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La troisième attitude fondamentale pourrait être désignée
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comme l'effort de prendre au sérieux l'histoire de Dieu avec les hommes.
En d'autres termes si Dieu se présente comme Fils et qu'il s'adresse au Père en lui disant “Tu”, ce n'est pas là une mise en scène pour l'homme, un bal masqué sur la scène de l'histoire de l'humanité, mais l'expression d'une réalité.
L'idée d'un drame divin joué sur la scène du monde avait été émise dans l'Église ancienne par les monarchiens. Les trois personnes seraient trois rôles dans lesquels Dieu se serait montré au cours de l'histoire.
Il faut noter ici que le mot « personne » et son correspondant grec prosopon appartiennent à la langue du théâtre. On désignait ainsi le masque qui faisait d'un acteur l'incarnation d'un autre que lui.
Ce sont des considérations de ce genre qui, au début, firent passer le mot dans le langage de la foi; ensuite seulement la foi, à travers les efforts d'une difficile recherche, le redéfinit de telle manière qu'il en résulte l'idée de «personne », étrangère à l'antiquité.
D'autres ‑ appelés Modalistes ‑ ont pensé que les trois formes sous lesquelles Dieu apparaissait, étaient trois «modes », trois manières dont notre conscience perçoit Dieu et se l'explique à elle-même.
Bien que, il est vrai, nous ne connaissions Dieu qu'à travers son reflet dans la pensée humaine, la foi chrétienne a maintenu fermement que c'est pourtant bien Lui que nous reconnaissons dans ce reflet.
Même si nous sommes incapables de nous dégager de l'étroitesse de notre conscience, Dieu, Lui, peut s'y engager et s'y montrer lui‑même.
On ne niera nullement pour autant qu'à travers ces efforts des monarchiens et des modalistes s'amorçait, de façon remarquable, la réflexion orthodoxe sur Dieu: le langage de la foi a finalement adopté la terminologie qu'ils avaient préparée; celle‑ci reste encore toujours en vigueur dans la confession des trois personnes en Dieu.
Ce n'est pas de leur faute si le mot prosopon persona ne pouvait, au début, traduire toute la réalité qu'il s'agit d'exprimer ici. L'extension des limites de la pensée humaine, nécessaire pour élaborer intellectuellement l'expérience chrétienne de Dieu, ne s'est pas faite toute seule.
Elle a exigé une lutte, dans laquelle l'erreur elle‑même a été féconde. Elle obéissait ainsi à une loi fondamentale à laquelle l'esprit humain est soumis dans sa marche en avant.
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c) Les échappatoires, voies sans issue
Les multiples ramifications de la lutte menée par la foi aux premiers siècles, peuvent, à la lumière des réflexions précédentes, se ramener à l'opposition insoluble de deux voies, de deux pistes de recherche, qui devaient s'avérer de plus en plus comme de fausses pistes le subordinatianisme et le monarchianisme.
Tout en paraissant très logiques, les deux solutions, avec leur simplification fallacieuse, ruinent l'ensemble. La doctrine chrétienne, exprimée dans la formule du « Dieu un et trine », signifie, au fond, le refus des échappatoires, en restant dans le mystère, insondable à l'homme: en fait, c'est seulement par cette confession que l'on renonce effectivement à la prétention de tout savoir, illusion qui rend si séduisantes les solutions nettes avec leur fausse sobriété.
Le subordinatianisme échappe au dilemme en disant: Dieu lui‑même est unique; le Christ n'est pas Dieu, mais simplement un être tout proche de Dieu.
Ainsi le scandale est écarté, mais de la sorte, comme nous l'avons abondamment montré plus haut, l'homme est coupé de Dieu même, cantonné dans l'approche préliminaire. Dieu devient pour ainsi dire un monarque constitutionnel; la foi n'a pas affaire à lui, mais seulement à ses ministres 21.
Si l'on n'admet pas cela, si l'on croit réellement à la souveraineté de Dieu, à la présence du « plus grand » dans le plus petit, alors il faut tenir fermement que Dieu est homme, que l'être de Dieu et celui de l'homme se compénètrent; ainsi la foi au Christ deviendra le point de départ pour la doctrine trinitaire.
Le monarchianisme, dont nous avons déjà évoqué la solution, résout le dilemme en sens inverse. Il maintient fermement l'unité dc Dieu; mais en même temps il prend au sérieux ce Dieu qui vient à notre rencontre, d'abord comme créateur et père, ensuite comme fils et rédempteur dans le Christ et enfin comme Saint‑Esprit.
Mais ces trois formes ne sont considérées que comme des masques de Dieu, qui nous renseignent sur nous‑mêmes, mais nullement sur Dieu. Si séduisante que paraisse cette solution, il n'en résulte pas moins que l'homme reste finalement enfermé en lui‑même, sans pouvoir atteindre le Dieu véritable.
Les résurgences du monar‑
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chianisme dans l'histoire de la pensée moderne confirment cela une nouvelle fois.
Hegel et Schelling, dans leur tentative d'interpréter philosophiquement le christianisme et de penser la philosophie à partir du christianisme, se sont rattachés à cet essai de philosophie du christianisme, fait par l'Église ancienne.
En partant de là, ils ont espéré pouvoir rendre la doctrine trinitaire transparente et utilisable pour la raison, en faire la clé de toute intelligence de l'être, en lui donnant le sens purement philosophique censé être le sien.
Il ne nous est pas possible, bien sûr, de présenter ici exhaustivement ces tentatives ‑ les plus exaltantes faites jusqu'à ce jour ‑ d'une assimilation de la foi chrétienne par la pensée. Il suffira d'indiquer comment l'impasse, qui nous a parue typique du monarchianisme (modalisme), se retrouve pratiquement ici.