Démocratisation dans l'Église 1

 

DÉMOCRATISATION DANS L'ÉGLISE?

 

par Joseph Ratzinger

 

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   Tout au long de son histoire, l'Eglise a fait siens divers éléments de constitution politique et nombreux sont ceux qui ont établi, défendu le bienfondé de pareils emprunts. C'est vrai, à chaque époque on a mis en valeur ce qui est propre à l'Eglise et ce qui ne l'est pas, et, par là, ceux qui protestaient contre le conformisme de leur temps ont su se faire entendre (1). II n'est donc pas surprenant, à l'âge de la démocratie, d'entendre un appel à la démocratisation de l'Eglise et de voir nombre de théologiens démontrer avec évidence que pareille chance de réussite ne s'est encore jamais offerte à l'Eglise pour lui permettre de réaliser sa véritable dimension (2). -------

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------- nous serons obligés de reconnaître qu'il existe aujourd'hui deux notions de la démocratie totalement différentes. --------

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1. La démocratie absolue

 

   La « démocratie” est avant tout le symbole d'une doctrine de salut. ------ Selon cette manière de voir, la liberté équivaut à l'entière indépendance du « Je” qui n'accepte pas d'être limité du point de vue social. Et, par voie de conséquence, l'institution est considérée comme une manipulation. -------

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------- La démocratie intégrale ne serait donc plus une forme de pouvoir politique, mais une absence de pouvoir politique. Seule l'anarchie serait la véritable démocratie, parce que toute manipulation ne cesserait qu'avec elle (2). À proprement parler, ici, l'idéal démocratique de l'Occident s'engage bruquement dans l'utopie marxiste de la société sans classe. --------

 L'erreur qui caractérise l'ensemble de cette conception repose sur un malentendu à l'égard de l'homme: l'homme tient la place de Dieu. Il est considéré comme le détenteur de la liberté absolue. Aussi toute limitation de sa liberté est‑elle par principe quelque chose de péjoratif. ---------

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   Afin de «démocratiser » l'université, un petit groupe de perturbateurs avait forcé l'entrée d'un cours très fréquenté. La démocratisation de l'université devait y être comme promue devant de nombreux auditeurs, par le désordre qu'a suscité l' « intervention autoritaire des connaissances » d'un professeur. Entendant la démocratie à la manière occidentale, au sens de démocratie constitutionnelle, ce professeur fit mettre aux voix s'il fallait continuer le cours ou bien soutenir jusqu'au bout la discussion soulevée par les intrus pour éclairer les consciences. Composé de plusieurs centaines de personnes, l'auditoire tout entier se prononça pour la poursuite du cours. Le groupe de «démocratisation» réunissant à peu près vingt membres, ne s'en montra pourtant pas impressionné. C'était alors évident: deux sortes de notions de la démocratie étaient en jeu. Les intrus ne furent pas surpris du résultat du vote. Parfaitement incapables de se prononcer librement, les étudiants présents au cours avaient voté d'une façon tout à fait conforme au système universitaire en vigueur. Leur vote ne faisait que confirmer qu'ils cédaient à la pression de ce système. C'est en général de cette manière qu'on montre tout d'abord la nécessité d'une discussion qui serait éclairante et

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qui préparerait pour ainsi dire, la véritable démocratisation. La manoeuvre des intrus continua en conséquence. Il était obligatoire de la considérer comme une manipulation en faveur de la liberté, bien qu'elle ait été en opposition avec le vote qui venait d'avoir lieu.

 

   Cette attitude est d'un cynisme notoire. Elle soulève cependant un important problème. Actuellement, on nous dit en effet: en moyenne, l'homme considère comme sa liberté ce qui n'est que la pression du système au sein duquel il vit. Et il n'en distingue plus l'aspect contraignant, tant elle est devenue immanente à sa conscience même. ------

 

-------- La notion de liberté qu'on apprécie, se fonde sur une détermination a priori. Elle met en évidence la tra­gique absence de pensée sur laquelle repose une construction dont l'origine consiste dans l'idée a priori qu'il ne faut absolument pas limiter l'homme. -------- Qui décide de la liberté réelle ? Les démocrates qui le sont de la manière la plus radicale, répondent: tout ce qui contribue à la victoire du système de pouvoir actuel, tout ce qui ne sert pas la cause de l'anarchie, de l'absence de pouvoir politique, constitue une pression systématique. Il reste que l'homme qui ne serait soumis à aucun pouvoir demeure une pure hypothèse qu'on invoque à la manière d'un article de foi et la définition d'un tel homme est une contradiction. -------

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon