Darras tome 42 p. 332
31. A côté du cardinal Gousset, il faut placer, parmi les restaurateurs de nos églises, dom Guéranger. Prosper-Louis, Pascal Guéranger, né à Sablé, en 1800, prêtre en 1827, fut d'abord secrétaire de son évêque et un instant vicaire à Paris. Dieu l'avait suscité pour la restauration de l'ordre monastique en France. En 1831, il s'ouvrait à son évêque de ce dessein, obtenait son agrément en 1832, et, en 1833, s'établissait à Saint-Pierre de Solesmes, avec cinq candidats à la règle bénédictine et quatre autres destinés à l'état de convers. Le 15 août 1830, les membres de l'association déclaraient au public leur intention de consacrer leur vie au rétablissement de l'ordre de Saint Benoît, en revêtant l'habit qu'il impose. On sollicitait, en même temps, l'approbation du Saint-Siège Apostolique. Par un bref du 1er septembre 1837, Grégoire XVI déclara l'érection en titre abbatial de l'ancien prieuré de Solesmes, sous le titre de Congrégation française de l'ordre de Saint Benoît, succédant aux anciennes congrégations de Cluny, de Saint-Vannes et de Saint-Maur. Le prieur, Dom Gueranger, fut institué abbé de Solesmes, supérieur général des Bénédictins de la Congrégation de France. Autour de lui se groupaient les Fontaine, les Pitra, les Piolin, les Guépin, les Gardereau, les Couturier, noms aujourd'hui célèbres. L'acte qui appelait à l'existence canonique, l'abbaye de Solesmes, lui conférait, pour mission, de ranimer les traditions défaillantes du droit pontifical et de la lilurgie sacrée. Dom Guéranger prit pour lui-même une grande part de cette
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(i) Fèvre, Bist. du Card. Gousset, in-S% Paris, 1882.
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p333 § II. — LES ÉCRIVAINS ECCLÉSIASTIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX
tâche et débuta par les Institutions liturgiques dont le premier volume parut en 1840, le second en 1841, le troisième en 1851. Ce livre excita une vive répugnance parmi les retardataires du gallicanisme ; l'archevêque de Toulouse et l’Evêque d'Orléans, dans des écrits peu solides, prirent l’auteur à partie et lui fournirent l'occasion de se défendre avec une supériorité victorieuse. Cette polémique entraîna les sympathies de la France; à la suite de Mgr Parisis, qui avait rétabli la liturgie romaine à Langres en 1839, les évêques français, qui l'avaient abandonnée, la reprirent successivement; et, par une révolution heureuse, la France se retrouva nantie des livres liturgiques de la sainte Eglise de Rome. Dom Guéranger, pour activer ce mouvement, écrivit, au cardinal Gousset, une savante lettre sur le droit liturgique; puis, pour renouveler la piété chrétienne, il commença l'Année liturgique, dont il publia neuf volumes. Ses frères ont, depuis sa mort, achevé cet ouvrage. En même temps, pour d'autres questions liturgiques, dom Guéranger, s'était donné des collaborateurs : dans le Banier et ses Méditations sur la Passion pour le culte de Jésus-Ohrist; le P. Poiré et sa Triple Couronne, pour le culte de la sainte Vierge; et ses autres frères, pour les Actes des martyrs ; lui-même, pour cette dernière partie, écrivit en grand l'histoire de sainte Cécile, patronne des Bénédictins de Solesmes. D'autre part, Falize, Bouvry, de Herdt, Maugère, le P. Le Vavasseur, expliquaient assez bien les livres liturgiques, pour que Dom Guéranger put s'en épargner le souci. En même temps, fidèle aux consignes de Rome, Dom Guéranger guerroyait dans la presse contre la grande erreur du temps présent le naturalisme ; il combattait le naturalisme philosophique de Maret, le naturalisme historique du prince de Broglie, et du comte d'Haussonville, le naturalisme des parlements qui avaient proscrit Marie d'Agréda et la Cité Mystique. Un peu plus tard, de son gantelet vainqueur, il abattait les pauvretés historiques et théologiques des Gratry et des Maret. Si nous rappelons son Mémoire sur la définibilité de l'Immaculée-Conception, son opuscule sur la médaille de saint Benoît,
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p334 pontificat de pie ix (181G-187S)
la Notice sur Solesmes, nous aurons dressé à peu près la nomenclature de ses œuvres. Ecrivain de la plus pure orthodoxie, vainqueur du gallicanisme, du naturalisme et de l'antiliturgisme, moine d'une vertu parfaite, abbé de monastère et chef de congrégation, dom Guéranger apparaît à l'histoire, comme l'un des grands triomphateurs du XIXe siècle. L'abbé de Solesmes mourut le 30 janvier 1875 ; trois évêques et un grand nombre d'écrivains catholiques honorèrent de louanges sa mémoire ; Pie IX le regretta comme un grand serviteur de l'Eglise. Dans un bref pour accorder la cappa magna à l'abbé de Solesmes, et faire entrer dans la Congrégation des Rites un Bénédictin, concessions faites en souvenir de dom Guéranger, le Pontife cite l'abbé de Solesmes «parmi les hommes qui se sont le plus distingué par leur religion et leur doctrine, par leurs efforts et leur zèle à promouvoir les intérêts catholiques; doué d'un génie puissant, riche des trésors d'une érudition rare et d'une science bien connue dans les matières canoniques, il s'appliqua constamment, dans le cours de sa longue vie, à défendre, avec un très grand courage dans des écrits de la plus haute importance, la doctrine de l'Eglise catholique et les prérogatives de l'Eglise romaine, à briser les efforts des adversaires et à réfuter leurs erreurs. » On citerait peu d'apologistes si grandement honorés par un Pape.