Calvinisme 2

Darras tome 35 p. 65

 

32. Pendant que les brigands calvinistes saccagent les pays lointains, les chefs de partis se préparent aux exploits militaires. Les catholiques reçurent des secours en hommes et en argent du roi d'Espagne, Philippe II, de quelques princes italiens, notamment du souverain Pontife, soucieux de défendre le fils aîné de l'Église et le royaume très chrétien. De leur côté, les calvinistes avaient réclamé et obtenu des subsides et des hommes, tant des protestants d'Allemagne que d'Elisabeth d'Angleterre, à qui ces traîtres livrè­rent Dieppe et le Havre. La France était le champ de bataille ; mais l'enjeu, c’était la prépondérance en Europe. Au lieu de se mesurer

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à des questions de frontière et des intérêts de patrie, catholiques et protestants se battaient pour des intérêts d'Église et des questions de loi. Ma spécialité n'est pas de raconter des batailles : je les abrège ici d'après les données classiques, afin d'empêcher les Anglais de s'établir en Normandie ; l'armée royale, commandée par Guise, marcha sur Rouen, que défendait Montgommery, le meurtrier in­volontaire de Henri II ; la ville fut emportée après trois assauts. Le roi de Navarre y fut dangereusement blessé et mourut au bout de trois semaines, laissant pour héritier un enfant de neuf ans, plus tard Henri IV. De son côté, le prince de Condé, avec un ren­fort de sept mille Allemands, attaqua vainement les faubourgs de Paris ; il se replia ensuite sur la Normandie et rencontra les trou­pes royales à Dreux. La bataille était inévitable, les deux armées, à peu près d'égale force, restèrent deux heures en présence, immo­biles , irrésolues, cherchant comme par instinct,  à retarder le moment fatal où des Français allaient s'égorger. Dans une première-charge, Montmorency, blessé d'un coup de pistolet, se vit forcé de rendre son épée à un reître ; Condé enfonça le centre des catholi­ques, et la bataille semblait déjà perdue pour eux lorsque le cou­rage et l'habileté du duc de Guise leur procurèrent la victoire. Condé fut pris et le maréchal de Saint-André tué dans le combat. (19 décembre 1362). Devenu le chef unique et absolu  du parti catholique, François de Guise reçut de Catherine devMédicis le titre de lieutenant général du royaume, avec le gouvernement de Cham­pagne. Il voulut achever son triomphe en réduisant les villes de la Loire et alla investir Orléans. Déjà il s'était emparé d'un des fau­bourgs, lorsqu'il fut assassiné par un gentilhomme protestant de l'Angoumois, Pollrot de Méré, parent de la Renaudie (février 1563). On vit aussitôt changer la face des affaires : les catholiques cons­ternés levèrent le siège  d'Orléans et les calvinistes reprirent le dessus. La reine-mère, délivrée du duc de Guise, négocia avec Condé prisonnier et conclut le traité ou  la pacification d'Amboise, qui accordait  aux protestants amnistie pleine et entière pour le passé, et l'exercice de leur culte dans les maisons des nobles, dans les terres des seigneurs ayant droit de haute justice et dans les-

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faubourgs d'une seule ville par bailliage. Catholiques et protestants font ensuite montre de patriotisme en s'associant pour reprendre le Havre aux Anglais ; tous rivalisèrent d'ardeur et de courage, et la place fut emportée au bout de quelques jours. Cette bravoure honore les deux partis ; mais cette paix, faite de concessions mal­heureuses, partant maladroites, honore peu la sagesse et la vertu de la reine ; quant à l'assassinat de François de Guise, ourdi par les chefs du parti calviniste, approuvés par ses théologiens, chanté par ses poètes, il montre au juste la valeur d'un parti qui, battu sur le champ de bataille, se relève par l'assassinat. Guise mourant avait accordé, à son meurtrier, un généreux pardon ; son sang devait susciter des vengeurs.

 

33. En 1363, Charles IX, proclamé majeur, fit une excursion dans les provinces méridionales et rendit, à Moulins, une ordon­nance pour la réformation de la justice. En passant à Baronne, Catherine avait reçu la visite de sa fille Elisabeth, femme de Philippe II, accompagnée du duc d'Albe. Le duc d'AIbe allait par­tir pour combattre les Gueux des Pays-Bas ; les calvinistes en con­clurent qu'il s'était formé alliance pour écraser le protestantisme français. Condé se laissa mollir jusqu'à former pour son compte, le projet d'envahir le souverain pouvoir. Ses partisans se soulevè­rent donc et essayèrent d'abord d'enlever le roi, au moment où la cour se trouvait à Monceaux, en Brie. Charles IX se retira à Meaux ; puis, escorté de la garde suisse, rentra péniblement à Paris. La prise du roi devait être le signal d'un massacre par toute la France, au cri de : « Tue, tue les papistes. » En passant à Saint-Denis, Condé rencontra les troupes royales ; le connétable, âgé de soixan­te-quatorze ans, soutint le choc de l'ennemi ; mais fut assassiné, au milieu de son triomphe, par Robert Stuart. La cavalerie hugue­note fut détruite par le connétable de Montmorency qui espérait sauver son père ou le venger. Les vaincus se retirèrent en Poitou, où vint les rejoindre un corps nombreux d'Allemands, envoyé par l'électeur palatin. Ce renfort leur permit de mettre le siège devant Chartres, pour affamer Paris, qui tirait de la Beauce ses principaux approvisionnements. La résistance de la place et les excès commis

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par les reitres firent désirer une seconde fois la paix. Cette paix fut signée à Longjumeau en 1508, par Biron qui était boiteux et par Demesme, seigneur de Malassis. On l'appela la petite paix ou la paix boiteuse et malassise, parce qu'en rétablissant les conditions de la paix d'Amboise, elle impliquait, de la part des signataires, le parti-pris de la rompre à la première occasion.

 

   34. Les deux partis posèrent donc les armes, mais en songeant au moyen de les reprendre avec avantage. Les protestants ne ren­dirent point les places fortes et accusèrent le roi de ne point licen­cier ses troupes étrangères. La cour ne se pressa point de rendre les biens saisis sur les rebelles. Celte conduite présageait une nou­velle levée de boucliers. Catherine le vit et résolut de s'emparer des chefs de la révolte ; l'Hôpital était du conseil ; les princes appri­rent par lui le secret de l'Etat ; le chancelier perdit sa charge. Alors Condé et Jeanne d'Albret, reine de Navarre, se décidèrent à une troisième guerre. Une première campagne fut sans résultat ; à la seconde, en 1509, bataille de Jarnac, peu meurtrière pour les troupes, mais célèbre par la mort du prince de Condé, tué d'un coup de pistolet qui lui cassa la tête. Triste fin d'une triste existence, où l'ambition usa dans des intrigues inénarrables et des guerres factieuses des talents qui auraient pu être utiles à la patrie. Jeanne rassembla les huguenots et fit prêter serment à son fils comme chef de parti ; mais l'ascendant et la suprématie réelle appartenait aux Coligny. Coligny appela les reîtres du duc de Deux-Ponts, qui envahit le territoire, mais mourut d'avoir trop bu, avant d'avoir pu joindre les troupes du prince de Béarn : 13,000 Allemands parcoururent la France de l'Est à l'Ouest, sans rencontrer d'obstacles. Ils avaient à leur tête le célèbre Guillaume de Nassau, dont les descendants devaient un jour occuper le trône d'Angleterre. A l'arrivée de ces troupes, Coligny reprit l'offensive, fut repoussé à la Roche-Abeille par les troupes pontificales que commandait le duc de Santa-Fiore; puis vint assiéger Poitiers. Le duc d'Aurnalc et le comte de Ludre s'y défendirent en héros et l'amiral dut lever le siège pour porter secours à Chatellerault que menaçait l'armée royale. Alors le Par­lement déclara Coligny « criminel de lèse-majesté, félon et rebelle»

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et mit sa tête à prix. A cette juste sentence, Coligny répondit en attaquant les troupes du roi, près de Montcontour. La bataille fut atroce: les protestants perdirent 8,000 hommes: la victoire fut décidée par le duc d'Anjou, depuis Henri III, qui s'honora par sa clémence après s'être distingué par sa bravoure. Après cette déroute, quelques revanches partielles et habiles retraites, Coligny dut trai­ter. Les négociations étaient, du reste, pour son parti, une fortune. Constamment vaincus en bataille rangée, ils avaient obtenu, à cha­que défaite, de plus importantes concessions. Battus à Dreux, ils avaient signé la paix d'Amboise ; battus à Saint-Denis, ils avaient imposé la paix de Lonjumeau ; battus à Jarnac et à Montcontour, ils arrachent, en 1570, le traité de Saint-Germain. Par cette malheu­reuse paix, le roi accordait à ces rebelles vaincus, la liberté du culte dans deux villes par province ; leur cédait des places de sûreté, telles que La Rochelle, Montauban, Cognac et La Charité. C'était constituer, dans l'Etat, une République compacte, indépen­dante à l'intérieur, communiquant à l'extérieur avec les ennemis jurés de la France et de l'Église. Il y a plus, on faisait espérer à Coligny, que le monarque le mettrait a la tète des troupes qu'il voulait envoyer aux protestants des Pays-Bas. Après quatre victoires éclatantes, les vaincus, c'étaient les catholiques, trahis par la royauté, livrés par elle au joug des hérétiques, condamnés à voir bientôt l'anéantissement de la vieille patrie.

 

   35. Des concessions aussi compromottantes n'offraient à la paix    aucune  garantie.   Le  nonce du Pape,  Salviali  et l'ambassadeur d'Espagne, s'efforcèrent vainement de le faire comprendre au roi,toujours sous l'obsession de sa mère. Les pillages cessaient; le sang ne rougissait plus le sol et les étrangers reprenaient le chemin de leurs pays ; un peu de joie s'essayait à renaître.  Cependant on ne parlait que de trahison et en s'égayant on sentait la poudre.   En vain l'amiral de Coligny avait juré qu'il aimerait mieux mourir que de voir se renouveler tant de maux. Les hommes de guerre n'étaient plus les maîtres, ils étaient à la merci des peuples fanatisés et à la discrétion des ministres calvinistes,  de leur ambition sans frein, de leurs abominables  projets. On ne saurait contenir son

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indignation quand on lit ce qu'en écrit Dumoulin qui était payé pour les connaître. « Les ministres, dit-il, pour la plupart sont étrangers et gens de néant, émissaires envoyés en France par le consistoire de Genève, auquel ils prêtent le serment. Sous prétexte de religion et de réformation, ils font des conventicules et des assemblées tendant à la sédition... Dans ces consistoires et assem­blées, les ministres sont les chefs et les maîtres ; ils prennent indif­féremment connaissance de toutes sortes d'affaires, usurpent la juridiction ecclésiastique et séculière, donnent des jugements inter­locutoires ou définitifs, qu'ils appellent décrets du consistoire ou de l'Église ; décernent des défauts, des condamnations d'amendes pécuniaires, des suspensions et excommunications, des prises de corps et emprisonnements, et autres peines semblables. Ils médi­sent et détractent ouvertement des juges et des magistrats, les appellent profanes et iniques, défendent à ceux de leur secte de se pourvoir devant eux, sous peine d'être déclarés rebelles à l'Église ; ils font des synodes, où ils arrêtent et décrètent tout ce que bon leur semble... Ils donnent avis à ceux de Genève de tout ce qui se passe d'important, et prennent leur ordre, avis et conseil, qu'ils suivent aveuglément, n'ayant d'autre dessein que de réduire toute la France en un État populaire et d'en faire une république comme celle de Genève dont ils ont chassé leur comte et évêque ; de changer, ren­verser et détruire la police entière du royaume ; de s'arroger toute l'autorité ; de soustraire les sujets à celle du roi, de ses parlements et magistrats, sous le faux prétexte d'une liberté imaginaire (1). Tel était le plan des huguenots; ils ne s'en sont jamais écarté. Tracé de la main même de Calvin, il fut repris àsa mort, arrivée en 1564, par Théodore de Bèze, son successeur dans le parti et suivi avec la même ardeur et la même opiniâtreté que du vivant de son auteur. Personne ne doutait plus de l'existence de ce vaste com­plot ; la reine elle-même finit par en être convaincue. Il avait fallu vingt ans de calamités pour l'amener à voir enfin ce que les Guises avaient saisi du premier coup d'œil, qu'avec les calvinistes la paix était impossible, et que, sans la destruction de leur parti, il n'y

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(1) Brodeau, Vie de M. Dumoulin, Liv. III, ch. vm et ix.

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avait ni sûreté pour la  descendance de nos  rois, ni repos pour l'empire.

 

   36. L'esprit faux et faible de la reine, son cœur corrompu s'applaudissaient de cette politique. Pour faire tomber le mirage de massacre, terreur qui épouvantait les consciences, cette femme ingénieuse imagina de marier sa fille Marguerite avec le jeune roi de Navarre et Charles IX avec Elisabeth d'Autriche, fille de l'empereur Maximilien II. De plus, elle parlait d'envoyer des troupes dans les Pays-Bas et d'entrer dans la ligue contre les Turcs. Les passions, plus clairvoyantes que la futilité maladroite de Catherine, ne se laissè­rent pas prendre à ces desseins. La reine, au surplus, continuait son jeu en partie double ; elle flattait l'amiral pour l'annuler. Le roi, par faiblesse ou jouant au plus fin, accorda au chef des hugue­nots plus de faveurs que Catherine n'en souhaitait : il lui accorda une garde de cinquante gentilshommes, fit abattre une croix expia­toire dressée sur la demeure d'un marchand de la rue Saint-Denis pendu pour avoir célébré la cène, ferma les yeux sur les enrôle­ments au profit du duc d'Orange, combla les amis de l'amiral de grâces et de pouvoirs. L'audace des huguenots en vint à ce point, qu'au conseil ils disaient au roi : « Faites la guerre au roi d'Espa­gne, ou nous vous la ferons. » Enfin un synode s'assembla publi­quement à la Rochelle, rédigea une confession de foi et annonça l'intention de dicter sa volonté au roi. Qu'on juge de l'indignation des catholiques. En 1571, lorsque la cour vint à Paris, tout encom­brée de huguenots et de ministres, le sang français des Parisiens et leur vieille foi se révoltèrent. Jeanne d'Albret mourut ; on dit qu'elle avait respiré le poison dans des gants parfumés. Quand son fils épousa Marguerite, à la porte de Notre-Dame, le cardinal de Bourbon demanda à la princesse son consentement ; elle ne répon­dit point ; pour qu'elle donnât son assentiment, le roi lui poussa la Tête. Le peuple murmurait ; les huguenots répondaient à ses doléances par des bravades. Dans les provinces, c'était pire encore. Les protestants inondaient de sang toutes les villes du Midi. A Nîmes, ils remplissaient les puits avec les cadavres des catholiques. «Ces crimes appelaient des représailles. En temps de guerre civile,

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la raison a perdu son prestige, on n'écoute plus que les passions. Un premier attentat fut dirigé contre Coligny. Au sortir du jeu de paume, un meurtrier, Maurevel, lui tira un coup d'arquebuse et l'atteignit à la main. Le roi alla voir Coligny avec Catherine et s'in­digna « Par la mort-Dieu, dit-il, je vengerai cet outrage si roide-ment qu'il en sera mémoire à toujours ; la douleur est pour vous, l'injure est pour moi. » L'irritation des huguenots fut au comble ; réunis pour des noces, ils menacaient de les changer en funérail­les et complotaient à ciel ouvert. « Le bras est blessé, disait l'ami­ral, la teste ne l'est pas; s'il me faut couper le bras, j'auray la teste de ceux qui en sont cause ; ils pensaient me tuer, mais je les préviendrai. » Les hostilités devaient suivre de près les menaces.

 

    37. C'est l'heure que choisit Catherine de Médicis pour tout brus­quer. Précédemment, elle avait cru tout régler en sacrifiant quel­ques dogmes; maintenant elle espérait tout sauver en sacrifiant quelques têtes. J'emprunte à Guizot le récit de ses obsessions pour enlever l'assentiment du roi. « Le samedi 23 août, dans l’après-dîner, dit-il, la reine-mère, le duc d'Anjou, les maréchaux de Tavannes et de Retz, le duc de Nevers et le chancelier de Birague se réunirent dans le cabinet du roi, irrésolu et parlant toujours de tirer sur les Guises une vengeance éclatante de l'assassinat de Coli­gny. Catherine « lui remontra qu'à cette occasion le parti des huguenots s'armait déjà contre lui ; ils avaient envoyés, dit-elle, plusieurs dépêches en Allemagne pour faire une levée de dix mille reîtres, et aux cantons des Suisses pour une autre levée de dix mille hommes de pied ; les capitaines français, partisans des hugue­nots, étaient déjà la plupart partis pour faire levées dans le royaume ; les rendez-vous de temps et de lieu étaient déjà donnés et arrêtés. De leur côté, ajouta Catherine, tous les catholiques, ennuyés d'une si longue guerre et vexés de tant de sortes de cala­mités, sont résolus d'y mettre une fin ; ils ont arrêté entre eux d'élire un capitaine général pour faire ligue offensive et défensive contre les huguenots. On verrait ainsi toute la France armée en deux grands partis entre lesquels le roi demeurait seul, sans aucun commandement et aussi  peu  d'obéissance. A tant de ruines et de

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calamités qui se préparent, où nous touchons déjà du doigt et au meurtre de tant de milliers d'hommes, un seul coup d'épée peut remédier ; il faut seulement tuer l'amiral, chef et auteur de toutes les guerres civiles; les desseins et entreprises des huguenots mour­ront avec lui, et les catholiques satisfaits du sacrifice de deux ou trois hommes, demeureront toujours dans l'obéissance du roi... Au commencement, continue le duc d'Anjou dans son récit, le roi ne voulait aucunement consentir qu'on touchât à l'amiral ; touché pourtant de la crainte du danger que nous lui avions si bien peint et figuré, il voulut que, sur une affaire de cette importance, chacun dit présentement son opinion. » Quand chacun des assistants eut parlé, le roi parut encore indécis ; la reine-mère résolut alors « de lui faire entendre la vérité de tout par M. le maréchal de Retz, de qui elle savait qu'il le prendrait mieux que de tout autre, dit dans ses Mémoires sa sœur Marguerite de Valois, comme celui qui lui était, plus confident et plus favorisé de lui. Lequel le vint trouver le soir, sur les neuf ou dix heures, et lui dit que comme son servi­teur très fidèle, il ne lui pouvait céler le danger où il était s'il con­tinuait en la résolution de faire justice de M. de Guise, parce qu'il fallait qu'il sût que le coup sur l'amiral n'avait point été fait par M. de Guise seul, mais que mon frère Henri, le roi de Pologne, depuis roi de France, et la reine ma mère avaient été de la partie ; ce que M. de Guise et ses amis ne manqueraient pas de révéler, et ce qui mettrait, Sa Majesté dans un très grand danger et embarras. » Vers minuit, la reine mère descendit chez le roi, sui­vie de son fils Henri et des quatre autres conseillers. Ils trouvèrent le roi plus que jamais troublé. La conversation recommença, et devint un véritable assaut sur le roi : « Les Guises, lui dit-on, dénonceront le roi même avec sa mère et son frère; les huguenots croiront que le roi s'est concerté avec eux ; ils s'en prendront à toute la maison royale. La guerre est infaillible. Mieux vaut gagner une bataille dans Paris, où nous tenons tous les chefs, que de la mettre en doute dans la campagne. » « Au bout d'une heure et demie de lutte, Charles violemment agité, hésitait encore ; la reine-mère, craignant que si on tardait, tout ne vint à se découvrir, lui

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dit : « Permettez-moi, sire, à moi et à votre frère, de nous retirer dans quelque partie du royaume. » Charles se leva : «Par la mort-Dieu, dit-il, puisque vous trouvez bon qu'on tue l'amiral, je le veux ; mais aussi tous les huguenots de France, afin qu'il n'en reste pas un qui me le puisse reprocher après. Donnez-y ordre promptement. » Et il rentra dans sa chambre (1).

   38. La résolution avait été laborieuse, l'effet fut immédiat. Le massacre fut fixé au lendemain, dimanche, vingt-quatre août. Le prévôt des marchands fut averti, et, par lui, les capitaines des quartiers reçurent ordre de faire prendre les armes aux bourgeois. On s'assura des seigneurs dont la haine contre les huguenots était connue. Il fallait un chef. Le duc de Guise fut chargé de tuer l'ami­ral et de diriger l'entreprise ; il accepta en homme impatient de venger le meurtre de son père ; mais il ne fut initié au complot qu'au moment de l'exécuter et ne l'exécuta que sur un ordre du roi qui légitimait à ses yeux cette abomination. A minuit, la cloche de l'horloge devait sonner le tocsin ; à ce signal, tout Paris devait s'ébranler. Les bourgeois auraient une écharpe blanche au bras gauche et une croix blanche au chapeau. En même temps, des chaînes seraient tendues, des flambeaux allumés à toutes les fenê­tres pour éclairer l'horreur des massacres, des corps de garde établis dans les rues, afin, sans doute, d'y pourvoir plus promptement. La haine était si profonde qu'on put mettre dans la confidence des masses entières, sans qu'on trahit le complot. A la dernière heure, le roi s'était ravisé ; mais le duc de Guise avait avancé l'heure. Avec lui marchaient le duc d'Aumale, le chevalier d'Angoulème, frère naturel du roi, quelques seigneurs et trois cents soldats. Coligny et ses entours furent les premières victimes. Là périrent plu­sieurs de ceux qui, dans tant de villes, s'étaient rendus coupables de massacres non moins horribles, que celui où ils succombaient ; cependant, les plus criminels, Soubise et Crussol exceptés, se déro­bèrent à l'horrible expiation. A ce moment, l'horloge du palais se mit à sonner ; ce fut le signal convenu. La ville se remplit d'atro­cités ; le carnage alla souiller jusqu'à la demeure du roy. Le toc-

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(1) Histoire de Fronce, t. lit, p. 6t!).

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sin du palais avait partout animé les massacres. Les soldats et les bourgeois armés, répandus dans les divers quartiers, perpétraient les plus horribles meurtres, au grand regret, dit Tavannes, des membres du conseil, qui n'avaient résolu que la mort des chefs des factieux. Ces conseillers n'avaient pas été assez sages pour prévoir les excès d'un peuple, qui, depuis longtemps contenait sa haine contre les huguenots et attendait avec impatience l'occasion de ven­ger les outrages qu'avaient eu à souffrir les catholiques ; ils ne s'étaient pas dit que ce peuple, une fois déchaîné, serait sans frein dans ses représailles. Déjà effrayés de la responsabilité qu'ils assu­maient, les chefs des conjurés faisaient d'incroyables efforts pour calmer la fureur populaire ; ils réussirent, en effet, à lui arracher plusieurs victimes. Le plus souvent leur voix se perdait dans la tempête ; le bas peuple, une fois lancé, massacrait tout ce qui s'ap­pelait huguenot, sans distinction d'âge ni de sexe. Comme il arrive dans toutes les émeutes, beaucoup de misérables profitaient de l'occasion pour assouvir leurs vengeances particulières et nombre de catholiques furent tués sous prétexte de calvinisme. « C'était être huguenot, dit Mézeray, que d'avoir de l'argent, des charges enviées ou des héritiers affamés. »

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