Arius1

Lorsque Constantin le Grand a légalisé le Christianisme et affiché sa préférence pour cette religion, il n’y avait dans l’Empire Romain qu’à peine 4.5 ou 5 % de catholiques. Cà n’a pas empêché des temples païens d’être désertés. Mais les païens n’ont pas tardé beaucoup à riposter. Ils l’ont fait dabord sous couvert de catholicisme par les hérésies d’Arius et les empereurs Constance, Valens etc. . Ensuite, ils l’ont fait ouvertement par l'empereur Julien l’Apostat. Si on faisait admettre que Jésus-Christ n’était pas un Dieu dans toute l’acception du terme,  le tour était joué.


Darras tome 9 p. 204


§ II. Arius.

 

9. Le  compromis qui s'établit alors entre la vieille littérature d'une part, et le christianisme de l'autre,  s'opéra sans de trop graves déchirements.  Il  n'en  fut pas  de même pour le philosophisme.  En jetant un regard en arrière,  il ne nous

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1. Auson., Parenfalia, cap. m ; Patrol. lai., tom. XIX, col. 811 : Hisl. UtUr.'. 4e te France, tom. cit., pn<t. 59.

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serait pas difficile de trouver, sous chaque édit de persécution lancé contre l'Église par les empereurs romains, le nom ou l'influence d'une secte philosophique : l'épicurianisme avec Néron, Caligula, Héliogabale ; le stoïcisme avec Marc-Aurèle, Alexandre Sévère, le platonisme avec Dioclétien, Maximien-Hercule et Licinius. La conversion de Constantin à la foi de Jésus-Christ eut pour résultat immédiat de réunir toutes ces sectes divisées dans une haine commune contre la religion officielle. Une lutte à main armée n'était plus possible, après la chute successive de Maxence et de Licinius. Aussi ce fut sur le terrain même du catholicisme que la controverse s'engagea. Cette tactique était savamment combinée. Nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ici l'appréciation très-exacte que Théodoret nous a tracée d'un état de chose qui n'aura vraisemblablement jamais d'analogue dans l'histoire. « Pendant que nous étions dans l'allégresse, rebâtissant nos églises ruinées, et en élevant de nouvelles, dit Théodoret, la tristesse et le désespoir se peignaient sur le visage de nos adversaires. Le démon, l'antique ennemi du genre humain, sut mettre à profit ces germes de discordes. Il ne pouvait laisser l'Église suivre en paix le cours de ses prospérités. Cependant il voyait crouler l'édifice des erreurs idolâtriques ; l'absurdité des vieilles superstitions sautait aux yeux ; nul ne voulait plus rendre à la créature l'hommage qui n'est dû qu'au Créateur. Il fallait accommoder le système d'attaques aux nécessités nouvelles de la situation. Le temps des persécutions sanglantes était passé. Le démon eut recours aux luttes intestines. II séduisit quelques hommes, chrétiens de nom, mais en réalité esclaves de l'ambition et de la vaine gloire. II en fit ses instruments pour l'œuvre de perversion qu'il méditait. Leur mot d'ordre n'était pas de ramener le monde à l'adoration des créatures, mais de travailler à faire déchoir le Créateur, à le ravaler dans i'opinion des peuples au rang d'une simple créature 1. » Ce fut là en effet le rôle de l'arianisme; Théodoret l'a fort bien compris. Successivement

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1 Théodoret, Hist. eccles., lib. I, cap. I; Patrol. grcec, tom. LXXII, col. 883.

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le philosophisme païen avait cherché à réagir contre le symbole Catholique, en présentant l'Incarnation de Jésus-Christ comme une théophanie du genre de celles que le polythéisme adorait. Le Verbe, ou Sagesse de Dieu, ne procédait pas immédiatement du principe divin. Il en était dérivé par des émanations intermédiaires. Telle était la doctrine de Simon le Mage, renouvelée, étendue et complétée par Valenlin, Basilide, Saturnin et tous les gnostiques. Ainsi que nous l'avons dit à plusieurs reprises, la gnose, avec ses généalogies divines qui paraissent aujourd'hui extravagantes, représentait, pour les intelligences aveuglées par les ténèbres du polythéisme, un principe généralement admis. Elle affirmait qu'entre l'absolu, l'Éternel, le Butos infini, et la création contingente, accidentelle, finie, il existait des intermédiaires divins. Que ces intermédiaires fussent aussi nombreux que le supposait Valentin, on pouvait le discuter, mais le principe général était admis. Or ce principe formait l'essence même du polythéisme. Lorsque, poussée dans ses derniers retranchements, la philosophie païenne vit tomber tous les autels de ses idoles, elle se cramponna à une dernière ressource ; elle se groupa autour d'un sectaire qui déclarait que le Verbe, le Fils de Dieu, Jésus-Chrisi, n'était qu'une créature supérieure à toutes les autres, produite en dehors de Dieu pour donner le commencement à tous les êtres. Cela ressemblait, si l'on veut, à Minerve, ou la Sagesse, sortie du cerveau de Jupiter. Il y eut donc un retentissement inouï, une faveur exceptionnelle, un engouement général pour le sectaire qui, le premier formulant cette doctrine, faisait rentrer de force au sein du christianisme le dogme païen de l'émanation.

 

10. Ce n'est pas d'un seul bond que les hérésiarques atteignent la célébrité. Il leur faut faire en quelque sorte l'apprentissage du scandale, le stage de la trahison. Vers l'an 301, le patriarche d'Alexandrie, saint Pierre, qui devait un peu plus tard verser son sang pour Jésus-Christ, convoquait en synode les évêques de sa province ecclésiastique, pour examiner la cause de Mélèce, évêque de Lycopolis, accusé d'avoir trahi la foi durant la persécution de Dioclétien. Les griefs articulés contre Mélèce furent

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prouvés jusqu'à l'évidence. Ce lâche et indigne pontife avait publiquement sacrifié aux idoles et livré aux magistrats païens les vases sacrés, les Livres Saints et les registres matricules de son Eglise. Au prix de cette apostasie, il avait sauvé sa tête. Le synode d'Alexandrie déposa Mélèce, lui interdit toutes les fonctions pontificales et l'excommunia solennellement. La sentence qui le condamnait était tellement motivée que le coupable n'essaya même pas d'interjeter un appel. Il subit sa flétrissure. Mais au lieu de l'accepter comme une expiation, il s'en fit une arme contre son juge. A l'ouest d'Alexandrie, s'étendait la province maritime connue alors sous le nom de Maréotide. Elle était peuplée d'évêchés, d'églises et de monastères déjà florissants. Mélèce la parcourut, en semant contre le patriarche d'Alexandrie les plus noires accusations. Il se représentait comme une victime de son despotisme. Au mépris de la sentence qui l'avait excommunié, il continuait à exercer les fonctions de l'épisoopat, ordonnait à prix d'argent des prêtres indignes, bouleversait les chrétientés et levait l'étendard de la révolte. Saint Pierre ne vit pas la fin de ces troubles. Martyrisé, en 311, par les ordres de Maximin, il laissait le siège d'Alexandrie à saint Achillas. Dans l'intervalle, on avait vu aborder en Egypte un Lybien, d'une taille élevée, d'un maintien grave et sérieux, vêtu du pallium des philosophes, mais poussant jusqu'au cynisme la négligence pour le vêtement ou la toilette. Ses cheveux rabattus sur sa figure n'étaient jamais peignés; tous les plis de son manteau étaient troués ; mais il portait avec orgueil les livrées de la misère, mettant sa gloire, disait-il, à partager la pauvreté de Jésus-Christ. Ce pénitent, si plein de morgue, affectait d'ailleurs une affabilité extrême ; il abordait les gens dans la rue et séduisait le peuple par sa conversation agréable et douce, non moins que par son extérieur austère et la régularité apparente de ses moeurs. Il se nommait Arius (Arèos) « Fils de Mars. » On dirait ce nom prédestiné, par sa forme païenne, à toutes les fureurs qu'il déchaîna depuis contre l’Église. La remarque est de saint Athanase. Quoi qu'il en soit, Arius, élève de Lucien, disciple lui-même de Paul de Samosate, avait passé sa première jeunesse

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à Antioche. Il avait puisé à cette école les traditions d'intrigues et d'erreurs qu'il devait un jour enseigner pour son propre compte. Parmi ses condisciples, il s'était lié particulièrement avec Eusèbe, le futur évêque de Nicomédie. Cette amitié devait lui servir un jour. Au moment où Arius mit pour la première fois le pied à Alexandrie, il n'était encore que laïque. Son talent oratoire développé par de sérieuses études, son goût pour la philosophie, des connaissances assez étendues bien que superficielles dans les sciences profanes et sacrées, pouvaient le recommander à l'attention publique; mais toutes ces qualités dissimulaient mal un fond d'inquiétude secrète et une ambition démesurée. Arius se jeta avec ardeur dans le schisme de Mélèce; il fut excommunié par saint Pierre d'Alexandrie. A l'avènement d'Achillas au trône patriarcal, soit par calcul, soit par conviction, il abandonna ses anciens partisans. Peut-être comprenait-il qu'il s'était engagé avec eux dans une impasse. Ce qu'il voulait, avant tout, c'étaient des honneurs et des dignités. Il vint donc s'agenouiller aux pieds du nouveau patriarche, abjura ses erreurs, et fut promu au sacerdoce. La cité d'Alexandrie, comme celle de Rome, était alors partagée en paroisses diverses, dont les titulaires, choisis par l'évêque, étaient nommés par lui et révocables à son gré. Arius fut désigné pour gouverner le titre presbytéral du Bucoleon, l'un des quartiers les plus importants de la ville. Son ambition parut un instant satisfaite. Il manifesta surtout sa joie quand Achillas le chargea de l'enseignement public des saintes Lettres, dans l'école chrétienne d'Alexandrie. Dès lors les prétentions d'Arius ne connurent plus de bornes, et quand Achillas, après un court pontificat, vint à mourir, le titulaire du Bucoleon, le professeur du didascalée d'Alexandrie, afficha ouvertement l'espoir de monter sur le siège patriarcal.

 

11. Or, le clergé et le peuple, sans tenir compte des vaniteuses aspirations du prêtre lybien, élurent unanimement saint Alexandre et le firent asseoir sur le trône de saint Marc. Cette élection renversait toutes les espérances d'Arius. Il ne garda plus de mesure. Les mœurs du nouveau patriarche étaient inattaquables;

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Arius chercha à calomnier sa doctrine, et, pour y réussir, n'hésita pas à professer ouvertement l'hérésie. Saint Alexandre, suivant la doctrine de l'Évangile et des apôtres, enseignait que le Fils de Dieu est égal à son Père et de la même substance. Le mot grec omousios, consubstantiel, qui exprime catégoriquement la vérité du dogme chrétien, avait été employé par les deux saints Denys de Rome et d'Alexandrie; il était déjà devenu, à cette époque, une expression vulgaire. Arius prétendit que c'était là la doctrine erronée de Sabellius ; qu'on anéantissait ainsi la personnalité du Verbe et qu'on le confondait avec le Père, Pour mieux distinguer les personnes, il soutint que le Fils avait été créé; qu'il n'est point éternel ; qu'il a été tiré du néant ; que par son libre arbitre il a été capable de vice et de vertu, de même que les autres hommes. Philosophiquement, le caractère de l'arianisme était la séparation du monde d'avec Dieu. Il posait, en principe, que Dieu est trop grand pour que la créature puisse soutenir son action immédiate ; trop grand pour qu'il puisse être en relation directe avec ce qui est fini. En conséquence, lorsque Dieu voulut créer le monde, il dut produire d'abord le Verbe, pour créer par lui tout le reste. Dans ce système, on le voit, le Verbe n'est qu'une créature plus distinguée, plus excellente, plus sublime que les autres. Il n'est point éternel, quoiqu'il soit antérieur au monde ; il n'est même plus Dieu, quoique les ariens lui en conservent le nom. Le culte qu'on lui rend n'est qu'une idolâtrie sous une autre forme. Toutes les hérésies, poussées ainsi à leurs dernières limites, aboutissent à l'absurde. Arius se gardait bien de laisser apercevoir à ses sectateurs les conséquences logiques de sa doctrine : elles eussent révolté les esprits les plus simples. Quand trois siècles venaient de proclamer, par des milliers de martyrs, la divinité de Jésus-Christ, un chrétien, un prédicateur, un prêtre, eût été mal venu à contester directement cette foi. L'hérésiarque se contentait donc d'insinuer qu'il y avait des degrés dans la Trinité ; que le Fils, né du Père, était moins grand et moins ancien que le Père. Ces erreurs ne sortirent point d'abord du cercle de quelques entretiens particuliers. Arius y faisait l'essai de son rôle d'héré-

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siarque. Il déployait toutes les ressources de son imagination et de son éloquence pour entraîner et séduire ses auditeurs. Enfin, quand il se fut assuré des dispositions du plus grand nombre ; quand il se vit entouré, acclamé, soutenu, il affronta le grand jour de la discussion publique et prêcha ouvertement dans les chaires d'Alexandrie sa nouvelle doctrine. Toute la ville courut entendre ses discours. Les chrétiens apprenaient avec stupeur que la foi de leurs pères était une fable; que Jésus n'était Dieu que par communication. Arius voulait bien convenir que le Verbe avait existé avant tous les siècles, parce que la parole de l'Écriture était formelle; mais il soutenait en même temps qu'il n'était point coéternel à Dieu, et qu'il avait commencé d'exister. Ces erreurs vinrent promptement à la connaissance de saint Alexandre, qui essaya d'abord de ramener l'hérésiarque par des avertissements charitables. Les moyens de douceur et de conciliation échouèrent, en présence de l'obstination et de la vanité d'Arius. Comme son parti s'accroissait de jour en jour, saint Alexandre, pour arrêter les progrès du mal, réunit son clergé dans deux conférences solennelles. Arius y parut. La discussion s'engagea sur les points controversés. On opposa à l'erreur la tradition catholique, le témoignage des Écritures et des Pères. Arius ne se rendit point. Enfin le patriarche, ayant épuisé toutes les voies de la modération, convoqua à Alexandrie un concile de près de cent évêques de Lybie et d'Egypte. Arius y renouvela ses blasphèmes, et fut excommunié avec ses principaux adhérents (320).

 

12. Le patriarche avait près de lui , pour l'aider dans sa lutte contre les ariens, un jeune diacre dont le nom deviendra bientôt le rempart de la foi et comme le centre de l'histoire ecclésiastique au quatrième siècle. C'était Athanase, qui commençait ainsi, à côté d’un saint et pieux évêque, sa laborieuse carrière d'apôtre et de docteur. D'une foi profonde et inébranlable, d'une pénétration qui voyait clair dans les affaires les plus embrouillées, d'une puissance que les piéges de ses ennemis ne trouveront jamais en défaut, d'une dialectique qui dissipera comme une toile d'araignée les plus astucieux sophismes, d'un

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rare talent d'exposition qui savait mettre à la portée de toutes les intelligentes les questions les plus ardues, d'une fermeté que le monde entier n'ébranlera point, nous le verrons passer du triomphe à l'exil, de la chaire patriarcale d'Alexandrie aux déserts de la Thébaïde et dans les montagnes de Nitrie, le modèle des évêques et l’admiration des anachorètes, aussi étonnant par sa piété que par sa science, et toujours digne de la haine et des persécutions des ennemis de la foi. La première partie de sa vie s'était écoulée dans les exercices ascétiques, sous la direction de saint Antoine, auquel il demeura uni par les liens d'une inaltérable amitié. A cette rude école, il puisa l'indomptable courage, la persévérante énergie qu'il déploya contre d'innombrables adversaires sans cesse renaissants, évêques, prêtres, empereurs; triomphant à la fois, dans les discussions, par la clarté et la précision de sa logique ; dans les luttes de la polémique écrite, par la rapidité, la véhémence, l'éloquente et mâle dialectique de sa composition ; dans les persécutions, par son invincible audace et la tranquillité inaltérable de sa grande âme. Tel nous verrons saint Athanase acheter par un demi-siècle de travaux, d'exils, de courses fugitives, la gloire d'attacher à jamais son nom au triomphe de la vérité catholique sur l'arianisme. S'il faut en croire une anecdote racontée par Rufin, la première rencontre du patriarche Alexandre avec saint Athanase eut un caractère tout providentiel. « Dans les premiers temps de son pontificat, dit Rufin, le saint patriarche avait convié tous les clercs de son église, un dimanche soir, à un repas qu'il voulait leur donner dans sa maison, située au bord de la mer. Après les solennités du jour, Alexandre, en attendant ses hôtes, avait les yeux fixé sur le rivage, lorsqu'il aperçut un groupe d'enfants qui se livraient aux jeux de leur âge. Ils avaient élu un évêque ; ils le firent asseoir au milieu d'eux et écoutèrent gravement ses paroles ; puis ils s'inclinèrent sous sa main bénissante et le pontife enfant imita sur quelques-uns de ses compagnons toutes les cérémonies du baptême. À cette vue, Alexandre craignit une profanation, il envoya son diacre avec ordre de lui amener les enfants. En présence du véritable évêque, ceux-ci eurent peur et ne répondirent qu'en bal-

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buliant à toutes ses interrogations. Enfin, rassurés par l'air de douceur et de bonté qui se peignait sur son visage, ils lui dirent qu'ils avaient élu l'un d'entre eux, Athanase, pour évêque ; que celui-ci avait des catéchumènes instruits par ses soins auxquels il venait de conférer le baptême. L'enfant qui répondait au nom d'Athanase parut alors, mais avec une confusion facile à deviner. Le patriarche lui demanda s'il avait réellement administré le baptême selon les rites de l'Église et avec l'intention de conférer un sacrement. La réponse d'Athanase fut affirmative ; il répéta devant le patriarche les formules qu'il avait employées. Saint Alexandre donna l'ordre à ses prêtres de suppléer aux néophytes ainsi baptisés les autres cérémonies de l'Église, mais sans renouveler le baptême parce qu'il avait été valideraient conféré. A partir de ce jour, Athanase et ceux de ses compagnons qui remplissaient près de sa personne les fonctions de prêtres et de diacres, furent élevés du consentement de leurs parents, dans l'école ecclésiastique d'Alexandrie. Athanase y fit de rapides progrès. Quand il eut achevé ses études littéraires, le désir d'avancer dans les voies de la perfection le conduisit aux pieds du fameux solitaire saint Antoine. Il resta quelques années sous sa direction et revint près du patriarche Alexandre, qui l'éleva au diaconat et l'employa comme secrétaire. C'est ainsi, ajoute Rufin, qu'Athanase, nouveau Samuel, fut attaché à la personne du grand-prêtre, jusqu'à ce qu'il fut plus tard appelé à l'honneur de revêtir lui-même l'éphod pontifical 1. »

 

13. En quittant Alexandrie, après sa condamnation par le concile provincial, Arius se plaignait déjà qu'il n'avait dû ce traitement qu'à l'influence du diacre Athanase. On savait que le saint patriarche Alexandre l'avait investi de toute sa confiance, qu'il l'admettait à tous ses conseils. L'hérésiarque se retira en Palestine, d'où il n'épargna rien pour se faire de nouveaux partisans. Il eut l'adresse d'attirer à son parti plusieurs évêques. Le plus influent fut Eusèbe de Nicomédie, son ancien condisciple. Ce prélat était de ceux dont

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1. Rufin., Bist. ecclet., lib. I, cap. xiv.

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parle l'Évangile, qui n'entrent point dans la bergerie par la véritable porte, et qui, semblables au mercenaire, trahissent les intérêts du troupeau. Il passait pour avoir apostasié durant la persécution. Depuis il était devenu, on ne sait comment, évêque de Béryte, en Phénicie. Adroit courtisan, il avait réussi à s'insinuer dans les bonnes grâces de la princesse Constantia, sœur de Constantin et épouse de Licinius. L'évêché métropolitain de Nicomédie étant venu à vaquer, Eusèbe, qui mesurait la dignité épiscopale à la grandeur des villes, quitta, sans aucune autorisation canonique, la petite ville de Béryte pour la cité impériale de Nicomédie. Lorsque Licinius, fixé dans cette dernière ville, faisait la guerre tout à la fois aux chrétiens et à Constantin, Eusèbe était le confident et l'ami de Licinius. Constantin vainqueur, il fut des premiers à capter la laveur de Constantin. C'était une de ces natures serviles qui suivent tous les chars de triomphe, et que les vainqueurs sont assurés de trouver toujours parmi leurs bagages; triste butin, dont le premier soin devrait être de se débarrasser; mais de tels hommes savent se rendre nécessaires, en flattant la vanité des nouveaux maîtres, et en déployant à leur service un dévouement qui sera le lendemain acquis, au même titre, à leur successeur. Eusèbe était donc digne de patronner un hérésiarque. Voici la lettre qu'Arius lui écrivit, de sa retraite de Palestine. Nous la transcrivons, parce qu'elle résume clairement la nouvelle hérésie : « Au très-désiré seigneur, à l'homme de Dieu, au fidèle, à l'orthodoxe, à Eusèbe, Arius injustement persécuté par le patriarche Alexandre pour la vérité victorieuse que vous défendez vous-même, salut dans le Seigneur. Mon père Ammonius partant pour Nicomédie, j'ai cru qu'il était de mon devoir de saisir cette occasion pour vous saluer, et en même temps pour informer votre charité de la persécution que l'évêque nous fait injustement souffrir. Il a tout soulevé contre nous; il nous a chassés de sa ville épiscopale comme des impies. Notre seul crime est de refuser d'adhérer à sa doctrine erronée et de dire avec lui : Dieu est éternel ; le Fils est éternel ; le Père et la Fils ont toujours coexisté ; le Fils a été toujours, toujours engendré; le Père ne précède point le Fils d'un moment, pas même de

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la pensée ; toujours Dieu, toujours le Fils ; le Fils procède de Dieu même. Comme Eusèbe de Césarée, votre frère, Théodote, Paulin, Athanase, Grégoire, Aétius 1, selon la foi de tous les orientaux, disaient que Dieu est avant son Fils, ils ont été frappés d'anathème. On n'a excepté de cette excommunication que Philogone, Hellanicus et Macaire, trois hérétiques ignorants qui prétendent que le Fils est, les uns une expiration, les autres une projection du Père. Ce sont autant d'impiétés que nous ne pouvons même entendre, quand même ces hérétiques nous menaceraient de mille morts. Pour nous, ce que nous disons et ce que nous croyons, nous l'avons enseigné et nous l'enseignons encore. Par la volonté et le conseil du Père, le Verbe a subsisté avant les temps et avant les siècles, pleinement Dieu, Fils unique, inaltérable. Mais avant d'être engendré ou créé, il n'existait pas. Nous sommes persécutés pour avoir dit : Le Fils a un commencement et Dieu n'en a point. On exerce contre nous des violences pour avoir dit que le Verbe est tiré du néant : ce que nous avons dit, parce qu'il n'est ni une portion de Dieu, ni tiré d'une créature quelconque. Voilà la cause de nos souffrances : vous savez le reste. Je vous souhaite toutes sortes de prospérités dans le Seigneur. Souvenez-vous de nos afflictions. » Eusèbe de Nicomédie répondit à cette lettre par l'assurance de son entière adhésion aux principes qui y étaient exposés. « Vos sentiments sont fort bons, et vous devez désirer de les voir universellement adoptés. Qui peut croire que ce qui a été fait, pût avoir l'existence avant de l'avoir reçue? Ne faut-il pas d'abord

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1. Les évêques que, dans cette lettre, Arius donne comme ses partisans, sont : Eusèbe de Césarée en Palestine, l'historien ; Théodote de Laodicée en Syrie, Paulin de Tyr; Athanase d'Anazarbe en Cilicie; Grégoire de Séryte ; Aétius de Lydda ou Diospolis. Quand il ajoute qu'ils ont été frappés d'anathème. c'est une calomnie, puisque leurs noms ne furent point prononcés au concile d'Alexandrie. Les trois évêques qu'il traite d'ignorants, parce gu'ils lui sont défavorables, sont saint Philogone, évêque d'Antioche, que son mérite avait fait élire sur ce siège apostolique pour succéder à Tyrannus, qui l'avait occupé depuis l'an 299 jusqu'en 312; Hellanicus, évêque de Tripoli en Phénicie, et saint Macaire, évêque de Jérusalem, qui avait succédé à Hermon en 314. Saint Athanase compte ce dernier parmi les plus grands évêques de son siècle.

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qu'il ait commencé d'être? » Non content d'encourager ainsi l'hérésiarque, il écrivit aux évêques ses partisans pour stimuler leur zèle en faveur de la nouvelle doctrine. Dans sa lettre à Paulin, évêque arien de Tyr, il loue l'ardeur qu'Eusèbe de Césarée mettait à défendre leur erreur commune. Il presse tous ses adhérents d'écrire au patriarche Alexandre, « persuadé, dit-il, que ce vieillard se laissera gagner à leurs instances réitérées.» Arius ne tarda pas à aller rejoindre à Nicomédie un protecteur aussi dévoué. Il y fut accueilli avec les plus grands honneurs. Pour mieux répandra leur commune hérésie, et dans le dessein de la populariser autant qu'il était en leur pouvoir, ils composèrent un recueil de chants qui renfermaient toute leur doctrine ; ils le nommèrent Thalie. La mesure et les airs étaient les mêmes que ceux des chansons obscènes alors en vogue parmi la populace. Il y en avait pour les voyageurs, les matelots, les ouvriers, les gens qui tournaient la meule. Nous avons déjà vu un procédé du même genre employé par Valentin et Harmonius son disciple, en faveur du gnosticisme. L'instinct de l'hérésie est toujours le même : elle fait bon marché de la dignité des dogmes, de la moralité et de la convenance de sa propagande ; elle ne s'inquiète que du succès.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon