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   8. Cependant le roi Louis le Bègue qui avait été jusque-là retenu à Tours par le mauvais état de sa santé put arriver enfin à Troyes. Il prêta entre les mains du pape le serment de fidélité au saint-siége dans les mêmes termes que l'avait fait précédemment son père Charles le Chauve, et fut solennellement sacré et couronné empereur le VII des ides de septembre (7 septembre 878) au milieu d'un concours immense de peuple venu de tous les points de la Gaule. Jean VIII reprit alors la route d'Italie. A son arrivée à Rome il reçut un accueil triomphal de tous les ordres de la cité. Durant

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p577 CHAP.   XII.   —  DIVERSES  NOTICES   DE  JEAN   VIII.     

 

son absence les Sarrasins s'étaient emparés de plusieurs points du littoral des Etats de l'Eglise ; le pontife réunit toutes les troupes dont il put disposer et se porta en personne à la poursuite des pi­rates qu'il obligea à se rembarquer. En même temps, il informait le nouvel empereur Louis le Bogue du besoin que Rome et l'Italie avaient de sa protection ; mais une mort inopinée vint enlever ce jeune prince, qui n'avait encore que trente-trois ans. Il expira à Compiègne le IV des ides d'avril (10 avril 879). »

 

   9. « Jean VIII, en revenant de son voyage dans les Gaules, avait trouvé à Rome les ambassadeurs de l'empereur grec, venus pour soumettre à son approbation les actes d'un nouveau concile de trois cent-quatre-vingt-trois évêques orientaux,  tenu à Constantinople en 877, sous la présidence des légats apostoliques. Ce concile, as­semblé immédiatement après la mort du saint patriarche Ignace, avait reçu l'abjuration de Photius et rétabli sur le siége patriarcal cet homme d'un génie si brillant mais malheureusement d'un ca­ractère si versatile. L'empereur grec priait le pape de ratifier une promotion qui semblait mettre fin aux troubles dont l'église d'O­rient était depuis tant d'années la victime et la proie. Jean VIII y consentit. Les Grecs abusèrent bientôt de cette condescendance. Leur premier acte fut de déclarer que le concile de 877 devait prendre rang parmi les conciles œcuméniques dont il serait ainsi devenu le IXe. Mais cette prétention exorbitante ne ressortait nullement de l'acte miséricordieux de Jean VIII. Ce pontife, dans l'intérêt de la paix et dans l'espoir de mettre fin au schisme, se borna à ratifier la promotion de Photius dont on lui exposait le repentir et la péni­tence ; il n'étendit nullement l'approbation du siège apostolique aux actes mêmes du concile byzantin de 877. Les motifs qui déter­minèrent la conduite du pontife en cette occasion furent graves et nombreux. L'empire grec était redevenu puissant en Italie par l'ac­cession des ducs de Bénévent et de Capoue qui avaient secoué le joug de l'empire franc pour se mettre sous la protection des Césars de Constantinople. Un nouveau danger menaçait donc de ce côté la
ville de Rome déjà menacée par l'invasion des Sarrasins et par les attentats des factieux qui y entretenaient une perpétuelle agitation.
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p578     PONTIFICAT  DE  JEAN   VIII   (872-882).

 

Profitant d'une telle situation, Basile le Macédonien offrrit au pape un secours que celui-ci attendait vainement des empereurs carlovingiens qui se succédaient si rapidement sur le trône, et qui d'ail­leurs, retenus dans les Gaules par la nécessité de protéger leurs États contre les incursions normandes, étaient dans l'impuissance absolue d'agir efficacement en faveur de l'Italie. Basile, au con­traire, s'engageait à équiper une flotte qui chasserait des côtes de la Campanie, du Latium et de l'Etrurie, les hordes dévastatrices des Sarrasins. Il promettait, en outre, de rétablir le royaume des Bulgares sous la juridiction ecclésiastique de Rome et de mettre un terme au scandale d'une spoliation qui avait si profondément affligé le pape Adrien II, et contre laquelle Jean VIII lui-même n'avait cessé de protester dans toutes les lettres qu'il adressait à la cour de Byzance. Enfin et par-dessus tout, le pieux pontife envisageait au point de vue vraiment apostolique la situation qui résulterait pour l'église d'Orient d'une rigueur trop absolue. Le schisme allait y renaître avec toutes ses fureurs, et la lutte allait recommencer plus ardente que jamais. Le parti de l'indulgence semblait donc tout à la fois le plus sage et le mieux approprié aux circonstances excep­tionnelles dans lesquelles se trouvait  alors le monde chrétien. D'ailleurs les renseignements fournis à Jean VIII étaient loin d'être sincères. Basile le Macédonien mandait au pape que le rétablisse­ment de Photius était unaniment désiré par les évêques orientaux, même par  ceux qui tenaient leur consécration épiscopale des mains des patriarches légitimes Ignace et son prédécesseur Méthodius. Or, le fait était entièrement faux. Tout l'Orient savait le con­traire. Ce ne fut donc pas sans un étonnement mêlé d'une profonde douleur qu'on y apprit les décisions pleines d'indulgence prises par le souverain pontife. On disait que nul de ses prédécesseurs n'avait agi de la sorte ; on lui reprochait de s'être laissé diriger par une prudence tout humaine, en opposition complète avec l'esprit de Dieu et de la sainte Église. Les orthodoxes embrassèrent avec éner­gie ces sentiments. A leurs yeux le pontife s'était rendu coupable d'un crime irrémissible. Au mépris des solennels décrets de ses prédécesseurs, décrets auxquels il avait formellement donné lui-

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même son adhésion en qualité d'archidiacre de la sainte Église ro­maine, il avait, par condescendance pour l'empereur, réhabilité un intrus tel que Photius, dont la déchéance prononcée canoniquement devait être pour jamais irrévocable. C'était là une véritable apostasie, disait-on, puisqu'en réalité Photius n'avait pas donné le moindre signe de repentir, ne s'était soumis à aucune espèce de pé­nitence canonique. Au contraire, il avait recommencé avec une nouvelle audace la série des attentats pour lesquels il avait tant de fois encouru les justes censures du siège apostolique. Ainsi l'on rai­sonnait en Orient, où la culpabilité de Photius était notoire. Mais le faux exposé d'après lequel Jean VIII avait cru devoir agir n'en formait pas moins pour ce pontife une justification légitime. A me­sure qu'il découvrit la vérité qui lui avait été perfidement et hypo­critement dissimulée, il revint sur sa première sentence. Les légats infidèles qui avaient présidé le concile de 877 furent déposés, et les actes de cette assemblée déclarés nuls et de nulle valeur. Jean VIII renouvela contre Photius l'anathème porté par ses prédécesseurs et chargea le diacre Marinus, l'ancien légat apostolique au VIIIe con­cile général et qui devait plus tard monter sur le siège apostolique de partir pour Constantinople et d'y fulminer cette sentence dé­finitive. »

 

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11. Jean VIII espéra que le défenseur officiel du saint-siège se souviendrait alors de l'Italie, dont les Sarrasins se partageaient les dépouilles. « On répand le sang des chrétiens, écrivait-il à Charles le Chauve. Les malheureux, échappés au glaive des infidèles, sont emmenés en captivité sur des rives étrangères. Les cités, les cam­pagnes dépeuplées manquent d'habitants. Les évêques, séparés de leur troupeau désolé, viennent chercher à Rome un asile et du pain. L'année précédente, l'ennemi moissonna les champs que nous avions semés; cette année, nous n'avons pu semer et nous n'avons pas même l'espérance de la récolte. Mais pourquoi ne parler que des infidèles! Les chrétiens ne se conduisent pas mieux. Les sei­gneurs voisins, que vous nommez marchiones 1, pillent les domaines de saint Pierre, ils nous font mourir, non par le fer, mais par la faim; ils n'emmènent pas en captivité, mais ils réduisent en servi­tude. Après Dieu, vous êtes notre refuge, notre consolation, notre unique espérance. Tendez la main à ce peuple désolé, à cette ville si noble et si fidèle, à l'Église votre mère, qui vous a donné la dou­ble couronne de la royauté et de la foi, et qui vous a récemment élu empereur, de préférence à votre frère. » Les malheurs dont parle Jean VIII prenaient une extension d'autant plus effrayante, que quelques peuples de l'Italie les aggravaient encore, au lieu de chercher à les arrêter. Les Napolitains et les populations voisines s'étaient alliés avec les Sarrasins, et ils arrivaient par mer jusqu'aux portes de Rome. Le pape n'épargna rien pour les décider à rompre cette alliance. Il envoya deux évêques, Valbert de Porto et Pierre d'Ostie, pour y déterminer Pulcar, préfet d'Amalfi, et surtout Sergius, duc de Naples, principal auteur de ce traité. Trompé par leurs promesses, le pape se rendit plusieurs fois à Gaëte, pour terminer cette affaire.

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1 On appelait ainsi les gouverneurs des marches, c’est-à-dire des frontières. On sait que tel est l'origine du titre de marquis.

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p585 CHAP.   XII.   —  SYIs'CllItONISMlS.     

 

15. Cependant les légats chargés de remettre à l'empereur les lettres de Jean VIII arrivèrent à Compiègne, où Charles le Chauve se trouvait (877). Leurs instances furent si pressantes que le prince se décida à partir pour Rome. Jean VIII se hâta d'aller au-devant de lui : ils se rencontrèrent à Vérone et allèrent ensemble jusqu'à Pavie, où le pape couronna solennellement l'impératrice Richilde. La cérémonie était à peine terminée, lorsque Carloman, fils aîné de Louis le Germanique, franchissant les Alpes à la tête d'une armée nombreuse, vint attaquer Charles le Chauve et lui demander raison d'avoir usurpé sur son père le titre d'empereur. Une terreur pani­que s'empara des soldats de Charles le Chauve. Leur chef n'était pas plus rassuré : il aimait mieux combattre avec l'or qu'avec le fer. II prit la fuite, presque seul, à marche forcée, en proie à une fièvre ardente. Au pied du mont Cenis, il mourut, empoisonné, dit-on, par le juif Sédécias, son médecin. Prince plus puissant que digne de l'être, plus sensible à l'ambition qu'à la gloire, moins prudent que rusé, plus avide de conquêtes que propre à les conser­ver, il légua ses Etats et sa faiblesse à Louis III le Bègue, qui se laissa enlever le titre d'empereur par Carloman, roi de Bavière. Le sang qui avait produit Pépin d'Héristal, Charles Martel, Pépin le Bref et Charlemagne, s'était lassé de donner au monde des héros (877).

 

16. La mort de Charles le Chauve laissait l'Italie en proie à tous ses ennemis, maures et chrétiens. Jean VIII cherchait en vain, parmi tous les princes de la race carlovingienne, un noble cœur et une vaillante épée à opposer à tant de désastres. Carloman, qui poursuivait une couronne impériale à travers des ruisseaux de sang, donna ordre à Lambert, duc de Spolète, son lieutenant en Italie, de marcher sur Rome et de s'en rendre maître. Lambert, trop fidèle à ces ordres tyranniques, mit toute la campagne romaine à feu et à sang. Le pape voulait néanmoins le recevoir en ami. Il es­pérait tourner les armes de ce seigneur chrétien contre les Sarra­sins, ses véritables ennemis; mais Lambert n'entra pas dans les vues de cette haute politique. Il franchit, en vainqueur irrité, les portes d'une ville qu'on avait volontairement ouvertes devant lui,

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occupa Rome militairement et retint Jean VIII prisonnier dans l'église de Saint-Pierre. Pendant un mois, l'autel demeura dé­pouillé; la basilique dévastée ne vit plus célébrer aucun office dans
son enceinte. Le pape réussit pourtant à tromper la vigilance de ses gardiens : il prit la mer à Ostie et vint débarquer en Provence, cette terre hospitalière des Gaules, où la papauté avait jusque-là trouvé asile et protection. Jean VIII envoya prier Louis le Bègue de lui indiquer le lieu où il pourrait avoir une entrevue avec lui. Troyes fut la ville désignée, et le pape s'y rendit. Il y convoqua un concile; mais les évêques d'outre-Rhin refusèrent de s'y rendre. L'appel du pontife ne fut point entendu. Rome semblait aban­donnée. On voulait bien recevoir d'elle des titres et des couronnes, mais nul ne songeait à la défendre. Le concile, ouvert avec solen­nité le 11 août 878, exprima ses regrets de la manière indigne dont Carloman et son lieutenant Lambert avaient traité le souverain pontife. On y formula de sages règlements pour maintenir l'indé­pendance des évêques contre les attentats du pouvoir civil. Ce furent de belles paroles ; mais il eût fallu d'autres arguments pour chasser les Sarrasins et réprimer l’insolence des seigneurs rebelles. Jean VIII le sentait bien. « Je vous conjure, mes frères, disait-il, d'armer vos vassaux pour la délivrance du saint-siége et de l'Italie tout entière. Donnez-moi à ce sujet une réponse définitive. » Ses instances furent inutiles. Le pape, désespéré, franchit les Alpes et revint à Rome.

   17. Convaincu désormais qu'il n'avait rien à attendre des rois d’Occidcnt, il tourna ses regards vers Constantinople, où Basile le Macédonien régnait avec gloire. Les armes victorieuses de ce prince avaient chassé les Sarrasins de l'Asie-Mineure, du Pont, de l'Ar­ménie, de la Cappadoce, de la Mésopotamie et les avaient pour­suivis jusqu'au delà de l'Euphrate, où les aigles romaines n'avaient point osé se montrer depuis Héraclius. Le pape crut que tel était le héros destiné par la Providence à sauver l'Italie et à devenir le boulevard de la chrétienté en Occident. Il lui envoya deux légats, chargés de lui proposer cette noble mission. Mais les choses avaient bien changé de face à Constantinople depuis le huitième concile

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oecuménique. Photius n'était plus le schismatique déposé par les pères, proscrit par l'empereur, obligé de se dérober par la fuite au mépris et à l'indignation publique. Admis dans l'intimité du mo­narque, il habitait le palais impérial, avait repris les habits ponti­ficaux et jouissait d'un crédit sans bornes à la cour. Cette métamor­phose était due à une habile imposture de ce génie pervers. Basile le Macédonien, issu d'une humble famille d'Andrinople, avait, comme presque tous les parvenus, la manie de la noblesse. Photius sut tirer parti de cette mesquine vanité. Du fond de son exil, il écrivit en lettres alexandrines, sur du vieux parchemin, et revêtit d'une couverture rongée par les vers une généalogie qui faisait descendre la famille de Basile du roi Tiridate, si fameux en Ar­ménie. Un intime ami de l'intrus, Théophane, clerc de la cour, se chargea de placer le poudreux manuscrit dans la bibliothèque impériale. Il le présenta à Basile comme le monument le plus pré­cieux de bibliographie. «Malheureusement, dit-il, les caractères nous en sont inconnus. Un seul homme, dans tout l'Orient, serait capable de le déchiffrer.—Quel est cet homme? — Photius. » Pho­tius fut appelé, lut le livre qu'il devait connaître mieux que per­sonne, et dit qu'il ne pouvait en révéler le sens qu'à l'empereur lui-même, parce qu'il renfermait des secrets importants. Basile donna dans le piège. L'exil de Photius, qui durait depuis sept ans, finit à ce terme. L'adroit suborneur ayant une fois l'oreille du maître, le gouverna bientôt comme il voulut (878). La mort du patriarche saint Ignace, arrivée sur ces entrefaites, lui permit de remonter sur le siège de Constantinople. Quand les légats du pape, Paul et Eugène, débarquèrent, ils furent tellement circonvenus, que, cédant à la séduction, ils osèrent assurer publiquement qu'ils avaient mission de rétablir Photius dans son ancienne dignité. Les évêques d'Orient, craignant un homme qui venait de donner des preuves d'une habileté si extraordinaire, n'osèrent s'opposer à sa réhabilitation, et l'intrigant vit enfin tous ses artifices couronnés du plus éclatant succès.


   18. Des ambassadeurs grecs  arrivèrent à Rome,  porteurs de lettres adressées par l'empereur à Jean VIII, pour le presser de 

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p588      PONTIFICAT   DE   JEAN   VIII   (872-882)

 

reconnaître la nomination de Photius. Basile mettait son assis­tance à ce prix. Ces nouvelles jetèrent le pape dans la plus cruelle perplexité. L'état de l'Italie, chaque jour plus menacée, demandait de prompts secours: Basile seul pouvait les fournir; d'un autre côté, le rétablissement de Photius, déposé par un concile général et toujours suspect d'attachement au schisme, présentait des diffi­cultés considérables. Dans une conjoncture si délicate, Jean VIII prit conseil de la nécessité. La mesure qu'il adopta était commandée par des raisons politiques d'une gravité incontestable. «Vous nous demandez, répondit-il enfin à l'empereur, que, dilatant les entrailles de notre miséricorde, nous confirmions, par l'autorité du siège apostolique, le rétablissement de Photius dans les honneurs et la dignité du patriarcat. Pour nous conformer à vos prières, pour terminer la division et le scandale de l'Eglise, troublée depuis si longtemps, pour céder à d'impérieuses circonstances, nous consen­tons au pardon de Photius et à son rétablissement. Nous le faisons sans préjudicier aux statuts apostoliques, sans annuler les règles des saints pères, uniquement d'après ce principe qu'il est des occa­sions où il faut obéir à la nécessité et agir contre les traditions or­dinaires de l'Eglise. Ainsi nous relevons Photius des censures ecclésiastiques portées contre lui ; nous permettons qu'il reprenne possession du siège patriarcal, en vertu de l'autorité suprême qui nous a été accordée dans la personne du prince des apôtres, par Jésus-Christ notre Dieu, quand il a dit à saint Pierre : « Je te don­nerai les clefs du royaume des cieux. Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel. » Nous mettons toutefois à notre consentement quatre conditions : 1° qu'à la mort de Photius on n'élira point un laïque pour remplir sa place; 2° que le patriarche ne prétendra désormais à aucun droit sur la province de Bulgarie; 3e que les évêques et les clercs consacrés par Ignace seront tous maintenus sur leurs sièges et qu'on ne cherchera nullement à les inquiéter; 4e que Photius rassemblera un concile pour y désavouer publique­ment sa conduite passée. »


   19. Cette dernière clause fut surtout sensible à Photius. L'exé-

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p589 CHAT.   XII.   —  SYNCHUOKISME.     

 

cution aurait trop coûté à son orgueil. Pour s'y soustraire, il n'hésita pas à user d'une infidélité qui lui était familière. Il se chargea de traduire en grec les lettres latines du pape. Dans cette traduc­tion, il omit à dessein les réserves pontificales concernant l'aveu de ses fautes, le désistement des prétentions du siège patriarcal sur la Bulgarie et la circonstance de la nécessité du temps qui contraignait à se relâcher à son égard des rigueurs de la discipline. Il faisait au contraire dire au pape que le concile général de 869 avait commis une injustice en déposant Photius et que tous ses actes étaient frappés de nullité. Ces blasphèmes furent lus comme les propres expressions de Jean VIII, dans un conciliabule que l'intrus voulut présider en personne, sans même laisser cet hon­neur aux légats du saint-siége, encore présents à Constantinople. Les coupables envoyés ne songèrent ni à se plaindre de cet op­probre, ni à protester contre l'indigne langage qu'on prêtait au vicaire de Jésus-Christ, dont ils étaient les représentants. Ils pous­sèrent la lâcheté jusqu'à présenter eux-mêmes les vêtements pon­tificaux à Photius, dans la cérémonie de réhabilitation. Et quand cette œuvre d'intrigue et de faiblesse fut consommée, ils revinrent dire au pape que la paix était enfin rétablie et consolidée pour jamais dans l'église de Constantinople.

 

   20. Mais Jean VIII avait eu, dans l’intervalle, des détails circonstanciés et précis sur leur prévarication et sur les fourberies de Photius. Le livre des Evangiles à la main, en présence du clergé et du peuple de Rome assemblés, il monta sur l'ambon (tribune) de l'église de Saint-Pierre et renouvela contre Photius les anathèmes dont l'avaient successivement frappé les papes Nicolas Ier, Adrien II et le huitième concile œcuménique. Il fulmina une sentence d'ex­communication contre les légats qui avaient si lâchement trahi leur ministère. Le diacre Marin, l'un de ceux qui avaient présidé en 869 au concile général, fut envoyé à Constantinople pour notifier cette sentence à l'empereur Basile et au patriarche intrus. Marin se montra digne d'une pareille confiance. En dépit de l'empe­reur et de Photius, il parut à Sainte-Sophie et déclara nul, au nom du pape, tout ce qui s'était fait en faveur du patriarche intrus. Jeté

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p590      rOKTIFICAT DE   JEAN  VIII  872-882).

 

en prison par les ordres de Basile, il parvint à s'échapper et revint à  Rome, ayant accompli  au  péril  de sa vie sa dangeureuss mission.


   21. Les espérances que le pape avait conçues pour la délivrance de l'Italie se brisaient ainsi l'une après l'autre. L'Orient lui était fermé, l'Occident était sourd à ses prières. Jean VIII ne se découragea point, sou activité redoublait avec les obstacles : et c'est un ad­mirable spectacle que la lutte incessante d'un généreux pontife contre l'indifférence ou la mauvaise volonté de son siècle. En 880, il écrivait à Charles III le Gros, frère de l'empereur Carloman et roi de Germanie : « Nous sommes également exposés aux insultes des Sarrasins et à la rébellion des chrétiens eux-mêmes. Les habi­tants des campagnes laissent leurs sillons sans culture ; le ministère ecclésiastique ne peut plus s'exercer avec sécurité. Si vous ne venez promptement au secours de Rome et du siège apostolique, vous ré­pondrez devant Dieu de la perte de l'Italie. » Charles le Gros n'eût pas fait plus d'attention à cette requête qu'à tant d'autres du même genre qui étaient toujours demeurées sans résultat ; mais la mort de l'empereur Carloman, son frère (881), laissa l'empire  vacant. Charles le Gros se rendit à Rome pour y recevoir la couronne im­périale des mains du pape. Il prétendait bien recevoir; mais il comptait se débarrasser, comme l'avaient fait ses prédécesseurs, du fardeau de la reconnaissance. Vainement le souverain pontife, dans la cérémonie de son sacre, lui  fit jurer d'employer l'épée que l'Église lui mettait entre les mains, à défendre l'indépendance du saint-siège. Il oublia son serment du jour où il en eut recueilli les fruits. Jean VIII redoubla d'instances, de prières, de menaces, toujours en vain : et l'infortuné pontife mourut (15 décembre 882), sans avoir accompli le but qu'il poursuivit constamment pendant les dix années de son règne : la délivrance de l'Italie. L'histoire qui juge les efforts et non le résultat, n'a que des éloges pour une telle grandeur et une telle fermeté de caractère. Pour assurer du moins la liberté de Rome contre les Sarrasins, il acheta la paix de ces infidèles en s'engageant à leur payer chaque année vingt-cinq mille marcs d'argent,

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