Darras tome 9 p. 297
§ III. Exil de saint Athanase.
15. Ce ne fut pas la faute de l'empereur si les évêques d'Orient, avec lesquels il se trouva en rapports quotidiens, après la fonda-
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1. Euseb., Vit. Constant., lib. IV, cap. xxxvi, ixtnî l'Action!»»'
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tion de Constantinople, au lieu de profiter pour le bien de l'Eglise des favorables dispositions du prince, n'usèrent de leur influence que pour susciter de nouvelles discordes et faire renaître l'arianisme de ses cendres. La mort de sainte Hélène eut ce funeste résultat de livrer l'esprit du héros à l'ascendant de Constantia sa sœur, la veuve ambitieuse et intrigante de Licinius. Cette princesse était elle-même dominée par le parti arien. De là, les dissensions qui désolèrent la dernière période du règne de Constantin. L'année qui suivit le concile de Nicée (326) avait vu mourir un des prélats les plus dévoués à la foi de l'Église. Saint Alexandre, patriarche d'Alexandrie, avait terminé en paix ses jours, avec la gloire d'avoir contribué plus que tous les autres à la conclusion de la grande querelle de l'arianisme. Il laissa le siège patriarcal à saint Athanase, qui hérita de son zèle, de ses vertus, de son énergie et de son activité. L'occasion de les déployer ne se fit pas attendre. En 329, Constantia fut atteinte d'une maladie de langueur, à laquelle elle devait bientôt succomber. Le prêtre qui la dirigeait était une créature d'Eusèbe de Nicomédie et l'un des plus ardents fauteurs d'Arius, dont il ne parlait jamais que comme d'un martyr de la foi. Constantin ne quittait pas le lit de sa sœur bien-aimée. Quelques instants avant d'expirer, Constantia lui dit : « Mon unique regret, en quittant ce monde, est de me séparer de vous. Promettez-moi du moins de reporter votre confiance sur ce prêtre vénérable, digne ministre de Jésus-Christ. Bientôt je n'aurai plus d'intérêt sur cette terre; mais une préoccupation relative à votre salut personnel trouble mes derniers instants. Je crains que les souffrances des innocents exilés n'attirent sur vous la colère du ciel. » Tel fut le testament de Constantia. Elle mourut, et l'empereur plaça toute sa confiance dans le prêtre qu'elle lui avait ainsi recommandé. « On a trompé votre bonne foi, disait l'imposteur à Constantin. Arius professe exactement la doctrine du concile de Nicée. Il est prêt à la souscrire. Que Votre Majesté daigne l'appeler en sa présence et vous serez bientôt convaincu de la vérité de mes paroles.» L'empereur se laissa persuader. Il crut que le concile de Nicée avait
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condamné l'hérésiarque, sans connaître ses véritables sentiments. Constantin rappela donc Arius qui lui présenta une profession de foi vague et équivoque, où il éludait le terme de consubstantiel et disait seulement que le Verbe a été produit, ou créé, par le Père, avant tous les siècles. L'empereur se contenta de cette déclaration captieuse et l'exil d'Arius fut levé. Inconséquence déplorable qui remettait en question tout ce qui avait été décidé à Nicée et rouvrait la porte à des disputes sans fin ! Après le rappel d'Arius, on ne pouvait guère refuser celui d'Eusèbe de Nicomédie et de Théognis de Nicée. Il eut lieu l'an 328. Ces deux évêques revinrent dans leurs églises et en chassèrent ceux qui avaient été ordonnés à leur place. L'esprit d'intrigue y rentra avec eux. Eusèbe de Nicomédie était particulièrement irrité contre saint Eustathe, patriarche d'Antioche, qui ne cessait de lutter, dans des écrits pleins d'érudition et d'éloquence, contre l'hérésie arienne. Un conciliabule formé d'évêques ariens, convoqué par Eusèbe de Nicomédie à Antioche même, déposa saint Eustathe. Le prétexte de cette condamnation était une odieuse calomnie. Eusèbe de Nicomédie acheta, à prix, d'argent, le témoignage d'une vile créature, qui vint en présence des évêques accuser le saint patriarche d'un crime abominable. La malheureuse tenait dans ses bras un enfant qu'elle disait le fruit de son commerce avec Eustathe. Elle affirma sa déposition par serment. Il est vrai que plus tard, épouvantée par les remords de sa conscience et l'approche des jugements de Dieu, elle déclara sur son lit de mort, aux évêques assemblés, qu'Eusèbe de Nicomédie l'avait payée pour jouer cette scène indigne, et que son serment n'avait pas été entièrement faux, puisque l'enfant qu'elle montrait était fils d'un ouvrier fondeur, nommé, comme le patriarche, Eustathe, avec lequel elle avait vécu dans le libertinage. Ce fut sur de telles preuves que saint Eustathe fut déposé, et Constantin eut la faiblesse de l'envoyer en exil. On lui donna pour successeur un évêque arien, Paulin de Tyr, qui mourut bientôt et fut remplacé tour à tour par Eulalius, Euphronius et Flaucillus, qui se succédèrent rapidement sur ce siège usurpé. Cependant les catholiques de la ville tenaient leurs assemblées à part, et refu-
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saient de communiquer avec les mercenaires qu'on leur envoyait sous le faux titre de pasteurs.
16. Ces révoltantes injustices ne se commirent point sans des violences et des troubles, qui faillirent dégénérer en un véritable soulèvement populaire. Eusèbe de Césarée n’a pu complètement les passer sous silence, dans sa Vie de Constantin Mais son récit est tellement calculé qu'il serait impossible d'y rien entendre, si Théodoret, saint Athanase, Rufin et les autres historiens ecclésiastiques ne nous eussent donné la clef de l'énigme. « Pendant que l'Église de Dieu, partout florissante, voyait son empire se dilater au sein des nations étrangères, dit Eusèbe, la fureur du démon suscitait au milieu de nous des tempêtes. L'enfer se promettait sans doute, par ces soulèvements séditieux, de lasser la patience impériale et de dégoûter le héros de la foi véritable. La rage populaire éclata à Antioche comme un incendie. Les chrétiens de cette ville s'étaient fractionnés en deux partis rivaux. L'église fut ensanglantée ; peu s'en fallut que la cité toute entière ne fût anéantie jusqu'en ses fondements. D'un côté, les chrétiens rassemblés dans l'église, de l'autre le reste du peuple, avec les magistrats et la garnison, se tenaient en présence. On allait en venir aux mains, si la Providence divine et la crainte de l'empereur n'eussent au dernier moment fait remettre les épées au fourreau. Dans cette circonstance, la clémence de Constantin fut digne d'un véritable disciple de Jésus-Christ. Il envoya aux malheureux habitants d'Antioche un des comtes de son palais, avec mission de calmer les esprits. Il écrivit lui-même lettres sur lettres, pour leur rappeler les préceptes d'une religion qu'ils outragaient si indignement. Il réussit enfin, par ses conseils, ses prières et ses paternelles exhortations, à faire rentrer les coupables dans le devoir. Aussitôt qu'il eut reçu la nouvelle de leur soumission, il leur écrivit encore pour les assurer du pardon impérial dont il daignait couvrir leurs fautes, se réservant seulement, disait-il, d'interroger en personne l'auteur de la sédition, et de le punir s'il y avait lieu. Je pourrais reproduire ici toutes ces lettres de l'empereur. Mais comme elles intéressent l'honneur de certains personnages, qui se trouvèrent mêlés à ces
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troubles, je préfère les passer sous silence. Il me suffira d'en rapporter une qui me fut adressée à moi-même, lorsque le peuple d'Antioche, après le rétablissement de la paix, demanda que je fusse transféré, de Césarée, au siège épiscopal de cette métropole. Constantin, victorieux, très-grand, auguste, à Eusèbe. J'ai lu et relu votre réponse au peuple d'Antioche. J'admire le respect profond pour la discipline ecclésiastique qui vous fait refuser le siège épiscopal de cette ville. Cette détermination est digne de votre piété, de votre zèle pour la loi de Dieu, et de votre science des traditions apostoliques. Mais du moins il nous est permis de vous féliciter d'avoir été, par un jugement unanime, trouvé digne d'occuper le siège métropolitain de la Syrie. Quand tous sollicitent la faveur de vous avoir pour évêque, il vous est impossible de désirer un plus bel éloge. Cependant, je ne puis qu'approuver votre désintéressement et votre fidélité aux saints canons. Vous préférez. au siège d'Antioche la modeste église qui vous fut d'abord donnée pour épouse. C'est dans ce sens que j'ai répondu à ceux de vos collègues qui m'en ont écrit. Lorsque cette correspondance passera sous les yeux de Votre Sainteté, vous pourrez vous convaincre qu'en refusant mon concours à des sollicitations légitimes, je n'ai eu d'autre pensée que de me conformer à la loi de Dieu. Aidez-moi à faire prévaloir ces sentiments dans l'Église d’Antioche elle-même. Frère bien-aimé, que Dieu vous ait en sa garde 1. » — Tel est le récit d'Eusèbe. Il a cru vraisemblablement que cette lettre de Constantin serait pour lui un titre de gloire aux yeux de la postérité. Il s'est trompé. Quoi ! un évêque disposait de la confiance d'un héros à ce point, et il ne s'en est servi que pour opprimer la vérité et l'innocence! Saint Eustathe, l'évêque légitime d'Antioche, jouet de la faction arienne, victime de calomnies infâmes, était arraché à l'amour de son peuple, exilé en Thrace d'abord, puis en Illyrie; il mourait sur cette terre étrangère : et Eusèbe de Césarée a pu croire que nous lui saurions gré d'avoir refusé ses dépouilles ! Non, non, ce qu'on reprochera éternellement à Eusèbe,
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1. EuHb., Vit. Constant., lib. IV, cap. ux-IXt.
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c'est de n'avoir pas eu le courage d'aller trouver Constantin et de lui dire la vérité. Qu'importent les éloges que le héros lui adresse de bonne foi? L'évêque de Césarée ne les méritait pas. Il en avait conscience d'ailleurs. Son récit ambigu de la sédition d'Antioche ne le prouve que trop. Son empressement à reproduire la lettre impériale le démontre. Hélas! pourquoi faut-il que le talent, le génie même, ne soient pas toujours une sauvegarde contre les faiblesses du caractère et les illusions de l'esprit de parti? Cependant, on nous permettra de réclamer, en faveur de Constantin, le mérite d'une bonne foi entière. La lettre qu'il écrit à Eusèbe de Césarée est celle du chrétien le plus fervent, qui admire, en toute sincérité, un acte de désintéressement conforme aux lois de l'Église. Le respect pour le caractère épiscopal, la déférence pour le ministre de Jésus-Christ, la vénération pour les vertus chrétiennes, se lisent à chaque ligne de cette épître impériale. Était-ce la faute de Constantin s'il n'y avait là ni un évêque digne de ce nom, ni un véritable ministre de Jésus-Christ, ni un acte de vertu? Eusèbe de Césarée refusa, par un calcul politique, le siège d'Antioche. Il était déterminé à ne se compromettre, ni pour l'arianisme qu'il aimait au fond, ni pour la doctrine catholique qu'il affichait extérieurement. Ces sortes de personnalités d'entre deux ont fait à l'Église autant de mal, sinon plus, que les hérésiarques.
17. La plus forte résistance aux manœuvres des ariens devait partir d'Alexandrie. Arius avait tenté de rentrer dans cette ville. Saint Athanase rejeta nettement toutes ses avances. Eusèbe de Nicomédie écrivit au saint patriarche une lettre où il étalait son crédit près de Constantin, et sommait saint Athanase de recevoir Arius, sous peine d'encourir l'indignation impériale. Athanase répondit qu'aucune menace, que milles considérations humaines, ne lui feraient rien entreprendre contre les décisions du concile de Nicée. Les Eusébiens, désespérant de vaincre ce caractère énergique, se liguèrent avec les Méléciens, et accusèrent Athanase d'entretenir la division dans toute l'Afrique, par ses injustes refus de communion. L'empereur écrivit alors au saint patriarche ces paroles qu'on regrette de trouver sous la plume de Constantin :
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« Étant informé de ma volonté, lui disait-il, laissez libre l'entrée de l'église à tous ceux qui veulent y venir. Si j'apprends que vous l'ayez refusée à quelqu'un, je donnerai immédiatement des ordres pour vous faire déposer et vous envoyer en exil. » — Saint Athanase répondit, avec une modeste assurance, qu'il ne lui était pas possible d'obéir; qu'une hérésie qui attaquait la divinité de Jésus-Christ ne pouvait rien avoir de commun avec l'Église catholique. Les Eusébiens eurent alors recours à une calomnie dont ils croyaient l'effet irrésistible sur l'esprit de l'empereur. Ils accusèrent juridiquement le patriarche d'être entré dans une conspiration contre la vie de Constantin, et d'avoir envoyé un coffre d'or à Philumenos, chef des conjurés. Athanase se rendit en personne près de l'empereur, le convainquit facilement de son innocence et revint comblé des éloges et des présents de ce prince trop faible. Cependant saint Antoine, apprenant au désert le trouble que les ariens excitaient à Alexandrie et les persécutions dirigées contre le saint patriarche, son disciple et son ami, descendit de sa montagne et vint protester, par l'autorité de sa présence, de sa parole et de ses miracles, contre l'impiété des hérétiques. Le peuple se pressait en foule sur ses pas. Quelques-uns de ses disciples voulaient écarter la multitude, pour le soustraire à ses importunilés : « Laissez-les, leur dit-il, ils ne sont pas en plu grand nombre que les démons avec lesquels nous combattons sur la montagne! » — Il enseignait à ces masses d'hommes qui l'entouraient que le Verbe n'est point une créature, qu'il est éternel et consubstantiel au Père. « Ne communiquez pas avec les ariens, ajoutait-il. Vous êtes chrétiens ; pour eux ils disent que le Fils de Dieu est une créature. Ils ne différent donc point des païens, puisqu'ils adorent une créature au lieu du Créateur. » —Quand il eut accompli la mission qu'il s'était imposée, dans son zèle pour la gloire de Dieu, saint Antoine reprit le chemin de la solitude, emportant avec lui l'admiration de tous ceux qu'avait édifiés le specacle de ses vertus.
18. Ce fut sans doute en ces circonstances que Constantin adressa à saint Antoine une lettre autographe, dont malheuresement
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Eusèbe, ni aucun autre historien ecclésiastique, ne nous a conservé le texte. Quand le messager porteur de la missive impériale arriva au désert, ce fut un événement parmi les disciples du cénobite.
« Eh quoi ! leur dit-il, vous vous étonnez qu’un empereur nous écrive. II n'est pourtant qu'un homme mortel. Admirez plutôt que Dieu ait daigné écrire une loi et que son Fils soit venu converser avec nous ! » — Tout d'abord Antoine refusa de recevoir cette lettre, disant qu'il ne saurait point y répondre. Comme on lui fit observer que l'empereur pourrait se choquer de cette conduite, il permit qu'on lui en donnât lecture. La réponse qu'il dicta et dont saint Athanase nous a conservé le précis, fut digne du patriarche de la solitude. Il témoignait sa joie d'apprendre que les Césars adoraient Jésus-Christ; il exhortait l'empereur et ses fils à ne pas faire grand cas des choses présentes, mais à penser au jugement futur, considérant que Jésus-Christ est le seul roi véritable et éternel. Il insistait sur la nécessité pour les princes de pratiquer la justice, de protéger l'innocence, de secourir la faiblesse et surtout de prendre soin des pauvres. Résumée en ces termes généraux, la réponse de saint Antoine à Constantin ne satisfait pas notre curiosité rétrospective. Nous voudrions savoir si le pieux solitaire eut le courage de prendre ouvertement la défense de saint Athanase vis à vis de l'empereur. A moins d'une découverte inattendue dans quelque manuscrit Sinaïtique, il est probable que nous ne le saurons jamais. Cependant je ne puis m'empêcber de signaler ici un contraste qui frappera tous les esprits. Eusèbe de Césarée, l'historiographe semi arien, n'a pas laissé dans l'oubli une seule des lettres que lui avait adressées Constantin. Saint Athanase, le martyr de l'orthodoxie, le courageux défenseur de la foi, en rendant compte d'une lettre de saint Antoine à l'empereur, où vraisemblablement il devait être question de lui, ne prend même pas la peine de la reproduire in extenso. Le résumé qu'il en donne est tellement vague et se renferme en de telles généralités qu'à peine pourrait-on y découvrir une allusion personnelle. Et pourtant qui n'aimerait mieux aujourd'hui s'être appelé Athanase le confesseur de la foi, qu'Eusèbe de Césarée le favori ?
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49. Les ariens n'en avaient pas fini avec les accusations contre saint Athanase. Celles qu'ils imaginèrent alors surpassent tout ce qu’on peut attendre d'hommes sans conscience. L'énormité des calomnies qu'ils faisaient répandre par leurs affidés aurait dû, seule, mettre en garde contre leur bonne foi. Mais l'empereur Constantin ne paraissait plus être le héros qui avait échappé, dans sa jeunesse, aux pièges de la cour de Dioclétien, aux manœuvres de Galérius, et dont le génie entreprenant et sûr avait triomphé de Maxence et de Licinius. Rien n'est plus différent de cette première partie de sa vie que la seconde. Il avait cent fois découvert la fausseté des accusations d'Eusèbe de Nicomédie contre saint Athanase ; et chaque insinuation nouvelle de ce prélat courtisan le retrouvait aussi facile à séduire. Il forma donc à Antioche une commission composée du censeur Dalmace, son oncle, d'Eusèbe de Nicomédie lui-même, de Théognis de Nicée et de quelques évéques ariens, qu'il chargea d'examiner la conduite de l'illustre patriarche. Il écrivit à saint Athanase pour lui enjoindre de venir se disculper, en présence de ce tribunal, des crimes qui lui étaient imputés. Saint Athanase récusa la commission, parce qu'elle était exclusivement composée de ses ennemis personnels. Constantin indiqua alors un concile à Césarée, pour l'année 331. Le choix de cette ville avait été fixé par les ariens eux-mêmes, qui comptaient Eusèbe évêque de Césarée parmi leurs principaux fauteurs. Saint Athanase refusa encore de s'y rendre, et écrivit à l'empereur pour expliquer ce refus, qui n'était que trop justifié par l'attention des deux Eusèbe à ne réunir à Césarée que des évêques de leur parti. L'évêque de Nicomédie trouva, dans cette conduite du saint patriarche, un prétexte plausible de l'accuser auprès de l'empereur d'opiniâtreté, de désobéissance et de révolte ouverte aux lois de l'empire. Ses refus constants ne faisaient, disait-il, que prouver mieux sa culpabilité. Constantin, irrité, changea le lieu du concile, décréta qu'il se réunirait en 335 à Tyr, et manda à saint Athanase que des soldats de la garde impériale iraient s'emparer de sa personne jusque sur son siège patriarcal. s'il refusait de comparaître.
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20. Des préparatifs solennels furent ordonnés pour cette assemblée. Le comte Flavius Denys, précédemment proconsul en Phénicie, y fut envoyé avec des troupes, sous le prétexte apparent de maintenir l'ordre, mais dans la réalité pour appuyer de son influence le parti d'Eusèbe de Nicomédie et peser sur les décisions des pères. Les évêques s'assemblèrent en grand nombre, de l'Egypte, de la Lybie, de l'Asie et de Bithynie, de toutes les parties de l'Orient, de la Macédoine et de la Pannonie. Les ariens y formaient l'immense majorité. Les plus fameux étaient les deux Eusèbe de Nicomédie et de Césarée, Flaccillus, intrus d'Antioche; Théognis de Nicée, Maris de Chalcédoine, Narcisse de Néroniade, Théodore d'Héraclée, Patrophile de Scythopolis, Macedonius de Mopsueste, Georges de Laodicée, Ursace de Singidon et Valens de Mursia (Essek), deux villes de Pannonie. Parmi les évêques catholiques, on remarquait saint Maxime de Jérusalem, qui avait eu, dans la persécution de Maximin, l'œil droit crevé et l'un des jarrets brûlé, Marcel d'Ancyre, Alexandre de Thessalonique, Asclépas de Gaza, et les deux illustres évêques de la haute Thébaïde, saint Potamon et saint Paphnuce. Quand saint Athanase, l'illustre et courageux patriarche d'Alexandrie, se présenta dans le lieu des séances, on le fît demeurer debout, comme un accusé devant ses juges. Cette injure indigna saint Potamon qui en versa des larmes de douleur. S'adressant à Eusèbe de Césarée, avec cet air vénérable qui commandait le respect et qui donnait à ses paroles une autorité surhumaine, il lui dit : « Eh quoi ! Eusèbe, vous êtes assis pour juger Athanase, la vertu même ! Qui le pourrait souffrir? Répondez : n'étiez-vous pas en prison avec moi, durant la persécution? Pour moi, j'y perdis un œil. Cependant vous voilà sain et entier; comment en êtes vous donc sorti sans rien faire contre votre conscience?» —A cette interpellation inattendue mais terrible, Eusèbe, troublé, interdit se leva et sortit de l'assemblée. La postérité attend encore la réponse et la justification d'Eusèbe. Saint Paphnuce, s'adressa alors à Maxime de Jérusalem, traversa l'assemblée, le prit par la main et lui dit : «Vous aussi, vous avez souffert pour le nom de Jésus-Christ ; vous portez comme moi la marque des tortures.
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Venez, car je ne puis vous voir plus longtemps assis dans le concile des impies! » L'ayant donc pris à part, il l'instruisit de tous les détails du complot formé contre saint Athanase et le convainquit pleinement de l'innocence du patriarche. Les évêques d'Egypte déposèrent en même temps une protestation collective, dans laquelle ils récusaient pour juges de leur archevêque ceux qui s'étaient ouvertement déclarés ses ennemis personnels, et nommément les deux Eusèbe, Narcisse, Flaccillus, Théognis, Maris, Théodore, Patrophile, Macedonius, Georges, Ursace et Valens. Ils articulaient nettement contre Eusèbe de Césarée le reproche d'avoir apostasié durant la persécution; ils invoquaient contre Georges de Laodicée le jugement canonique du patriarche saint Alexandre, qui avait solennellement déposé cet indigne prélat. Rien n'était mieux fondé en droit que cette protestation; mais on n'en tint aucun compte; et l'on passa à l'examen de ces terribles accusations qui circulaient mystérieusement dans le monde arien, depuis cinq ans, contre saint Athanase. On lui reprochait : 1° d'avoir été ordonné évêque clandestinement par cinq ou six évêques, contre le vœu et malgré la réprobation universelle du clergé et des fidèles d'Alexandrie; 2° d'avoir outragé une vierge consacrée au Seigneur; 3° d'avoir tué Arsène, évêque d'Hypselle, en Egypte, et d'en avoir gardé la main droite desséchée pour servire à des opérations magiques; 4° d'avoir, pendant une visite épiscopale dans un hameau de la Maréotide, brisé le calice du prêtre Ischyras, renversé l'autel et foulé aux pieds les saints mystères. La gravité ne manquait pas, on le voit, aux accusations forgées contre l'illustre patriarche. — Au premier grief relatif à l'ordination prétendue clandestine, les évêques d'Egypte répondirent en racontant les faits dont ils avaient été témoins oculaires. Après la mort de saint Alexandre, patriarche d'Alexandrie (326), les évêques de la province s'étant réunis pour lui donner un successeur, la multitude des fidèles s'écria tout d'une voix qu'elle demandait Athanase pour pasteur. On le chercha vainement dans l'assemblée, il s'était enfui au désert, pour échapper au fardeau de l'épiscopat. Amené de force, le 27 décembre 326, il avait été ordonné patriarche d'Alexandrie, du con-
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sentement de tous les évèques, dont le plus grand nombre assistait personnellement à son sacre, en présence de toute la ville et de toute la province réunies. Cet exposé historique laissait peu de chose à l'accusation; on passa an second grief. Une jeune personne se présenta, baignée de pleurs, s'écriant qu'elle était à jamais malheureuse, parce que l'évêque Athanase, abusant de l'hospitalité qu'elle lui avait donnée et sans respecter le vœu de virginité qu'elle avait fait à Dieu, l'avait indignement, outragée. La malheureuse n'avait jamais vu le visage de saint Athanase, qu'elle ne connaissait pas personnellement. Saint Athanase s'était concerté avec un de ses prêtres, nommé Timothée, qui, prenant la parole et se retournant vers la femme, lui dit : « Quoi ! vous prétendez que j'ai logé chez vous et que je vous ai déshonorée? — Oui, reprit-elle, c'est vous-même qui m'avez fait cet outrage! » et elle raconta les circonstances du temps et du lieu, dans le plus grand détail. La plupart des assistants ne purent s'empêcher de rire, en voyant une accusation si mal concertée et si habilement détruite. Saint Athanase demandait qu'on arrêtât cette malheureuse, pour découvrir les auteurs de la calomnie. Mais les Eusébiens la chassèrent promptement de l'assemblée et ne consentirent pas à pousser plus loin une affaire qu'ils avaient tout intérêt à étouffer. Ils s'écrièrent en tumulte qu'il y avait des crimes plus importants à examiner el dont on ne se justifierait point par d'ingénieuses subtilités. Cette fois, ajoutaient-ils, il suffira d'avoir des yeux pour être convaincu. Ils ouvrirent alors une boite, scellée précieusement, qui renfermait une main d'homme desséchée. «Athanase, dirent-ils, voilà votre accusateur ! Voilà la main droite d'Arsène, l'évêque d'Hypselle ! C'est à vous à nous dire comment et pourquoi vous l'avez coupée.» —Un frémissement d'horreur et d'indignation circula dans rassemblée. Quand le silence se fut rétabli, saint Athanase demanda s'il y avait quelqu'un des évêques présents qui eût connu personnellement Arsène. Plusieurs se levèrent en disant qu'ils l'avaient connu par-ticulièrement. Alors Athanase fit signe à un de ses prêtres, qui revint bientôt accompagné d'un homme que le patriarche montra à l'assemblée. «N'est-ce pas la , dit-il, cet Arsène que j'ai tué
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et dont j'ai coupé la main droite? » — C'était en effet Arsène lui-même que les Eusébiens avaient fait cacher au désert. En apprenant la manière dont ils interprétaient son absence, et le danger que courait saint Athanase, il était venu spontanément se mettre à sa disposition et le patriarche le produisait à ses ennemis au moment où ils se croyaient sûrs de la victoire. Arsène se tenait debout, enveloppé de son manteau ; saint Athanase, en écartant un côté, découvrit d'abord une main, puis l'autre, et s’adressant aux pères: «Voilà, dit-il, Arsène avec ses deux mains; Dieu ne nous en a pas donné davantage. Que mes accusateurs cherchent la place de la troisième et vous disent d'où peut venir celle qu'on vous montre desséchée, comme une pièce d'anatomie, dans cette boite.» — A cette victorieuse réfutation , la rage des ariens ne connut plus de bornes. Ils se jetèrent sur Athanase, en criant que c'était un magicien qui trompait les yeux par des prestiges. Les officiers de l'empereur furent obligés d'intervenir, pour les empêcher de massacrer le saint patriarche, qui fut embarqué la nuit suivante sur un vaisseau de l'État. — On laissait ainsi pendante la discussion dn quatrième grief, relatif à une visite épiscopale de saint Athanase, dans laquelle on l'accusait d'avoir brisé le calice d'un prêtre qui célébrait la messe et d'avoir foulé aux pieds les saints mystères. Voici le fait qui avait donné lieu à cette calomnie. Dans la province de Maréotide, un certain Ischyras, qui n'avait jamais reçu les ordres sacrés, s'était lui-même, de sa propre autorité, arrogé les fonctions sacerdotales dans un petit hameau qu'il habitait. Pendant sa visite ordinaire dans la province, saint Athanase avait envoyé un prêtre qui l'accompagnait, nommé Macaire, avec ordre d'enjoindre à Ischyras de mettre fin au scandale et de cesser une intrusion sacrilège. Macaire trouva Ischyras dangereusement malade. Il transmit au père du malade la défense expresse du patriarche, le chargeant d'en informer son fils après sa guérison, et revint près d'Athanase, ayant ainsi accompli, de la manière la plus pacifique, la mission qui lui avait été confiée. Tel était l'acte que les Eusébiens avaient trouvé moyen d'envenimer ainsi, avec leur droiture et leur bonne foi ordinaires. Une commission choisie parmi les membres du con-
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cile de Tyr fut chargée d'aller examiner sur les lieux les faits de la plainte. Quelles que fussent les mauvaises intentions des commissaires, il résulta de leurs informations mêmes qu'Ischyras était dans son lit, malade, lors de la visite de Macaire ; que conséquemment il ne célébrait pas les saints mystères ; que le jour de la visite n'était point un dimanche, seul jour où, dans ces petites bourgades, on offrit le saint sacrifice; qu'enfin il n'y avait eu ni autel renversé, ni livres brûlés, ni calice brisé. Les commissaires, de retour à Tyr, remirent le procès-verbal de leur enquête aux ariens, qui le firent disparaître, déclarèrent Athanase convaincu de tous les crimes qui lui étaient imputés, le déposèrent de l'épiscopat, avec défense de demeurer à Alexandrie, de peur que sa présence n'y excitât de nouveaux troubles. Tous les évêques catholiques refusèrent de souscrire à une aussi monstrueuse sentence. Ce qu'il y eut de plus prodigieux, c'est que le nom d'Arsène, évêque d'Hypselïe, figura parmi les signataires du jugement; en sorte qu'Arsène vivant souscrivait à la sentence qui déposait Athanase pour l'avoir mis à mort. C'est la rétlexion de l'historien Socrate. Pour l'honneur d'Arsène, nous devons ajouter que sa signature était l'œuvre d'un faussaire arien.