Darras4-31

SES «TOLÉRANTS» COMPATRIOTES VEULENT LE TUER.

§ VI. Jésus à Nazareth.

 

  32. «lendemain, dès l'aurore, Jésus quitta la demeure de Simon, et se retira dans un lieu solitaire. Il y priait, lorsque Simon et les autres disciples vinrent à sa rencontre. Quand ils l'eurent trouvé, ils lui dirent: Tout le peuple est à votre recherche. — Mais Jésus leur répondit: Allons dans les bourgades et les cités voisines. Je dois y prêcher le royaume de Dieu, car c'est pour cela que je

---------------

1. Marc, I, 32-34; Malth., iv, 24; vni, 16, 17; Luc, iv, 40, 41.
2. A vespera usque ad vesperam célébra/»' tis sabbata vestra. (Lev., xxill, 38.)

============================================

P447 CHAP. V. —JÉSUS A NAZARETH.

suis venu sur la terre.—Cependant la foule l'avait rejoint et le suppliait de ne pas s'éloigner. Mais il leur dit: Il me faut évangéliser le royaume de Dieu dans les autres cités. C'est pour cela que j'ai été envoyé. — Jésus parcourut donc toute la Galilée, enseignant dans les synagogues, prêchant l'Evangile du royaume, guérissant au milieu des peuples, toutes les douleurs et toutes les infirmités 1. Il vint à Nazareth, où il avait passé son enfance, et, selon sa coutume, il entra dans la synagogue, le jour du sabbat. S'étant levé pour faire la lecture, on lui présenta le livre des Prophéties d'Isaïe. Il le déroula, et le passage sur lequel il jeta les yeux était celui-ci: «L'Esprit de Jéhovah est descendu sur moi; il m'a conféré l’onction sainte, et m'a envoyé évangéliser les pauvres, guérir les cœurs brisés, annoncer la rédemption aux captifs, rendre la vue aux aveugles, la liberté aux blessés de la servitude, publier l'année jubilaire de Jéhovah, et le jour de la rétribution divine 2.» Après avoir lu cette prophétie, il roula le livre, le rendit au ministre, et s'assit. Cependant tous les regards des assistants étaient fixés sur lui. Il dit alors: Aujourd'hui, la prophétie que vous venez d'entendre est accomplie. — Ensuite, il continua à leur expliquer l'Écriture, et tous étaient dans l'admiration des paroles de grâce qui tombaient de ses lèvres. N'est-ce pas là, disaient-ils, le fils de Joseph? — Mais Jésus reprit: Vous m'appliquerez sans doute le proverbe: Médecin, guérissez-vous vous-même! Accomplissez ici, dans votre patrie, les merveilles que vous avez opérées à Capharnaûm et dont le bruit est venu jusqu'à nous! En vérité, je vous le dis: Nul prophète n'est accueilli dans sa patrie. Il y avait, certes, beaucoup de veuves en Israël, aux jours d'Élie, quand le ciel fut fermé pendant trois ans et six mois, et que le fléau de la famine ravageait toute la contrée. Cependant le Prophète ne fut envoyé chez aucune d'elles. Sa mission concernait une pauvre Iduméenne de Sarepta. Combien n'y avait-il pas de lépreux en Judée, au temps d’Élisée le prophète? Et cependant un seul, Naaman, le Syrien, fut guéri 4. — A ces mots, tous les assistants

---------

1. Marc, I, 35-38; Luc, iv, 42, 43; Matth., iv, 23, 24. — 2. Isa., LXI , 1,2.— 3. 111 îlrj., XVII, 9 et seq. — 4. IV Reg., v, 1-27.

==============================================

p448 HISTOIRE DE L'ÉGLISE. —lre ÉPOQUE (an 1-3I2).

laissèrent éclater leur colère. Ils se levèrent en tumulte, le chassèrent de la ville, et, le poursuivant jusqu'au sommet de la montagne qui domine Nazareth, ils voulurent le précipiter du haut des rochers. Mais Jésus, passant au milieu d'eux, poursuivit tranquillement sa route, et revint à Capharnaum. Là, il enseignait publiquement dans la synagogue, tous les jours de sabbat 1.»

  33. L'incident de Nazareth offre un exemple frappant de ce que nous avons appelé les caractères d'authenticité intrinsèque du récit Évangélique. Chacune des localités un peu importantes de la Palestine avait une synagogue, où les Juifs se réunissaient, le jour du sabbat, pour faire en commun les prières rituelles, et entendre la lecture et l'interprétation d'un passage des Livres sacrés. Le chazan (archisynagogus) ordinairement choisi parmi les vieillards de la cité, était le président spirituel de cette réunion. Excepté dans les villes sacerdotales, cette dignité n'était point exercée par un prêtre. Les synagogues étaient de simples oratoires, où l’on n'offrait aucun sacrifie. Le Temple de Jérusalem avait seul le privilège d'être «le lieu de l'adoration.» Là, seulement, il était permis d'immoler des victimes à la majesté de Jéhovah, devant le Saint des Saints, qui avait remplacé l'arche d'Alliance, depuis l'époque de la grande captivité de Babylone. Chaque annnée, au temps de la solennité pascale, ou pour la présentation d'un premier-né, les fils de Jacob se rendaient au Temple, et y offraient leurs victimes. En dehors de ces pèlerinages, obligatoires en ces deux circonstances, mais renouvelés plus souvent, selon l'inspiration de la piété individuelle, les familles, éloignées de la Ville sainte, n'offraient pas de sacrifices. C'est pour cela qu'aujourd'hui, les Israélites, dispersés sur tous les points du monde, n'immolent pas de victimes dans leurs synagogues. Ils attendent la reconstruction du Temple de Jérusalem; jusque-là, ils se considèrent comme en exil, et leur situation religieuse est, pour eux, analogue à celle de leurs pères dans les régions idolâtres de Ninive et de Babylone. L'archisynagogus, chargé de prononcer les formules de la prière publique, ne faisait jamais lui-même la lecture du Livre sacré. Cet

-------------

1. Luc, ïv, 16-31.

==============================================

P449 CHAP. V. —JÉSUS A NAZARETH. 449

honneur appartenait de droit à un prêtre, s'il s'en trouvait là; à un lévite, à défaut de prêtre, et, en leur absence, aux cinq anciens de la communauté, que le président désignait, selon leur rang, les jours de sabbat. Enfin, l'interprétation du texte biblique ne pouvait être faite que par un rabbi, c'est-à-dire un docteur ou un maître en Israël. L'ancienne langue hébraïque, dans laquelle la Bible était écrite, n'était plus parlée; deux idiomes plus récents l'avaient remplacée: le syro-chaldéen, ou langue araméenne, et le grec, devenu, depuis l'époque d'Antiochus Épiphane, d'un usage presque général en Palestine. Aussi Notre-Seigneur, dans ses voyages et dans ses entretiens avec les Hellénistes (comme s'appelaient alors les Juifs parlant grec), dut se servir de leur idiome, comme d'une seconde langue maternelle. Mais l'hébreu primitif était resté par excellence la langue sacrée. Les lectures bibliques, dans la synagogue, alors comme aujourd'hui, se faisaient exclusivement en hébreu, seulement le lecteur traduisait littéralement chaque verset en langage vulgaire. Le Livre sacré était confié, dans chaque synagogue, à la garde de l’Azanim, mot hébreu, que saint Épiphane interprète dans le sens de Diàxonoi (Diacres ou Servants). Sous la direction de l'Archisynagogus, les Azanim présentaient au lecteur ou au rabbi le parchemin, roulé sur un cylindre de bois, qui renfermait le texte sacré.

  34. A l'aide de ces détails préliminaires, il est facile de se rendre exactement compte de la prédication de Jésus, dans la synagogue de Nazareth. Le Sauveur, dont l'enfance et la première jeunesse s'étaient écoulées en d'obscurs travaux, sous l'humble toit d'un artisan, rentrait dans sa patrie, précédé par le bruit de ses miracles, et des éclatants témoignages rendus à sa mission par Jean-Baptiste. Les Nazaréens ne connaissaient de la divine histoire de Jésus que ce dont ils avaient été témoins eux-mêmes. Marie, qui demeurait au milieu d'eux, aurait pu leur apprendre le reste; mais la Vierge «conservait tous ses souvenirs comme des trésors, et les renfermait dans son cœur.» L'orgueil maternel, le plus légitime mais le moins discret de tous, n'atteignit jamais cette âme immaculée; il s'était effacé devant l'humilité de «la servante du Seigneur» .

IV. 29

==============================================

p450 HISTOIRE DE L'ÉGLISE. —lre ÉPOQUE (an 1-3I2).

Ainsi Jésus, pour les habitants de Nazareth, comme aujourd'hui pour les rationalistes, n'était que «le fils de Joseph.» De quel droit venait-il éclipser tant de jeunes gens ses contemporains, plus riches et plus considérés que lui? La sympathie suppose l'absence de toute compétition personnelle; or les médiocrités jalouses, dans un compatriote illustre, voient toujours un usurpateur ou un rival. Voilà pourquoi tous les cœurs se ferment à Jésus, dans la ville où chacun se croit supérieur à lui, par la naissance, la fortune ou l'éducation. Mais la curiosité est d'autant plus éveillée sur le nouveau Rabbi, que la malveillance est plus générale. Aussi tous les yeux sont fixés sur lui, quand l'Archisynagogus, honorant officiellement le «Docteur en Israël,» mais espérant peut-être, au fond de son cœur, un échec public, donne ordre à l'Azanim de présenter à Jésus le Livre sacré. Toutes ces misérables agitations de l’amour-propre humain autour de Jésus! Tant de bassesse à côté de la suprême grandeur! Tant d'ignominie en face de la majesté du Verbe, Fils de Dieu! Hélas! il en sera ainsi jusqu'au Calvaire, et jusqu'à la consommation des temps. Méconnu par ses compatriotes de Nazareth, Jésus fut poursuivi par la haine des Juifs; son nom à l'heure présente, est encore outragé par des hommes qui lui doivent et leur nom, et leur patrie, et leur véritable gloire. Les Évangélistes sont loin de dissimuler le triste épisode de Nazareth. Des historiens vulgaires auraient cru grandir la mémoire de Jésus, en supprimant ce détail, ou en substituant une ovation aux étroites et mesquines jalousies qui accueillent ici le divin Maître. Il eût été, sans contredit, plus merveilleux de faire acclamer la divinité du Sauveur sur le théâtre même où s'était écoulée son enfance. Un apocryphe n'y eût pas manqué. Mais telle n'est pas l'histoire du Dieu qui voulut naître dans une étable, et dont les lèvres, abreuvées de fiel et de vinaigre, laissèrent échapper, comme un testament suprême, une parole de pardon pour ses bourreaux!
  33. A l'ardente et jalouse curiosité de ses compatriotes, Jésus répond, comme il le fait encore aux sophistes actuels, il s'affirme lui-même, en empruntant la grande voix des prophètes qui annonçaient sa divinité. Le ministre de la synagogue lui présente le

==============================================

P451 CHAP. V. —JÉSUS A NAZARETH. 451

volume d'Isaïe. Une prescription, qui s'est perpétuée dans le Tulmud, ordonnait au lecteur de se lever par respect pour la parole de Dieu. Jésus se lève. Dans les lectures de famille, on ne devait jamais lire, à haute voix, moins de vingt et un versets des Prophètes. Mais à la lecture publique du sabbat, en raison des exercices religieux de ce jour, le nombre était restreint et ne pouvait dépasser une limite qui variait, suivant le sens, de deux à sept. Jésus déroule le parchemin, et lit, à haute voix, les deux premiers versets du LXIe chapitre d'Isaïe 1. La forme des volumes hébreux, roulés autour d'un cylindre, de telle façon que les premiers chapitres étaient enveloppés sous des replis nombreux, et que les derniers s'offraient tout d'abord à la vue, nous fait très-bien concevoir que le Sauveur ne déploya que le pli supérieur du parchemin, et rencontra, à l'ouverture du livre, ainsi que le dit saint Luc, ce passage tiré d'un des derniers chapitres du Prophète. Il lut ce texte hébreu. Cette circonstance détruit de fond en comble la théorie des modernes rationalistes qui ont osé dire: «Il est douteux qu'il comprît bien les écrits hébreux dans leur langue originale 2.» Mais qu'importent ces mensongères appréciations, où le ridicule le dispute au sacrilège? Jésus répond aux sophistes de Nazareth par les paroles d'Isaïe: «L'Esprit de Jéhovah s'est reposé sur moi il m'a conféré l'onction sainte.» Tous les auditeurs savaient qu'aux bords du Jourdain, l'Esprit de Dieu, sous la forme d'une colombe, s'était reposé sur la tête de Jésus, et que le caractère propre du Messie, du Christ attendu, serait, ainsi que l'étymologie même du nom l'indique, l'onction par l'Esprit de Dieu, semblable à l'onction royale de David par l'huile sainte. «Le Seigneur m'a envoyé évangéliser les pauvres, guérir les cœurs brisés, annoncer la rédemption aux captifs, rendre la vue aux aveugles, la liberté aux blessés de la servitude, publier l'année de Jéhovah et le jour de la rétribution divine.» Or, la Galilée entière retentissait de la prédication du royaume de Dieu, évangélisé aux pauvres; la tyrannie de Satan, sous laquelle gémissait le monde, était contrainte d'abandonner

-------------

1. La Prophétie d'Isaïe n'a en tout que soixante-six chapitres. — 2. Vie de Jésus, pag. 30.

==============================================

p452 HISTOIRE DE L'ÉGLISE. —lre ÉPOQUE (an 1-3I2).

ses victimes; tous les blessés des maladies et des passions humaines; tous les cœurs brisés par les souffrances physiques et morales étaient consolés et guéris; les yeux de l'aveugle s'ouvraient à la clarté du jour, pendant que la lumière divine projetait son éclat sur les ténèbres spirituelles de l'humanité. Le royaume de Dieu était proclamé! Elle commençait enfin «l'année jubilaire de Jéhovah,» où tous les exilés du ciel allaient reprendre le chemin de la patrie, où tous les déshérités rentreraient en possession des champs paternels. «Le jour de la rétribution divine avait lui sur le monde; l'infinie miséricorde allait combler des abîmes de misère, et répondre, par un déluge de grâces, au torrent séculaire d'iniquités, de vices et d'infamies. Quand le Sauveur eut terminé la lecture, il s'assit. C'était encore là une coutume juive. La lecture de la parole de Dieu se faisait debout. Le Docteur en Israël s'asseyait pour donner le commentaire, parole humaine qui s'inclinait devant la majesté de la Révélation.

  36. Tel fut le texte de la première homélie chrétienne. L'Église catholique, par la voix de ses ministres, prêche aujourd'hui comme le Sauveur dans la synagogue de Nazareth. Elle emprunte aux Écritures, et à une langue inconnue de la foule, le texte divin, dont, elle fait jaillir des sources d'eau vive pour abreuver les âmes. Aujourd'hui, plus encore qu'à Nazareth, il lui est donné de dire: «Toutes les prophéties ont reçu leur accomplissement.» Ce signe divin, dont l'auréole resplendissait sur le front de Jésus, brille toujours au front de l'Église. La foule ingrate et jalouse chassa le divin Maître de la synagogue de Nazareth; les clameurs et les émeutes de la foule sont encore les mêmes. Est-il un siècle, un pays, où l'on n'ait essayé aussi de bannir l'Église? Nazareth méconnaît le Dieu dont elle se croyait la patrie. La liberté de langage, l'austérité des enseignements de Jésus, révoltent des auditeurs indociles. On veut le précipiter du haut des rochers qui dominent la cité Galiléenne. Mais Jésus passe, au milieu de cette troupe en furie, et comme lui, l'Église compte ses triomphes par le nombre des attaques impuissantes, dirigées contre son immortalité.

SES «TOLÉRANTS» COMPATRIOTES VEULENT LE TUER.

 

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon