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III. « EST DESCENDU AUX ENFERS »
Aucun article de foi peut‑être n'est aussi étranger à notre conscience moderne que celui‑ci. C'est cet article qui, avec ceux de la naissance viriginale de Jésus et de l'Ascension du Seigneur, incite le plus à la «démythologisation », que l'on semble pouvoir réaliser ici sans danger ni scandale.
Les quelques passages où l'Écriture paraît dire quelque chose à ce propos (1 P 3, 19 s; 4, 6; Ep 4,9; Rm 10, 7; Mt 12, 40; Ac 2, 27. 31), sont si difficiles à comprendre qu'ils prêtent facilement à des interprétations divergentes.
Si donc l'on élimine complètement, en fin de compte, cette affirmation, on en retire apparemment l'avantage de se débarrasser d'une question étrange, difficile à intégrer dans nos catégories de pensée, sans se rendre coupable d'une infidélité majeure.
Mais sommes‑nous plus avancés pour autant? Ne nous sommes‑nous pas plutôt dérobés à la difficulté et à l'obscurité du donné réel? On peut essayer de venir à bout des problèmes ou bien en les niant purement et simplement, ou bien en les affrontant.
La première voie est plus commode, mais seule la deuxième permet d'avancer. Au lieu donc d'éluder la question, ne devrions‑nous pas plutôt prendre conscience que cet article de foi, auquel est consacré liturgiquement le Samedi-Saint, nous concerne aujourd'hui tout particulièrement, et qu'il représente à un titre spécial l'expérience de notre siècle ?
Le Vendredi‑Saint, il nous reste du moins encore le regard sur le Crucifié,
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mais le Samedi‑Saint est le jour de la « mort de Dieu », le jour qui exprime et anticipe cette expérience sans précédent de notre temps: Dieu est tout simplement absent, le tombeau le recouvre, il ne se réveille plus, il ne parle plus, au point qu'il n'est même plus besoin de le contester et que l'on peut l'ignorer sans plus.
« Dieu est mort et c'est nous qui l'avons tué. » Cette parole de Nietzsche appartient au langage traditionnel de la dévotion chrétienne à la Passion; elle exprime le contenu du Samedi‑Saint, la descente aux enfers53 .
A propos de cet article de foi, deux scènes bibliques me reviennent toujours à l'esprit. Il y a tout d'abord cette histoire cruelle de l'Ancien Testament, où Êlie invite les prêtres de Baal à implorer de leur dieu le feu pour le sacrifice.
Ils le font, naturellement sans succès. Elie se moque d'eux, exactement comme un rationaliste se moque de l'homme pieux et pense l'avoir convaincu de ridicule si sa prière reste sans effet.
Le prophète interpelle les adeptes de Baal, leur disant qu'ils n'ont peut‑être pas prié assez fort: «Criez plus fort, car Baal est un dieu, il a des soucis ou des affaires; peut‑être il dort et se réveillera! » (I R 18, 27). En lisant aujourd'hui ces railleries lancées aux fidèles de Baal, on se sentira peut‑être quelque peu mal à l'aise; on aura peut‑être le sentiment que c'est nous maintenant qui sommes dans cette situation et que ces railleries retombent sur nous.
Aucun appel ne paraît pouvoir réveiller Dieu. Le rationaliste semble pouvoir nous dire tranquillement: Priez donc plus fort, peut‑être votre Dieu se réveillera‑t‑il! « Il est descendu aux enfers » voilà vraiment la vérité de notre heure, la descente de Dieu dans le silence, dans le sombre mutisme de l'absence.
Mais à côté de l'histoire d'Elie et de son correspondant néotestamentaire dans le récit de Jésus dormant au milieu de la tempête (Mc 4, 35‑41), il faut mentionner également ici l'histoire des disciples d'Emmaüs (Lc 24, 13‑35).
Les disciples bouleversés parlent de la mort de leur espérance. Pour eux, il est arrivé quelque chose comme la mort de Dieu: le point où Dieu semblait enfin avoir parlé, est éteint. L'envoyé de Dieu est mort, et c'est le vide total. Plus aucune réponse. Mais alors qu'ils parlent ainsi de la mort de leur espérance et n'arrivent plus à voir Dieu, ils ne remarquent pas que cette espérance même se trouve vivante au milieu d'eux.
Ils ne
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p209 LES ARTICLES CHRISTOLOGIQUES DE LA PROFESSION DE FOI
se rendent pas compte que « Dieu », ou plutôt l'idée qu'ils s'étaient faite de sa promesse, devait mourir, pour qu'il puisse renaître plus grand.
Il fallait que cette image de Dieu qu'ils s'étaient forgée et où ils essayaient de l'enfermer, fût détruite, pour qu'au‑dessus, en quelque sorte, des ruines de la maison démolie ils puissent voir à nouveau le ciel et Dieu lui‑même, qui demeure toujours l'infiniment plus grand. Eichendorff a exprimé cela avec toute la sensibilité de son siècle et sur un ton qui nous paraît presque trop léger:
C'est Toi qui doucement brises au‑dessus de nos têtes
Ce que construisent nos mains,
Pour que nos regards voient le ciel ‑
C'est pourquoi, je ne me plains.