Condamnation des sociétés secrètes 

Darras tome 42 p. 73

 

p73   §   111.   —   LA  CONDAMNATION  DES SOCIETES   SECRÈTES    

 

§ III.    La condamnation des sociétés  secrètes.


22. Par le Syllabus et l'encyclique Quanta cura, Pie IX venait de se montrer l'infaillible gardien de la révélation et de proscrire toutes les erreurs philosophiques ameutées contre l'Église. Par une désignation plus ou moins explicite, il avait frappé nommément :—le rationalisme radical qui nie l'existence de Dieu, le corrompt dans sa nature ou l'outrage dans sa pro­vidence ; —l'école critique qui nie la révélation, rejette le surna­turel, repousse les miracles, dénature les récits des livres saints pour en rabaisser le caractère divin aux inventions d'un mythe et aux propositions d'événements naturels ; le naturalisme qui, partant de la déchéance comme d'un état légitime, enseigne que l'homme est l'arbitre exclusif du vrai, du juste et du bien ; que, par conséquent, la perfection des gouvernements et le progrès civil exigent que la société civile soit constituée et gou­vernée comme si la religion n'existait pas, ou du moins, sans faire aucune différence entre les différents cultes ; — enfin les écoles césariennes et révolutionnaires qui, partant toutes les deux des mêmes principes, conduisent, l'une à l'anarchie, l'au­tre au despotisme et concluent toujours à l'oppression de l'E­glise. Le Syllabus était un acte héroïquement sauveur; mais il avait le défaut de n'attaquer guère que des erreurs spécula­tives. Or ces erreurs, depuis un siècle, s'étaient faites chair et sang; elles s'étaient réfugiées dans les sociétés secrètes, et si les sophistes des écoles étaient à craindre, les malfaiteurs des sociétés secrètes étaient bien plus à brider. Depuis un siècle et demi, l'histoire présente le spectacle d'une agitation continue qui emporte, tantôt dans des secousses violentes, tantôt par une action moins vive, les gouvernements traditionnels, les institutions sociales et même les croyances. Ce travail de de­struction s'opère au nom des trois mots de Liberté, d'Égalité et de Fraternité ; mais ces mots ne se prennent pas dans le sens

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catholique,   et, sous l'hypocrisie d'affectations menteuses, ils visent à un but contraire aux vœux dont ils sont la formule.

 

23.La Liberté, l'Égalité et la fraternité s'étalent sur le dra­peau de la Révolution ; et la Révolution elle-même n'est que l'agence des sociétés secrètes. Où donc est la cause étendue, universelle, toujours active, des mouvements révolutionnaires ? «Ce serait, dit un publiciste, s'égarer à dessein que de la chercher en dehors des sociétés secrètes, qui, depuis un siècle et demi, couvrent l'Europe et le monde. Leur action extérieure a commencé précisément avec le second tiers du XVIIIe siècle et, après cinquante ans de préparation, l'éclosion de 178p a eu lieu. La franc-Maçonnerie, qui est la source et comme la mère de toutes les sociétés secrètes, est cosmopolite. Contrefaçon de l'Église catholique, elle aspire à régir l'humanité entière et elle est identiquement la même sur tous les points du globe. Au milieu de tous les bouleversements des temps moder­nes, elle n'a jamais cessé de fonctionner, poursuivant le même but, recrutant des adeptes de plus en plus nom­breux. — Plus de douze mille loges sont répandues dans le monde entier, comprenant plusieurs millions d'adhé­rents pris dans les classes élevées et moyennes; au dessous d'elle, de nombreuses sociétés, qui ne sont que des formes populaires de la Maçonnerie, enrégimentent sous leur direc­tion des masses considérables. — Une pareille puissance, avec les forces doublées par le secret dont elle s'entoure, est parfai­tement capable de mener le monde à la fois par ses intrigues et par l'opinion publique qu'elle dirige à son gré (1). »

 

24. Les Pontifes Romains, dès que les sociétés secrètes étaient entrées en scène, avaient averti les peuples et les rois. Clément XII, Benoit XIV, Pie VI, Pie VII, Léon XII, Pie VIII et Grégoire XVI avaient tenu successivement tête à l'ennemi caché et l'a­vaient frappé, avec une décision vigoureuse, à l'endroit sen­sible. Pie IX, depuis qu'il était monté sur le trône pontifical, avait dû, à deux reprises, lutter, de sa personne, contre ces sec-

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(1) Claudio Janet, Les sociétés secrètes, p. 10.

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tes armées; il l'avait fait avec sa bravoure perspicace et intré­pide. Entre temps, il avait accepté l'ouverture faite par Crétineau-JoIy, de s'entendre avec toutes les cours de l'Europe, d'ou­vrir leurs archives et de mettre sous les yeux du public le grand duel de l'Église et de la Révolution. Les circonstances vinrent lui prouver qu'il devait frapper à son tour. D'abord dans la guerre qui était poussée à fond contre le Patrimoine de saint Pierre, il ne pouvait voir que l'aboutissement des menées du carbonarisme. Ensuite les gouvernements qui le combattaient, sous couleur de le protéger ou de le défendre, découvraient les liens qui les rattachaient à la conspiration maçonnique. Dès 1861, l'un des conseillers de l'Empire, Fialin de Persigny, désorganisait les so­ciétés de saint Vincent de Paul et rattachait, au gouvernement impérial, l'institution qu'il disait purement philanthropique de la franc-maçonnerie. « Établie en France depuis 1725, ajou­tait-il, elle n'a pas cessé de maintenir sa réputation de bien­faisance ; et, tout en accomplissant avec zèle sa mission de cha­rité, elle se montre animée d'un patriotisme qui n'a jamais fait défaut dans les grandes circonstances. Les divers groupes dont elle se compose, fonctionnent avec calme dans le pays et n'ont donné lieu, depuis longtemps, à aucune plainte sérieuse de l'au­torité. Tels sont l'ordre et l'esprit qui régnent dans cette associa­tion, qu'il ne peut être qu'avantageux d'autoriser et de recon­naître son existence (1). » Combien se trompait ce pauvre Persigny, le fanatisme actuel de la Maçonnerie suffit à le mon­trer; et l'on voit qui était le meilleur ami de l'Empire, Persigny ou Pie IX. Mais tous ceux qui s'aveuglent croient voir très clair et s'obstinent d'autant plus qu'ils sont plus aveugles. En 1865, ce même Persigny, dans une lettre scandaleusement sotte et diffamatoire, s'était mis à décrier Rome. A la même date, un autre soutien compromettant de l'Empire, le Prince Napo­léon prononçait, au Sénat, un discours violent contre la pa­pauté.  Sur ces entrefaites, l'homme que Napoléon  III  avait

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(1) Delaroa, Le duc de Persigny, p. 135.

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placé de sa main, comme Grand-Orient, a la tête de la maçonne­rie française était mort, et l'aumônier de l'empereur, Georges Darboy, lui avait décerné les honneurs des funérailles catholiques, bien que ce sectaire fut excommunié et que les insignes de la Maçonnerie fussent exhibées sur son cercueil. Ces circonstances révélèrent à Pie IX l'urgence d'élever la voix. Pie IX, conduit par l'esprit de Dieu, voyait les choses de haut et ne s'arrêtait pas au bruit des passions humaines. Du reste, il ne savait que trop d'où provenaient ces faiblesses et d'où par­taient ces coups; il crut donc le moment venu de toucher à la grande plaie qui dévore la société chrétienne, à ce fouillis de sectes politico-religieuses, spécialement à la Maçonnerie.

 

25. Le 25 Septembre 1865, Pie IX, entouré du sacré-collège, prononça l'allocution suivante que nous reproduisons presque intégalement : « Parmi les nombreuses machinations et les moyens par lesquels les ennemis du nom chrétien ont osé s'at­taquer à l'Église de Dieu, et ont essayé, quoique en vain, de l'abattre et de la détruire, il faut, sans nul doute, compter cette société perverse d'hommes, appelée vulgairement maçon­nique, qui, contenue d'abord dans les ténèbres et l'obscurité, a fini par se faire jour ensuite, pour la ruine commune de la religion et de la société humaine. Dès que nos prédéces­seurs les pontifes romains, fidèles à leur office pastoral, eurent découvert ses embûches et ses fraudes, ils ont jugé qu'il n'y avait pas un moment à perdre pour réprimer cette société, frapper de condamnation et exterminer comme d'un glaive, cette secte respirant le crime et s'attaquant aux choses saintes et publiques... Toutefois, ces efforts du siège apostolique n'ont pas eu le succès que l'on eut dû espérer. La secte maçon­nique dont nous parlons, n'a été ni vaincue, ni terrassée : au contraire, elle s'est tellement développée, qu'en ces jours si dif­ficiles, elle se montre partout avec impunité et lève le front plus audacieusement que jamais. Nous avons dès lors jugé nécessaire de revenir sur ce sujet, attendu que, par suite de l'ignorance où l'on peut être des coupables desseins qui s'agitent dans

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ces sociétés clandestines, on pourrait croire faussement que la nature de cette société est inoffensive, que cette société n'a n'autre but que de secourir les hommes et de leur venir en aide dans l'adversité ; qu'enfin, il n'y a rien à en craindre pour l'Eglise de Dieu.

 

« Qui cependant ne voit combien une telle idée s'éloigne de la vérité ? Que prétend donc cette association d'hommes de toute religion et de toute croyance ? A quoi bon ces réunions clandes­tines et ce serment si rigoureux exigé des initiés qui s'engagent à ne jamais rien dévoiler de ce qui peut y avoir trait? El pour­quoi cette effrayante sévérité de châtiments auxquels se vouent les initiés dans le cas où ils viendraient à manquer à la foi du ser­ment? A coup sûr elle doit être impie et criminelle ; une société qui fait le mal, a dit l'Apôtre, hait la lumière. Combien diffèrent d'une telle association les pieuses sociétés des fidèles qui fleuris­sent dans l'Église catholique! chez elle, rien de caché; pas de secret. Les règles qui les régissent sont sous les yeux de tous; et tous peuvent voir aussi les œuvres de charité pratiquées selon la doctrine de l'Évangile.

 

« Aussi n'avons-nous pas vu sans douleur des sociétés catho­liques de ce genre, si salutaires, si bien faites pour exciter la piété et venir en aide aux pauvres, être attaquées et même détruites en certains lieux, (l'allusion est transparente) tandis qu'au contraire on encourage ou tout au moins on tolère la ténébreuse société maçonnique, si ennemie de l'Église et de Dieu, si dangereuse même pour la sécurité des royaumes.

 

« Nous éprouvons de l'amertume et de la douleur, en voyant que, lorsqu'il s'agit de réprimer cette secte conformément aux constitutions de nos prédécesseurs, plusieurs de ceux que leurs fonctions et le devoir de leur charge devraient rendre plein de vi­gilance et d'ardeur en un sujet si grave, semontrent indifférents et en quelque sorte endormis. Si quelques-uns pensent que les constitutions apostoliques publiées sous peine d'anathème con­tre les sectes occultes, leurs adeptes et leurs fauteurs n'ont aucu­ne force dans le pays où ces sectes sont tolérées, assurément, ils

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sont dans une grande erreur. Ainsi que vous le savez, nous avons déjà réprouvé cette fausse et mauvaise doctrine, et aujourd'hui nous la réprouvons et condamnons de nouveau. En effet, est-ce que ce souverain pouvoir de paître et de diriger le troupeau uni­versel que les pontifes romains ont reçu de Jésus-Christ, en la personne du Bienheureux Pierre, cette autorité suprême qu'il met à exercer dans l'Église, doit dépendre du pouvoir civil et celui-ci peut-il l'arrêter ou la restreindre en quoi que ce soit ? » Après avoir renouvelé les condamnations et les censures portées, par ses prédécesseurs, contre ceux qui font partie de ces sociétés ou les approuvent, Pie IX ajoute : « Quant à tous les autres fidè­les, plein de sollicitude pour les âmes, nous les exhortons for­tement à se tenir en garde contre les discours perfides des sec­taires qui, sous un extérieur honnête, sont enflammés d'une haine ardente contre la religion du Christ, et qui n'ont qu'une pensée unique, qu'un but unique, à savoir d'anéantir tous les droits divins et humains. Qu'ils sachent bien que les affiliés de ces sectes sont comme les loups que le Christ Noire-Seigneur a prédits devoir venir, couverts de peaux de brebis, pour dévorer le trou­peau; qu'ils sachent qu'il faut les mettre au nombre de ceux dont l'apôtre nous a tellement interdit la société et l'accès, qu'il a expressément défendu de leur dire Ave. »

 

26. Les journaux exploités par les francs-maçons et par les juifs, n'eurent point assez d'anathèmes contre le pontife qui pre­nait ainsi le taureau par les cornes. On l'accusa, de plus en plus, de ne rien comprendre aux aspirations et aux besoins de la société moderne; comme si, depuis 89, tous ces besoins et ces aspirations ne se réduisaient pas à des coups de force pour im­poser le libéralisme aux peuples, comme Luther imposait le libre examen. Les francs-maçons crurent avoir trouvé un plaisant et efficace moyen de se venger; ils publièrent une lettre de Mes­sine où il était dit que le Saint-Père avait été reçu franc-maçon à la Havane. Quand le fait eut été vrai, il ne prouverait pas que Pie IX eut eu tort de frapper la Maçonnerie en connaissance de cause ; mais le fait était une invention calomnieuse. Les livres

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de la maçonnerie consultés ne contenaient, ni à la Havane, ni ailleurs, le nom de Jean Mastaï ; il n'est pas nécessaire de répon­dre à la bouffonnerie qui mettait sur le dos d'un Pape une si monstrueuse sottise. Depuis 1830, pour ne par remonter plus et sans sortir de France, la Franc-maçonnerie avait exploité la situa­tion en faisant la guerre à l'Église et en poussant les masses aux idées utilitaires. Les hommes mis en évidence par le nouveau régime, Guizot, Thiers, Cousin, Michelet, Quinet, les deux Thierry, Mignet, les uns avec plus de retenue, les autres avec toutes les extravagances de la passion, avaient soutenu cette guerre anti­chrétienne et préconisé le rationalisme. L'enseignement officiel avait corrompu les classes moyennes; les sociétés secrètes avaient corrompu le peuple. Le terrain était si bien miné qu'en février 1848, le trône de Louis-Philippe, défendu par une armée de cent mille hommes, s'effondra sans qu'un coup de fusil fut tiré pour sa défense.

 

La franc-maçonnerie s'empressa d'applaudir à sa chute; les fauteurs des journées de février étaient des vénérables des princi­pales loges de Paris; la république était la conséquence logi­que de leurs principes. Le 10 mars 1848, le suprême conseil du rit écossais allait féliciter le gouvernement provisoire et La­martine lui répondit : « Je suis convaincu que c'est du fond de vos loges que sont émanés, d'abord dans l'ombre, puis dans le demi jour et enfin en pleine lumière, les sentiments qui ont fini par faire la sublime explosion dont nous avons été témoins en 1789 et dont le peuple de Paris vient de donner, au monde, la seconde, et j'espère, la dernière représentation, il y a peu de jours. » A son tour, le Grand-Orient se rendit en procession près du juif Crémieux, autre provisoire, qui, se revêtant des insi­gnes maçonniques, répondit, à l'adresse d'adhésion, ces paroles significatives : « La république est dans la maçonnerie. »

 

Les journées de février furent suivies d'une explosion uni­verselle en Italie, en Hongrie, en Allemagne, en Belgique. Malgré l'appui que donna le mouvement révolutionnaire, le roi de Sardaigne, l'Autriche et la Russie en eurent facilement raison

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   La dynastie prussienne elle-même, que ses antécédents rendaient sympathique à la maçonnerie, ne voulut point cette fois accepter la couronne impériale que lui offrait l'assemblée de Francfort. En France, l'échauffourée du 15 mai et les terribles journées de juin amenèrent une réaction conservatrice. Les meneurs des sociétés secrètes comprirent que le maintien de la république ajournerait pour longtemps leur œuvre en Europe. Une dicta­ture, continuant, sous forme de conservatorisme, l'œuvre de la révolution, parut faire mieux leur affaire. Or, ils avaient préci­sément sous la main un homme lié par des engagements que rien ne peut rompre; c'était le prince Louis Bonaparte,  ci-de­vant Carbonaro,   maintenant président de la république. Ses équipées de Strasbourg et de Boulogne n'avaient pas détruit sa popularité ; au fort de Ham, il avait mûri ses idées révolution­naires, hostiles à l'Église. Tel était l'homme que les conserva­teurs, affolés d'ordre matériel, voulaient bombarder sauveur de la France. Que sa dictature dut s'exercer au profit de la révolulion, lui-même sut le faire entendre par sa lettre à Edgar Ney. Dix-huit mois après, il violait son serment et se débarrassait de l'Assemblée, au profit des sociétés secrètes et avec l'appui des meneurs. Peu avant le 2 décembre, une réunion du grand conseil des sociétés secrètes avait eu lieu à Paris;   des convoca­tions, signées Mocquard, avaient été expédiées avec cette men­tion : Pour régler les affaires d'Italie, et Mazzini avait reçu un sauf-conduit signé  de   Louis Napoléon lui-même. Dans cette réunion, Mazzini et trois ou  quatre autres avaient seuls voté pour le maintien de la république démocratique. L'influence de Palmerston l'emporta à une majorité considérable et la dictature fut livrée à Louis Bonaparte, à la condition de mettre toutes ses forces au service de la Révolution (1).

 

Palmerston devait être le grand directeur de la politique de Louis Bonaparte. Quant à Mazzini, il n'accepta jamais complète­ment la dictature de ce pauvre sire, et soutint contre eux une lutte,

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(1) Descuamfs, Los sociétés secrètes et la société, t. II, p. 333.

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tantôt sourde, tantôt ouverte, qui dura jusqu'en 1870. L'accom­plissement de ses engagements fut l'œuvre habilement calculée et discrètement conduite du règne de Napoléon III. La guerre de Crimée, eut pour premier résultat de fonder définitivement l'alliance de l'Autriche et de la Russie. C'est le motif pour lequel les opérations militaires furent portées en Crimée, et non sur le Danube. La part qu'y prit le Piémont n'avait d'autre but que de fournir à l'avenir l'occasion d'introduire au congrès, son acte d'accusation contre les Bourbons de Naples et contre le Saint-Siège.

 

Un nouveau temps d'arrêt s'étant produit dans la politique de Louis Bonaparte, les bombes d'Orsini vinrent lui rappeler solen­nellement que Mazzini ne lui permettait pas d'oublier ses enga­gements. Condamné à mort, Orsini, du fond de sa prison, adressa, au sieur Napoléon III, une lettre où il le sommait, au nom de sa tranquillité, d'affranchir l'Italie. Cette lettre fut insérée au Moniteur et l'empereur accepta le titre d'exécuteur testamentaire d'Orsini. On sait le reste : la guerre d'Italie, les annexions Piemontaises, le royaume de Naples renversé par la trahison, la guerre faite à coup de brochures contre le Saint-Siège, l'écrasement de l'armée pontificale à Castelfidardo, sur les conseils exprès du susdit Napoléon. Réduire le pouvoir temporel à Rome, au Vatican et à son jardin; empêcher l'Autriche et l'Es­pagne de secourir Pie IX; livrer la papauté en détail, et, en attendant la tenir dans une sorte de vasselage, pour bénéficier ainsi, près des catholiques peu clairvoyants, du semblant de protection accordé au Saint-Siège; et, en même temps, conser­ver le plus longtemps, par l'occupation de Rome, une garantie contre Mazzini et un gage pour l'Italie unifiée : voilà quelle était la politique du N° III manifestée clairement pour tous ceux qui, au milieu de ses contradictions apparentes, ont su ouvrir les yeux et voir le fil de la conspiration. Napoléon III devait périr à ce double jeu et les sociétés secrè­tes, déplaçant leur centre d'action, sauraient trouver un instru­ment, non pas plus décidé, mais plus fort. En attendant, à l'inté-

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rieur, il compromettait par ses faveurs de cour, certains hauts dignitaires ecclésiastiques et s'appliquait à ruiner l'influence du clergé sur les populations. A la loi de 1850 sur l'instruction pri­maire, il refusa obstinément de coudre une loi sur l'instruction supérieure, qu'il voulut laisser en monopole aux corrupteurs officiels de la nation. Quand les événements d'Italie eurent désabusé les conservateurs trop confiants, il forma, autour du clergé, une réaction anti-religieuse qui ferait la police des fautes du clergé et formerait autour de lui un cercle de résistance et d'opposition. Au moment où la désorganisation de la société de Saint Vincent de Paul coïncidait avec la réorganisation de la maçonnerie, un membre de la famille impériale, un imbécile, devenu Grand-Orient, écrivait : «L'avenir de la Maçonnerie n'est plus douteuse. L'ère nouvelle lui sera prospère; nous re­prenons notre œuvre sous d'heureux auspices. Ainsi, libres de toutes entraves, (on voit que ces brigands étaient bien avec l'Em­pire qu'ils vilipendent aujourd'hui) nous pouvons déployer notre bannière. Le moment est venu où la Maçonnerie doit montrer ce qu'elle est, ce qu'elle veut, ce qu'elle peut. »

 

L'activité maçonnique était grande, en France, dans les der­nières années de l'empire. Le frère Pelletan, grand phrasier, vénérable de la loge l'Avenir, organisait, à l'exemple des loges belges, les associations des solidaires, dont les membres s'enga­geaient à repousser les prêtres à la naissance, au lit de mort et au mariage. L'administration impériale, si ombrageuse d'ailleurs, fermait les yeux sur cette propagande, et, pour faire peur aux bourgeois, favorisait même l’Internationale, d'ailleurs recrutée dans les loges. Le professeur Jean Macé, créait avec le double concours de la Maçonnerie et de l'administration de l'instruction publique, la ligue de l'enseignement; le but avoué de cette ligue était de proscrire, dans les écoles, l'enseignement religieux et de corrompre, par des livres impies, les masses populaires. De son côté, le ministre Duruy, cherchait à réaliser un des vœux les plus chers du programme maçonnique; il inaugurait pour les jeunes filles, un enseignement d'État, qui les préparait aux loges

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androgynes, vrais repaires de prostitution. Pendant le concile, le gouvernement impérial s'unit à la Prusse, pour empêcher la définition de l'infaillibilité, et, à Constantinople, favorisa le schisme des Arméniens. Son dernier acte fut l'abandon de la papauté aux révolutionnaires du Piémont. Ainsi Napoléon III remplissait jusqu'au bout le mandat des sociétés secrètes.

 

Dès 1861, un des membres intelligents de ces sociétés, le propagateur du Saint-Simonisme, le père Enfantin, s'employait à calmer les impatiences des frères et amis. Dans une lettre à Arles Dufour, il écrivait : « J'entends assez souvent plusieurs d'entre nous s'étonner des ménagements, tempéraments, ater­moiements, que le gouvernement français apporte depuis dix ans dans ses relations avec la papauté. Pour moi, je n'en suis pas surpris. Ce qui ressort évidemment pour moi, de notre con­duite à Rome, c'est précisément que nous ne voulons pas détruire de fond en comble le catholicisme, mais que nous voulons qu'il se transforme, c'est-à-dire que nous nous appelons Napoléon III et non pas Mazzini (1) . » La transformation du catholicisme, l'effacement du pouvoir temporel, la mise en échec du pouvoir spirituel, l'anéantissement de l'Église au profit de son despotisme, le popisme Russe en France avec un patriarche de Constanti­nople, voilà, d'après Enfantin, le fond de la pensée de Napo­léon III, ou plutôt des sociétés secrètes dont ce conspirateur couronné était l'instrument sans honneur.

 

   27. En frappant les sociétés secrètes de son gantelet pontifical, Pie IX frappait donc l’ennemi de l’Eglise. Son regard clair­voyant lui découvrait un autre ennemi à frapper, c'était le Prussien qui, dès lors, préludait à ces attentats qui réclameront, en 1873, une nouvelle condamnation de Pie IX. Dès 1813, Fré­déric-Guillaume III s'était associé au mouvement maçonnique de Tugenbund, et quand les empereurs d'Autriche et de Russie proscrivaient les sociétés secrètes, s'en était déclaré le grand protecteur. Berlin était devenu la capitale des loges. Les agita-

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(1) Œuvre de Saint-Simon et d'Enfantin, t. II, p. 95; et tome XIII, pp. lia, 132 et 133.

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teurs de 1848, Schultze-Dclitsch, Lasker, Gneist, se rattachaient tous, en 1865, à l'œuvre de Bismarck, devenu le Orand-Orient du monde civilisé. Dés 1848, ils avaient formé le plan  d'étendre jusqu'au Rthin, les frontières  de la Prusse; cette   extension faisait partie de leur programme de bouleversement nécessaire à l'anéantissement du Christianisme. On a dit que le maître d'école prussien avait gagné la bataille de Sadowa; la vérité est que ce maître d'école était inférieur aux maîtres d'école des pays conquis. Il est vrai cependant que les maitres d'école et professeurs des universités allemandes portaient la plupart le collier franc-maçon et qu'ils contribuèrent plus que de Molke, à l'effacement de la Hesse,  du Hanovre et de la Bavière. Pendant le Concile, d'Arnim préludait au schisme, et se servait, comme fourriers, des ministres bavarois, devenus, sans transition, les hommes de Bis­marck. En  1871, quand la Prusse  n'avait plus d'ennemis en Allemagne, elle témoignait, aux catholiques, sa gratitude, par la plus violente persécution. Les ministres de l'Empire protes­tant reprenaient les traces de Napoléon III et de Louis Philippe. Avec le concours servile  des Reinkens et des Doellinger, on espérait, encore une fois, corrompre et transformer le catholi­cisme. La république universelle et la Commune, l'anarchie et le socialisme se réservent l'avenir ; ils voguent à sa conquête, sur le vaisseau  de la franc-maçonnerie. Le pouvoir temporel du Pape est détruit;  les Bourbons ne régnent plus nulle part; l'Allemagne, l'Italie, la France, en persécutant l'Église,  mon­trent où la franc-maçonnerie peut se réserver des bénéfices d'escompte. Partant du principe que chaque homme, émanation de la puissance divine,  est un être absolument indépendant. Roi et Dieu, la maçonnerie enseigne, qu'en dehors de l'auto­cratie individuelle, il n'y a pas de droit. De là, une perspec­tive sans borne ouverte  aux rêves de la  crapule  en  délire. En  1876, le Monde Maçonnique écrivait « l'humanité progresse sans  cesse. Quand ce qui a été longtemps regardé comme un idéal se réalise,  les horizons plus larges d'un idéal nouveau offrent à l'activité humaine, toujours en marche vers un meilleur

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p85  §   IV.   — LE CENTENAIRE  DE  SAINT PIERRE                                                   

 

avenir, de nouveaux champs d'exploration, de nouvelles con­quêtes à faire, de nouvelles espérances à poursuivre. La Franc-Maçonnerie aura donc toujours son rôle utile dans le monde; elle le remplira dignement dans l'avenir comme dans le passé, en conservant avec soin la part essentielle de ses mystères, qui sont le lien particulier des initiés.   »

 

On voit si Pie IX,  après avoir frappé le libéralisme par le Syllabus, avait raison de frapper le radicalisme franc-maçon.

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