant dans la capitale de l'Egypte. Mais la tranquillité dont le grand patriarche pouvait enfin jouir ne fut pas de longue durée. Le restaurateur du paganisme, l'apostat Julien, estimait n'avoir rien fait encore contre l'Église, tant qu'Athanase serait vivant. Nouvelle persécution, nouvel exil, jusqu'à ce que, frappé par la puissance céleste, Julien eût expiré chez les Parthes. Un empereur se levait alors, digne du sceptre, digne de l'Église dont il était le fils dévoué. Celui-là demandait à Athanase de lui apprendre à discerner la foi véritable, au milieu des
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formules ariennes dont le nombre se montait à plus de six cents. Le patriarche d'Alexandrie lui répondit par le symbole de Nicée, monument d'une jeunesse immortelle. Jovien, prince chéri de Dieu, ne fit que passer sur le trône. Vous connaissez les orages soulevés contre l'Église par le maître actuel de l'Orient. C'est au milieu de cette dernière tempête que vient de s'éteindre Athanase, l'œil sacré de l'univers catholique, le pontife incomparable, la grande voix de la vérité, la colonne de la foi, le nouveau précurseur du Christ, la seconde lampe allumée dans les sentiers du Seigneur. Il s'endort dans une radieuse vieillesse, plein de jours passés selon Dieu. Après tant de calomnies réfutées, tant d'assauts soutenus, l'auguste Trinité l'appelle au séjour des saints. Il a rejoint ses frères les patriarches, les prophètes, les apôtres, les martyrs, tous ceux qui ont combattu pour la foi ; plus honoré au sortir de la vie qu'il ne le fut au jour où il rentrait en triomphe dans les murs de sa fidèle métropole; faisant répandre plus de larmes; laissant dans la pensée de tous un souvenir plus ineffaçable que tous les monuments et les arcs de triomphe élevés à sa gloire 1. »
38. Plus haut encore que l'éloquence même de saint Grégoire, l'Église catholique a élevé la voix pour glorifier la mémoire d'Athanase. Le symbole qui porte le nom du grand patriarche est aujourd'hui chanté chaque dimanche par tous les prêtres de l'univers. On a élevé, en ces derniers temps, quelques doutes sur l'authenticité de cette formule de foi. On la suppose une œuvre collective plutôt que la production spontanée du génie d'Athanase. Cela peut être; mais ce qui n'est pas douteux, c'est qu'elle ne dut son crédit qu'au patronage de l'illustre confesseur. S'il ne l'a pas composée lui-même, il l'a du moins adoptée et couverte de l'autorité irrafragable de son nom 2. Ce ne fut point assez : l'église romaine, pour mieux consacrer la sublimité intellectuelle du patriarche d'Alexandrie, a voulu lui donner le premier rang parmi les quatre grands docteurs dont la statue colossale supporte le dôme de
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'S. Greg. Naz., Orat. xxi, In laudem Alhanasii, passim; Pair, grœc, uu.. XXXV, col. tOS-^ "i128. — 2. Cf. Dialribœ in Symbotum Quicumque ; Pair, grn*^ toiu. XX.VIU, coi. 156S.1C04.
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la Confession de saint Pierre. Athanase avec saint Chrysostome pour l'Église grecque, saint Ambroise et saint Augustin pour l’Église latine, représentera jusqu'à la fin des siècles le génie catholique, uni à la sainteté du caractère et à l'indomptable énergie de ta foi. — Avant d'expirer, Athanase répondant aux sollicitations de ses prêtres qui lui demandaient en pleurant de se désigner lui-même un successeur, avait étendu la main vers l'un d'entre eux, et par ce geste avait suffisamment manifesté sa pensée. Clergé, magistrats, peuple, tous, respectant après sa mort la volonté de celui qu'ils avaient tant aimé durant sa vie, ratifièrent son élection muette. D'une voix unanime, Pierre fut proclamé au trône vacant. Pierre avait été le fidèle compagnon d'Athanase; il en avait partagé tous les périls, l'avait suivi au désert, dans l'exil, au milieu des rochers de la Thébaïde, comme en Germanie, ou à Rome, suivant que le caprice des persécuteurs ballottait du nord au midi le héros de la foi. Pour Alexandrie, Pierre était en quelque sorte Athanase se survivant à lui-même; on croyait n'avoir pas perdu tout entier le grand homme; on retrouvait son image vivante dans la personne du plus constant, du plus cher, du plus fidèle de ses amis.
39. Ce n'était point là ce qu'attendait Valens. Par ses ordres, le gouverneur d'Egypte, Palladius, à la tête d'une foule composée en majorité de juifs et de païens, envahit la basilique d'Alexandrie, et tint le nouveau patriarche assiégé dans l'église, menaçant de massacrer tous les fidèles, si le pontife ne se constituait prisonnier. Il voulait, disait-il, l'envoyer à Antioche, où l'empereur se réservait d'examiner les graves irrégularités qui avaient entaché son élection. Pierre réussit, la nuit suivante, à s'embarquer sur un navire qui faisait voile pour Rome, sauvant la vie, par son heureuse fuite, à des milliers d'innocents. Valens n'insista plus sur l'examen juridique qui venait de servir de prétexte à ces violences; il se contenta d'expédier d'Antioche l'arien Lucius, dont nous avons précédemment raconté les mésaventures vis-à-vis de Jovien. Ce ridicule personnage, qui jouait depuis tant d'années le rôle de prétendant au siège patriarcal d'Alexandrie, eut enfin la joie de se voir intronisé par les soldats de Valens. Il s'assit dans la chaire illus-
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trée par Athanase ; mais il fit payer cher aux catholiques les railleries qu'on s'était tant de fois permises au sujet de son infirmité naturelle. Le bossu devint un tyran. On eût dit qu'il prenait à tâche d'effacer, en les dépassant, les cruels souvenirs de Georges le cappadocien. Secondé par le préfet d'Egypte, il se crut tout permis. Son palais épiscopal fut rempli d'une bande de païens qu'il prit à sa solde, et dont il se servait pour arracher les catholiques de leurs demeures. Il les faisait torturer sur la place publique, égorgeant les uns, exilant les autres, confisquant les biens de tous. Les religieux furent particulièrement en butte à ses fureurs. Il envoyait ses satellites incendier les monastères de Nitrie et de la Thébaïde, pourchassant les solitaires jusque dans leurs grottes les plus reculées. «Un jour, dit Théodoret, ses limiers lui ramenèrent prisonniers les deux Macaire de Nitrie, Isidore et quelques autres pères du désert. L'intrus les fit déporter dans une île de la haute Egypte, entièrement peuplée de barbares idolâtres, auxquels l'Évangile n'avait point encore été prêché. L'arrivée des proscrits au milieu de ce centre païen fut signalée par un événement surnaturel. L'île possédait un temple fameux par un oracle que tous les habitants venaient consulter. La prêtresse qui faisait le rôle de pythonisse fut tout à coup saisie d'un transport extraordinaire. Agitée par le démon, elle vint sur le rivage attendre la barque qui amenait les étrangers. Quand ils eurent mis pied à terre, elle les interpella en ces termes : Quelle n'est pas votre puissance, serviteurs du Christ! Il vous a suffi de paraître, et votre influence nous chasse des cités, des bourgades, des monts et des collines que nous habitions en paix dans cette île! Nous avions l'espoir, en ce lieu reculé, d'échapper longtemps au pouvoir de votre Maître. C'en est fait. Ceux qui vous ont déportés ici croyaient vous punir ; c'est nous qu'atteint leur vengeance. Nous abandonnons pour jamais une île d'où votre vertu nous chasse! » — La prêtresse lançait ces objurgations, en écumant de rage, sans paraîtra avoir conscience des paroles qui sortaient de ses lévres. Elle se tordait dans des convulsions étranges, et finit par tomber inanimée sur le rivage. Son père, le prêtre païen, éclatait en sanglots. La
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foule, dans une émotion facile à comprendre, s'empressait autours de la jeune fille. Les saints ermites s'approchèrent; l'un d'eux fit le signe de la croix sur le corps de la pythonisse. Elle revint aussitôt à elle et se jeta dans les bras de son père. A ce spectacle, les barbares se prosternèrent aux pieds des vénérables proscrits, les suppliant de leur faire connaître le Dieu puissant qu'ils adoraient. L'île entière se convertit; le prêtre païen et sa fille reçurent le baptême; le temple d'idoles fut remplacé par une église catholique. La nouvelle de ces événements fut bientôt portée à Alexandrie par les bateliers qui faisaient le service du Nil. Le peuple se porta en foule à la demeure patriarcale, vociférant contre Lucius des cris de fureur. « Il exile les saints! disait-on de toutes parts. Il attire sur nous la colère du ciel ! » —L'intrus épouvanté se hâta de calmer l'effervescence populaire; il promit de rendre la liberté aux solitaires et de les renvoyer à Nitrie 1. »
40. La persécution contre les catholiques n'en continua pas moins dans la capitale de l'Egypte. Les auxiliaires de Lucius, presque tous païens, ne respectaient pas plus un évêque arien qu'un évêque orthodoxe. Ils apparaissaient soudain dans la basilique de Saint-Théonas, au moment où l'intrus célébrait les saints mystères; ils entonnaient des chants obscènes, ou exécutaient les danses orgiaques en l'honneur des dieux. Un jour, ils habillèrent un femme en eunuque, lui fardèrent les joues, et le portant en grande pompe sur le maître-autel, ils vinrent tour à tour se prosterner devant cette image vivante de Vénus. «Vive le patriarche Lucius! disaient-ils. Il est l'élu de Sérapis! Il est l'ami des dieux! » Le gouverneur autorisait de sa présence et de ses applaudissements de pareilles mascarades. Il y joignait au besoin la cruauté. Dix-neuf prêtres, demeurés fidèles à l'autorité du patriarche légitime, furent traînés au tribunal de Palladius. «Misérables, leur dit-il, faites-vous ariens ! Quel scrupule vous en empêche? Admettez, si vous voulez, que votre doctrine soit la véritable. Je ne le discute pas, moi qui suis païen. Mais puisque je vous l'ordonne et que j'ai en main la puis-
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1. Theodoret., Ilist. Ecdei., lib. IV, cap. xvm.
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sance, évidemment la responsabilité de votre acte ne tombera que sur moi seul. Vous pourrez toujours dire que je vous ai contraints. Cela laisse votre conscience en repos. Venez donc sans crainte reconnaître l'autorité de Lucius et souscrire à sa profession de toi. L'empereur le veut ; votre obéissance vous vaudra de sa part faveurs, dignités, richesses. Au contraire, si vous résistez, j'ai l'ordre de déployer contre vous toutes les mesures de rigueur, les chaînes, la flagellation, la torture, l'exil, la mort même. — Cessez, répondirent-ils, de perdre ainsi vos paroles. Vos menaces ne sauraient nous effrayer, ni vos promesses nous corrompre. Jésus-Christ est Dieu, les ariens le nient ; Jésus-Christ est consubstantiel à son Père, les ariens le nient. Nous adorons Jésus-Christ comme Dieu. Nous confessons qu'il est consubstantiel à son Père. Telle est notre foi ; nous n'en aurons jamais d'autre. — Palladius les fit jeter en prison. Dans l'intervalle, un diacre romain, porteur de lettres que le pape Damase adressait à cette église désolée, arrivait à Alexandrie. Le gouverneur, craignant l'influence du messager apostolique, s'empressa de le faire arrêter par ses licteurs et l'envoya chargé de chaînes servir avec les condamnés dans les mines de Phenna. Cependant les dix-neuf prêtres captifs furent extraits de leur cacho, et amenés à Palladius. Ce juge impis s'était rendu au port, en face d'un navire prêt à mettre à la voile. A mesure que les prisonniers passaient devant lui, renouvelant leur refus d'apostasier, il les faisait transporter sur le vaisseau. Toute la population d'Alexandrie assistait à ce jugement inique. Hommes, femmes, enfants témoignaient par leurs sanglots et leurs larmes l'horreur que leur inspirait une pareille tyrannie. Au moment de lever l'ancre pour aller jeter les vénérables confesseurs sur quelque plage déserte de la Nubie, une tempête effroyable s'éleva. Les matelots épouvantés n'osaient quitter le port. La foule redoublait ses cris, disant que le ciel lui-même s'opposait à tant d'injustice. Pour toute réponse, Palladius lança parmi la multitude un bataillon de soldatf nègres qui massacrèrent sans pitié tout ce qui leur tomba sous la main. Le commandant du vaisseau reçut l'ordre de partir à l'instant même, et la justice des ariens fut satisfaite. Quelques milliers d'Alexandrins
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avaient perdu la vie dans cette épouvantable exécution. Leurs cadavres furent réclamés par les familles en pleurs. Au mépris de la loi romaine, qui autorisait toutes les requêtes de ce genre, Palladius refusa de rendre ses victimes. Il les fit transporter à quelques milles de la cité, dans le désert, afin que les chacals et les oiseaux de proie pussent achever l'œuvre de sa vengeance. Quelques jours après, douze évêques catholiques de la province de l'Heptanomide étaient déportés à Diocésarée. Une députation du clergé catholique d'Antioche, arrivée sur ces entrefaites à Alexandrie, fut reléguée dans les montagnes du Pont, où elle mourut de misère et de faim 1.