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L'intervalle de près d'un mois qui devait s'écouler entre la première élection canonique et le conciliabule subreptice d'Ursicinus ne fut pas perdu pour les dissidents. «Tandis que des agents éhontés parcouraient, dit M. A. Thierry, les quartiers infâmes de Rome, soulevant les passions et achetant les suf-
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Cf. tom. IX de cette Histoire, pag. 435-413.
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frages, d'autres plus indignes encore frappaient à la porte des palais, pour y semer l'outrage et la calomnie contre le nouveau pontife. Alors fut reprise et amplifiée l'accusation, depuis longtemps démentie, d'un adultère commis par Damase dans sa jeunesse. Les diacres Amantius et Lupus se faisaient les colporteurs de ces diffamations. Ursicinus leur donna pour acolytes deux personnages dont l'histoire est bien obligée de parler, puisqu'ils s'y sont fait une place par l'infamie, et que d'ailleurs leur immixtion dans un débat d'élection épiscopale est un trait assez curieux des mœurs du temps. L'un était un juif espagnol, nommé Isaac, converti au christianisme, puis relaps, lequel, suivant le langage d'un concile romain qui le condamna, avait profané par sa rechute les mystères sacrés 1. Ce misérable affichait des prétentions à la théologie ; on lui attribua un assez mauvais livre sur le Saint-Esprit, écrit à l'époque de sa conversion. Ennemi personnel de Damase, qui était originaire d'Espagne comme lui, et peut-être avait censuré son ouvrage, Isaac prétendait avoir en sa possession les preuves de cet adultère imputé au prêtre de Saint-Laurent; mais, sommé plus tard de les reproduire devant les juges, il se reconnut lui-même pour un imposteur.
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Au lieu d'écouler cependant la voix
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1. Innocent. III. Epist. vi, 93, 94; nu, 43. 2 Cf. Raumer, n, p. 213.
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désolée de son peuple et d'ouvrir les yeux sur son propre malbeur, Philippe Auguste fut transporté d'indignation. Sa rage éclata d'abord contre le clergé : beaucoup d'évêques et de prêtres furent dépouillés de leurs dignités et de leurs biens, expulsés par la violence ou réduits à se cacher. Vint ensuite la noblesse, dont il diminua les privilèges et les bonneurs. ll n'épargna pas même le peuple, dont il augmenta les charges et les impôts. Ces mesures, dictées par le ressentiment, n'étaient ni justes ni prudentes. L'irritation allait toujours croissant, dirigée contre le vrai coupable. Où devait-elle s'arrêter? Une chose y mit le comble : il confia les revenus de l'état à ces mêmes Juifs qu'il avait expulsés et spoliés au commencement de son règne. C'était jouer avec le feu : le bruit des armes retentissait déjà dans les provinces ; à la cour, les plus hauts dignitaires et les plus humbles serviteurs s'éloignaient, tenant leur maître pour un maudit qui porte au front l'anathème, bien qu'il ne fût pas encore excommunié. Or l’isolement est terrible; ni la passion ni la royauté n'y peuvent rien.
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11. Les seigneurs de France se réunirent à Soissons, en vue d'arrèter les dernières mesures et de fixer l'époque du départ; mais ils ne s'y trouvèrent pas en assez grand nombre. On convoqua donc une nouvelle assemblée, qui devait se tenir à Compiègne. Jamais, depuis Clermont et Vézelay, pareille réunion d'hommes de guerre, barons et chevaliers, sans compter les dignitaires ecclé siastiques, n'avait eu lieu ; la croix rouge brillait sur toutes les épaules. On commença par délibérer sur les moyens de se procurer l'argent nécessaire pour cette lointaine expédition, et puis sur le chemin qu'il faudrait adopter. Celui de terre fut estimé le moins favorable, soit à cause de la longueur et des difficultés, soit par les dispositions hostiles des Bysantins à l'égard de semblables entreprises. On choisit donc la voie de mer ; et les trois principaux chefs de la croisade nommèrent chacun deux ambassadeurs, pour traiter avec une ville maritime et fréter les vaisseaux dont on avait besoin. Thibaud de Champagne désigna Godefroi de Villehardouin et Milo de Brabant; Baudouin de Flandre choisit Alain de Machicoux et Cunon de Bétune ; Louis de Blois leur adjoignit Jean de Friaise et Gauthier de Goudonville. Voyant approcher le moment où son œuvre capitale allait enfin s'accomplir, le Pape écrivait lettre sur lettre pour soutenir le courage des uns, secouer la torpeur des autres et donner aux forces coalisées une dernière impulsion. La France étant sous les coups de l'interdit à raison du divorce, il permit la célébration de l'office divin pour les croisés seuls, en excluant toutefois le son des cloches, la pompe des cérémonies et les chants sacrés. Il adopta les plus sages mesures en faveur des Juifs, toujours menacés dans de telles circonstances, quand l'argent, qu'ils soutiraient aux chrétiens par une usure incessante, devenait si nécessaire à ces derniers ;
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p403 CHAP. VII. — CONCILE ŒCUMÉNIQUE IV DE LATRAN.
les mêmes indulgences. Malheur à celui qui resterait sourd à la voix du divin Crucifié ! Dans toutes les églises seront adressées au ciel de ferventes prières, pour le succès des combattants, pour l'accomplissement de la grande œuvre ! » Innocent s'engageait à donner en son nom et sur ses économies trente mille livres, et de plus un vaisseau pour les croisés de Rome ou de la région suburbaine. Il fut enjoint aux cardinaux de donner le dixième de leurs revenus, à tout le clergé, le vingtième ; et tout cela sous peine d'excommunication. Pour faciliter cette contribution générale, il fallut s'occuper des Juifs, les banquiers de l'époque : Non seulement on leur ordonna de baisser le taux de l'intérêt, qui tendait chaque jour à devenir une criante usure, la ruine assurée de leurs débiteurs chrétiens ; mais encore tout intérêt demeura suspendu pendant tout le temps de la croisade. On renouvela les anciennes prescriptions au sujet de ce peuple, prévenant ses empiétements, lui rappelant sa dépendance, sauvegardant aussi sa sécurité, pourvu qu'il respectât les fidèles dans leur religion et leurs biens.