Louis XIV 10

Darras tome 37 p. 472

 

   Voilà une partie des injustices et des violences commises de la part de la France, contre la dignité du vicaire de Jésus-Christ et la liberté de l'Église, qui n'ont point été capables d'altérer les bonnes dispositions du Pape, ni d'effacer de son cœur les sentiments de père commun, comme toute la terre l'a pu remarquer, en ce qu'il n'a jamais voulu entrer en aucune ligue, ni cesser de procurer de tout son pouvoir la conservation de la paix générale et la satis­faction particulière de Sa Majesté Très Chrétienne, soit dans le dernier accordement de Gènes, soit sur la trêve accordée à l'Em­pire, soit dans le traité fait avec l'Espagne sur les différends arrivés à Cadix.

 

On laisse après cela à juger si ce n'est pas le Pape qui a tout sujet de se plaindre de la conduite de la France.

 

18. Le lion de France était battu par l'agneau de Jésus-Christ. Nous n"avons pas à louer ici la vertu d'Innocent XI. Tous les histo­riens, même protestants, un Sismondi malgré ses passions libérales, un Ranke, malgré sa haine concentrée de Prussien, sont unanimes pour louer « sa vertu, son désintéressement, sa modestie, et la soumission où il contenait sa famille, » et pour dire que « depuis longtemps l'Église n'avait eu un chef plus chéri de ses sujets, plus considéré de la chrétienté, plus recommandable par ses Vertus et la fermeté de son caractère (1). »

 

   Le clergé de France, dans les procédures saugrenues du gouver­nement contre le Saint-Siège, en se bornant à remercier le roi des communications qui lui étaient faites, contribua quelque peu à le faire revenir à résipiscence. «Le clergé, dit Joseph de Maistre, avait aussi fait ses réflexions. Il sonda d'un coup d'œil l'abîme qui s'ou­vrait. Il fut sage ; il se borna à remercier humblement Sa Majesté de l'honneur qu'elle avait fait à l'assemblée, en lui communiquant ses actes. On pourrait encore trouver de la faiblesse et même de la

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(1)   Sismondi, t. XXV, p. 633 ; - Ranke, t. III, p. 320.

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servilité dans cette réponse des évêques, qui remerciaient le Roi de l'honneur qu'il leur faisait en leur communiquant un acte exclusi­vement relatif à la religion, et qui ne tendait tout au plus qu'à faire disparaître l'Église visible. Mais ce n'était pas le temps de l'intrépi­dité religieuse et du dévouement sacerdotal. Louons les évêques de ce qu'avec toutes les formes extérieures du respect, ils surent néanmoins amortir un coup décisif porté à la religion. A défaut d'un rempart pour amortir le boulet, le sac de laine à son prix (1). »

 

 L'état général des affaires de l'Europe força bientôt Louis XIV de se rapprocher du Saint-Siège. D'ailleurs le maintien de Lavardin à Rome devenait chaque jour plus difficile. Louis XIV avait voulu braver le Pape jusque dans sa capitale ; Louis XIV se trou­vait, devant la chrétienté, couvert de confusion, dans la personne de son représentant. Les principaux de Rome fuyaient Lavardin ; la place n'était plus tenable. Lavardin, d'autre part, n'inspirait plus la même confiance à Louis XIV ; il en était venu à le faire surveil­ler par une contre-police. Enfin, il rappela de Rome ce mar­quis de Lavardin, qui revint à Versailles essuyer les brocarts de la cour sur « cette étrange ambassade, comme le dit Saint-Simon, où il se fit excommunier par Innocent IX, sans avoir pu jamais en ob­tenir audience. »

 

Innocent XI étant mort peu de temps après, Lous XIV profita du changement de pontificat pour se rapprocher du Saint-Siège. Lors­qu'il dépêcha le duc de Chaulnes à Rome, il restitua le Comtat Venaissin, qu'il avait pris au cours de la dispute, et, pour renouer les négociations avec Alexandre VIII, donna à son ambassadeur l'ordre formel de renoncer, sans discussion, aux franchises.

 

   24. Pendant que Louis XIV,  par ses actes insensés contre le Saint-Siège, initiait la France au mépris du pouvoir et préparait de loin, l'avenir de la révolution,  la révolution,  acclimatée en Angleterre, continuait ses prouesses.  Par la mort de Charles Ier, en 1640, l'Angleterre s'était trouvée en république. Cromwell, chef de l'armée, comprima à Dunbar en 1650, et à Worcester en 1651,

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(1) De l'Église gallicane, liv. II, ch. 7.

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les révoltes de l'Irlande et de l'Ecosse. Les trois royaumes étaient à ses pieds. Il y a, en histoire, peu d'exemple d'un peuple livré à l'hérésie, qui se fasse plus étrangement escamoter par la convoitise parée des couleurs de son fanatisme. Blake surveillait les côtes anglaises; Popham croisait dans les eaux du Portugal ; les colonies indiennes revenaient à l'obéissance et les divers états d'Europe reconnaissaient l'existence légale de la nouvelle république. Cromwell profita de la circonstance, pour faire chasser par ses soldats, le Parlement, complice de ses crimes, et s'emparer du pouvoir, sous prétexte de sauver la nation. L'administration de l'usurpateur fut active, vigilante et vigoureuse. Le protecteur, — c'est le nom qu'il s'était donné, — humilia la Hollande et se rendit formidable à la France. Au terme de ses succès, il se sentait vaincu et par la disgrâce de son œuvre et par la réaction du bon sens public. Cromwell mourut en 1658, accablé de tristesse, entouré de défiance, et ne laissant aucun regret.

 

Richard, son fils, n'eut pas le temps de lire les lettres de félicita­tions adressées pour son avènement ; il dut faire ses malles et se mit à la charrue. Le général en chef de l'armée, Monck, avait noué des relations secrètes avec Charles II. L'Angleterre, fatiguée d'anar­chie, rappela le fils du décapité de Wittehall. Quand le roi parut, à Londres, au milieu des applaudissements universels, il put dire: « Où sont donc mes ennemis ? »

 

De 1660 à 1685, Charles II régna sur l'Angleterre. Mais ce fils de roi n'était pas un roi ; il ne sut que noyer dans les plaisirs une vie commencée dans les souffrances. Sa politique ne valut pas mieux que sa conduite. Les fêtes de la restauration étaient à peine termi­nées, que les supplices commencèrent ; ils durèrent peu et ne frappèrent guère que des régicides ou des scélérats. L'anglicanisme persécuté naguère par les républicains, voulut persécuter à son tour. Dans une pensée d'unité, incompatible avec l'hérésie, le Parlement frappait en même temps les presbytériens, les puritains et les catholiques. Sous Charles 1er, la politique n'avait été qu'une force de religion ; sous Charles II, la religion ne fut qu'un instru­ment politique. L'esprit de foi  avait disparu ;  la Cour professait

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l'athéisme. Pour distraire et contenter la multitude, on inventa, contre les catholiques, une conspiration. Titus Oatès devint, par ses dénonciations, la terreur du royaume, et envoya à l'échafaud, sous les yeux du roi, les meilleurs amis du monarque. Le serment du test ou d'apostasie obligatoire pour les catholiques qui voudraient servir leur pays ; la distiction du wighs et de tories remplaçant les anciennes dénomination d'épiscopaux, d'indépendants, de puritains, de niveleurs : voilà, avec le complot chimérique de Titus Oatès faisant appel au fanatisme anglican, le résidu de ce triste règne. Charles II, mourut d'apoplexie en 1685. Milton, Waller, Dryden, Buller, Cowley, Otway et Davenant avaient illustré, sous son règne, les lettres anglaises.

 

Jacques II, le dernier des rois Stuart, était un prince dur, faible et fanatique. L'insurrection suscitée par le bâtard de Montmouth, fils naturel de Charles II, fut réglée par le bourreau. Jeffreys, nom infâme dans les annales britanniques, fut le ministre des proscrip­tions ordonnées par Jacques II ; sa hache fit tomber, en peu de mois, deux cent cinquante têtes sur le billot. Le nombre des mécon­tents augmentait chaque jour ; ils offrirent la couronne, à Guillau­me, gendre du roi, stathouder de Hollande. Guillaume aborda en Angleterre avec son armée. Aussitôt la solitude se fit autour du roi trahi par son ministre, abandonné par son gendre, envahi par sa fille. L'armée, qui était nombreuse, hésitait. Le roi courut à sa ruine en abandonnant Londres : le 2 janvier 1689, il gagnait la France. Alors le Parlement proclama solennellement deux men­songes, savoir : que le monarque fugitif avait abdiqué, et que son jeune fils était un bâtard. Grâce à ces ignobles manœuvres, Marie, femme de Guillaume de Hollande, devenait héritière du trône de l'Angleterre. Sa sœur Anne devait lui succéder. Plus tard, le trône passe aux médiocres princes de Brunswick-Hanovre, rois par la grâce du protestantisme, nuls sous tous les autres rapports. C'est cependant sous leur règne que l'Angleterre a affermi sa constitu­tion et étendu son empire. II y a peu de sphères d'activité humaine ou l'action de Dieu soit plus visible que dans la politique.

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II. LA DECLARATION DE 1682.


La déclaration de 1682 est l'acte par lequel la France, jusque-là si glorieusement fidèle à Jésus-Christ et à son Église, s'est le plus éloignée de ses traditions, s'est approchée le plus près du schisme et de l'hérésie, s'est livrée davantage au pouvoir civil et exposée aux coups du grand anathème. Nous devons en étudier avec soin les antécédents, les circonstances préparatoires, les doctrines, les excès et les suites. Pour que la France continue de s'appartenir et puisse se relever, elle a besoin de rejeter absolument tout ce qui lui vient de cette déclaration.


  25. On dit volontiers, dans un certain monde, que tous les attentats du gallicanisme contre la principauté spirituelle des pontifes romains s'appuient sur le témoignage de nos pères, et, par là, on n'entend pas seulement quelques évêques du XVIIe et du XVIIIe siècle, mais les pères de nos églises de Bossuet à S. Bernard et de S. Ber­nard à S. Irénée. C'est une grande erreur. La France a toujours partagé les sentiments religieux de la chrétienté; elle y a été nour­rie et entretenue par son clergé qui, dans tous les temps, a pro­fessé pour la chaire de S. Pierre la plus profonde vénération. Ses évêques ont toujours compris qu'ils devaient se signaler, envers le siège de Rome, par un dévouement sans égal et par un incompa­rable zèle. Ai-je besoin d'en fournir la preuve, et ce que j'avance n'est-il pas établi par des milliers de monuments? J'en produirai pourtant quelques-uns, à la gloire de la religion et pour la conso­lation de ceux qui l'aiment. Naturellement, je ne rappellerai que ceux qui paraissent, en faveur des pontifes romains, les plus clairs et les plus décisifs.

 

   « Nous tenons, avec une persuasion inébranlable et comme un point que l'on ne peut révoquer en doute, disait, en 1387, Pierre d'Ailly, au nom de l'université de Paris, que le Saint-Siège apos­tolique est cette chaire de Pierre, de laquelle il a été dit dans la personne du Pontife qui l'occupe: « J'ai prié pour toi, afin que ta

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foi ne défaille point. » C'est le Seigneur qui enseigne du haut du Vatican, et nous statuons que les oracles qui en émanent mettent fin à toutes les discussions, fixent la croyance et déterminent ce que l'on doit rejeter (1). » — «Cette chaire nous apprend les points auxquels nous devons nous attacher et condamne les erreurs que nous devons réprouver (2). » — « Résister à ses jugements et à ses décisions, c'est encourir la flétrissure de perversité hérétique (3). »« Ce siège est la colonne et le fondement de la vérité (4). » — « Il a reçu du ciel l'immutabilité d'une foi toujours pure (5). » — « Sur ce trône, la foi de Pierre ne subit aucune atteinte (6). » — « Il faut mettre au rang des insensés tous ceux qui ont pu croire que le siège de Pierre était capable de séduire les fidèles par des dogmes dangereux. Jamais il n'a enseigné une fausse doctrine ; jamais il n'a pu se laisser égarer par une hérésie quelconque (7). »« Dans les doutes et les questions obscures qui ont rapport à la vraie foi ou aux dogmes de la religion, c'est la sainte Église romaine qu'il faut consulter comme la mère, la maîtresse, la nour­rice et l'organe fidèle de toute l'Église : et c'est à ses salutaires avis qu'il faut s'en tenir ; son enseignement doit suffire à tous les catholiques (8). » — « On ne doit recevoir comme témoignages incontestables que ceux qui sont tirés des Écritures qu'elle recon­naît pour canoniques ; et l'on ne peut, à l'égard des dogmes, s'en tenir qu'à l'autorité approuvée par le pape Gélase ou par les autres souverains pontifes (9). » — « Voulez-vous avoir la certitude de la foi? C'est à l'Église romaine que vous devez la demander(lO). » — « C'est avec cette Église, à cause de la suréminence de son rang et de sa puissance, que toutes les autres Églises doivent être d'ac-

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(1)Le clergé de France à Alexandre VII en 16C0.

(2)L'Église de Paris en 1324.

(3)Yves de Chartres à l'archevêque de Sens.

(4)Assemblée de Melun, 1479.

(5)Pierre de Blois.

(6)Les évêques de France a Innocent X, 1C53.

(7)Annales de Metz, 855.

(8)Hincmar de Reims.

(9)Livres Carolins, I, G.

(10)      Gerson, sermon sur l'Ascension.

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p478 PONTIFICAT d'innocent XI (1676 A 1689).

 

cord (1). » — « Il faut s'attacher à ce qu'elle suit (2) ; » — «car elle ne peut errer (3). » — « Les archevêques et les évêques seront pleins de vénération pour notre saint père le Pape, chef visible de l'Église universelle, vicaire de Dieu en terre, évêque des évêques et patriarches, en un mot, successeur de Pierre, par lequel com­mence l'apostolat et l'épiscopat, et sur lequel Jésus-Christ a fondé son Église, en lui donnant les clefs du ciel, avec l'infaillibilité de la foi que nous reconnaissons,  sans ambiguïté, avoir persévéré immuable dans ses successeurs : ce qui n'a pu avoir lieu sans miracle (4). » — « Il est constant, non seulement par la promesse de Notre-Seigneur Jésus-Christ faite à Pierre, mais encore par les actes des premiers pontifes, que les jugements que rendent les papes pour cimenter la règle de la foi, alors qu'ils sont consultés par les évêques,  que ceux-ci établissent ou non leurs sentiments dans la relation qu'ils soumettent au Saint-Siège, sont appuyés sur une autorité divine et souveraine, à laquelle tous les chrétiens sont strictement tenus d'obéir du fond de leur cœur (S). » — « C'est à l'apostolat du pontife romain que doivent être manifestés tous les périls et les scandales qui s'élèvent dans le royaume de Dieu, sur­tout en ce qui concerne la foi : car je crois qu'il est dans l'ordre que les atteintes portées à la foi soient réparées là où la foi ne peut souffrir d'atteinte (6). » — « L'esprit de conseil qui souffle où il veut, guide assidûment son Église qui est répandue par tout le monde (7). » — « Seule la puissance du souverain pontife a pu mettre fin aux disputes violentes qui se sont élevées sur la foi (8).»___ « Le pontife romain tient la place de Dieu sur la terre (9). » —« Nous savons que là où se trouve le chef de l'Église, là aussi est

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(1)S. Irénée, Adv., Eizres. va, 3.

(2)Hincmar.

(3)Le parlement de Paris sous Louis XI,

(4)Assemblée de Melun, 1626.

(5)Le clergé de France à Innocent X.

(6)S. Bernard au pape Innocent.

(7)Pierre de Cluny à Innocent II.

(8)Le clergé de France à Innocent X.

(9)Hincmar à Nicolas Ier.

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le boulevard de toute la foi (1) : » — « et il n'est pas permis, sans le vicaire de Dieu, sans le Pontife universel, sans l'unique Pape, sans l'arbitre de toutes choses que rien soit déterminé ou publié en tout ce qui concerne la foi et les mœurs (2). » — « On ne peut, on n'a pu et on ne pourra jamais appeler à tout autre juge des sentences et des jugements du souverain pontife (3). » — « Les pontifes romains ne sont sou­mis au jugement d'aucun homme sur la terre (4) ;» — « car le pasteur ne doit pas être jugé par le troupeau (5). » — « Le juge­ment du pontife romain n'est dû et réservé qu'à Dieu seul (6). » — « Il n'est douteux pour personne que les points qui sont fortifiés par l'autorité apostolique sont pour toujours arrêtés, et qu'ils ne peuvent plus être ou mutilés par le sophisme, ou altérés par l'envie de qui que ce puisse être (7). » — « On n'a pas à rechercher l'hé­résie dans le Pape enseignant comme Pape, mais seulement comme homme privé : car il n'est aucun Pape comme simple particu­lier (8). »

 

26. La France, si exactement fidèle dans la confession orthodoxe des prérogatives de la papauté, ne l'a pas moins été dans l'obser­vation des rapports naturels entre les deux puissances. Dès avant Jésus-Christ, les armes, si considérées dans les Gaules, avaient pour contre-poids et pour guide, la religion. Après l'établissement du christianisme, la soumission religieuse de notre race se mani­feste avec plus d'énergie. Le cou du Sicambre était raide ; par la grâce de Dieu, Clovis courba son front sous la main de S. Rémi. Le plus nul des rois fainéants, Childéric III, fut, suivant nos an­ciennes chroniques, déposé sur l'avis du saint pape Zacharie : cette mention montre au moins la croyance française à la suprématie

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(1)Le clergé de France en 1650.

(2)Hincmar.

(3)Clément, proviseur de Sorbonne, depuis archevêque de Sens et pape.

(4)Décret aux Arméniens.

(5)La province de Sens, dans Yves de Chartres, Ep. 238.

(6)S. Avit de Vienne.

(7)Le roi Philippe à Innocent III.

(8)Épitre de sis évêques de France en 1140 à Innocent II.

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temporelle du Pape. Pépin et Charlemagne sont sacrés à Saint-Denis par le pape S. Etienne. Charlemagne sera couronné empe­reur d'Occident, à Rome, par le pape S. Léon, le jour de Noël, où avait été déjà baptisé et sacré Clovis. C'est ce Charlemagne qui a écrit, en tête de ses capitulaires, la plus belle confession de la royauté de Jésus-Christ ; « Jésus-Christ notre Seigneur, régnant éternellement, moi, Charles, dévoué défenseur et humble ouvrier de la sainte Église » : c'est à ce double titre qu'il entend être roi et pas autrement ; et personne chez nous, durant huit siècles, ne l'a entendu autrement que Charlemagne.

 

Le pape S. Nicolas Ier dit le Grand, le pontife par qui l'anathème est lancé sur Photius, écrit de la sainte Eglise, au siècle de Char­lemagne : « Celui-là seul l'a fondée qui a confié au bienheureux porte-clefs de l'éternelle vie les droits de l'empire terrestre en même temps que du céleste. » Hincmar, qui ne ménageait pas les papes et qui savait bien se mettre du côté des rois pour leur faire la guerre, écrit ceci : «Quelques sages disent que ce prince (Lothaire) est le roi et n'est soumis aux lois et aux jugements que de Dieu seul. Je réponds : cette parole n'est pas d'un chrétien ca­tholique, mais d'un blasphémateur extrême et plein de l'esprit diabolique. L'autorité apostolique nous avertit que les rois aussi ont à obéir à leurs préposés dans le Seigneur (1). » A trois siècles de là, le roi de France, Louis VII, écrira au pape Alexandre III : «Que le glaive de Pierre soit tiré pour venger le martyr de Cantorbéry ; car son sang crie vengeance, non seulement pour lui, mais pour toute l'Église. » S. Bernard, lui, vient d'écrire au pape Eugène, en lui recommandant de ne pas se servir du glaive maté­riel, qui néanmoins ne laisse pas d'être sien, tuum : « L'un et l'autre glaive, le spirituel et le matériel, appartiennent donc à l'Église, mais celui-ci doit être manié pour l'Église, celui-là par l'Église. L'un est dans la main du prêtre, l'autre dans la main du soldat; mais bien entendu sous la direction du prêtre et sous les ordres

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(1) Migne, Patr. lat., t. CXXV, col. 693, De Divortio Lotharii et Tetbergae, quœst. 6.

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de l'empereur, sed sane ad nutum sacerdotis et jussum imperatoris (1).

 

Voila les idées françaises, voilà les mœurs françaises. Ce qu'on a dit d'une Pragmatique Sanction de S. Louis reléguant le Pape hors des frontières de France, en matière politique, est un conte mis au jour deux siècles plus tard par Louis XI, auquel on attribue les Cent nouvelles imitées de Boccace. Les érudits de nos jours ont montré à l'envi « le caractère apocryphe de la Pragmatique attri­buée à S. Louis (2). » S. Louis était un chevalier français comme ses pères. « Quand le pape Innocent IV, disait le cardinal du Per­ron, au nom des prêtres et des chevaliers français, absolut au con­cile de Lyon les sujets de l'empereur Frédéric de la fidélité qu'ils lui devaient…….,       le roi S. Louis prit la protection de la cause du Pape contre l'Empereur. Le roi, dit Paul Emile, étant venu à Lyon pour se rendre auprès d'Innocent, par zèle d'office et de religion, et aïant protesté que lui et les forces, et le conseil de son roïaume, étoient prêts pour défendre la puissance de Sa Sainteté, ajouta force et dignité à la cause d'Innocent (3). » S. Louis ne put mettre à exécution son bon propos ; mais il légua son esprit à son fils, qui fut, à l'occasion, plus heureux. Pierre, roi d'Aragon et allié secret des infidèles, fit sur nous Français le massacre des Vêpres sici­liennes, le jour de Pâques. « Le pape Martin IV, dit Paul Emile, et après lui du Haillant, acquitta et absolut les Aragonais du serment de fidélité qu'ils avaient fait audit Pierre. Et Philippe le Hardy, fils de Philippe le Bel, prit les armes pour l'exécution de la censure du Pape et mourut en l'exécutant (4). »

 

27. Malgré ces faits, on n'argue pas moins d'une tradition opposée des légistes césariens et des faits qui motivent ou colorent leurs prétentions. A cette allégation frivole, nous opposerons deux témoignages. Deux hommes, dont personne, à coup sûr, ne récu­sera le témoignage, vont contrôler à l'instant ce droit public...

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(1)De Consideratione, lib. IV, cap. 3.

(2)Cantu, Hist. univ., t. XI, p. 2G9.

(3)                                                   De rébus gestis Francorum, col. 332. 333.

(4)  DUPERRON,   COl. 333.

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p482      pontificat d'innocent xi (1676 A 1689).

 

« du passé, » cette statistique de « huit ou dix siècles, » ou de « dix siècles » simplement ; car des affirmations si hardies ne craignent pas d'être ainsi flottantes et négligées. L'un de ces hommes est le cardinal du Perron, parlant, le 2 janvier 1615, aux États-Généraux, en la Chambre du Tiers-État, au nom de l'ordre entier du clergé et de celui de la noblesse, dont il avait à ses côtés douze députés commis pour la représenter. L'autre est le premier président et sénateur Bonjean, l'auteur de la triste compilation : Du Pouvoir temporel de la Papauté, «qui prétend défendre la Papauté en fai­sant son oraison funèbre, » selon la pénétrante et loyale expression du marquis de la Rochejaquelein.

 

Le cardinal du Perron, et l'on peut dire la France par sa bouche, disait, il y a deux siècles et demi :

 

« Il ne s'agit pas icy de la question de droit... il s'agit de la question du fait... Or de cela il n'en faut point de meilleurs té­moins que les écrivains anglois, qui ont mis la main à la plume pour défendre le serment du roy d'Angleterre contre le Pape ; car aïans fait tous leurs efforts de trouver quelques docteurs, et parti­culièrement François, qui eussent tenu leur opinion avant les der­niers troubles, ils n'en ont jamais sçu produire un seul, ni théolo­gien, ni jurisconsulte, qui dit, qu'en cas d'hérésie ou d'apostasie de la religion chrétienne, les sujets ne pussent être absous du serment de fidélité. Et pour le regard des étrangers comme Okam, Antonius de Rosellis, et Vulturnus, tout de même. Car, quant à Marcile de Padoue, ils ne l'ont osé alléguer, d'autant qu'il est tellement reconnu pour hérétique par le consentement de tous les catholi­ques... Ceux qui ont écrit après eux de la même manière en France, n'ont jamais pu trouver en toute la France, depuis que les écoles de théologie y ont été instituées jusques nos jours, un seul docteur, ni théologien, ni jurisconsulte, un seul décret, un seul concile, un seul arrêt de parlement, un seul magistrat, ni ecclésiastique, ni politique, qui ait dit qu'en cas d'hérésie ou d'infidélité, les sujets ne puissent être absous du serment de fidélité qu'ils doivent à leurs princes... Et comment fera-t-on passer pour loi fondamen­tale de l'État une proposition qui est née en France plus d'onze

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cens ans après que l'État a été fondé (1) ?.. Toutes les autres par­ties de l'Église catholique, voire même toute l'Église gallicane, depuis que les écoles de théologie y ont été instituées jusques à la venue de Calvin, tiennent l’affirmative, à sçavoir, que, quand un prince vient à violer le serment qu'il a fait à Dieu et à ses sujets, de vivre et de mourir en la religion catholique... ce prince peut être déclaré déchu de ses droits comme coupable de félonie (2)... »

 

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