St Ambroise 12

Darras tome 10  p. 600


   51. Cette barlnre exécution, accomplie par des montagnards à

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demi sauvages, fut punie de la façon qu'elle pourrait l'être aujourd'hui dans notre colonie africaine. Les villages qui avaient trempé dans le guet apens furent militairement occupés. On imposa une amende générale et on força les chefs à souscrire des engagements sérieux pour l'avenir. Un autre incident plus grave, et dont le retentissement devait être plus considérable, se produisit dans la capitale de l'Egypte. Le patriarche Timothée, frère de saint Pierre d'Alexandrie, venait de mourir, après cinq années seulement d'épiscopat. Il eut pour successeur Théophile, vir eruditissimus, dit la chronique d'Idace 1, en relation de science et d'amitié avec saint Jérôme1. On verra bientôt le motif qui nous fait insister sur ces qualités extrinsèques de Théophile, dont il nous reste encore aujourd'hui un cycle pascal rédigé pour cent années, à partir du troisième consulat de Théodose. Dans un faubourg d'Alexandrie, se trouvait un vieux temple de Bacchus, depuis longtemps abandonné. Théophile sollicita de l'empereur l'autorisation de le remplacer par une église, qui devait servir à tous les fidèles de ce quartier lointain. Sa requête fut accueillie favorablement. Aussitôt que le rescrit impérial eût été délivré, les fidèles d'Alexandrie se mirent à l'œuvre. En déblayant les fondations du vieux temple, ils mirent à découvert une foule d'emblèmes ignominieux, très-connus aujourd'hui des Égyptologues et dont nous ne voulons point ici rappeler le nom. Dans une sorte de galerie souterraine [adytum), ces objets infâmes se trouvèrent en grand nombre, peints, sculptés, dorés, avec ce luxe d'impudeur dont le paganisme faisait étalage, et dont il a, grâces à Dieu, emporté le scandaleuse exhibition dans sa tombe. Les chrétiens montrèrent avec indignation à la foule ces honteuses images, que leur pioche mettait à nu. De leur côté, les païens, dont on révélait ainsi les impurs mystères, accoururent en furie, se jetèrent sur les travailleurs, tuant les uns et dispersant les autres. Le prêtre de Serapis, Helladius, se vantait d'avoir, à lui seul, égorgé neuf chrétiens. La lutte se poursuivit dans les rues adjacentes et sur les places publiques. Un grand nombre de fidèles périrent victimes

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1. Pair, lat., lom. LI, col. 874, — 2. S. Hiéran., Epist. xcis ; Pair, lot., tom. XXII, col.

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de cette insurrection 1. Le préfet Evagrius et le général Romanu arrivèrent, comme c'est l'usage, quand tout était fini. Les païens, en prévision de représailles sanglantes, se retranchèrent dans le Sérapéon, d'où ils pouvaient résister à toutes les attaques. Le Sérapéon (palais de Sérapis) était, à Alexandrie, ce que le Temple avait été jadis à Jérusalem. Bâti sur une éminence artificielle, on y accédait par un escalier de cent marches. La plate-forme de la terrasse était divisée en cours spacieuses, et en bâtiments splendides, dont la masse formait une véritable cité. Quatre rangs de galeries parallèles précédaient le vaste tertre où se déployait le temple proprement dit, élevant dans les airs ses étages superposés de colonnes de porphyre et de marbre. « A l'intérieur, une triple couche de métal, or, argent et cuivre, recouvrait du haut en bas les ambris. Au centre, se dressait la statue de Sérapis. Elle avait la figure d'un vieillard vénérable, portant de longs cheveux et une barbe bouclée ; de ses deux bras étendus, elle touchait les murailles opposées du temple; à ses pieds, dans une attitude caressante, le cerbère triformis, à tête de lion, de loup et de chien, levait sa gueule effroyable. Le visage de l'idole était tourné vers l'Orient. Une ouverture imperceptible avait été ménagée dans le mur qui lui faisait face, pour qu'à un jour marqué de l'aunée, les premiers rayons du soleil levant venant frapper ses lèvres, le dieu parût recevoir le baiser de l'aurore. Sous la plate-forme, s'étendaient de vastes souterrains constamment éclairés et communiquant l'un avec l'autre et avec la ville elle-même par cent issues secrètes. Enfin, dans les bâtiments latéraux se trouvaient entassés, en fait d'objets d'art, de manuscrits, de statues, tous les trésors de la superstition et de la science des anciens jours 2. »

 

52. Maîtres de cette vaste enceinte, où ils avaient entassé des vivres, des armes, des provisions de toute sorte, les païens défiaient les sommations amiables que chaque jour Evagrius et Romanus venaient timidement leur adresser. Un théurge de l'école de

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1 L'Église célèbre la fête des martyrs immolés en cette circonstance à Alexandrie le 17 mars. — 2. .M. de Broglie, l'É'jh*e et l'Empire romain, toro. VI, pay. 291).

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Maxime et de Sopater, noms célèbres sous Julien l'Apostat, s'était mis à leur tête. Il s'appelait Olympius : on lui attribuait dans la secte un pouvoir magique et une influence irrésistible. A ses charmes occultes, il joignait une éloquence véritable qui ne contribuait pas médiocrement à son succès de thaumaturge. « Que craignez-vous? disait-il à la foule insurgée. Les fonctionnaires de Théodose vous menacent de la rigueur des lois. Laissez-les-dire. Croyez-vous que les dieux ont cessé d'être, de gouverner et d'agir, parce qu'on a renversé leurs temples, profané leurs statues, souillé leurs images? Non, non! Ils ont abandonné aux impies une vile matière qui n'était pour eux qu'un symbole, un emblème, un simulacre. Mais leur vertu, leur puissance céleste n'est pas atteinte. Concentrée dans la région sereine où brillent les astres inaccessibles, elle se rit des efforts sacrilèges; elle vous guide et vous bénit! » Par des harangues de ce genre, Olympius entretenait le fanatisme de ses bandes païennes. Chaque jour, il faisait à leur tête des sorties sur la ville et capturait un grand nombre de prisonniers. Si les malheureux refusaient d'adorer l'idole de Sérapis, on les torturait de la façon la plus barbare : les uns étaient crucifiés, d'autres rompus vifs. Leurs membres palpitants étaient jetés dans les cloaques souterrains par où se dégorgeait le sang des taureaux et des génisses immolés en l'honneur de Sérapis.

 

53. Telle était la situation d'Alexandrie, lorsque le comte d'Orient Cynegius, le préfet local Evagrius et le général Romanus, à bout d'expédients, rédigèrent leur rapport à Théodose. Ces trois fonctionnaires n'avaient pas même eu l'idée d'opposer aux rebelles la moindre résistance. Pour dégager leur responsabilité, ils s'étaient les uns et les autres abstenus de toute espèce d'intervention. C'est là un trait caractéristique des époques de décadence. Quand tout croule à la fois, mœurs, institutions et patrie, les subalternes ne songent plus qu'à leur fortune particulière, à leur individualité personnelle, à leurs honneurs ou à leurs places. De l’ordre général, de l'intérêt d'une ville, d'une province, d'un empire, nul souci ! Cela regarde le pouvoir central. Celui-ci est loin, et il faudrait une résolution soudaine; il est insuffisamment ou mal ren-

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seigné, et il faudrait au contraire que tous les incidents lui fussent parfaitement connus pour que sa détermination fût à la fois éclairée et pratique. N'importe ! Si le gouvernement échoue, le fonctionnaire dira qu'il l'avait prévu et offrira son expérience au nouveau successeur; s'il réussit, le fonctionnaire s'en attribuera la gloire. Les hommes sont ainsi faits : c'est un malheur pour l'humanité, mais c'est aussi une grande leçon pour les souverains. Heureux ceux qui ont eu le temps d'étudier l'histoire; plus heureux encore ceux qui profitent de ses enseignements! Quoi qu'il en soit, les fonctionnaires d'Alexandrie étaient si parfaitement décidés à garder la neutralité entre les païens du Sérapéon et les chrétiens de la ville, qu'ils convoquèrent les uns et les autres sur le forum, pour lire publiquement leur rapport à Théodose. Chaque parti était ainsi prévenu de la neutralité inoffensive de l'autorité locale. Ces magistrats eussent avantageusement figuré dans un gouvernement constitutionnel !

 

54. Mais, nous l'avons dit, Théodose savait se décider, et c'est par là qu'il était grand. Ses fautes, ou plutôt le massacre de Thessalonique, la grande faute que l'histoire ait à lui reprocher, n'avait pas eu d'autre cause que cette rapidité de décision qui peut se tromper quelquefois, mais qui en politique est toujours préférable au régime de l'hésitation et de l'incertitude. Séance tenante, l'empereur, de son palais de Milan, dicta aux fonctionnaires d'Alexandrie une réponse irrévocable. « Je veux, dit-il, qu'au reçu de cette lettre impériale, vous fassiez démolir le temple de Sérapis. Les chrétiens qui ont péri dans cette lutte sacrilège ont conquis la gloire du martyre, ils n'ont pas besoin de vengeance! Epargnez leurs meurtriers, pour faire apprécier, à ces malheureux, la douceur de notre religion et porter leurs âmes à la foi de Jésus-Christ par la reconnaissance envers les chrétiens.» Aussitôt que le courrier, porteur de ce message, fut débarqué à Alexandrie, Olympius, le chef de l'insurrection, se hâta de quitter le temple de Sérapis. « J'ai entendu cette nuit, dit-il à ses adeptes, des voix inconnues qui faisaient retentir l’Alléluia du Christ sous les voûtes consacrées à nos dieux ! » On le crut plus ou moins; mais il dis-

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parut. Avant même que le rescrit de Théodose eût été lu sur la place publique d'Alexandrie, tous les païens avaient quitté le Sérapéon; la paix était rétablie dans la ville. Le temple fameux que l'Egypte considérait comme son palladium, fut transformé en une église dédiée à saint Jean-Baptiste. On y déposa les reliques du saint Précurseur, rapportées de Palestine, sous le règne de Julien l'Apostat, par l'illustre Athanase 1. Il y eut pourtant un moment d'hésitation, quand les ouvriers durent entamer à coups de marteau la statue gigantesque de Sérapis. Une légende populaire affirmait que si un mortel osait jamais toucher à ce vénérable simulacre, le ciel s'écroulerait et le monde retomberait dans les ténèbres de l'antique chaos. Le chrétien auquel échut la mission de porter le premier coup à l'idole, recula devant une telle responsabilité. Le patriarche Théophile dût intervenir pour raffermir son courage ; le soldat prit alors sa hache à deux mains, et fendit la mâchoire de Scrapis. Une légion de rats et de souris s'élança par la brèche : ce fut tout le désastre qu'on eût à déplorer. L'idole dépecée, devint le jouet des enfants d'Alexandrie. Les temples de Canope et de l'Egypte entière eurent le même sort; nul ne songea à s'en plaindre, jusqu'à l'époque de notre rationalisme actuel. Quelques savants de nos jours s'imaginèrent de transformer la destruction de l'idole de Sérapis en une croisade contre la bibliothèque d'Alexandrie. Ils s'élevaient avec force contre le vandalisme du patriarche Théophile, « qui avait, disaient-il, brûlé tous les livres du Sérapéon. Omar, le calife bibliophobe, avait été affreusement calomnié, quand on l'accusait d'avoir chauffé, pendant six mois, les thermes publics avec les parchemins de ce précieux dépôt. Le véritable Omar était Théodose le Grand, qui n'avait pas laissé subsister un seul livre de la fameuse bibliothèque des Ptolémées. L'exécuteur des hautes œuvres qui avait prêté sa main à cet acte de barbarie, était le patriarche Théo-

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1.          Parmi les reliques du Précurseur, ne se trouvait point le chef de saint Jean-Baptiste, qui avait été transporté en Cilicie, et que l'empereur Théodose se préparait à transférer solennellement à Constautinople, dans la basilique nouvelle de l'Hebdomon.

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phile. » ---Ainsi disaient les rationalistes en pleurs! Cependant, M. l'abbé Gorini établissait, dans une dissertation qui restera le chef-d'œuvre de la science, que Théophile n'avait pas détruit un seul livre du Sérapéon ; qu'il n'avait pas touché aux bâtiments de la bibliothèque d'Alexandrie ; qu'il s'était borné à remplacer l'idole de Sérapis par la croix de Jésus-Christ 1. Ce triomphe suffisait au patriarche, comme il suffisait à Théodose le Grand. Il couronnait le IVe siècle et mettait fin à une lutte de sang, de débauches et d'ignominie. Le monde respirait sous le sceptre du Rédempteur. Une halte dans la gloire et la paix succédait à quatre cents ans d'agitations, de cruautés et de honte. Quand Théodose, au commencement de l'an 300, rentrait à Constantinople, l'évêque Nectaire put lui adresser, à juste titre, le salut de bienvenue ; Pax Christi !

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1 Gorini, Défense de l'Église contre les erreurs historiques, tom. , pag. 46-55. Nous n'oserions pas, de nous-même, signaler avec tant de confiance ce travail, si nous n'étions appuyé par le témoignage décisif de M. de  Broglie, qui appuie en ces termes la démonstration de M. l'abbé Gorini : « Ce savant ecclésiastique prouve fort bien, contrairement à ce qu'où avait prétendu, que, dans la démolition des objets consacrés au culte païen, ne furent pas comprises les richesses littéraires du Sérapéon » (M. ds Broglie, i'Sffi' "■ ''£//i» pire rosi., tom. VI, pag. 299. note).

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