Bysance 7

Darras tome 15 p. 511

 

67. A moins d'avoir reçu une communication surnaturelle qui lui eût révélé une série de manœuvres complètement ignorées, Honorius ne pouvait donc avoir l'ombre d'une défiance sur la vérité des faits exposés par Sergius. A moins d'être prophète, ce pape ne pouvait deviner que les paroles de Sergius avaient une significa­tion cachée, différente de leur sens obvie, et qu'on se réservait de démasquer plus tard. Sergius se plaignait, qu'on eût la prétention d'attribuer à Jésus-Christ  «  deux  volontés  contraires l'une à l'autre ; » par l'une le Verbe aurait voulu nous sauver, par l'autre il aurait combattu cette volonté divine.  « C'est une impiété, »

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disait-il, et théologiquement il avait raison. La volonté humaine, dans la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, n'avait pas comme dans la nôtre le dualisme créé par la concupiscence. Ainsi présentée, la chose était claire. Honorius ne vit et ne pouvait voir là l'ombre d'une difficulté. D'ailleurs on ne sollicitait pas de lui une définition de foi. Sergius protestait qu'il ne tenait nulle­ment à ce qu'on employât les termes de une ou deux opérations. II déclarait à diverses reprises que le silence gardé sur ce point évitait une nouvelle explosion de controverses et de luttes ardentes. Honorius n'avait donc pas à répondre par une définition dogma­tique à une consultation qui n'en demandait point. Il ne pouvait inventer une hérésie pour la combattre et la condamner d'avance. Aussi ne le vit-on pas, comme jadis le pape saint Léon, écrire de sa main une constitution doctrinale, la déposer pendant quarante jours sur le tombeau de saint Pierre, ordonner des prières publiques pour que le Saint-Esprit daignât éclairer son intelligence et guider sa plume. Honorius se contenta d'appeler son secrétaire, Jean Sympon, lui remit la lettre du patriarche, le chargea de rédiger une réponse 1, qui fut agréée et expédiée. Elle était écrite en latin et conçue en ces termes :

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1 Il y a lieu de s'étonner que, durant les longs et retentissants débats dont la lettre d'Honorius fut l'objet en ces derniers temps, alors que des adver­saires plus bruyants que sérieux répétaient chaque jour que la lettre d'Honorius était une définition ex cathedra, réunissant tous les caractères de ces décisions solennelles si rares dans l'histoire des papes, nul n'ait songé à rapprocher ces sesquipedalia verba de l'humble et prosaïque vérité. Voici le texte de saint Maxime qui nous apprend que la lettre d'Honorius, comme toutes les réponses à des consultations disciplinaires n'offrant pas de difficultés spéciales, fut simplement rédigée par le secrétaire d'Honorius, Jean Sympon. Kai iipo; aÙTOï; tov TaOr/jv È7iiaTo).r,v èv Aativoi; Û7iaYopEÛ<javT<x xcaà xs),evîiv aùroù xûpiov àSÊSv 'Itoâvvr,v à*(\ù>iatm (7Û(inovov. Prœtereaque, qui jubente llonorio liane cpislolam latine dictaverat, sanctissimum Dominum albatem Joannem, ci ah épis-tolis adjutorem. Cet abbé Jean était ce qu'on appellerait de nos jours à Rome un secrétaire des lettres latines. On a pris l'habitude de l'appeler Jeau Sympon, par suite d'une confusion de nom et de titre. Sunponos; (collaborateur) signifie ici secrétaire. C'était le titre que portait communément l'abbé Jean. On l'ap­pelait Jeau le secrétaire, comme on a dit Anastase le bibliothécaire. Cf. Maxim., Epist. ad Marin.; Patr. grœc, tom. XCI, col. 213.

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p513— HONORius et le patriarche sergius.  

 

   68. « Nous avons reçu la lettre de votre fraternité, par laquelle  vous nous mandez que Sophronius, autrefois moine, et maintenant évêque de Jérusalem, a soulevé des querelles et des disputes nouvelles de mots contre notre frère Cyrus, évêque d'Alexandrie, qui a enseigné aux hérétiques convertis une seule opération en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sophronius vint trouver votre fra­ternité, il renonça à sa querelle, après s'être longuement instruit auprès de vous de l'affaire, et vous pria d'exprimer par écrit ce qu'il vous avait entendu dire. Nous avons reçu la copie de votre lettre à Sophronius, et, après l'avoir lue, nous louons votre fra­ternité de la prudence et de la circonspection dont elle a fait preuve, en écartant la nouvelle expression qui peut scandaliser les simples ; car nous devons nous tenir dans les voies de la tra­dition.

 

 « Sous la conduite de Dieu, nous sommes arrivés à la mesure de la foi orthodoxe, que les apôtres de la vérité ont exposée à la lumière des saintes Écritures, confessant que Notre-Seigneur Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, opère les choses divines par l'intermédiaire de l'humanité hypostatiquement unie au Verbe, et que ce même Christ opère les choses humaines d'une manière ineffable et unique, la chair qu'il a prise étant unie sans séparation, immuablement et sans confusion à la divinité demeurée parfaite. Celui qui a brillé en sa chair par des miracles de la pure divinité est le même qui, dans les opprobres de la passion, a manifesté la sensibilité de la chair, vrai Dieu et vrai homme tout ensemble.

 

   « Le médiateur unique entre Dieu et les hommes dans l'une et l'autre nature, le Verbe fait chair qui a habité parmi nous, le Fils de l'homme descendu du ciel est le un et même Seigneur de gloire (comme il est écrit), qui a été crucifié, bien qu'il soit avéré pour nous que la divinité ne puisse rien souffrir d'humain ; ce n'est pas du ciel, mais du sein de la mère de Dieu, qu'a été prise la chair; car la vérité même dit dans l'Évangile : « C'est le même qui est monté au ciel et qui en est descendu, le Fils de l'homme qui est aux cieux. » Elle nous apprend par là, avec évi-
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dence, que la chair passible a été unie à la divinité d'une manière ineffable et unique, sans confusion ni mélange, comme sans divi­sion ; de telle sorte, manifestement, que cette union merveilleuse ne peut être conçue que dans la distinction persistante des deux natures. C'est conformément à cette vérité que l'Apôtre a dit dans son Épître aux Corinthiens : « Nous annonçons une sagesse parfaite, sagesse qui n'est point de ce monde, ni des princes de ce monde qui doivent être anéantis ; mais nous annonçons la sagesse cachée dans le mystère divin, que Dieu avait prédestinée à notre gloire avant les siècles; laquelle aucun des princes de ce siècle n'a connue. Car s'ils l'avaient connue, ils n'auraient pas crucifié le Sei­gneur de gloire1

 

« C'est pourquoi, bien que la divinité n'ait pu être crucifiée ni rien ressentir des souffrances humaines, on dit, à cause des deux natures, que Dieu a souffert, et que l'humanité est descendue du ciel avec la divinité. De même nous professons une volonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ; puisque assurément notre nature a été prise par la divinité sans le péché qui est en elle, c'est-à-dire notre nature telle qu'elle a été créée avant le péché, et non celle qui a été viciée après la chute. Car le Christ Notre-Seigneur en s'assimilant notre chair de péché, a ôté le péché du monde, et nous avons tous reçu de la plénitude de sa perfection; en pre­nant la forme d'esclave, il se montra extérieurement semblable à l'homme. Conçu sans péché par l'opération du Saint-Esprit, il est né par cela même sans péché de la sainte Vierge immaculée, mère de Dieu, sans participer à la corruption de notre nature déchue.

 

« Le mot chair a deux acceptions dans les saintes Écritures, il se prend en bonne part et en mauvaise part.

 

« Quand il est écrit : « Mon esprit ne demeurera pas éternelle­ment avec les hommes, parce qu'ils sont chair 2; » quand l'A­pôtre dit : « La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu3 ; » et ailleurs : « Par l'esprit, j'obéis à la loi de Dieu ; par

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1 1 Cor., il, 6-8. —2 Gènes., vi, 3. — s I Cor., xv, 50.

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p515 CHAP. VII. HOXORIUS ET le patriarche SERG1US.  

 

la chair, à la loi du péché ; car je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de l'esprit et qui me tient captif sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres 1 ; » et de même dans beaucoup d'autres passages analogues, le mot « chair » est entendu et employé dans un sens absolument mauvais. Il faut au contraire prendre le terme en bonne part dans ce que dit le prophète Isaïe : « Toute chair viendra à Jérusalem, et ils adore­ront en ma présence 2 ; » et Job : « Dans ma chair je verrai Dieu 3 ; » et ailleurs : « Toute chair verra le salut de Dieu 4, » et autres passages semblables. Notre Sauveur donc, comme nous l'a­vons dit, n'a point pris la nature qui a péché, celle qui résiste à la loi de l'esprit, mais « il est venu pour chercher et sauver ce qui était perdu 5, » c'est-à-dire la nature humaine qui avait péché. Le Sau­veur n'a pas eu dans ses membres une loi différente ou une volonté opposée et contraire, parce que sa naissance a été au-dessus de la loi de la nature humaine. Bien qu'il soit écrit : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de mon Père qui m'a envoyé 6; » et encore : «Non pas ce que je veux, mais ce que vous voulez, ô mon Père7; » ces expressions et autres semblables n'impliquent pas une volonté contradictoire, mais se rapportent au mystère de l'hu­manité prise par le Verbe. Car toutes ces choses ont été dites pour nous. Le maître de toute sainteté nous a donné l'exemple, afin que nous marchions sur ses traces ; il a appris à ses disciples que cha­cun de nous ne doit pas suivre sa volonté propre, mais préférer en tout la volonté de Dieu.

 

« Marchons donc dans la voie royale; évitons les filets des chas­seurs tendus à droite et à gauche ; ne heurtons pas le pied contre la pierre ; laissons aux Iduméens, c'est-à-dire aux hérétiques char­nels, ce qui est à eux ; n'imprimons en aucune façon la trace de nos pas sur leur terre, c'est-à-dire dans leur mauvaise doctrine : ainsi nous pourrons arriver à la patrie en suivant les traces de nos pères. Que d'un pas pour ainsi dire trébuchant, des téméraires

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i Rom., vu, 22, 23. — s Jsa., lxvi, 23. — 3 Job., xix, 26. — 4 Luc, m, 6. — 5 Luc, xix: 10. — 6. Joao., vi, 38. — 7 .Marc, xiv, 36.

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p516   PONTIFICAT d'honorius I (623-638).

 

se fassent passer pour docteurs en Israël; qu'ils introduisent des nouveautés et entraînent les esprits superficiels : nous du moins sachons qu'il ne convient pas d'enseigner comme dogmes de l'É­glise ce que les conciles n'ont pas décidé, ce que les autorités cano­niques n'ont pas jugé à propos de définir. Il ne faut pas mettre au nombre des doctrines de l'Église ce qui n'a point été décidé par les conciles, ce que les saints canons ne définissent pas. Ainsi donc, que personne n'ose prendre sur lui de professer une ou deux opéra­tions en Notre-Seigneur Jésus-Christ; car ni les Évangiles, ni les écrits des Apôtres, ni les décrets des conciles ne paraissent avoir rien défini à cet égard. Si quelques docteurs, comme en balbutiant, ont employé à ce sujet des termes plus ou moins théologiques, nul n'a le droit d'en prendre acte pour transformer en dogmes définis des opinions particulières. Que Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils et Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, soit en tout un seul et même opérateur, produisant parfaitement les œuvres divines et les œuvres humaines, c'est ce que les saintes Écritures montrent clairement. Mais quant à conclure des œuvres de la divinité et de celles de l'humanité, qu'il faille dire et concevoir une ou deux opérations, cela ne nous regarde aucunement; tout au plus serait-ce la besogne des grammairiens ou rhéteurs qui font métier de vendre aux enfants la science des mots et de leurs dé­rivés.

 

« Nous n'avons pas appris dans les saintes Écritures qu'il y ait une ou deux opérations de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son divin esprit; mais nous savons qu'il a opéré de plusieurs manières, puisqu'il est écrit : « Celui qui n'a pas l'esprit de Jésus-Christ, n'est pas à Jésus-Christ 1; » et ailleurs : « Per­sonne ne peut dire Seigneur Jésus, si ce n'est dans l'Esprit-Saint. Il y a diversité de dons, mais il n'y a qu'un même esprit ; il y a diversité de ministères, mais il n'y a qu'un même maître ; il y a diversité d'opérations, mais il n'y a qu'un même Dieu qui opère

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1 Rom., vin, 9.

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p517  CHAP. VII.— noNORics et le patriarche sergius.     

 

tout en tous1. » Si donc il y a une grande diversité d'opérations, et si néanmoins Dieu les produit toutes dans les membres du corps entier, à plus forte raison peut-on le dire de notre chef, le Christ Notre-Seigneur, comme lui étant éminemment convenable; en sorte que le chef et le corps soient un tout parfait, et que le tout concoure, selon le mot de l'Apôtre, « à l'état de l'homme parfait, dans la mesure de l'âge et de la plénitude du Christ 2. » Car si dans les chrétiens qui sont ses propres membres, l'esprit du Christ, en qui tous vivent, se meuvent et sont, opère de plusieurs ma­nières, à combien plus forte raison ne devons-nous pas admettre que le médiateur de Dieu et des hommes opère par lui-même, avec plénitude et perfection, de manières diverses et ineffables dans la communion de ses deux natures? Pour nous, nous devons prendre nos sentiments et nos inspirations dans les oracles de la divine science, rejetant en toute certitude les choses qui, par la nouveauté des expressions, arrivent à produire du scandale dans la sainte Église de Dieu; de peur que les simples, choqués de l'ex­pression de deux natures, n'aillent croire que nous adhérons à la folle opinion de Nestorius, ou que, d'un autre côté, si nous esti­mons qu'il faut confesser une seule opération en Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous ne paraissions, aux oreilles étonnées, recon­naître l'erreur d'Eutychès. Gardons-nous de raviver de nouvelles flammes du milieu des cendres de ces questions brûlantes, dont les vains et faibles arguments sont consumés. Professons sim­plement et avec vérité qu'un seul et même Jésus-Christ Notre-Seigneur opère dans la nature divine et dans la nature humaine. Il vaut beaucoup mieux que ces vains fabricateurs de dissertations sur les natures, philosophes oisifs et profanes, pleins d'orgueil et de présomption, nous poursuivent de leurs clameurs, que de s'ex­poser à laisser dans la disette spirituelle les humbles de cœur, les fidèles disciples de Jésus-Christ. En effet, personne ne trom­pera par les vains artifices de la sophistique les disciples des

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1 I Cor., XII, 3-6. — 2. Ephcs., IV, 13.

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p518 PONTIFICAT d'hosorius I (625-638).

 

pêcheurs fidèles à leur doctrine ; toute proposition rocailleuse ou subtile d'un artificieux syllogisme a été broyée dans leurs filets.

 

   « Voilà ce que votre fraternité doit enseigner avec nous, comme nous l'enseignons avec elle, vous exhortant à éviter dans vos paroles l'emploi récemment introduit de cette expression nou­velle, une ou deux opérations, et à dire avec nous selon la foi ortho­doxe et l'unité catholique que Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant et vrai Dieu, opère dans les deux natures ce qui est de la divinité ou de l'humanité.

 

« Souscription de la main du pape : Que Dieu vous conserve sain et sauf, cher et très-vénérable frère. »

   69. Quelques mois après, en réponse sans doute à une seconde communication de Sergius, laquelle ne nous a point été conservée, Honorius adressa au patriarche une autre lettre, dont l'existence resta quarante-deux ans ignorée. Elle fut produite pour la première fois et encore par fragments, en 680, dans la XIIIe session du VIe concile œcuménique, 11e de Constantinople. «Pendant les quarante-deux années qui suivirent la mort du pontife, dit M. de Maistre, jamais les monothélites ne parlèrent de la seconde de ses lettres ; c'est qu'elle n'était pas faite 1. » Nous ne serions peut-être que juste en adoptant l'observation si fine et si piquante du célèbre publiciste. Mais il nous semble préférable de suivre une méthode de critique plus large. Sans insister donc sur toutes les réserves qu'on pourrait faire, et qui ont été faites cent fois, à propos du plus ou moins d'authenticité de cette pièce, nous nous bornons à la transcrire. « Nous avons également écrit à notre frère Cyrus, évêque d'A­lexandrie, dit le pape, de supprimer l'expression nouvellement in­ventée d'une ou de deux opérations; car il ne faut pas laisser de nuageuses disputes se répandre et offusquer l'enseignement plein de lumière des églises de Dieu, mais bien plutôt rejeter de la prédica­tion de la foi l'emploi des mots nouvellement introduits d'une ou de deux opérations. Que prétendent ceux qui en font usage, si ce n'est établir une analogie entre les expressions correspondantes

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1 De Maistre, Du pape, 1. I, o. xv.

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p519 CHAP.   VII.     IION'OHICS   ET  LE   PATRIARCIIE  SERGIUS.

 

une ou deux opérations et une ou deux natures? Sur ce dernier point, la sainte Écriture s'exprime clairement; mais qu'en Notre-Seigueur Jésus-Cbrist, médiateur entre Dieu et les hommes, il y ait une ou deux opérations, il est absolument oiseux de le cher­cher et de le dire. »

 

La lettre se termine ainsi :

« Voilà ce que nous avons voulu expliquer par la présente lettre à votre très-vénérable fraternité, pour l'apaisement et l'instruction des esprits hésitants ou troublés. Quant au dogme de l'Église, par égard pour les simples, et afin de couper court aux subter­fuges de toutes ces fâcheuses controverses, il ne faut ni enseigner ni définir, comme nous l'avons dit plus haut, une ou deux opéra­tions dans le médiateur entre Dieu et les hommes; nous devons confesser que chacune des deux natures, intimement unies dans le même Christ, opère et agit en participation avec l'autre ; que la nature divine opère ce qui est de Dieu et que la nature humaine opère ce qui est de la chair, sans division ni confusion. Nous n'en­seignons pas que la nature divine ait été changée en la nature hu­maine, ni la nature humaine en la nature divine ; mais nous con­fessons la distinction entière des natures. Une seule et même personne est à la fois humble et élevée, égale au Père et moindre que le Père, en celui qui, engendré de toute éternité, est né dans le temps, par qui les siècles ont été faits et qui a été fait dans les siècles, qui a donné la loi et qui est né sous la loi, afin de racheter ceux qui vivaient sous la loi, qui a été crucifié et qui a triomphé par la croix des puissances et des principautés, en abolissant l'ar­rêt de mort porté contre nous.

 

« Ecartant donc, comme nous l'avons dit, le scandale de termes inusités et nouveaux, nous ne devons ni définir ni enseigner une ou deux opérations. Au lieu de dire, comme quelques-uns, une opéra­tion, nous devons confesser un seul opérateur, le Christ Notre-Seigneur, qui opère vraiment dans l'une et l'autre nature; au lieu de dire deux opérations, qu'on prêche plutôt avec nous deux natures, la nature divine et la nature humaine, unies dans la personne une et indivisible du Fils unique de Dieu le Père, opérant chacune ce qui

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p520            roNTincAT d'eo.norius i (625-638).

 

lui est propre, sans confusion, sans division, sans changement. Voilà ce que nous avons voulu signifier à votre fraternité, afin qu'unis manifestement dans un même esprit par la communauté de doctrine, nous nous montrions d'accord dans l'exposition d'une même profession de foi.

 

« Nous écrivons également à nos frères les évêques Cyrus et Sophronius, de ne plus s'attacher désormais au nouveau terme une ou deux opérations, mais de prêcher avec nous un seul Christ Notre-Seigneur opérant les œuvres divines et les œuvres humaines dans l'une et l'autre nature. Nous en avons agi de la sorte avec les députés que Sophronius nous a envoyés, pour qu'il s'abstînt dorénavant de prêcher deux opérations. Ils y consentent pourvu que Cyrus, notre frère et coévêque, s'abstienne de son côté d'employer l'expression une opération. »

 

  70. Le parallélisme entre la lettre de Sergius et les réponses du pape s'établit de lui-même à la simple lecture. Sergius avait dit : « On doit éviter de parler d'une opération (énergeia) parce que la nouveauté de ce terme a pour plusieurs quelque chose d'étrange, qu'elle jette le trouble dans leurs âmes, comme si elle suppri­mait, ce qu'à Dieu ne plaise, les deux natures distinctes quoique unies hypostatiquement dans la personne de Jésus-Christ. D'un autre côté, les mots deux opérations sont pour un grand nombre un sujet de scandale, parce qu'on en déduirait nécessairement deux volontés contraires l'une à l'autre, ce qui serait une im­piété. » Honorius répond : « Notre-Seigneur Jésus-Christ, mé­diateur entre Dieu et les hommes, opère les choses divines par l'intermédiaire de l'humanité hypostatiquement unie au Verbe. Il opère les choses humaines d'une manière ineffable et unique, la chair qu'il a prise étant unie sans séparation, immuablement et sans confusion, à la divinité demeurée parfaite. De même nous professons une volonté (en thélèma) en Notre-Seigneur Jésus-Christ; puisque assurément notre nature a été prise par la divinité sans le péché qui est en elle, c'est-à-dire notre nature telle qu'elle a été créée avant le péché, et non celle qui a été viciée après la chute. » En d'autres termes, Honorius professe une seule énergeia ou opéra-

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p521 CHAT.   VII.      I10N0IUUS   ET  LE   rATIUARCUE  SERGIUS. 

 

tion, une seule volonté thélèma dans la nature humaine de Jésus-Christ; il accentue énergiquement cette vérité orthodoxe, parce que Sergius lui dit dans sa lettre que cette vérité est attaquée en Orient, et que les controverses à ce sujet vont exciter de nouvelles tempêtes. Or, rien n'est plus certain, rien n'est plus correct, rien n'est plus catholique que cette phrase d'Honorius. « Il est impos­sible, dit excellemment un moderne apologiste, d'y voir une for­mule ni même une pensée hérétique. Quelle est en effet la volonté qu'il exclut ici? Est-ce la volonté divine? Non, sans doute, et personne ne l'en a jamais accusé. Est-ce la volonté humaine? Non encore, puisqu'il dit que Noire-Seigneur a pris notre nature telle qu'elle était avant le péché. Or, il y avait une volonté inhérente à notre nature avant le péché. Le Verbe fait chair a donc pris la volonté originelle, mais ce qu'il n'a pas pris de notre nature, c'est la volonté viciée de cette nature déchue, dans laquelle le péché a établi deux volontés contraires, l'une de l'esprit, l'autre de la chair, l'une qui nous porte au bien, l'autre qui nous porte au mal. Et comme en Jésus-Christ il n'y a point opposition de volontés con­traires, puisqu'il n'a pas pris notre nature viciée par le péché, on peut dire en un sens qu'il n'y a en lui qu'une volonté, volonté con­cordante et identique à elle-même. C'est ainsi que l'a manifeste­ment entendu Honorius, comme cela résulte de la pensée et du texte de sa lettre1 . »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon