CHAPITRE X
1. Augustin tente d'avoir une conférence avec Proculéien évêque donatiste d'Hippone. - 2. Il écrit à Eusèbe à ce sujet. - 3. Il se plaint au même de ce que Proculéien a reçu un jeune homme qui avait frappé sa mère et l'a rebaptisé ensuite, dans sa secte. - 4. Il réclame au sujet de Prime sous-diacre de l'Eglise, homme pervers, rebaptisé par les donatistes. - 5. Mort de l’évêque Valère. - 6. Augustin répond à Casulan qui l'avait consulté au sujet du jeûne du samedi.
1. Nous avons déjà fait remarquer que l'Église d'Hippone, se trouvait divisée par le schisme des donatistes. Proculéien était leur évêque. Augustin avait assez d'amitié pour lui, tant à cause des liens qui rapprochent les hommes d'une même société, qu'à cause de certaines marques d'un esprit de paix qui brillaient en lui et de la bonté qu'on lui connaissait. Toutefois, depuis qu'Augustin était devenu évêque, il avait longtemps évité de lui parler, persuadé que Proculéien ne voudrait ni recevoir sa visite ni s'entretenir avec lui. Mais, le hasard ayant réuni Proculéien et Evode dans une même maison, ils en vinrent à parler de l'esprit des chrétiens, c'est-à-dire de l'héritage et de l'Église du Christ. Évode qui ne voulait point le flatter, mais qui avait à coeur de défendre la vérité pour laquelle il était plein d'ardeur, le fit avec plus de zèle et de force que ne le désirait Proculéien; car celui-ci se plaignit qu'Évode lui eût répondu d'une façon blessante, il dit néanmoins qu'il voulait bien avoir une conférence avec Augustin, en présence d'hommes graves et honnêtes. Évode alla tout joyeux faire connaître les dispositions et le désir de Proculéien au saint évêque, qui accepta volontiers et saisit avec joie l'occasion de discuter la cause et l'origine du schisme déplorable qui troublait, par un misérable dissentiment, les familles et les personnes. « Il écrivit donc à Proculéien une lettre pleine de politesse et de bienveillance dans laquelle il excuse l'ardeur d'Évode, et l'assure qu'il prendra garde
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(1) Des hérét., Lxxxvii.
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de ne blesser personne, dans ses paroles; il lui promet de se rendre à la conférence en présence des personnes dont Proculéien lui-même fera choix, pourvu toutefois qu'on recueille leurs paroles par écrit: il lui propose aussi si cela lui convient, d'avoir d'abord un commerce de lettres, ou quelques entretien particuliers, pourvu toutefois qu'on lise, au peuple, le résultat de leur conférence ou les lettres qu'ils se seront écrites l'un à l'autre, afin d'arriver à n'avoir plus deux peuples mais un seul peuple. Il lui promet que cela sera agréable à Valère qui alors était absent. Dans le reste de la lettre Augustin prie et conjure Proculéien de préférer la paix aux honneurs qui sont caduques et à ses avantages. Ce qu'il dit peut-être parce que l'Église d'Afrique n'avait pas encore décrété d'admettre les évêques donatistes dans son grade. On ne sait au juste si Augustin était prêtre ou évêque, lorsqu'il écrivit cette lettre, mais il est vraisemblable qu'il était déjà évêque; car il parle, dans cette lettre, des honneurs « que nous rendent, dit-il, les hommes, parce que nous leur sommes nécessaires quand ils veulent que nous terminions leurs affaires temporelles; et pour lesquelles ils nous saluent tous les jours profondément. » Car, on ne peut guère démontrer que ceux qui n'étaient que prêtres eussent le droit de terminer les affaires et les différends. Quoique cela soit arrivé certainement avant la première lettre qu'il écrivit à Eusèbe, dans laquelle il se dit bien nouvellement évêque, et du vivant de Valère, on ne peut cependant le placer longtemps après les débuts de son épiscopat. Nous ne savons quel fut le résultat de cette lettre à Proculéien. Cependant, ce qui est certain, c'est que les donatistes, en général, refusaient toute espèce de conférence avec Augustin.
2. Pour ce qui concerne les lettres, il en écrivit d'autres encore aux évêques donatistes, non pas des lettres pastorales, dont leur schisme avec l'Église catholique les rendait indignes, mais des lettres privées telles qu'il est permis d'en écrire même aux païens. Dans ces lettres de politesse, qui étaient bien propres à ramener la paix, il les engage à lui accorder une conférence dans laquelle la cause du schisme et les autres questions semblables pourraient être discutées. Mais il nous apprend lui-même que si quelquefois ils lisaient ses lettres, ils les avaient rejetées, et ne lui avaient jamais répondu, soit mépris ou plutôt, soit ignorance et défiance en la bonté de leur cause. Il dit au sujet de Proculéien lui-même qu'il sait, par expérience, qu'il refuse de recevoir ses lettres; car il lui en avait écrit au moins quatre, bien qu'aujourd'hui il n'en reste plus qu'une dont nous parlerons bientôt. On doit rapporter à cela ce qu'il dit à Eusèbe dans sa lettre que Proculéien lui a répondu par un de ses prêtres nommé Victor, lequel avait adressé la parole aux officiers publics envoyés pour recevoir la réponse de Proculéien; cette réponse que les officiers publics consignèrent dans les actes, a assez de rapport avec ce que Proculéien avait dit à Évode, et l'obligèrent, comme on le voit, à se rendre à une conférence publique. Peut-être aussi cela a-t-il rapport à une autre demande, à laquelle il avait fait donner cette réponse : " Si tu es chrétien, laisse cela au jugement de Dieu. » Quoi qu'il en soit, le bruit commença à se répandre dans Hippone que la réponse consignée dans les actes publics n'était pas celle de Proculéien. Il aurait répondu, suivant le bruit qu'on faisait courir, que si Augustin éprouvait un si grand désir de conférer, il n'avait qu'à se rendre à Constantine où ils s'étaient réunis en grand nombre, ou à Milève où ils ne devaient pas tarder à tenir un concile. Il y avait alors à Hippone un homme important nommé Eusèbe, de la secte des donatistes et ami de Proculéien, mais d'une sagesse, d'une prudence et d'une modération remarquables. Comme Augustin ne voulait point écrire à Proculéien, puisque ce dernier refusait de recevoir ses lettres, il s'adressa à cet Eusèbe par l'entremise d'hommes de bien et vertueux, le priant de demander à Proculéien s'il avait fait à Victor la réponse que celui-ci avait fait inscrire sur les registres publics comme sienne, ou si les officiers publics avaient, sur les paroles de Victor, inventé une fausse réponse. Il lui écrit encore dans la suite, à ce
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sujet, pour lui demander, en général, quels étaient les sentiments de Proculéien au sujet de la question du schisme qu'il s'agissait de traiter. Il donne l'assurance qu'il descendra volontiers avec des sentiments de paix, dans la lice, avec Proculéien, si ce dernier y consent, comme il l'espérait d'après ce qu'on lui avait rapporté, car il avait dit, suivant ce qu'il avait appris, qu'il était disposé à rechercher la vérité dans la discussion de la Sainte-Écriture, en présence de dix juges choisis de part et d'autre, parmi les hommes de bien et sérieux, loin de tout tumulte populaire. Le saint docteur ajoutait que, si Proculéien avait quelque peine à consentir à cette conférence, parce que, disait-on, il était moins habile que lui dans les belles-lettres, il n'était point question de belles-lettres dans cette affaire, puisqu'on ne devait traiter les choses qu'à l'aide des Saintes Ecritures et de documents ecclésiastiques et publics. Il pouvait d'ailleurs s'adjoindre celui de ses collègues qu'il jugerait à propos, ou que lui-même céderait sa place à Samsouci, évêque de Turra, qui se trouvait alors à Hippone. Ce Samsouci écrivit de concert avec Alype et Augustin à Sévère et signa le troisième. Augustin le consultait quelquefois dans ses doutes et il reconnut, dans un cas particulier où lui-même était incertain et embarrassé, qu'il avait sainement jugé la chose; car si son style était peu cultivé, il n'en était pas moins fort instruit lui-même, dans les matières de la foi. C'est pourquoi Augustin ne craignait pas de le mettre aux prises avec Proculéien, persuadé que le secours du ciel ne lui ferait pas défaut dans la lutte pour la vérité. Pour ce qui est de se rendre à la ville de Milève, Augustin répond que cela regarde avant tout Proculéien et lui, mais que pour les autres villes, il n'y a aucun pouvoir, attendu qu'il n'est chargé en propre que de l'Église d'Hippone (1).
3. Un autre motif encore avait porté Augustin à écrire à Eusèbe. Un jeune Catholique d'Hippone avait coutume de battre sa mère, pauvre veuve, malheureuse, âgée et dépourvue de tout secours. Sa fureur en était venue au point qu'il ne cessait pas de la battre, d'une main impie, même les jours où la sévérité des lois épargne les plus scélérats, comme les dimanches et les huit jours de Pâques. Augustin lui reprocha son crime. En voyant sa conduite proscrite par l'Église il s'emporta contre sa mère au point de lui dire : « je passerai chez les donatistes et je m'abreuverai de ton sang.» Ce sont, parait-il, ses propres paroles. Il ne tarda pas à accomplir la première partie de ses menaces. Les donatistes le reçoivent; ils rebaptisent ce furieux et le revêtent d'habits blancs, quand il songeait à verser le sang de sa mère. On le place en évidence près de la balustrade, pour le montrer à tout le monde, comme purifié par le don de l'Esprit-Saint, au moment où il ne pensait à rien moins qu'au parricide. Il ne restait plus à ceux qui l'avaient baptisé dans ce sentiment, qu'à le pousser à accomplir, dans les huit jours, le reste de son entreprise. En le voyant, il n'est personne parmi les donatistes qui ne gémît, comme semble l'indiquer Augustin, qui fut très affecté d'un crime si horrible. Aussi, quelle que dût être la fureur des donatistes, il se crut cependant obligé d'élever la voix. Il voulut donc faire consigner, dans les actes publics, un sacrilège aussi odieux, afin que partout où il jugerait à propos de se plaindre d'une si grande infamie, soit dans la ville d'Hippone, soit au-dehors, on ne pût le soupçonner de mensonge. À la même époque, avant que l'octave de ce malheureux néophyte fût accomplie, il écrivit à Eusèbe, dans l'espérance qu'il désapprouverait ce crime. Et prenant Dieu à témoin, il lui dit, que plus il aimait la paix chrétienne, plus il était peiné des actions sacrilèges que les schismatiques accomplissaient dans leur schisme; que pour lui, son émotion était très pacifique ; car il ne veut pousser personne malgré lui à la communion catholique; désirant seulement que l'éclat de la vérité apparaisse aux yeux de tous ceux qui sont dans l'erreur et que sa seule force les détermine à l'embrasser.
4. Eusèbe répondit à Augustin en disant:
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(1) VoijI aUX UttreS XLI1I-XXXIV-XXXV-LXXXIII.
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qu'il n'approuvait pas qu'on eût reçu un jeune homme qui avait frappé sa mère, et que si Proculéien en avait connaissance, il éloignerait de la communion un jeune homme si coupable; mais que du reste, il s'étonnait de voir Augustin l'établir juge et arbitre parmi les évêques. Augustin lui écrivit de nouveau pour lui dire qu'il avait simplement demandé ce qu'il demandait encore à sa bienveillance, de s'informer auprès de Proculéien s'il avait fait à Victor la réponse que celui-ci avait fait consigner sur les registres publics; et de s'informer en même temps de ses intentions au sujet d'une conférence. Quant à ce qui concernait ce jeune homme, si Proculéien est disposé à l'écarter de sa communion dès qu'il aurait connaissance de son crime, son retard n'est plus excusable dès qu'il en est informé. Il lui parle également d'un autre sujet que Proculéien devait encore exclure de sa communion. Il s'appelait Prime, et était autrefois sous-diacre de l'Église de Spangnane dans le diocèse d'Hippone. Se voyant l'accès d'une maison religieuse interdite, il n'avait tenu aucun compte de la défense et méprisa les sages avis qu'on lui avait, donnés. Il fut déposé de la cléricature ; irrité, il passa chez les donatistes qui le rebaptisèrent ainsi que deux religieuses du même village qui l'avaient suivi. À partir de ce moment, on ne le vit plus qu'au milieu de femmes perdues, et dans les festins honteux des circoncellions, ne mettant plus aucun frein à son intempérance. Augustin ajoute que Proculéien devrait appliquer la même mesure que lui, et ne recevoir qu'après une humble pénitence, ceux qui, pour échapper à la discipline, se séparent de l'Église. Il prie donc Eusèbe de faire connaître toutes ces choses à Proculéien, autrement il les lui fera connaître en les consignant dans les registres publics. Il ne peut se taire quand Dieu lui ordonne de parler. Si ces adversaires veulent user de violence, le Seigneur ne fera pas défaut à son Église. Il le met encore au courant d'un autre fait pour lui en demander compte. Un fermier de l'Église avait une fille catéchumène; celle-ci, séduite par les donatistes, avait reçu d'eux le baptême et avait été mise au nombre des vierges. Son père, en vertu de ses droits paternels, voulait la ramener à la communion catholique, même en recourant aux coups. Mais Augustin ne permit pas au père d'user de violence, et ne voulut la recevoir que si elle revenait de son plein gré et sans contrainte. Bien que cette conduite fût pure de toute violence, néanmoins, comme il traversait le territoire de Spangnane, un prêtre de Proculéien qui le rencontra sur les terres d'une Catholique d'un mérite éminent, s'emporta violemment contre lui et contre cette femme, et les traita de traditeurs et de persécuteurs. Non seulement Augustin ne répondit pas, mais il contint la multitude qui l'accompagnait. Ému de ces faits et d'autres encore, il pria Eusèbe d'avertir Proculéien de réprimer la licence de ses clercs, et de faire en sorte que les bons pasteurs ne fussent pas contraints de garder le silence, tandis que l'ennemi, semblable à un loup ravissant, s'efforçait de ravager le troupeau (1). Il y avait très peu de temps qu'Augustin était évêque quand il écrivit ces deux lettres à Eusèbe, voilà pourquoi nous les plaçons à cette époque.
5. L'évêque Valère qui vivait encore quand Augustin écrivit à Proculéien pour l'inviter à une conférence, mourut peu de temps après ; du moins nous n'entendons plus parler de lui, à partir de ce moment (29). Jérôme Vigner a placé dans son supplément, un sermon prononcé, pense-t-il, par Augustin, la première fois que celui-ci parla au peuple après la mort de Valère, après avoir passé trois jours dans le silence, à cause de ses larmes et de celles de tout le peuple, qui ne lui permettaient point de parler. Ce sermon renferme plusieurs choses qui, si on pouvait le regarder comme authentique, nous fournirait l'occasion de nombreuses remarques. Nous avons rejeté à la fin du tome XXIX, avec les écrits des donatistes, ce discours, où il est parlé d'un sous-diacre rebaptisé et ordonné diacre par les donatistes.
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(1) LetIre xxzY. (2) Lettre XXXIII n. 4.
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Sans nous demander si le style de ce sermon répond assez à la gravité d'Augustin, il y est longuement parlé d'un Rusticien, diacre ou sous-diacre de Mutugenne, qui était passé de l'Église chez les donatistes, et avait été rebaptisé par Macrobe, puis ordonné diacre. Ce Rusticien, d'après plusieurs indices et de nombreuses conjectures, paraît être le même que le diacre de Mutugenne, au sujet duquel Augustin a écrit à Maximien comme nous l'avons fait remarquer plus haut (1).
6. Il y avait parmi les amis du saint évêque, un prêtre nommé Casulan. Son goût et son style charmaient beaucoup Augustin qui l'engagea, à cause de l'esprit qu'il montrait dans ses lettres, à se livrer de plus en plus à la parole de Dieu pour se rendre chaque jour plus utile à l'Eglise. Il vivait, à ce qu'il parait, dans une église d'Afrique où les uns observaient le jeûne du samedi, et les autres ne le pratiquaient point; car à cette époque, la coutume de l'Église au sujet de ces jeûnes, n'était pas partout la même. L'Église romaine et quelques autres églises d'Occident, en petit nombre, l'observaient pendant les cinquante jours du temps pascal. Mais, chez tous les peuples chrétiens d'Orient, même chez un grand nombre de nations d'occident, personne ne jeûnait ce jour-là, si ce n'est le Samedi saint. Casulan, en voyant cette diversité de coutumes, en écrivit à un de ses amis, à Roule, afin de savoir ce qu'il fallait observer. Cet ami lui envoya en réponse, une longue dissertation, dans laquelle il soutenait qu'on devait suivre la coutume de l'Église romaine et jeûner le samedi, et il injuriait ceux qui faisaient autrement, c'est-à-dire presque tout le monde chrétien. Mais comme il eut été difficile d'appuyer ce faux précepte du jeûne sur des raisons valables, il se lance dans l'éloge du jeûne et attaque avec violence les excès de table et la bonne chère, ce qui était tout à fait étranger à la question, et condamne ceux qui ne jeûnaient pas tous les jours, c'est-à-dire l'Église romaine elle-même comme les autres. Casulan envoya à Augustin cette dissertation afin qu'il la réfutât et lui demanda en même temps de lui dire s'il devait jeûner le samedi. Il voulut laisser ignorer à Augustin le nom de celui dont il lui envoyait l'écrit, il se contenta de l'appeler un habitant de Rome. Augustin oublia de répondre à Casulan jusqu'au moment oui il reçut une autre lettre par laquelle celui-ci le suppliait au nom de l'amitié qui les unissait, de lui répondre. Augustin interrompit aussitôt ses nombreuses occupations pour remplir ce devoir et lui dire que, dans les questions de ce genre, où la loi divine ne donne pas une règle certaine, celle qu'Ambroise lui avait donnée à lui-même était de suivre la coutume du lien où l'on se trouve ; ou, s'il n'en existe pas, de faire comme l'évêque de l'endroit. Puis il réfute tous les faux arguments de la dissertation qui lui a été envoyée sans s'arrêter sur aucun d'eux, parce que des travaux plus urgents réclamaient ses loisirs (2). Comme en cet endroit il cite les propres paroles de saint Ambroise en disant : «Je vous indiquerai ce que le vénérable Ambroise, par qui j'ai été baptisé, m'a répondu à ce sujet (3). » Il donne lieu de croire qu'il écrivait avant la mort d'Ambroise arrivée en 397, la veille de Pâques. Nous n'avons aucune raison de contester cette opinion.
CHAPITRE XI
1. Les livres à Simplicien - Dieu, pendant ce travail, révèle à Augustin la vérité sur la prédestination. -2. Époque où parurent ces livres. - 3. Augustin réfute la lettre de Manès, appelée du fondement. - 4. Le livre du Combat chrétien.
1. Cette même année, le 4 avril, mourut Ambroise, à qui succéda Simplicien. Augustin l'avait connu à Milan et avait pris ses conseils à l'époque où il songeait sérieusement à sa conversion. Déjà il avait fait l'expérience de l'affection paternelle dont brûlait son cœur si charitable (4). Dans la suite, Augustin ayant publié différents ouvrages, quelques-uns tombèrent entre les mains de Simplicien qui les
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(1) LiL,., 111, eh. lx, li. 6. (2) LetIre xxxvI- (3) Ibid., n. 36. (4) Lettre xxxvii, n. 1 -
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parcourut avec grand plaisir. Bien plus, il écrivit à Augustin pour lui dire qu'il ne l'avait pas oublié et qu'il lui conservait la même affection et pour le féliciter des dons que Dieu lui avait prodigués; en même temps, il lui propose quelques difficultés qu'il le prie de résoudre dans un petit livre (l). Augustin, qui n'ignorait pas le mérite remarquable d'un si saint homme, accueillit avec joie le témoignage de son affection et le jugement favorable qu'il portait de ses travaux littéraires, persuadé que Dieu avait voulu lui procurer cette consolation, au milieu de ses soucis, car jusqu'alors il avait craint et redouté que l'ignorance ou la négligence lui fissent commettre quelques fautes dans l'explication de l'Écriture. Quant aux questions qu'il dit lui avoir été exposées par Simplicien, comme par un père plein de bonté, non pour apprendre quelque chose de lui, mais pour s'assurer des progrès qu'il avait faits et pour le corriger s'il s'était écarté, il déclare que, non seulement il y aurait eu inconvenance de sa part, mais encore ingratitude à n'y point répondre (2). Aussi comme les questions proposées avaient rapport en partie à l'épître aux Romains et en partie aux livres des Rois, il composa deux livres : le premier en réponse aux questions sur l'apôtre Paul (il n'y en avait que deux); le second sur les autres questions dont Simplicien demandait le sens prophétique. Les questions de Simplicien sur l'Apôtre avaient déjà été discutées et publiées par Augustin. Persuadé que Simplicien ne les lui aurait point faites si le sens en avait été facile et simple, et craignant d'avoir oublié quelque chose dans la manière dont il les avait traitées la première fois, il les examina de nouveau avec un plus grand soin et une plus grande attention. En effet, comme il avait expliqué au pied de la lettre la seconde question sur ces paroles de l'Apôtre : « Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu (I Corinth., iv, 7), » il laissa sa première manière de voir qui était que la foi vient de l'homme (3), et qu'après qu'il a connaissance de la vérité, il se détermine à croire et à ne pas croire par sa propre volonté. Dans plusieurs ouvrages qu'il avait écrits n'étant encore que prêtre, il avait émis cette pensée qui fut plus tard celle des semi-pélagiens. Cependant, éclairé par l'expérience que lui donna l'habitude d'écrire sur ces matières et de lire ces controverses, il reconnut dans cet ouvrage, plus clairement que partout ailleurs, par une révélation divine, que le commencement de la foi et les bonnes œuvres qui en sont la suite, sont un don de Dieu (4). C'est ainsi que, après avoir écrit en faveur du libre arbitre, il finit par établir le triomphe de la grâce de Dieu (5). Car dans la dernière partie de son premier livre, il établit comme une chose hors de doute que la grâce de Dieu ne nous est pas accordée selon nos mérites. Il prouve aussi que le commencement de la foi est un don de Dieu. Puis il pose des principes d'où il est facile de conclure, bien qu'il ne le dise pas en propres termes, que nous ne pouvons persévérer jusqu'à la fin sans le secours de Celui qui nous a prédestinés à son royaume et à sa gloire (6). C'est pourquoi il prie Prosper et Hilaire de faire lire, s'ils ne l'ont pas encore fait, cet ouvrage aux Marseillais qui attaquaient cette doctrine (7). Voilà comment il recueillit le fruit de la foi qui l'avait porté à écrire à Simplicien que, tout incapable qu'il se sentait de comprendre les questions qu'il lui proposait, il allait cependant essayer d'y répondre, en comptant pour cela sur le mérite de ses vertus (8). Passant ensuite à l'autre question, il dit que c'est avec l'aide de ses prières qu'il aborde un sujet aussi difficile et aussi obscur; car il est certain que, dans sa bienveillance pour lui, il ne l'aurait jamais prié de résoudre des choses si difficiles s'il n'en avait demandé à Dieu pour lui le pouvoir (9). Il prie aussi Simplicien d'avoir, pour cet ouvrage et pour tous ceux de lui qui pourraient tomber entre ses mains, non seulement l'attention du lecteur, mais encore la sévérité du censeur (10). À la fin du livre, après lui avoir demandé ses prières pour ses ennemis également,
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(1) Que81iOnS à Simplie, ii, quest., vi. (2) Ibid., préßce. (3) Prédest. des Saints. iv, n. 8. (4) Du don de la Persé- n. 55, (7) Prédest. des Saints. eh. v,
ver. eh. xx, n. 52. (5) ROract., Il eh. 1, n. 1. (6) Don de la Pers., eh. xxi,
n. 8. (8) Leigrexxxvii, n. 3. (9) Q~estions à SimpUe. ii, quest., i, Pref. (10) Lettre xxxvii, n. 3.
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il dit: « Je vous demande de me dire en quelques mots, sur cet ouvrage, votre appréciation sévère; je la demande pleine de vérité, je ne crains pas qu'elle soit trop sévère (4). Parmi les questions de Simplicien, il y en avait une sur la pythonisse qui fit voir à Saül l'âme de Samuel (2). Dans la suite, Dulcitius l'ayant consulté sur le même sujet, il se contenta de lui faire la même réponse qu'à Simplicien. Il ajoute cependant, à la fin, qu'il lui semble, d'après ce qu'il a compris dans l'Ecclésiastique, que la pythonisse, par son art magique, n'avait pas fait voir à Saül quelque chose qui ressemblait à l'âme de Samuel, mais Samuel lui-même (3).
2. Quoiqu'Augustin dise que les premiers livres qu'il composa étant évêque (4) sont les deux livres à Simplicien (5), rien cependant ne s'oppose à ce que Jean Rivius les rapporte à l'année 397, persuadé que Simplicien était déjà évêque à cette époque (6) : en cela il semble avoir suivi le sentiment de Baronius (7). Nous n'osons point nous écarter de l'avis de ces deux critiques, en voyant Augustin, dans ces livres, donner à Simplicien le titre de Père (8), et répéter constamment qu'il a écrit cet ouvrage pour Simplicien, tantôt prélat de l'Eglise de Milan, tantôt évêque de Milan (9), et successeur d'Ambroise (10) ; ailleurs, il dit que ce travail lui a été demandé par Simplicien évêque de Milan (11) : sans jamais faire entendre ailleurs que Simplicien soit devenu évêque plus tard. On peut croire aussi sans témérité, que c'est par déférence pour un si grand homme, qu'Augustin donna à Simplicien le titre de père, quoiqu'il ne fût encore que prêtre, puisqu'il le nomme père d'Ambroise, au point de vue de la grâce du Christ qu'il devait recevoir, et dit qu'il l'aime en effet comme un père. Ambroise dit lui-même en termes éloquents qu'il aimait Simplicien comme un père, «Car il le force de continuer à l'aimer de l'affection d'un père (19.); » et ailleurs (13) : « Je reconnais l'affection de votre vieille amitié, dit-il, plus que cela, l'amour d'un père selon la grâce, car l'ancienneté peut convenir à plusieurs choses, l'amour d'un père est unique. » Si Ambroise avait une aussi grande estime pour Simplicien, Augustin qui n'avait ni l'âge ni la dignité d'Ambroise pouvait bien aussi lui donner le titre de Père quoiqu'il ne fût pas encore évêque. Nous ne lisons pas qu'il ait donné ce titre à l'évêque de Carthage que même il appelle souvent son frère, ni aux évêques mêmes de Rome. D'où l’on peut comprendre qu'il donnait le titre de père à la personne même de Simplicien non pas à l'évêque de Milan. On peut encore ajouter qu'il aurait probablement donné à Simplicien, s'il avait été évêque, le titre de pape, comme il appelait Aurèle de Carthage (14), et Ambroise lui-même (15). Ces deux sièges étaient regardés dans l'Église comme à peu près d'une égale dignité, et la distance elle-même des lieux, pour ne pas parler de l'âge vénérable de Simplicien, demandait encore plus de respect et d'honneur pour le siége de Milan. Gennade qui semble avoir lu la lettre de Simplicien, nous apprend qu'il n'était encore que prêtre lorsqu'il écrivit à Augustin. Il lui aurait donc écrit vers le commencement de l'année 396 : ce qui nous fait croire qu'Augustin lui avait écrit cette même année ; et, dans la suite, en parlant des livres adressés à Simplicien, s'il l'appelle évêque de Milan, c'est pour citer la dignité de celui à qui il les avait adressées.
3. Après les livres à Simplicien, Augustin place son ouvrage (16), Contre la lettre de Manés, intitulée du fondement, parce qu'elle renfermait à peu près tout ce que croyaient les manichéens (17). Toutefois il réfute seulement les principes, c'est-à-dire la première partie de la lettre. Pour le reste, (18) il fit seulement des notes qui renfermaient néanmoins tout ce qu'il fallait pour la réfuter et qui devaient lui servir de signes et de remarques si un jour il avait
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quest., 'Il. e) Huit, quest. de Dulcit- quest- vi, n. 5. (4) De
(1) Questionq à Simplic. 11~ quest. «VI, (2) Ibid. Réiract., liv. 11, Ch- i, n. 1. (6) RivIus. pages,
la prédest. des Saints, n. 8, Du don de la persévér, n. 55. ( liverses quest. à simpi. liv. 1, préf.
'125e6. (7) BAnoN. année 397, n. 55. (8) Let. xxxvii, Titre et n. 1, Des i es Saints. n. 8. (11) Des
(9) Rétract., liv. ii,' n. I., Du don de la persévér. ch. xxi n. 55. (10) De la prédest. d
S. quest, de Dulcit, quest. vi, n. 2. (12) Conf., Viii, ch. ii,'n. 3. (t3) Lettre LXV, n. 10. (14) Lettre xxxvii, il. 1.
(15) Lettres XLI-LX. (16~ Lettre xxx 1, 11. 3. (17) Rétract., 11, eh. il. (18) CoO. la let. de Mun. eh. v, n. 6.
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le temps de la réfuter en entier. Ces notes ne nous sont point parvenues. Il commence cet ouvrage contre les manichéens en priant Dieu de lui accorder un esprit de paix et de tranquillité, qui se propose plutôt leur correction que leur perte; car il a de la pitié bien plutôt que de la haine, contre des hommes qu'il voit dans les erreurs dont il avait eu tant de mal à se retirer lui-même.
4. À ce livre, succéda le Combat chrétien (1), ainsi appelé parce qu'il y instruit les Chrétiens à combattre contre le démon et contre eux-mêmes. Dans ce livre, il donne, en peu de mots, la règle de la foi et les préceptes pour bien vivre. On y rencontre cependant de nombreux passages d'une grande beauté. Il résume également en quelques lignes les principales hérésies qui se sont placées entre la secte des donatistes et celle des lucifériens (2). Il fait aussi remarquer que les donatistes sont tombés dans plusieurs schismes. Cependant, il ne fait pas valoir en faveur de sa cause, le fait de Prétextat et de Félicien, d'abord rejetés par eux avec les plus cruelles imprécations, puis reçus de nouveau dans leur communion, quoiqu’il se place vers le commencement de l'année 397. Cela est assez favorable à ce que nous avons dit qu'il a écrit à Simplicien, dès l'année 396. Il dit qu'il a écrit ce livre du Combat chrétien en style simple, accommodé à ceux de ses frères qui
étaient peu versés dans la langue latine (3).
CHAPITRE XII
1. Augustin compose les quatre livres de la doctrine chrétienne. - 2. Le livre contre la secte de Donat. les treize livres de ses Confessions. - 3. Il publie son ouvrage contre Fauste à la même époque.- 4. Remarques pour assigner la place de quelques opuscules. - 5. Augustin écrit le livre des cantiques à l'autel. - 6. Questions sur les évangiles. - 7. Commentaire sur Job. - 8. Livre de la manière de catéchiser les ignorants. - 9. Les quinze livres de la Trinité.
1. L'ordre gardé par Augustin dans la récapitulation de ses ouvrages nous porte à donner cette place à son travail sur la Doctrine chrétienne (4). Les trois premiers livres renferment les règles nécessaires à l'intelligence de l'Écriture, et le quatrième, la manière d'enseigner aux autres ce qu'on a soi-même compris et saisi. Quand il s'est préparé à publier cet ouvrage, il avait déjà fait de nombreuses réflexions sur ce sujet, et il espérait qu'à mesure qu'il les communiquerait aux autres, Dieu, de qui il les tenait, ne lui refuserait pas celles dont il avait besoin encore (5). Il commença cet ouvrage vers l'année 397, mais il ne le termina point alors; il le conduisit seulement jusqu'au chapitre XXV du livre III (,6), et le laissa paraître ainsi, bien qu'inachevé, comme on le voit dans les livres qu'il écrivit peu de temps après contre Fauste (7). S'étant aperçu, en passant en revue ces ouvrages, que ce travail était incomplet, il crut devoir l'achever, avant de continuer à retoucher les autres. Il acheva donc alors le livre troisième et fit le quatrième (8), huit ou neuf ans après le voyage à Césarée en Mauritanie, entrepris au mois de septembre de l'an du Christ 418, c'est-à-dire après l'an 407 ou 408 du Seigneur. Dans le second livre où il parle de l'ouvrage d'Ambroise qu'il avait demandé à Paulin, il appelle ce saint prélat notre Ambroise (9), mais cela ne nous suffit pas pour en induire qu'Ambroise était encore vivant ou qu'il fût déjà mort à cette époque. Augustin rapporte, dans cet ouvrage, que des hommes graves et dignes de foi lui avaient dit qu'un esclave barbare devenu chrétien, mais qui ne savait pas lire avait obtenu, après trois jours de prières, la grâce de lire couramment, si bien qu'au grand étonnement de ceux qui le virent, il lut avec une grande facilité, un livre qu'on lui présenta (10).
2. Après ses livres sur la doctrine chrétienne, Augustin fait mention de deux livres contre les Donatistes (11), qui ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Il place ensuite les livres de ses Confessions dans lesquels, exaltant la justice et la bonté de Dieu au souvenir de ses fautes et des grâces
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(1) Rétract., Il, ch. M. (2) Du combat chrét., Ch. xxviii, n. 30. (3) Rétract., II ch. ni. (4) Rétract., Il, ch. iv. (5)Doctr. Chrét. 1, (6) Rétract., Il, ch. Iv. (7) Contre Fau3te, xxii. ch. xi. (8) Doct. Chrét. iv, ch. xxiv, n.a- (9) l"d-1 II, ch- XXVIII, Il. 43. (10) Ibid., 1, Prol., n. 4. (11) Rétract., ii, ch. vii.
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dont le ciel l'avait comblé, il excite l’esprit de l'homme vers le souverain bien et vers l'infinie majesté de Dieu. Il nous dit que les sentiments qu'il éprouvait en les écrivant sont encore ceux de son âme, quand il les lit; et que ses frères les goûtaient et les goûtent encore beaucoup (1). Il écrit ailleurs qu'il n'a relu aucun de ses ouvrages aussi souvent ni avec tant de plaisir (2). Il n'ignorait pas toutefois que plusieurs personnes ne les approuveraient point (3). Et en effet, un évêque citant, un jour, à Rome, ces paroles de lui: « Donnez-nous la grâce d'accomplir ce que vous ordonnez, et ordonnez ce que vous voudrez,» Pélage, qui était présent, et ne dévoilait pas encore le venin de son hérésie, ne put les supporter : il le contredit avec une certaine émotion, et il faillit s'en suivre une discussion avec celui qui les avait prononcées (4), Mais il y a dans cet ouvrage bien d'autres passages qui doivent déplaire aux pélagiens et aux semi-pélagiens, car il y attaque çà et là leurs erreurs qui n'avaient pas encore paru. Pétilien, comme on le voit, donna à quelques expressions du livre IIIe des Confessions, un sens qu'elles n'avaient pas, afin de pouvoir les attaquer, bien qu'elles fussent claires en elles-mêmes et que le sens en fût évident par ce qui précède et ce qui suit (5). Le comte Darius ayant demandé les livres des Confessions à Augustin, celui-ci lui parle en ces termes en les lui envoyant: « Vous y verrez ce que je suis et vous ne m'adresserez plus des langages que je ne mérite pas; dans ces livres, c'est à moi-même non à un autre que vous vous en rapporterez, sur mon compte, examinez-moi bien dans ces pages, et vous verrez ce que j'ai été en moi-même et par moi-même; et si quelque chose vous plait en moi, louez-en avec moi celui que j'ai voulu louer en moi; mais ne me louez pas. Car, c'est lui qui nous a fait ce que nous sommes, ce n'est pas nous. Nous nous étions perdus, nous, mais celui qui nous a faits, nous a sauvés; lorsque vous m'aurez trouvé dans ces livres, priez pour moi afin que je ne me perde point (6). » Dans cet ouvrage, dit Possidius, il montre ce qu'il a été avant d'avoir reçu la grâce et ce qu'il est devenu après l'avoir reçue. Il a voulu, comme dit l'Apôtre, qu'on ne l'estimât point au-dessus de ce qu'on voit en lui, ou de ce qu'on entend dire de lui (II Cor., xii, 6); en pratiquant ainsi la sainte humilité et en ne trompant personne, il recherchait non sa propre gloire, mais celle du Seigneur, dans sa propre délivrance et dans les dons qu'il avait reçus, c'est-à-dire dans les grâces qu'il avait déjà obtenues, et demandait à ses frères de lui obtenir celles qu'il désirait recevoir encore (1). » Comme Paulin avait prié sans succès l'évêque Alype de lui écrire la vie d'Augustin (8), Baronius s'est basé sur cela pour dire que les Confessions d'Augustin avaient été écrites à l'instigation et sur la demande de Paulin (9). Cependant non seulement Paulin, mais un grand nombre de bons chrétiens avec lui qui l'avaient connu ou plutôt qui ne l'avaient point connu au fond de l'âme, avaient le désir de connaître sa vie. Il crut devoir se rendre à leurs vœux dans l'espérance qu'ils remercieraient Dieu, avec lui, des dons qu'il en avait reçus et le prieraient pour le reste de ses péchés passés qui retardaient encore ses progrès dans les voies de Dieu (40). »
3. Suivant l'ordre de ses Rétractations, l'ouvrage contre Fauste vient après les livres des Confessions (11). Nous avons parlé plus haut de Fauste et du livre qu'il avait écrit contre l'Église en faveur des manichéens (12). Ce livre tomba entre les mains d'Augustin : ses frères, qui l'avaient lu, le pressèrent, au nom de la charité, avec instance, de répondre à ce livre. Augustin le fit en plaçant devant chacune de ses réponses, les propositions de Fauste; ce qui fit un ouvrage très étendu, divisé en trente-trois discussions qu'il appela livres. Quelques-uns d'entre eux sont très courts; mais il y en a plusieurs de fort étendus, surtout le vingt-deuxième, dans lequel il défend la vie des patriarches contre les calomnies de Fauste. Il cite un
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pe la perséver., n. 3. (3) Rét-Y act. eh, VI - (11) Du don de la perséverance, n. 53. (5)
Ugf., Préf., (8) AUGUST. lettre
(i) Ibid., n. 6- (2) Du don d n. 6. (7) Poss., vie dAug
Conir. les lettres, de Mil. iii, n. 60. (6) Lettre ccxxxl,. , t., il, eh. vii. (12.) 1,ch. ix, n. 4.
xxiv, n. 4. (9) BAmox. An , 195. (10) ennf., X. ch, m, n 4-5. (11) Retrac
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passage de ce vingt-deuxième livre dans les questions à Dulcitius (1). C'est probablement l'ouvrage qu'il appelle son livre de la Vie des Patriarches contre Fauste. Il l'envoya à Jérôme avec une lettre (2), vers l'année 405.
4. Notre rôle est de marquer avec exactitude l'époque de chacun de ses ouvrages, autant qu'il nous est possible de la découvrir. Ceux dont nous avons parlé plus haut, ne contiennent que très peu ou point d'indices de l'époque où ils ont paru. En parlant de ses livres contre Fauste, Augustin dit seulement qu'il les écrivit longtemps avant d'avoir reçu la lettre de Jérôme qui est la LXXXII, laquelle n'a pu lui être remise avant l'année 405. Il ne nous restait donc qu'à suivre l'ordre suivi par Augustin lui-même dans ses Rétractations; car il nous dit qu'il s'est assujetti, autant qu'il l'a pu, à l'ordre des temps (3), ce qu'il ne fit pas toujours entièrement; car il place immédiatement après les livres contre Fauste: la discipline contre le manichéen Félix, qui est certainement du mois de décembre 404 (4). Puis, après avoir passé en revue plusieurs autres traités, il place ses Livres contre Pétilien, car il les écrivit sous le pape Anastase, c'est-à-dire au moins en 402 (5). Peut-être a-t-il voulu mettre immédiatement après son ouvrage contre Fauste, les autres ouvrages qu'il avait faits dans la suite contre les manichéens; en effet, après les livres dont il fait mention en cet endroit nous ne trouvons plus aucun ouvrage de lui contre cette hérésie. Nous suivrons donc cet ordre et nous placerons de même ici les autres ouvrages dont il fait suivre ses livres contre les manichéens, à moins qu'il n'y en ait dont on puisse fixer exactement l'époque.
5. Le premier que nous rencontrons dans cet ordre est celui qu'Augustin écrivit contre Hilaire, tribun et laïque, catholique. Cet homme enflammé de colère, on ne sait pourquoi, contre les ministres de l'Église, critiquait avec d'injurieuses paroles, dit Augustin, comme cela a lieu ordinairement, la coutume qui s'établissait alors à Carthage, de chanter des psaumes à l'autel, soit avant l'oblation, soit avant la distribution des offrandes au peuple. Comme il flétrissait partout cette coutume qu'il appelait étrangère, Augustin se vit forcé, par les prières de ses frères, de réfuter ses calomnies. Possidius intitule cet ouvrage : Contre Hilaire, sur les chants à l'autel. Ce livre n'existe plus (6).
6. Augustin place après ce livre des explications de différents endroits des Évangiles selon saint Matthieu et selon saint Luc réunies en deux livres intitulés : Questions sur les évangiles (7). Il composa ce travail pour quelqu'un qui lisait avec lui l'Évangile et le consultait sur les passages obscurs. Augustin revenait quelquefois sur ce qu'il avait lui-même passé, ce qui fait que ces questions ne suivent pas toujours le texte de l'Évangile. Pour remédier à cet inconvénient, Augustin fit une table des titres. Ce livre n'explique ni toutes, ni même les plus graves difficultés qu'on pourrait présenter, parce que celui qui consultait Augustin, connaissait la solution d'un grand nombre d'entre elles.
7. Les notes sur le livre de Job ne sont que des scolies que le saint docteur a mises en marge, on les fit passer, par inadvertance, en copiant, dans le texte et on n'en fit qu'un seul tout.Voilà pourquoi Augustin doute s'il doit placer ce travail parmi les siens. Il reconnaît que ces notes ne peuvent être comprises que de quelques lecteurs en fort petit nombre; encore en est-il plusieurs qu'on ne pourra comprendre, tant à cause de leur concision, qu'à cause des fautes qui s'y sont glissées en trop grand nombre pour être corrigées. Quel qu'il fût, les frères voulurent l'avoir, Augustin ne pouvant le leur refuser, le reconnut comme de lui dans ses Rétractations (8).
8. Après ces notes, vient le livre de la manière de catéchiser les ignorants (9), à Déogratias, diacre de Carthage à qui l’on conduisait ceux qui devaient apprendre les premiers éléments de la foi chrétienne. Ce diacre connaissait à fond la religion chrétienne et se distinguait par sa pa-
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(t) Quest., vii. (2 Lettre LXXX11, n. 17.(3) Rétract., Prol. n. 3. (4) Actes avec Felix, i, eh. 1. (5) Contre les let-
tre-9 de Pétil, 11, 1 xv, D. 118 . (6) POSSID., table. eh, vi. (7) Rétraci., II, eh. xii. (8)Ibid., eh. xiii. (9) Ibid., eh. xiv.
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role douce et pénétrante, et par son talent particulier de catéchiste. Cependant, il n'était pas encore content de lui dans l'accomplissement de ses fonctions où il se trouvait très fréquemment incertain, embarrassé, ne sachant de quelle manière exposer les mystères de la Foi qui nous rend chrétiens; il ne savait par où commencer et par où finir, ni s'il devait faire précéder ses instructions de quelques exhortations ou commencer par l'explication des préceptes qu'on est tenu de suivre pour vivre en chrétien. Il se plaignait aussi de ce qu'un long discours le fatiguait, et le faisait tomber dans la tiédeur, et que, dans cette disposition d'esprit, il ne pouvait plus animer ni le catéchumène, ni ses auditeurs. Il crut donc qu'Augustin pourrait lui donner des avis à ce sujet; et, comme il était son ami, il lui écrivit de vouloir bien, malgré ses occupations, lui envoyer un spécimen de la manière dont il doit faire le catéchisme. Augustin pensa que son devoir et la charité qui le liait non seulement à un ami, mais, en général, à toute l'Église, devaient le faire céder aux vœux de Déogratias, il s'écrie : «Plus j'ai à cœur de voir distribuer à pleines mains les trésors du maître, plus, si mes compagnons de travail ont de la peine à répandre ces trésors, je dois, autant qu'il est en moi, leur rendre prompt et facile le ministère dont ils veulent s'acquitter avec ardeur et diligence (1) » Il écrivit donc pour lui, un livre sur le sujet dont nous avons parlé, et, dans ce livre, il le console de l'ennui qu'il ressentait ordinairement pendant qu'il parlait. Il dit qu'il lui arrive souvent aussi, quand il explique les mystères de la foi, de voir sa langue ne point répondre à sa pensée. Alors, il se sent abattu, et pense qu'il fatigue les autres, quoi qu'il puisse conjecturer au zèle et à l'ardeur que témoignent ceux qui l'écoutent, que sa parole, quelque froide qu'elle lui semble, les enflamme. Entre autres préceptes, il l'engage à faire asseoir ceux qu'il doit instruire en particulier, tant pour éviter toute apparence de suffisance, en exigeant du catéchumène d'écouter le diacre qui lui parle assis que, pour empêcher que, fatigué d'écouter ainsi, il ne se retire sous un prétexte quelconque. Ce qui lui était arrivé, dit-il, à lui-même, de la part d'un paysan qu'il catéchisait (2). Déogratias, à qui ce traité est dédié, fut plus tard promu à la prêtrise, si toutefois il est le même que celui dont Augustin résout les questions dans sa lettre CII. Il parle à ce prêtre non seulement comme à un ami à qui il ne peut rien refuser; mais encore comme à quelqu'un de capable qu'on consultait dans les questions douteuses, et dont lui et les autres louaient le style.
9. Après le livre sur la manière de catéchiser les ignorants, viennent les quinze livres sur la Trinité (3). Il mit plusieurs années à les faire, car il nous apprend lui-même qu'il les commença dans sa jeunesse et ne les termina que dans sa vieillesse (4). Il les interrompit, en effet, toutes les fois qu'un autre travail, qu'il croyait devoir être plus utile, réclamait ses soins ; car il regardait cet ouvrage comme plus difficile et moins utile que la plupart des autres, parce qu'il contenait des choses moins nécessaires et moins accessibles à l'intelligence du plus grand nombre (5). Il avait entrepris ce travail plutôt à cause de ceux qui, récusant l'autorité de la foi, voulaient que la vérité des mystères leur fût démontrée par la raison (6). Comme il méditait la loi du Seigneur autant qu'il lui était possible, sa charité ne lui permettait pas de refuser aux autres ce que Dieu lui avait donné ou révélé. Il se promettait, d'ailleurs, en instruisant les autres, de profiter lui-même et de trouver ce qu'il cherchait lui-même en travaillant à répondre aux questions des autres (7). « C'est pourquoi j'ai entrepris cet ouvrage, dit-il, avec l'aide et sur l'ordre du Seigneur, notre Dieu, avec le désir, non pas tant de discuter, avec autorité, des chose connues, que d'apprendre les choses en les discutant avec piété (8). » Cette intention du saint Docteur se montre en plusieurs endroits de cet ouvrage; mais surtout dans ses préfaces. Il dit qu'il aurait volontiers gardé le silence si ce
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(1) Inst., des Catéchuin,, eh. i, n. 2. (2) fbid., eh. xiii, n. 19. (3) - Retract., li, eh. xv. (4) Retract., li, eh. XVI. (5) Leltre LXIX, Ch. i, n. 1. 6) Trinité., eh. i, n. 1. (7) Ibid., eh. ni, n. 5. (8) Ibid., eh. v, n. 8.
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sujet avait été suffisamment traité, par les Latins, ou s'il avait été fait une traduction des écrivains grecs qui avaient étudié ces matières, ou si d'autres avaient voulu se charger de résoudre les questions qui lui étaient proposées. Il commence le livre quinzième par un résumé de ce qu'il avait dit précédemment (1). Il ne voulait pas publier ces livres les uns après les autres, comme il fit plus tard pour les livres de la cité de Dieu, mais tous ensemble; attendu que l'enchaînement du raisonnement rattachait les premiers aux derniers. Ceux qui avaient entendu parler de ces livres et qui désiraient ardemment les avoir, ne pouvant attendre si longtemps, lui en dérobèrent un exemplaire avant qu'il eût achevé son livre XII, et qu'il eût pu revoir et corriger les autres, comme il le désirait, avant de les publier. Dès qu'il en eut connaissance, Augustin prit la résolution d'interrompre son travail et de ne pas le publier, en se plaignant, dans un autre petit opuscule, de la soustraction qu'on lui avait faite de ce livre. Mais il ne put résister aux ardentes prières de ses frères et surtout aux ordres d'Aurèle, évêque de Carthage. C'est pourquoi il termina ce qui restait à faire et corrigea les premiers livres, non qu'il le crût nécessaire pour expliquer et éclaircir des questions si difficiles, mais pour tâcher, autant qu'il le pouvait, de ne pas les laisser trop au-dessous de ceux qu'on avait publiés malgré lui (29). Ensuite il les envoya au Carthaginois Aurèle, par l'entremise d'un diacre, avec une lettre (3) qui le priait de mettre en tête de ses livres, pour servir d'introduction, attendu qu'il raconte dans cette lettre, ce que nous venons de rapporter. Dans une lettre à Évode, il dit qu'il n'a pas encore publié cet ouvrage (4) ; et, dans une autre lettre au même, écrite seulement vers la fin de 415, il dit qu'il ne l'a pas encore terminé (5), bien qu'il eût déjà fait cinq livres de la cité de Dieu. Une autre lettre à Marcellin, de la fin de l'année 412, nous apprend que ses amis lui demandèrent de vouloir bien publier ces livres, afin de pouvoir en entreprendre lui-même la défense, si des ennemis portés à la critique ou même des amis qui ne les comprendraient pas y trouvaient quelque chose à dire. Mais Augustin lui-même retarda cette publication, plus que ses amis ne l'auraient voulu et ne le supportaient, à cause du danger de tomber dans quelque erreur en traitant un pareil sujet : « S'il ne peut éviter, dit-il, qu'ils en trouvent quelques-unes qu'ils puissent reprendre avec raison, que du moins elles soient moins nombreuses qu'elles pourraient l'être, si l'ouvrage paraissait au jour, avec trop de précipitation et de hâte (6).» Dans la lettre à Consentius, il fait mention de son ouvrage sur la Trinité, auquel il travaillait encore et qu'il ne pouvait terminer à cause de l'élévation et de la difficulté du sujet (7). Dans tous ces passages, si on en a excepté le dernier, il parle de son ouvrage comme n'étant pas encore terminé, d'où il suit qu'on peut conjecturer que la première édition qui en parut avant que l'ouvrage fut terminé, n'est pas antérieure à l'année 412. Il est certain que la seconde ne fut publiée que très longtemps après, puisque, dans son livre XIII, il est dit qu'il a expliqué une certaine chose dans son livre XII de la cité de Dieu qui ne fut pas composé avant l'année 416. À l'endroit où Augustin fait mention des livres sur la Trinité, il cite ceux qu’il avait écrits sur l'Accord des Evangélistes, après la destruction des temples, à ce qu'il semble, arrivée en 399. C'est pourquoi nous n'en parlons pas à cet endroit. Nous avons déjà fait remarquer que nous sommes loin de soutenir que tous les ouvrages dont nous venons de parler aient été écrits cette même année; nous disons seulement qu'ils l'ont été dans l'ordre que nous leur avons assigné, et certainement avant ses livres de l'Accord des Evangélistes et d'autres que nous verrons plus tard.