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Il ne faudrait pas nier que cette théorie ne contienne des intuitions décisives, tant du point de vue biblique que du point de vue humain en général; si on a la patience d'en suivre quelque peu le cheminement, on n'aura pas de peine à le constater.
Sous ce rapport, elle sera toujours digne de considération, en tant que tentative pour rassembler les éléments particuliers de l'énoncé biblique en une vaste et complète synthèse.
Est‑il difficile de voir qu'en dépit de toutes les notions philosophiques et juridiques mises en oeuvre ici, la vérité dominante reste celle que la Bible exprime par le petit mot « pour”, qui signifie que nous autres hommes, nous ne vivons pas seulement de Dieu, directement, mais les uns des autres et finalement de Celui qui a vécu pour tous?
Et qui ne verrait que
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par là reste nettement perceptible, dans le schématisme de la théorie de la satisfaction, le souffle du thème biblique de l'élection, selon lequel l'élection n'est pas un privilège pour celui qui est élu mais l'appel à être pour les autres?
Elle est appel à ce “pour », dans lequel l'homme se renie courageusement, cesse de s'accrocher à lui‑même, pour risquer le saut dans l'infini, qui seul lui permet de se trouver lui‑même.
Mais tout en reconnaissant ces aspects positifs, on ne pourra pas nier par ailleurs que le système juridique humano-divin, si parfaitement logique, élaboré par Anselme, ne déforme les perspectives et ne risque par sa logique d'airain, de présenter Dieu sous un jour inquiétant.
Il faudra revenir plus longuement sur ce point, quand il sera question du sens de la croix. Qu'il nous suffise pour l'instant d'indiquer que les choses se présentent tout autrement, lorsqu'au lieu de dissocier l'oeuvre et la personne de Jésus, on prend conscience qu'en Jésus‑Christ, il n'est pas question d'une oeuvre séparée de lui, ni d'une prestation que Dieu devrait exiger, parce qu'il serait lui‑même tenu de respecter l'ordre; en Jésus-pour parler comme Gabriel Marcel ‑ ce qui est en jeu, ce n'est pas “l'avoir» de l'humanité, mais son “être”.
Et quelle différence de perspective aussi d'autre part, lorsqu'on reprend l'idée paulinienne selon laquelle le Christ est le “dernier homme” (escatos adam; I Co 15, 45), l'homme définitif, qui introduit l'homme dans l'avenir qui est le sien, un avenir qui consiste à ne pas être simplement homme, mais à être un avec Dieu.
III. LE CHRIST, “ LE DERNIER HOMME”
Et nous voilà arrivés au point où nous pouvons essayer de résumer la signification de la confession de foi: “Je crois au Christ Jésus, le Fils unique de Dieu, notre Seigneur”.
Après toutes nos réflexions, nous devrions pouvoir affirmer tout d'abord ceci : la foi chrétienne reconnaît en Jésus de Nazareth l'homme exemplaire- c'est là, semble‑t‑il, la meilleure façon de rendre le sens du concept paulinien du “dernier Adam”, évoqué ci‑dessus.
Mais c'est précisément comme homme exemplaire, comme l'homme type, qu'il transcende la limite de l'humain. C'est par là seulement qu'il est l'homme vraiment exemplaire. Car l'homme est en lui‑même dans la mesure où il est auprès de l'autre.
Il ne se trouve qu'en se quit‑
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tant; il ne se trouve lui‑même que par l'autre, en étant auprès de l'autre.
Cela vaut finalement en un sens plus profond. Si cet autre n'est qu'un être quelconque, il peut conduire l'homme à sa perte. L'homme, en dernière analyse, est ordonné à l'autre, à celui qui est véritablement autre, à Dieu. Il est d'autant plus en lui‑même qu'il est plus près du tout autre, de Dieu.
Il est par conséquent tout à fait lui‑même, quand il cesse de se tenir en lui‑même, de se replier sur lui‑même, de s'affirmer lui‑même, quand il est pure ouverture à Dieu. Autrement dit: l'homme se trouve en se dépassant. Or Jésus est l'homme qui s'est totalement dépassé, et par là s'est vraiment trouvé.